Comme le martin-pêcheur prend feu...
Philippe Jaccottet, écrivain d'origine vaudoise, ayant depuis des lustres posé ses valises en Drôme provençale, nous a quittés le 24 février 2021 à l'âge de 95 ans. De nombreux hommages ont été rendus à cet homme discret, immense et souvent hermétique poète (il fut lauréat du Goncourt de la poésie), dont les Œuvres sont entrées de son vivant, en 2014, dans la prestigieuse Pléiade, ce qui signifie beaucoup de choses.
Pour ma part, j'ai été entre autres passionné par l'émission que lui a consacré deux jours plus tard France-Culture sous le titre : "Philippe Jaccottet : Ne pas donner toute sa place au malheur". Je suis d'ailleurs infiniment redevable aux intervenants - tellement pétris de l’œuvre du poète de Grignan - de cette émission : cette mise en ligne leur doit l'essentiel de son contenu.
Pour ma part, j'ai été entre autres passionné par l'émission que lui a consacré deux jours plus tard France-Culture sous le titre : "Philippe Jaccottet : Ne pas donner toute sa place au malheur". Je suis d'ailleurs infiniment redevable aux intervenants - tellement pétris de l’œuvre du poète de Grignan - de cette émission : cette mise en ligne leur doit l'essentiel de son contenu.
"Ce que le jeune adolescent découvre, dans la poésie, c'est qu'elle semble introduire la dimension de l'infini, la dimension secrète du monde, celle que l'on n'arrive pas à mesurer scientifiquement. La poésie introduit dans notre vie comme une clarté qui viendrait du plus haut sur les moments les plus quotidiens, les plus simples et les plus quelconques de la vie, comme une espèce de lumière insaisissable"
Phil. Jaccottet, Grignan, 1974
"Je n'ai fait que passer, accueillir. J'ai vu ces choses, qui, elles-mêmes, plus vite ou au contraire plus lentement qu'une vie d'homme, passent".
Phil. Jaccottet, Paysages avec figures absentes
Phil. Jaccottet, Grignan, 1974
"Je n'ai fait que passer, accueillir. J'ai vu ces choses, qui, elles-mêmes, plus vite ou au contraire plus lentement qu'une vie d'homme, passent".
Phil. Jaccottet, Paysages avec figures absentes
La Classe de Rhéto
Ah que voilà un ouvrage de vrais/faux souvenirs d'enfance ("Chacun se raconte une histoire à laquelle il s'attache") enthousiasmant - et je n'ai pas l'hyperbole aisée. À la suite de la mort prématurée de son épouse (elle avait 43 ans), le général Compagnon, attaché militaire à Washington (il devait achever sa carrière avec le grade de général de corps d'armée, rien que ça), décide de regagner la France et d'y confier ses six enfants à diverses institutions militaires ou crypto-militaires (Victor-Duruy, Légion d'Honneur, La Flèche...).
C'est ainsi que le jeune Antoine, quinze ans, se retrouve "ñass" (dans notre jargon provençal, c'était "pencu") au lycée militaire du Prytanée de La Flèche, près du Mans, pour y effectuer son année de Première (ou "Rhéto", de rhétorique), avec deux années d'avance, comme tout bon fils de famille qui se respecte. Lui qui, jusque là, avait été chouchouté par une mère aimante et adorée et par les diverses institutions de par le monde où les affectations de son père l'avaient conduit (Londres, Tunis, Washington, Paris), il était désormais tout seul avec sa petite valise noire de carton bouilli et contraint d'effectuer, au pas de course et en serrant les dents, l'apprentissage de la vie. C'est à l'intérieur de cet établissement (le "bahut"), nous dit-il, qu'il nourrit les desseins et prit les grandes décisions qui devaient gouverner sa vie et la première et la plus difficile, pour commencer : rompre avec l'hérédité militaire familiale, et devenir un civil accompli.
Comme ingénieur des Ponts-et-Chaussées, ancien de l'X., par exemple...
