[Le jeune Arthur, qui se révèle extrêmement précoce, épuise par d’incessantes exigences ses professeurs de piano]
Je forçais la chère vieille Mlle Hempel à passer des leçons entières à jouer des symphonies de Brahms à quatre mains. Je n'oublierai jamais l'ahurissement du professeur Barth, le jour où je lui déclarai que je voulais apprendre le Concerto pour piano en ré mineur, opus 15.
- Comment, comment ? s'exclama-t-il. Tu es fou mon garçon... C'est une œuvre formidable, beaucoup trop difficile pour toi !
N'empêche que j'ai ainsi découvert que le véritable amour ne connaît pas d'obstacles. Une semaine plus tard, je jouais le Concerto à la satisfaction stupéfaite de Barth.
SUGGESTIONS POUR UNE EXPLOITATION
I.
Il s'agit là d'un extrait des Souvenirs d'Arthur Rubinstein (Les jours de ma jeunesse, Robert Laffont, 1973, 639 p.). Il est emprunté au début de l'ouvrage (chapitre : Je grandis à Berlin).
Selon Rubinstein, la scène se passe "peu après la disgrâce de Bismarck". Le conflit d'autorité entre le jeune Keiser Guillaume II et son (vieux) Chancelier s'achève le 20 mars 1890. Ces précisions historiques sont naturellement hors de portée des élèves, qui se soucient comme d'une guigne des avatars de l'unité allemande autour de la Prusse.
Mais Rubinstein était né (en Pologne) le 28 janvier 1887. On peut estimer qu'il avait, au moment de cette scène, un peu moins de quatre ans (peut-être serait-il utile d’établir un parallèle avec les enfants de moyenne section d’école maternelle) !
II.
La première tâche, après lecture silencieuse, sera d'expliciter en commun le texte, en insistant sur les termes difficiles, pour lesquels le recours au contexte sera nécessaire (peut-être cette activité sera-t-elle précédée de l'audition d'une partie du Concerto ?). Ce qui conduira sans doute le maître à parler d'Arthur Rubinstein, interprète (de Chopin, en particulier) d'une étonnante précocité (il donna son premier concert important à Berlin, en 1897), et d'une rare longévité (il est mort à Genève le 22 décembre 1982).
[Ce texte, très court, paraît à première vue aisé à comprendre. Il n'en exigera pas moins quelques solides explications préalables, en particulier s'agissant des termes relevant de la sphère "musicale" ("le Concerto pour piano en ré mineur"), ainsi que des substantifs ahurissement et obstacle(s)]
III. Recensement de quelques mots du texte.
Noms communs : l'ahurissement, le professeur, le garçon, le concerto, l'œuvre, l'obstacle, la satisfaction.
Noms propres : Mlle Hempel, M. Barth : les professeurs de piano du jeune Arthur. Brahms : le compositeur du Concerto.
Verbes : apprendre ; connaître ; déclarer ; découvrir ; empêcher ; s'exclamer ; jouer ; oublier ; vouloir.
Mots invariables : ainsi ; beaucoup ; comment ; jamais ; ne... pas ; plus ; pour ; tard ; trop.
IV. Champs "lexicaux-sémantiques"
4.1. ŒUVRE
une œuvre musicale | travail fait à la main | |
une œuvre littéraire | l'ouvrier se met à l'œuvre | |
la main d'œuvre | ŒUVRE | les maçons ont achevé le gros œuvre de notre maison |
un hors-d’œuvre | être à pied d’œuvre | |
un chef d'œuvre |
Mentionner l'étroite parenté entre œuvre, ouvrage, et opus (opéra, opération, bloc opératoire...) : l’opus, en musique, est le n° d’un morceau situé dans l’ensemble de l’œuvre d’un compositeur donné.
4.2. DÉCLARER
la pluie se déclare | déclarer la vérité | |
l'incendie se déclare | DÉCLARER | déclarer une naissance |
déclarer la mort de quelqu'un | déclarer la guerre, la paix | |
la maladie se déclare | ||
déclarer une bonne nouvelle | le Ministre a fait une déclaration |
4.3. APPRENDRE
à faire quelque chose | un métier, un art | |
une leçon, une poésie | un sport | |
rapidement, lentement | APPRENDRE | une langue étrangère |
une bonne nouvelle | à supporter le froid, | |
quelque chose à quelqu’un | la chaleur, la douleur |
4.4. DÉCOUVRIR
un paysage, une personne | à marée basse, la mer | |
une terre nouvelle | découvre le rivage | |
un endroit particulier | une nouvelle | |
la vérité, une erreur |
DÉCOUVRIR
| un remède |
une partie de son corps | des ruines par des fouilles | |
un tableau chez un antiquaire | un talent remarquable | |
il est parti à la découverte | les policiers ont découvert (démasqué) le coupable |
On pourra ensuite faire classer ces expressions en fonction des différents sémantèmes de découvrir. Découvrir, est-ce :
* enlever ce qui couvre ?
* trouver ce qui était inconnu jusque là ?
* apprendre ce que l’on ne connaissait pas ?
* distinguer, commencer à voir ?
V. La parasynonymie
Faire rechercher dans le texte un mot ayant à peu près le même sens que ahurissement (stupéfaction). À partir de là, travailler en commun sur la gradation dans l’expression de la surprise :
ahurissement, stupéfaction, ébahissement, étonnement, effarement, ravissement, fascination...
On abordera aussi les registres de langue : étonné, soufflé, baba...
VI. Les verbes expressifs (approche du champ sémantique)
Il passe en CE2
Les heures passent vite
La mode passe
Cette couleur passe
Passe donc un vêtement !
Passe-moi le ballon
Il passe un examen
Il passe une couche de peinture
Il passe sur cette faute
Il passera dans la matinée
Consigne : dans les phrases précédentes, remplacer passer par un autre verbe.
[A l’intention du maître, et à propos de passer, on n’hésitera pas à donner ci-après ce court poème de Guillaume Apollinaire :
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure où tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
[in Œuvres Poétiques, Ed. Pléiade, Alcools, p. 144]
VII. Activités complémentaires
7.1.
On pourra faire trouver, en conclusion, un titre à cette histoire. Eventuellement, pour commencer à travailler sur le portrait, on pourra s’inspirer de celui que Rubinstein trace de son professeur (ouvrage cité, p. 45) :
"Le professeur Barth avait une formidable personnalité. Il mesurait plus d’un mètre quatre-vingt-trois et était lourdement charpenté, mais gardait une extrême vivacité dans ses mouvements. Sa chevelure grisonnante laissait voir tout juste un soupçon de calvitie. Une longue barbe à la Brahms, poivre et sel, et une moustache en broussaille dissimulaient la bouche et le menton, plutôt faibles ; mais ses lunettes à monture dorée lui donnaient un air de sévérité sans faille.
Il me terrifiait. Jamais personne ne m’avait inspiré tant de peur que ce sexagénaire. Mais je ne tardai pas à voir que je n’étais pas le seul à souffrir, tant étaient nombreux les élèves qui sortaient en pleurs de ses leçons".
7.2. Mots du texte ci-dessus appartenant à l’échelle Dubois-Buyse (1e année du cycle des approfondissements)
air | avoir | barbe | bouche |
chevelure | dans | formidable | juste |
lui | mais | moustache | mouvement |
personne | peur | plus | sel |
seul | sortir | tout | voir |