ou les prodigieuses tartarinades d'un illustre combattant (1)

 

 

"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion"

(Paul Valéry, Mélange, 1939).

"L'ironie n'est pas encore un délit : c'est déjà presque un crime, en tous cas une faute grave de civilité ou un acte héroïque"

(M. Fumaroli, L'État culturel, p. 36).

"J'ai de l'ambition pour l'humanité : je voudrais qu'elle survive, qu'elle ne s'extermine pas elle-même, et je crois aussi qu'il y a quelques bons côtés chez les êtres humains, et que ces bons côtés peuvent devenir dominants. Mais je me méfie beaucoup des mauvais côtés"

(Germaine Tillion).

" Nous ne prétendons pas avoir raison. Nous ne clamons pas que nos ambitions sont les seules valables. Mais ce sont les nôtres. Et nous y tenons"

(Claude Julien, Une certaine manière de voir, Monde diplomatique, octobre 1988).

 

 

Sans doute cet aveu, qui me coûte, risque-t-il d'être retenu contre moi : je suis un lecteur passionné, ayant dévoré des bibliothèques entières. Je suis, ou peut-être plus exactement (et modestement), j'ai été, un très bon lecteur. Je sais donc à peu près ce qu'est un objet-livre. Un livre est quelque chose de réfléchi et de pesé, ce n'est pas une suite de propos tels qu'on peut en tenir inter pocula dans un bistrot, auxquels on mêlerait quelques certitudes, acquises en piochant hors de soi. Et l'Affaire de Lurs, qui a déjà suscité une vingtaine d'ouvrages(1) est une histoire sérieuse, une atroce tragédie, qui exige qu'on s'en approche avec humilité et discrétion, avec pitié et piété ; pas avec les flonflons d'une renommée dont il faudrait, le cas échéant, nous apporter les preuves. C'est également une tragédie rendue quelque peu opaque par toute une série d'actes, volontaires ou non, ayant créé ce que d'aucuns nomment avec gourmandise, et surtout une incommensurable mauvaise foi, des "zones d'ombre".

 

Ce qui explique qu'aujourd'hui encore, on puisse hésiter à ce sujet. Je ne prendrai ici qu'un seul exemple, celui d'un auteur à qui on ne peut décemment refuser le bénéfice de l'entière bonne foi. Parlant en effet, dans le mensuel (relativement confidentiel) Monde & Vie (n° 771, novembre 2006), d'un "ouvrage définitif", à propos de la réédition par Pierre Domenech du livre de son frère aîné Gabriel, François Foucart écrit entre autres : "[…] Gaston Dominici, vieux et pittoresque fermier, accablé par des témoignages, des preuves, une reconstitution, devait avouer, avant de se rétracter aux assises. Tout démontre que le vieux Dominici était bien le seul coupable. Mais TF1 devait présenter un téléfilm délirant et d'une parfaite malhonnêteté intellectuelle, proposant une nouvelle thèse : c'est un commando tchèque, à la solde de Moscou, qui a massacré Sir Jack Drummond présenté comme un ancien agent des services secrets britanniques, sa femme et sa fillette en utilisant, pour brouiller les pistes, la carabine du vieux Dominici. Thèse d'autant plus absurde qu'une contre-enquête, réalisée à la demande de TF1 mais diffusée ensuite sur une chaîne confidentielle, réduisait à néant cette piste. Il n'y avait pas plus d'espion que de tueurs du KGB, mais un drame paysan, un fait divers rural, pas très difficile à démonter s'il n'avait été pollué par un invraisemblable climat de rumeurs et d'excitation médiatique".