Il devait d'ailleurs consacrer bien plus tard (en 2011), à cette année-charnière selon lui, tout un cours du collège de France : 1966 : Annus mirabilis. Année prodigieuse, magique, miraculeuse qu'il entendit faire revivre à son rythme, et qu'il fit commencer... au 1er septembre 1965 ("en ce jour de septembre, je pris seul le train pour Le Mans, vers l'inconnu...")...
C'est ainsi que le jeune Antoine, quinze ans, se retrouve "ñass" (dans notre jargon provençal, c'était "pencu") au lycée militaire du Prytanée de La Flèche, près du Mans, pour y effectuer son année de Première (ou "Rhéto", de rhétorique), avec deux années d'avance, comme tout bon fils de famille qui se respecte. Lui qui, jusque là, avait été chouchouté par une mère aimante et adorée et par les diverses institutions de par le monde où les affectations de son père l'avaient conduit (Londres, Tunis, Washington, Paris), il était désormais tout seul avec sa petite valise noire de carton bouilli et contraint d'effectuer, au pas de course et en serrant les dents, l'apprentissage de la vie. C'est à l'intérieur de cet établissement (le "bahut"), nous dit-il, qu'il nourrit les desseins et prit les grandes décisions qui devaient gouverner sa vie et la première et la plus difficile, pour commencer : rompre avec l'hérédité militaire familiale, et devenir un civil accompli.
Comme ingénieur des Ponts-et-Chaussées, ancien de l'X., par exemple...
Il devait d'ailleurs consacrer bien plus tard (en 2011), à cette année-charnière selon lui, tout un cours du collège de France : 1966 : Annus mirabilis. Année prodigieuse, magique, miraculeuse qu'il entendit faire revivre à son rythme, et qu'il fit commencer... au 1er septembre 1965 ("en ce jour de septembre, je pris seul le train pour Le Mans, vers l'inconnu...")...
"La pauvreté, la tristesse, la morosité se lisaient dans tous les regards, sous la mauvaise lumière filamenteuse du wagon. Saisi au dépourvu par cette révélation de la France, je pris soudain conscience de mon appartenance nationale, comme d'autres se convertissent derrière un pilier de Notre-Dame, et j'en sens toujours la réplique, une sorte de chair de poule intérieure, chaque fois que je reviens, lorsque je présente mes papiers à la police des frontières et que le préposé se montre désobligeant, que le temps est gris, les transports publics en grève, le chômage à la hausse, comme si une certaine gêne ne m'avait jamais quitté : l'angoisse d'être français"
A. Compagnon
A. Compagnon
Deuxième partie : Comment j'ai pris contact avec le témoin Antoine Llorca
5 août 2023 ! Comme annoncé l'année dernière à pareille époque, voici la suite de l'opuscule (publié à compte d'auteur) par notre auteur(e). À la lecture de la première partie de "Commentaire sur la déposition d'Antoine Llorca dans l'Affaire de Lurs", on pouvait à plusieurs reprises rire franchement des propos tenus, et se gausser de l'extraordinaire naïveté de notre institutrice fraîchement retraitée. J'ai déjà écrit que j'éprouvais une tendresse certaine teintée d'indulgence pour mon estimée collègue Marie Fougeron. Elle s'est démenée à un point qui force l'admiration (opuscules, certes, mais courrier abondant, interventions diverses, toutes opérations "gratuites").
Mais désormais, il est trop clair qu'elle bat la breloque, cette demoiselle d'un âge certain, et néanmoins quelque peu énamourée en découvrant le "témoin capital" (sic), qu'elle n'imaginait pas aussi grand. On se prend à douter... Aurait-elle perdu le sens commun, l'esprit du doute méthodique ? Évidemment, ce n'est pas son correspondant, bientôt son interlocuteur qui pourrait l'aider dans une démarche réfléchie et raisonnablement critique : lui, le sieur Llorca, on connaît de date longue son stupéfiant culot ("ça serait peut-être le bon moment d'en reparler de mes révélations, moi, le témoin capital de l'affaire de Lurs"), son inébranlable certitude ("S'il le faut, j'irai en Angleterre". Tiens, cela ne vous rappelle donc rien ? Mais si, voyons ! "S'il le faut, nous irons devant la Cour européenne des droits de l'Homme..." Vous faut-il un dessin ?) deux produits de son évidente débilité (légère).
