L'article qui suit s’intitule "une expérience de travail collectif en classe de seconde". Ce compte-rendu, effectué par un professeur passionné de son métier et non dénué d'un humour de bon aloi, se lit avec plaisir et, on se plaît à l'imaginer, avec profit...

 

"La classe avait travaillé passionnément, et dans tous les genres d'activité. À côté des recherches purement intellectuelles, elles-mêmes très variées, allant de l'enquête à la dissertation, du résumé au tableau ; on avait interrogé des professeurs, visité des librairies, reproduit des gravures, consulté des directeurs de théâtre ou de cinéma, écrit à des Syndicats d'initiative ; le tout avec succès et déboires, à l'image même de la vie..."

 

 

 

I. Introduction : description de l'expérience

 

 

Le respect des programmes reste des soucis majeurs du professeur. Une double attitude s'offre constamment : soit prendre une vue d'ensemble d'un auteur, au risque de rester superficiel ; soit étudier à fond un texte, au détriment parfois de l'œuvre complète. Le récit de l'expérience suivante témoigne d'un effort pour échapper à ce double danger.

Le programme de Seconde prévoit "le Roman au XIXe siècle". Comment y étudier Balzac ? J'avais songé au Père Goriot qui mène droit au centre de la Comédie Humaine. Mais les héros de ce livre étaient bien grands ; mes élèves bien jeunes. Je m'arrêtai sur Eugénie Grandet. Sa popularité compenserait une situation un peu en marge de la Comédie Humaine. Après quoi je déclarai à mes élèves : "Nous allons faire ensemble un livre sur Balzac". Un travail d'équipe reste en effet possible en Seconde. L'absence d'examen officiel n'accentue pas l'individualisme déjà naissant à cet âge. Dernière occasion dont il faut savoir profiter. Je proposais toutefois trente sujets différents : ainsi la responsabilité personnelle subsisterait, mais il serait permis de s'entr'aider.

Pour éviter toute discussion, je suivis, dans la distribution des tâches dont j'avais gardé le secret, à la fois l'ordre logique des sujets et l'ordre alphabétique des élèves. Chacun pouvait cependant "devancer l'appel" et se porter volontaire dès la proclamation du sujet. Mais, en l'absence d'un amateur, l'élève appelé ne pouvait se récuser, et j'inscrivais son nom en regard du travail fixé dont la liste s'établissait ainsi :

1. Vie privée de Balzac.

2. Chronologie.

3. Calendrier balzacien pour l'année 1833.

4. Place logique et chronologique d'Eugénie Grandet dans l'œuvre de Balzac.

5. La Touraine et Saumur d'après Eugénie Grandet.

6. La maison : Porte, salle, coupe et plans des étages.

7. Justification du titre. Pourquoi Eugénie est-elle le personnage principal ? Classement des autres personnages. Leur division en clans.

8. L'argent. Son rôle dans le roman.

9. Personnages fictifs et personnages historiques.

10. Professions et classes sociales représentées.

11. Lien entre Eugénie Grandet et la Comédie Humaine : Personnages réapparaissants.

12. Autres avares de la Comédie Humaine.

13. M. Grandet "homme d'affaires".

14. Euclion (Plaute), Séverin (Larivey), Harpagon (Molière).

15. Ressemblances et différences entre Grandet et Harpagon.

16. Autres avares dans la littérature (de La Bruyère à Maupassant).

17. Tableau généalogique de la famille Grandet.

18. L'évolution du caractère d'Eugénie.

19. Madame Grandet.

20. Charles Grandet.

21. Nanon.

22. Autres servantes dans Balzac et dans la littérature (Jacquotte, Mariette, Geneviève, Félicité...).

23. La Rivalité Cruchot-Des Grassins.

24. Le Clergé dans Eugénie Grandet.

25. Balzac maître du temps : La durée du roman.

26. Balzac et la zoologie (les comparaisons animales).

27. Langue et style : Les Proverbes, le patois.

28. Eugénie Grandet au théâtre. Étude comparée des pièces et du roman.

29. Eugénie Grandet au cinéma. Autres films tirés de l'œuvre de Balzac.

30. La lettre de Zulma Carraud et la réponse de Balzac.

31. Comment André Maurois présente Eugénie Grandet  aux étudiants américains.

32. Dickens et Balzac.

33. Eugénie Grandet dans le Manuel littéraire de  MM. P. Castex et P. Surer.

34 Bibliographie.

 