Or, un an plus tard, dans Pour tout vous dire, Mémoires 1954-2005 (paru en septembre 2007), le même auteur écrit (p. 212) : "[…] C'est ainsi que TF1 nous a présenté (sous les traits de Michel Serrault) un Gaston Dominici innocent.... Affaire paysanne très compliquée, mais on sait aujourd'hui la vérité : il y avait deux coupables, pas seulement le fils, comme on l'avait envisagé, mais aussi le bonhomme qui avait été seul condamné à mort, puis gracié en raison de son grand âge...". Laissons chacun tirer les conclusions qu'il lui plaira d'émettre (et Dieu sait qu'il y a matière à commenter), et reconnaissons du moins qu'il est permis de connaître des hésitations, sur cette affaire ; mais de là à parler de "l'impasse où se trouve l'Affaire de Lurs", comme l'affirme sans sourciller (p. 379) un nouveau venu dans l'interminable roman autour du triple crime, reconnaissons qu'il y a des limites à ne pas franchir(2).




Et j'ajouterai un exemple contemporain des événements que nous savons, assez représentatif de l'opinion d'une bonne partie des gens ordinaires qui, ayant suivi le procès à travers certains journaux parisiens, se posèrent des questions sur le fonctionnement de la justice française, influencés qu'ils étaient par les comptes-rendus des journalistes dits parquetiers, s'opposant aux certitudes de leurs confrères de terrain ayant suivi l'Affaire Dominici depuis son origine.
Il s'agit d'une lettre adressée par le dessinateur anarchiste Chaval (1915-1968), à Jean Giono :

29 novembre 1954
Cher Monsieur Giono,
Parmi les personnes qui ont assisté au procès Dominici, je n'ai confiance qu'en votre jugement.
Vous avez probablement une conviction.
Innocent ou coupable, ce vieux est extrêmement pitoyable et je crains qu'en raison du caractère international de l'affaire, on ne le tue "pour de bon".
Comme il semble que la justice française fasse une bonne place à la part du hazard
[sic], et qu'il lui faut à tout prix une tête, ne pourrait-on suggérer de tirer au sort cette dernière parmi celles des jurés et magistrats, qui viennent d'agir avec leur sotte ou malhonnête préméditation.
Que pouvons-nous faire ?
Je suis profondément écœuré et peiné.
Bien à vous,

Chaval

Certains ont donc pu concevoir des doutes dès le début de cette Affaire, et avoir alors observé, de bonne foi, cette attitude. Reste à savoir si, plus de cinquante ans après les faits, les doutes sont encore de mise ou s'ils servent seulement de mol oreiller à des malins désireux d'exploiter un filon qui n'a pas (encore) délivré toutes ses lucratives pépites. Après tout, aussi longtemps que les gogos gobent... et qu'ils en redemandent...

 

Sur cette affaire de Lurs, à cause d'un incident que j'ai narré par ailleurs, j'ai pris (ou la plupart du temps repris) avec passion tous les textes dont j'ai rendu compte, ici même, y compris les trois fallacieux dont l'objet n'est que de tromper le lecteur en faisant du fric, même si je les ai lus, ces derniers, avec une indignation qui allait parfois jusqu'à me soulever le cœur.

S'agissant en revanche de cette nouvelle explication qui se prétend exhaustive, il m'a fallu un courage extraordinaire - et près de deux mois - pour arriver au bout de ce lourd pavé (1240 grammes, tout de même !) qui m'est, à plusieurs reprises, tombé des mains ; mêlant trop souvent l'anecdotique à l'essentiel, le fait prouvé au plus conjectural, voire à la caricature et à la médisance, et traitant tous ces aspects avec le même sérieux imperturbable, cet ouvrage, dont j'ai couvert toutes les pages d'une multitude de commentaires souvent acerbes, m'est vite apparu insupportable car, pour parodier les propos de l'auteur, cette manière de procéder embrouille inutilement la question ; je songeais à part moi à la réflexion amusée d'un humoriste dauphinois, Serge Papagalli : "les gens remplis de certitudes nous gavent". Voilà bien le sentiment qui m'anima. Le moteur de ma pénible avancée a dès lors été la curiosité amusée : je voulais savoir jusqu'où l'auteur était capable d'aller dans la sottise de ses citations me concernant... En somme, É. Guerrier se glorifie d'avoir écrit une somme : de mon point de vue, il parvient surtout à se rendre assommant.