Quoi qu'il en soit, les deux discoureurs se soutiennent mutuellement. Marie, qui craignait de voir sa seconde brochure, comme la première, "risquer d'être à peine connue et de n'être prise en considération par personne". Quant à Antoine, lui le manuel, il se sentait particulièrement valorisé d'être écouté - et conforté dans ses a-prioris - par une intellectuelle. Hélas, deux délires qui s'ajoutent ne font pas une vérité !
Mais désormais, il est trop clair qu'elle bat la breloque, cette demoiselle d'un âge certain, et néanmoins quelque peu énamourée en découvrant le "témoin capital" (sic), qu'elle n'imaginait pas aussi grand. On se prend à douter... Aurait-elle perdu le sens commun, l'esprit du doute méthodique ? Évidemment, ce n'est pas son correspondant, bientôt son interlocuteur qui pourrait l'aider dans une démarche réfléchie et raisonnablement critique : lui, le sieur Llorca, on connaît de date longue son stupéfiant culot ("ça serait peut-être le bon moment d'en reparler de mes révélations, moi, le témoin capital de l'affaire de Lurs"), son inébranlable certitude ("S'il le faut, j'irai en Angleterre". Tiens, cela ne vous rappelle donc rien ? Mais si, voyons ! "S'il le faut, nous irons devant la Cour européenne des droits de l'Homme..." Vous faut-il un dessin ?) deux produits de son évidente débilité (légère).
Quoi qu'il en soit, les deux discoureurs se soutiennent mutuellement. Marie, qui craignait de voir sa seconde brochure, comme la première, "risquer d'être à peine connue et de n'être prise en considération par personne". Quant à Antoine, lui le manuel, il se sentait particulièrement valorisé d'être écouté - et conforté dans ses a-prioris - par une intellectuelle. Hélas, deux délires qui s'ajoutent ne font pas une vérité !
"D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas et un esprit boiteux nous irrite ? À cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons. Sans cela nous en aurions pitié, et non colère.
Épictète demande bien plus fortement : Pourquoi ne nous fâchons-nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu’on dit que nous raisonnons mal ou que nous choisissons mal ? (Épictète, Entretiens, IV, 6)
Ce qui cause cela est que nous sommes bien certains que nous n’avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux, mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. De sorte que, n’en ayant d’assurance qu’à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix, car il faut préférer nos lumières à celles de tant d’autres. Et cela est hardi et difficile. Il n’y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux"
Bl. Pascal, Raison des effets, Sellier 132
"De vrai, pourquoi sans nous émouvoir, rencontrons nous quelqu’un qui ait le corps tortu et mal bâti, et ne pouvons souffrir le rencontre d’un esprit mal rangé, sans nous mettre en colère ?"
Montaigne, Essais, De l’art de conférer, III, 8, Pléiade, p. 974)
Épictète demande bien plus fortement : Pourquoi ne nous fâchons-nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu’on dit que nous raisonnons mal ou que nous choisissons mal ? (Épictète, Entretiens, IV, 6)
Ce qui cause cela est que nous sommes bien certains que nous n’avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux, mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. De sorte que, n’en ayant d’assurance qu’à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix, car il faut préférer nos lumières à celles de tant d’autres. Et cela est hardi et difficile. Il n’y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux"
Bl. Pascal, Raison des effets, Sellier 132
"De vrai, pourquoi sans nous émouvoir, rencontrons nous quelqu’un qui ait le corps tortu et mal bâti, et ne pouvons souffrir le rencontre d’un esprit mal rangé, sans nous mettre en colère ?"
Montaigne, Essais, De l’art de conférer, III, 8, Pléiade, p. 974)