10-53. Mais oui, j'y étais !

Quel dommage que tu sois à Londres à un moment pareil, alors qu'il m'a été impossible de t'obtenir des places pour ton anniversaire, m'avait téléphoné ma fille (qui est toujours en avance). Un moment pareil, ce qui signifiait au beau milieu du Crunch si attendu par les Anglais, si redouté par les Français ! En fait, lui avais-je répondu, je me consolerai en regardant le match depuis un quelconque pub !

Parce que l'essentiel de cette escapade, pour moi, outre le fait de côtoyer de près d'adorables petits-enfants, c'était de se rendre, cornaqué par un ami très cher, anglais mais tellement francophile, au  4, Carlton Gardens, qui fut durant quatre années, grâce à Churchill, le Quartier général de la France libre, puis de contempler enfin, au British Museum, la pierre de Rosette (dont je ne connaissais jusque-là que la pâle copie obtenue par estampage, celle-là même qui permit à Champollion de battre à plates coutures son rival anglais, Thomas Young), et même les frises du Parthénon (au passage, je note qu’il n’y a pas – plus ? – la moindre allusion au célèbre Thomas Bruce dit Lord Elgin, grâce à qui elles furent sauvées d'une imminente destruction : preuve que l'idéologie woke a plus le droit de cité dans la perfide Albion que chez nous, ce qui n'est pas peu dire). Mais revenons à nos moutons, ou plus exactement  à leurs perruques blanches...

Alors que nous faisions la queue avant d'entrer au Palace of Westminster (des précautions aussi strictes que dans les aéroports), mon gendre me demanda mon portable, puis me le rendit dix secondes, pour que je levasse la sécurité. Qu'allait-il en faire, quel soudain besoin de s'en emparer ? J'eus à peine le temps d'échafauder deux-trois hypothèses que, déjà, il me le rendait. Regarde, me dit-il. Je regardai. Stupéfaction : un nouveau programme s'était ajouté aux autres, sponsorisé par la British Airways, sauf erreur. Ce programme se nommait...  TWICKENHAM, et s'ouvrait sur un "Upcoming Event" : un billet à mon nom, tout ce qu'il y avait de plus sérieux, avec la porte d'entrée, le bloc, la rangée et le siège qui m'étaient alloués... Mon gendre me sourit : figure-toi que j'ai le siège voisin du tien ! Ma fille et lui s'étaient gentiment joués de moi...

Depuis plus de soixante ans que je m'intéresse au sport-roi (j'appartiens davantage à la génération de Pipette qu'à celle de Toto Dupont),  en ai-je vu, des matches internationaux, dans différentes villes de l'Hexagone mais surtout à Paris, évidemment, puis à Saint-Denis ! Mais jamais je n'étais sorti de France : il fallait bien commencer un jour...

C'est assez dire que la visite de Westminster, bien que fort instructive, me vit l'esprit quelque peu occupé ailleurs. À la sortie, tandis que nous traversions la Tamise par le Vauxhall Bridge, je me crus un instant dans le 18e : des joueurs de bonneteau, aussi nombreux que bavards, encombraient un trottoir par ailleurs envahi d'une foule, comment dire ? D'une foule pour le moins métissée - pour employer l'expression du sinistre Mélenchon. Une demi-heure de train, vingt bonnes minutes de marche, nous étions au pied du Temple du rugby.



Twickenhamx
Il convenait désormais de grimper... huit étages, et j'avoue avoir dû m'arrêter dans l'ascension, essoufflé par l'effort autant que remué par le vertige... J'aime à parvenir à ma place avec de l'avance : le spectacle n'est pas seulement sur le terrain, avec les deux équipes au grand complet qui s'échauffent ; il est aussi dans les tribunes, qui se garnissent lentement. Les hymnes, une immense clameur pour un God Save the King, entonné par quelque quatre-vingt mille bouches, le coup de sifflet initial... Je dois dire que j'apprécie fort la manière de conduire le jeu utilisée par le jeune et élégant arbitre néo-zélandais Ben O'Keeffe, car je l'ai vu officier à de nombreuses reprises : il ne m'a pas déçu, ce samedi-là. En revanche, avec pas mal de matches à mon compteur personnel (comme spectateur, s'entend), ces Anglais méconnaissables m'ont rendu particulièrement frustré, et j'ai eu l'occasion d'en parler avec des nationaux qui, dépités et mauvais joueurs, quittaient en masse l'enceinte... après avoir, tout de même, dès la reprise, applaudi de manière vengeresse l'exploit personnel de l'arrière Freddie Steward, bousculant notre Thomas Ramos pour aller marquer. Sans quoi, c'était Fanny, qui eût été convoquée...
Oui, un match incroyable, dix-huit ans qu'on attendait cela, les Frenchies avaient mangé du lion de Belfort ou d'ailleurs, de France en tout cas, les John Bull, étouffés jusqu'à l'agonie, n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes.

Avant même la fin du match, les locaux, par groupes sinon par grappes, quittaient l'antre du rugby. Ils l'abandonnaient dans un état déplorable, un état de saleté jamais vu ailleurs, poisseux de toute la bière non bue ou renversée qui dégoulinait à nos pieds. Moi, ça ne m'étonne pas, me dit mon gendre -qui n'avait encore jamais vu un match de rugby. Dans les stades de football américain, c'est le spectacle auquel j'ai été habitué.
Ah bon...

Une heure et quart de pénible piétinement pour atteindre le train du retour ; et une heure de train lestée d'une demi-heure de Tube. Le soir, j'étais aussi fourbu que si j'avais été présent sur le terrain...


P. S. : J'ai pitié de vous, les jeunes : "Pipette", c'était le surnom donné dans les années cinquante au célèbre Puig-Aubert (1925-1994), arrière international d'immense talent (jeu à XIII).
 

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