D'ailleurs, il me semble que je n'ai pas été le seul dans ce cas ; en effet, je me suis laissé dire qu'un mois à peine après sa parution, cette Expertise pouvait déjà être acquise en livre d'occasion. Comme on peut raisonnablement avancer que les premiers lecteurs de ce pavé faisaient partie des personnes les plus passionnées par l'Affaire Dominici (ce que je ne suis pas, désolé), il est permis de conclure que dans cette catégorie-là aussi, se sont trouvés des individus dont la captatio benevolentiae était acquise a priori, et qui pourtant ont été si déçus qu'ils en ont rapidement abandonné l'ouvrage.

Pour autant, nous sommes là, incontestablement, en présence d'un gros travail, dont il ne peut être rendu compte à la légère. D'autant qu'il pourrait à tout le moins être considéré comme utile, car ceux qui étaient englués dans l'action ne disposaient pas du recul nécessaire pour écrire en toute objectivité, écrivant souvent, d'ailleurs, "au fil de la mémoire", selon l'expression de Me Pollak : pour ne prendre que l'exemple du commissaire Sébeille, il est vrai que ses rapports font état d'éléments personnels sans lien direct - semble-t-il - avec sa tâche : É. Guerrier fait allusion aux "nuits sans sommeil", on pourrait également évoquer son état d'épuisement de septembre 1952, ou encore sa plainte, en filigrane - pour ceux qui savent lire entre les lignes - d'être désormais quelque peu supplanté par son collègue Constant.

Mais il convient aussi de ne pas s'en laisser compter : l'auteur, qui à juste titre se méfie des Quatrièmes de couverture ("la couverture annonce ce qu'on ne trouve pas dans l'ouvrage"), doit accepter que cette règle s'impose aussi s'agissant de sa propre production… Car que de complaisance, en effet, dans ces "Quatrièmes"(3) !

On essaiera donc de parvenir à un compte-rendu totalement subjectif, et surtout sans aucune prétention à l'exhaustivité - il faudrait, pour cela, disposer d'au moins 735 pages -, en trois étapes graduées : on lancera d'abord quelques fusées éclairantes, puis on balancera de ces grenades au plâtre, souvenirs d'une lointaine Préparation Militaire : un peu de bruit, mais pas de dégâts (attention quand même aux bouchons-allumeurs). On arrosera, enfin - car il le faut, hélas - à la 12,7.

 

 

I. Quelques fusées éclairantes

 

Si je compare ce nouvel opus à la réédition, par Pierre Domenech, du livre capital que son frère avait primitivement publié en 1956, ce qui me frappe dès l'abord c'est la solidité à toute épreuve de la reliure de cette Expertise. Cela paraît peu de chose, mais c'est beaucoup, quand on a eu à déplorer les pages rapidement effilochées, si je puis dire, de Dominici : et si c'était bien lui ?

Mais l'ouvrage une fois entamé, on peut regretter que le cahier central de planches n'ait pas été mieux distribué, car l'aller-retour entre le texte et le document auquel il fait référence n'est pas toujours des plus aisé, quand il n'est pas carrément fastidieux. Naturellement, il doit s'agir là, à l'évidence, d'un impérieux coût de revient. On ne poursuivra donc pas plus avant.

On ne passera pas sous silence, en revanche, la construction générale du livre, souvent semblable à celle que pourrait emprunter un jeune lycéen s'initiant à l'art de la dissertation : "on dit qu'on va le dire, on le dit, on dit qu'on l'a dit" ; cela nous vaut force répétitions, dont le lecteur curieux pourra s'amuser à faire le compte(4). Et on ne fera que mentionner sans insister cet insupportable tic qui consiste à renvoyer à plus tard une explication ou une explicitation qui serait immédiatement bienvenue : "nous y reviendrons… nous y reviendrons en détail… n'anticipons pas… on verra… nous y reviendrons, bien sûr… nous reviendrons, bien sûr, sur cette question… nous allons y revenir". Il y a là une manière d'opérer qui déroute le lecteur, quand elle ne l'irrite pas ; alors qu'il eût été facile, après un appel de note, d'indiquer les pages où l'auteur allait y revenir, bien sûr.