La liste comportait, on le voit, quatre travaux supplémentaires en cas de difficultés. En réalité, ils furent attribués  par la suite à des volontaires. Inversement, certains sujets se recoupaient. Ainsi la liste des personnages fut établie six fois de façon différente : dans leur ordre d'apparition ; par ordre alphabétique ; selon leur importance ; en séparant les personnages fictifs des personnages historiques ; parmi ces derniers on distinguait encore ceux qui jouaient un rôle effectif dans le roman, tel Charles X, ami du marquis d'Aubrion ; enfin les personnages réapparaissants.

Chaque enquête exigeait donc la lecture de l'œuvre entière, la plume à la main. Et la confrontation des résultats garantissait contre toute défaillance.

Chaque élève prit ensuite une copie double (chemise du futur dossier à établir), d'un même format obligatoire pour tous, et inscrivit nom, sujet et numéro d'ordre. Premiers contacts avec "l'Administration" qui ne permet plus de fantaisies. Je n'acceptais de corriger les épreuves qu'à l'intérieur de ce dossier dont la couverture conservait la trace de mes observations. J'exigeais les références. Je prêtais mes livres, mais j'avais imposé une édition unique, l'édition Gibert, complète et d'un prix modique. Il restait enfin entendu, pour que le travail soit polycopié, qu'on procéderait avec la même discipline que dans les imprimeries. Aussi quelle joie, lorsqu'après bien des échanges, je rendais enfin la chemise avec la mention "Bon à tirer", et qu'il ne restait plus que la dactylo à trouver !

C'était pourtant un gros problème que celui de taper cette soixantaine de stencils, et mes loisirs n'y pouvaient suffire. Des pères généreux permirent à leurs secrétaires de remplacer quelques circulaires par des devoirs sur Balzac... Mais ce n'était pas sans appréhension que je laissais partir "à l'étranger" ces copies d'élèves. Comment se ferait la mise en pages de travaux si différents ? Je joignais bien quelquefois une feuille d'explications "ad usum Delphini". Mais les caractères des machines variaient. Ici, je n'avais pas prévu assez de stencils. Là, ils revenaient insuffisamment remplis. Il fallait alors modifier les textes, leur ordre, les renvois ; l'illustration ou les questionnaires prévus ! C'est là qu'on mesure, malgré les bonnes volontés, les difficultés d'un travail d'équipe.

Des dactylos ignorant le roman, confondaient y avec z, u avec n, disait et dirait ; soigneusement encouragées, il est vrai, par des écritures illisibles ou pleines de fautes en dépit de recopiages multipliés. Telle l'hydre de Lerne aux têtes sans cesse renaissantes, les fautes se renouvelaient d'un brouillon à l'autre, et je ne faisais qu'accroître mon travail par des lectures répétées. Alors je cédais... et c'était la catastrophe. L'élève avait écrit Nanon, et la dactylo avait lu Roman ! Je me souviens du labeur que me demanda la correction d'un stencil rempli de "Des Grarsins". C'est là aussi qu'on mesure l'importance de l'Écriture et de l'Orthographe. Or mes élèves distinguaient à peine la virgule du point, quand ils m'omettaient pas l'un et l'autre. Un moment, ,je crus tout perdu. Ce furent mes élèves eux-mêmes qui me relancèrent. Ne passaient-ils pas aussi leurs récréations à relire, corriger, recopier, vérifier, classer. Ils avaient raison. Notre honneur était en jeu. Camarades et parents avaient souscrit. Il fallait satisfaire la clientèle, lui en donner pour son argent.