Et puisque nous en sommes aux notes de bas de page, il faut bien dire que leur inflation revêt un caractère invraisemblable, allant parfois jusqu'à manger presque complètement le texte lui-même : il ne doit pas y en avoir loin de deux mille, ce qui est à ma connaissance sans équivalent aucun (excepté s'agissant des thèses de Doctorat ès Lettres), surtout quand on se rend compte que la moitié d'entre elles, pour le moins, se bornent à recenser et rectifier les coquilles relevées chez les auteurs précédents… On aurait voulu augmenter artificiellement l'épaisseur du livre, pour faire payer le papier au prix de la cervelle, qu'on ne s'y serait pas pris autrement(5).

D'autant que, lorsqu'on entend faire la leçon, et avec quel esprit tatillon, aux autres, il convient par avance de se montrer soi-même irréprochable, ou presque ; or, que penser, en vérité, de l'incroyable litanie d'erreurs plus ou moins grossières de toutes natures, de la simple coquille à la faute grammaticale lourde, que recèle ce livre(6) : j'en ai relevé plus de mille, mais oui, ce qui est tout de même considérable. J'avais pu observer, antérieurement, une telle profusion absolument surprenante, dans une plaquette co-écrite, dans le but de contrer les affabulations de W. Reymond, par quatre auteurs (J. Teyssier, P. Carrias, R. Pacault, Y. Thélène), sous le titre Dominici : de l'accident aux agents secrets. Comme il s'agit dans les deux cas du même éditeur (Cheminements), je vais en conclure, peut-être à la hâte, que c'est là preuve d'une marque de fabrique de cette maison. Et c'est particulièrement fâcheux, ou piquant, lorsque l'on constate, comme je viens de le noter, que l'auteur du pavé encyclopédique se permet de faire la leçon - ô combien minutieuse, pour ne pas dire obsessionnelle - à chacun de ses devanciers : il commence d'ailleurs dès la première ligne (p. 11) à fustiger le commissaire Chenevier qui écrit, c'est vrai, "Jacques" pour "Jack", et n'arrête quasiment sa traque qu'à l'ultime page. Sauf le respect dû à notre prolifique et fort bavard expert, cela "frise le cas psychanalitique" [sic] comme il l'écrit (p. 42) à propos du comportement qu'il prête - avec quelle générosité de cœur - à Sébeille.

Plus de mille erreurs et/ou coquilles ! Ça commence quand même à faire une somme, on voudra bien me l'accorder, qui parfois laisse dubitatif le lecteur se forçant à être attentif. Ainsi, pour ne prendre pour l'instant qu'un seul exemple, celui de l'auteur de La tragédie de Lurs : son patronyme est écorché près d'une centaine de fois puis, inexplicablement, correctement orthographié, vers la page 500 (Meckert)...

Mais poursuivons cette autopsie souriante, sans ménagement certes et pourtant, cela va sans dire, avec courtoisie : sorte de réponse du berger à la bergère, berger s'appuyant comme Gaston, sur une canne de confort, non de nécessité (Ah ! La canne du berger/chevrier Gaston ! Ce qu'elle a pu bluffer l'habituel sourcilleux, mais dans ce cas fort complaisant Guerrier, pp. 522 & 538 !)

 

 

II. Grenades au plâtre…

 

J'ai dit que la poursuite de la lecture de ce pesant factum avait été encouragée, si je puis dire, par les quelque cinquante citations que l'auteur prélève, ou croit prélever, dans les pages que j'ai consacrées à l'Affaire. Curieusement, alors qu'il me cite régulièrement, presque toujours pour me fustiger d'ailleurs, jusqu'aux alentours de la page 500, au-delà il m'ignore à peu près totalement, ce qui n'a pas laissé de m'inquiéter : m'aurait-il alors oublié, flanqué aux orties, que sais-je encore ? Fort heureusement, page 605, il consent tout de même à me délivrer un (modeste) satisfecit : voyons, mon bon Maître, il ne fallait pas, vous êtes trop généreux ! Quoi qu'il en soit, d'aucuns pensent que je ne méritais ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. Mais il est vrai qu'on ne secoue pas un arbre qui ne porte pas de fruits.

Disons dès l'abord que j'ai été plus que surpris de me voir affublé d'un prénom, sans aucun doute charmant, mais qui se trouve ne pas être le mien. Comme chaque feuille que je publie est signée, je suis allé vérifier si l'erreur commise avait pris sa source dans quelque sottise toujours possible de ma part. Or, j'ai noté que mon prénom (le vrai) et mon patronyme apparaissaient en entier dans 249 documents (sur environ 1100), alors qu'on trouvait seulement la première lettre de mon prénom, suivie de mon patronyme, 850 fois. Pour tout dire, j'ai quelque peu sacrifié à cette mode introduite en mai 81 par les petits marquis de la gauche triomphante, alors que jusqu'ici, au moins dans l'Administration, la règle était que seuls le Président de la République et les Ministres avaient droit d'inscrire en entier prénom et nom patronymique (encore que le Général signât souvent "Ch. de Gaulle"). Pour continuer dans cette veine, si on peut écrire, une fois, par exemple, "Jean-Charles Deniau", les autres références au même auteur se doivent évidemment de revêtir la forme "J.-Ch. Deniau". Mais laissons cela, c'est après tout question de conventions. Pour en revenir à la manière dont me cite l'auteur, la faute qu'il commet est vraisemblablement intentionnelle (surtout après avoir entretenu, voici trois années, une correspondance suivie avec moi) dont je ne me risquerai pas à chercher les dessous, à cause de son caractère bénin. Mais si, moi, je l'appelais Émile, le prénommé Éric ? D'ailleurs, convenez que ça lui irait très bien :


"C'est un titi, un marrant, Mimile
Il est toujours content
C'est fou c'qu'il est complaisant
Envers lui-même... Mimile est désarmant !
"

De même que je ne m'attarderai pas sur l'erreur qu'il accomplit en renvoyant à mon site : en tout état de cause, le Web lui est parfaitement étranger (ce n'est pas un reproche) ; j'ai publié sur Internet bien avant son Expertise (depuis onze années, très exactement), et je ne compte pas sur lui pour venir augmenter l'importance de mon lectorat (se composant, en tout état de cause, essentiellement d'enseignants), qui n'est pas mince ne lui en déplaise, et ce sans tambour ni trompettes, ni articles de journaux. Cet été, pour ne prendre qu'un exemple, la seule rediffusion de ce que je nomme le "téléfilm scélérat" a entraîné, en deux jours, 9 700 visites supplémentaires sur la partie Dominici de mon site. C'est dire.

"Sur la partie Dominici" : là encore, il me faut rectifier le tir, c'est fastidieux mais indispensable. Parmi "les sites sur l'Affaire", le mien serait "le seul qui mérite d'être consulté" écrit notre auteur (page 69) avant de ne pas rater une occasion d'essayer de me foutre dedans.

Alors, reprenons les faits, une fois encore, car cette assertion, évidemment complètement erronée, m'a contraint à effectuer un calcul précis : ce que j'ai mis en ligne sur l'Affaire de Lurs, images comprises (elles "pèsent" énormément) correspond à 5, 18 % de la totalité de mon site. Il ne faut donc pas dire que cette affaire est mon seul souci, ni mon souci premier. Ni que mon site est consacré à l'Affaire. D'ailleurs, je ne connais personnellement qu'un site sur l'Affaire, site anonyme qui m'a beaucoup emprunté, soit dit en passant. Il n'y a donc pas l'embarras du choix, même si on peut ajouter à cette bien courte liste le site défunt d'un des petits-fils du Patriarche, dont l'essentiel du contenu est venu grossir celui qui est consacré à la promotion des productions de W. Reymond.