Autre problème en effet, celui-là même qu'avaient connu Balzac... et Grandet : la question financière. Le Collège fournissait la machine. Il fallait rembourser l'encre, les stencils et le papier. On établit le budget. Si modeste que fût l'expérience — on ne tirait que les exemplaires souscrits, environ deux cents — elle allait coûter plus de vingt mille francs. Pour récompenser le zèle, il fut décidé que les élèves dont le rapport serait publié ne paieraient que moitié prix. Pour stimuler la vente, même réduction serait accordée à tout élève récoltant cinq souscriptions. On devine la propagande acharnée dans la division pour accrocher les clients ! On dit même (mais il y avait sans doute à Marcq d'aussi mauvaises langues qu'à Saumur) que certains trafics d'influence ressemblèrent aux combinaisons du père Grandet envers les créanciers de son frère ! Il est vrai que pour compenser ce double déficit, le prix des exemplaires avait été secrètement doublé de 75 à 150 francs ! Ainsi la générosité n'était qu'apparente, et il n'y avait pas des hommes d'affaires que dans les romans de Balzac. Un plus noble encouragement vint de la Société des Amis d'Honoré de Balzac. Trois prix, auxquels j'ajoutais encore plusieurs volumes payés sur les bénéfices.

Quinze jours avaient passé ; temps prévu officiellement pour l'exécution des travaux. Un coefficient "vitesse" majorait la note des premiers arrivés. J'avais expliqué en classe les principaux passages du roman : description initiale, portrait de Nanon, dispute entre le père et la fille, la mort de l'avare. Commentaire de textes indépendant de l'œuvre entreprise. Il fallut s'arrêter là. Tout entier à la mise en pages de l'ensemble, je n'avais plus le temps pour des corrections individuelles. Certains rapports, très bien travaillés, avaient envahi les pages prévues pour d'autres, selon la loi du premier occupant. On ne pouvait retarder la publication, les vacances approchaient ; ni accroître le nombre des pages, les crédits diminuaient. J'abandonnais donc, non sans regret, une "Bibliographie", fort complète, qui avait épuisé la patience de certains libraires complaisants ; un "Balzac-Dickens", rival de Zweig ; et surtout une étude minutieuse sur "la durée du roman". L'élève avait dressé une véritable chronologie d' Eugénie Grandet, relevant les jours, les mois, les années ; soulignant la lenteur des préparations, l'accélération du dénouement. On y surprenait Balzac, toujours maître du temps, vieillissant tout à coup Grandet de quatre ans, au moment de le faire mourir ou rajeunissant Nanon, à l'heure de son manage avec Cornoillier. Ce fut un gros sacrifice. Des questions, plans ou résumés remplacèrent en dernière heure les travaux inachevés. Sur trente élèves, je n’avais pas eu cinq défections.

Ainsi, l'essentiel se trouvait atteint. La classe avait travaillé passionnément, et dans tous les genres d'activité. À côté des recherches purement intellectuelles, elles-mêmes très variées, allant de l'enquête à la dissertation, du résumé au tableau ; on avait interrogé des professeurs, visité des librairies, reproduit des gravures, consulté des directeurs de théâtre ou de cinéma, écrit à des Syndicats d'initiative ; le tout avec succès et déboires, à l'image même de la vie. Des personnalités s'étaient dégagées, des dévouements révélés, et le sens social y avait souvent plus gagné que la matière cérébrale. Enfin Balzac avait marqué de son génie volontaire ces jeunes imaginations, auquel nous avions emprunté l'épigraphe de notre travail : "La vie, c'est du courage".

 

 

 

II. QUELQUES TEXTES PARALLÈLES

 

 

Grandet    Harpagon

 

Secret

 


"Là, sans doute, quelque cachette avait été habilement pratiquée..."
Lui seul avait la clef de ce laboratoire, où il consultait des plans..."
(Class. Larousse I, p. 56-57)


"On n'est pas peu embarrassé à inventer, dans toute une maison, une cache fidèle".
(Harpagon, acte I, scène 4 - Coll. Desgranges, Molière, p. 528)
"Il faut bien qu'il ait quelque part un ample magasin de hardes..."
(Cléante, acte II, sc. 4 - C. D., p. 554)

 

 

Restrictions

 


"Nous sommes cinq, aujourd'hui, monsieur. C'est vrai, répondit Grandet, mais ton pain pèse six livres, il en restera. D'ailleurs, ces jeunes gens de Paris, tu verras que ça ne mange point de pain...
(Class. Larousse I, p. 64).


"Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit ; quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix..."
(Harpagon, acte III, sc. I - C.D., p. 573).

 

 

Placements

 


"Puisque je toucherai mes intérêts à huit, je ferai cette affaire. En deux ans, j'aurai quinze cent mille francs que je retirerai de Paris en bon or..."
(Class. Larousse I, p. 87).
Grandet paie la rente de sa fille avec les bijoux de Charles.
"Ainsi, en peu de temps, tu auras toutes ses breloques..."
(Lar. II, p. 76).


"Ne rougissez-vous point de déshonorer votre condition par les commerces que vous faites ? de sacrifier gloire et réputation au désir insatiable d'entasser écu sur écu..."
(Cléante, acte II, sc. 2 - CD., p. 553).
Harpagon prête à Cléante à condition qu'il rachète "hardes, nippes et bijoux..."
(Acte II, sc. 1 - C.D., p. 548).

 

 

Monomanie

 


"Quand il pouvait ouvrir les yeux, il les tournait vers la porte du cabinet où gisaient ses trésors... Y sont-ils ?... Eugénie lui étendait des louis sur une table, et il demeurait des heures entières les yeux attachés sur les louis..."
(Lar. II, p. 78).


"Il est à propos que je fasse un petit tour à mon argent..."
(Harpagon, acte II, sc. 3 - CD., p. 554).
"Votre argent vous sera rendu - Où est-il ? N'en a-t-on rien ôté ? Il faut, pour me donner un conseil, que je voie ma cassette. - Vous la verrez saine et entière... - Allons faire part de notre joie... - Et moi, voir ma chère cassette..."
(Harpagon, Cléante, acte V, sc. 6 - C.D., p. 634-636).

 

 

III. Différences

 

 

Grandet    Harpagon

 

L'époux

 


Grandet est marié, mais peu affectueux.
"Sa femme, qu'il avait réduite à un ilotisme complet, était en affaires son paravent..."
(Class. Larousse I, p. 20).


Harpagon est veuf, mais amoureux.
"J'ai dit à la mère, le dessein vous aviez conçu pour Marianne à la voir passer..."
(Frosine, acte II, sc. 5 - C. D., p. 559).

 

 

Le père

 


Grandet aime sa fille.
"Il la serra, l'embrassa.
" - Oh ! comme c'est bon, d'embrasser sa fille après une brouille ! ma fifille !
" - "Tiens, vois-tu, mémère, nous ne faisons plus qu'un maintenant".
(Class. Larousse II, p. 73).


Harpagon tyrannise ses enfants.
"Si notre père s'oppose à nos désirs, nous te quitterons tous deux et nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son avarice insupportable..."
(Cléante, acte I, sc. I - C.D., p. 521).

 

 

L'hôte

 


Grandet est humain.
Il a su s'attacher Nanon.
"Allons, régale-toi, Nanon !"
"- Que voulez-vous, ma mignonne ?..."
"Cette pauvre Nanon !..."
(Lar. I, p. 28-29).


Harpagon est inhumain.
Ses domestiques le détestent.
"Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard..."
"Que j'aurais de joie à le voler !"
"La peste soit de l'avarice et des avaricieux..."
(La Flèche, acte I, sc. 3 - C. D., p. 522, 525).

 

 

Le maître

 


Grandet est respecté.
"M. Grandet inspirait donc l'estime respectueuse à laquelle avait droit un homme qui ne devait jamais rien à personne..."
(Lar. I, p. 17).


Harpagon est ridicule.
"Vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jamais on ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de fesse-mathieu..."
(Maître Jacques, acte III, sc. I - C. D., p. 579).

 

 

IV. LE CARACTÈRE D'EUGÉNIE

 

Si la passion détruit l'être quelquefois, elle le grandit. Le père Grandet meurt pour son or, Eugénie vivra pour son amour. Ainsi, dans Molière, Don Juan meurt, Agnès s'éveille.