Cette parenthèse personnelle provisoirement refermée, rappelons que le philosophe Pascal avait un jour écrit, à propos des Essais de Montaigne : "quel sot projet il a eu de se peindre !". J'ai songé plus d'une fois à ce jugement sans doute assez injuste (s'agissant de l'ancien Maire de Bordeaux), tout en avançant dans l'énorme Expertise du triple crime de Lurs. Car en définitive, tout citoyen à peu près éclairé sur le dit triple crime en apprend bougrement plus sur l'auteur du livre que sur le thème traité (qui n'est pas, loin s'en faut et malgré ce qu'il nous en dit, terra incognita), tant É. Guerrier mêle intimement sa découverte du dossier à des considérations autant oiseuses qu'inopportunes sur sa vie personnelle, et à l'étalage de ses nombreuses (sinon infinies) capacités, réelles ou fantasmées.

Dans ce fourmillement d'épisodes plus ou moins glorieux, et souvent arrivés dans son développement comme un cheveu sur la soupe, fait pourtant défaut le récit d'un incident à peine suggéré mais qui nous eût faire rire un peu, et cet ouvrage manque singulièrement de respiration ; je veux parler de l'allusion sibylline à "ceux qui ont refusé carrément de me recevoir". Car nous eussions assisté à une scène cocasse, au cours de laquelle un ancien guerrier se crut autorisé à entrer comme en terrain conquis en un certain lieu, dont il fut délogé sans ménagement, se repliant dès lors vers des positions préparées à l'avance. Si cela peut consoler notre grand architecte, qu'il sache que les remaniements internes - qui n'ont pas commencé, loin s'en faut, avec le nouveau propriétaire - ne lui eussent guère permis de se livrer à ses expériences acoustiques : d'autant que - je me permets de le lui rappeler - il lui eût été fort malaisé de faire chuchoter, couchés côte à côte, la Vierge rouge et le Tave - il est vrai que les remplaçants de ce dernier eussent été trouvés aisément… D'autre part, il n'est pas nécessaire d'avoir été affectataire d'une US_M1 pour parler d'expérience. Celui qui a entendu péter cette arme, ne fût-ce qu'une seule fois, peut prendre la pleine mesure des pitoyables mensonges proférés, dès le premier jour, par certaine famille…

Toutes ces tentatives, avortées ou non, de faire revivre le triple crime de Lurs ressemblent, d'ailleurs, à un obsédant acharnement personnel.

"Il ne faut jamais s'identifier personnellement à une enquête" disait l'ancien procureur du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie. Certes, cela vise, à n'en pas douter, le commissaire Sébeille. Mais notre auteur tombe dans le même travers, qu'il dénonce pourtant chez les autres avec le soin le plus extrême : prenant à bras le corps le dossier qu'il a pu consulter, se livrant à d'étranges batailles contre la pléiade d'enquêteurs comme contre tous ses prédécesseurs, toutes tendances confondues (quand je pense que c'est là, précisément, ce qu'entre autres joyeusetés, il me reproche !), mettant sur le même plan l'important et l'accessoire, il se laisse aller à une identification personnelle qui l'entraîne sur des sentiers bien embourbés : autant dire qu'on éprouve, à de trop nombreuses reprises, le pénible sentiment qu'il a voulu se coiffer d'un chapeau manifestement trop grand pour lui : l'immodeste forfanterie, vraiment, ça le connaît.

C'est le cas, par exemple, pour les pages ouvrant le texte par des considérations théoriques de méthode, et dont la lecture m'a littéralement atterré ; comme celles contenant d'insupportables développements sur la vérité, le souvenir, le vieillissement et la mort (rappelons au passage à notre auteur que la vérité ne s'établit pas, elle se construit).

Après tout, certes, c'est son affaire. Mais quand on lit sous sa plume que jamais l'expert ne juge - il ne fait que donner des avis d'expert… qui sont d'ordre strictement technique (pp. 21-22), et que, ces paroles verbales dûment prononcées, il ne cesse dès lors jamais de formuler des jugements de valeur, souvent d'ailleurs à tort et à travers et à l'emporte-pièce, et presque toujours péjoratifs, on est en droit de se poser des questions, sinon sur la "méthode expertale", du moins sur celui qui prétend en faire son instrument privilégié d'investigation.