Au début du roman, nous voyons une Eugénie si soumise et si obéissante envers son père qu'à son anniversaire elle n'ose, sans son ordre, prendre les cadeaux.

L'arrivée de Charles bouleversa tout. Elle se sentit attirée par ce cousin auréolé de malheur et le premier aspect de son amour fut la pitié. Alors vient l'initiative, en attendant l'audace. Elle prépare la chambre, met un napperon, fait acheter de la bougie et allumer du feu. Le menu est amélioré. Sa personnalité se dégage.

Elle s'affirme différente de son père. Cette distinction va devenir opposition. L'occasion en est le douzain : elle donne à Charles son trésor. Lorsque son père s'en aperçoit, une scène terrible éclate où Eugénie se révèle tout amour et toute volonté. Elle se rend égale à son père mais dans cette première lutte un déséquilibre s'opère, et l'insolence pointe. Cette erreur permet à Grandet de triompher apparemment.

Pourtant l'or qui les a séparés va bientôt les réunir. Pour garder l'héritage de Mme Grandet mourante, le père se réconcilie avec sa fille. Peu après, il meurt à son tour. Charles n'a plus qu'à l'abandonner. C'est la mort de son amour, et l'effondrement qui s'ensuit.

Alors s'opère la "conversion". Le sacrifice la grandit. La victime devient héroïne. Balzac dit "Un ange".

"Ceci est de l'amour, l'amour vrai, l'amour des anges, l'amour fier qui vit de sa douleur et qui en meurt". (Garn., p. 169 ; Class. Lar. II, p. 93). Elle n'a plus qu'à "déployer ses ailes". Eugénie "marche au ciel" dans un "cortège de bienfaits". C'est le triomphe de la charité.   

 

 

V. Schéma du caractère d'Eugénie

 

 

 schéma

 

 

VI. La maison de Grandet

 

 Rez-de-chaussée

 

 

 [La salle étant vue du côté du couloir, il manque une porte]

"... Au rez-de-chaussée de la maison, la pièce la plus considérable était une salle dont l’entrée se trouvait sous la voûte de la porte cochère... Cette pièce, dont les deux croisées donnaient sur la rue, était planchéiée ; des panneaux gris, à moulures antiques, la boisaient de haut en bas ; son plafond se composait de poutres apparentes également peintes en gris, dont les entre-deux étaient remplis de blanc en bourre qui avait jauni. Un vieux cartel de cuivre incrusté d’arabesques en écaille ornait le manteau de la cheminée en pierre blanche, mal sculpté, sur lequel était une glace verdâtre dont les côtés, coupés en biseau pour en montrer l’épaisseur, reflétaient un filet de lumière le long d’un trumeau gothique en acier damasquiné. Les deux girandoles de cuivre doré qui décoraient chacun des coins de la cheminée étaient à deux fins... Les sièges, de forme antique, étaient garnis en tapisseries représentant les fables de La Fontaine ; mais il fallait le savoir pour en reconnaître les sujets, tant les couleurs passées et les figures criblées de reprises se voyaient difficilement. Aux quatre angles de cette salle se trouvaient des encoignures, espèces de buffets terminés par de crasseuses étagères. Une vieille table à jouer en marqueterie, dont le dessus faisait échiquier, était placée dans le tableau qui séparait les deux fenêtres. Au-dessus de cette table, il y avait un baromètre ovale, à bordure noire... Sur la paroi opposée à la cheminée, deux portraits au pastel... Aux deux fenêtres étaient drapés des rideaux en gros de Tours rouge, relevés par des cordons de soie à glands d’église... Dans la croisée la plus rapprochée de la porte, se trouvait une chaise de paille dont les pieds étaient montés sur des patins, afin d’élever madame Grandet à une hauteur qui lui permît de voir les passants. Une travailleuse en bois de merisier déteint remplissait l’embrasure, et le petit fauteuil d’Eugénie Grandet était placé tout auprès..." (Eugénie Grandet, Édit. Gibert, page 18]

 

 

© J. Sablé, Professeur au Collège de Marq-en-Baroeul (Nord), in l'Information littéraire, 7è année, 1955, IV, mars-avril.

 

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