Et je me permets de rappeler qu'au dix-huitième siècle, certains accordaient à Jean-Jacques Rousseau le statut d'esprit universel. Mais un professeur de Droit de l'Université de Genève, déclara : "Il n'y a qu'en Droit Public que je le trouve un peu faible". Et moi, rétorqua D'Alembert, je ne le trouve un peu faible qu'en Géométrie". Ce qui est assez dire qu'au 18e siècle déjà, l'universalité était impossible. A fortiori de nos jours. Le rêve d'être le Grand Pontife de l'Affaire de Lurs, que caresse notre auteur est, évidemment, voué à l'échec, s'il ne sombre pas, de plus, dans le ridicule.

Car les premières pages (pas uniquement elles) auxquelles je faisais allusion fourmillent d'occurrences du vocable méthode. Allusion un peu trop transparente au cartésien :


Discours de la méthode
Pour bien conduire sa raison,
Et chercher la vérité dans les sciences

Au tout début de cet opuscule de philosophie, Descartes écrivit :

"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont".

L'humoriste Coluche, au détour de je ne sais plus quel sketch, a prononcé sur cette assertion des phrases cruellement définitives. Et le cher Georges Brassens a enfoncé le clou :


Entre nous soit dit, bonnes gens,
Pour reconnaître
Que l'on n'est pas intelligent,
Il faudrait l'être.

Mais laissons, sur ce point, le mot de la fin à Descartes :

"Ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent". À Descartes dont Pascal, déjà cité supra, avait un jour écrit : Descartes, inutile et incertain. Concernant Descartes, certes, la sentence n'est pas équitable.

Mais le plus déplaisant dans l'histoire, de mon point de vue, c'est que l'auteur m'entraîne dès lors, à mon corps défendant, sur cette pente savonneuse, qui consiste à parler de soi plutôt que de son sujet. Je vais donc devoir me mettre à mon tour en scène, pour me faire bien comprendre.

Ceux qui ont parcouru mon site (au-delà des 5 % consacrés à l'Affaire de Lurs), et plus encore ceux qui ont consulté mon blog, savent que je suis, entre autres défauts, un passionné de rugby (à quinze, de préférence). Attention, je ne suis pas un expert ! Je suis un simple amateur éclairé, rien de plus. Eh bien, à de nombreuses reprises, j'avais depuis des années écrit dans mon blog tout le mal que je pensais d'un commentateur que je trouvais lamentable. Ce commentateur, depuis, a été débarqué sur ordre de Daniel Bilalian : il est clair que des gens mieux placés que moi, et surtout plus compétents en la matière, ont su prendre l'attache du Président de France Télévisions afin de parvenir à ce nettoyage (qui, malheureusement, a emporté dans la tempête un ancien excellent joueur, reconverti avec grande élégance dans les commentaires avisés, j'ai nommé Thierry Lacroix). Le commentateur mis sur la touche a aussitôt été remplacé par un certain Jean Abeilhou, et je me demande si l'on n'a pas perdu au change, tant le nouveau singe l'ancien par son attitude effroyablement déplaisante (par bonheur, un peu tempérée par les explications si pertinentes d'un Jérôme Cazalbou ou d'un Fabien Galthié) ; si l'on me permet d'emprunter au parler-banlieue, je considère que cet individu se montre, à de trop nombreuses reprises, un bouffon. C'est malheureusement ce que je pense, mutatis mutandis, du Monsieur je sais tout et tous les autres ne valent pas tripette, qui se présente comme versé dans un nombre incalculable de domaines (pas celui de la langue française, tout de même, rendons-lui cette justice), et qui tente de nous refaire le coup de la soumission à l'autorité. Si encore il s'était contenté d'établir les faits, après avoir consulté sérieusement les archives, comme bien d'autres auparavant (je ne parle évidemment pas des gens de mauvaise foi), on lui aurait immédiatement accordé, peut-être avec quelques réserves, notre total respect. Mais non, il ne peut s'empêcher de tartiner à tout propos sa pseudo culture, croyant ainsi se rendre intéressant. De mon point de vue, il réussit surtout à braquer son lecteur. Mais après tout, ce que j'en dis...

Comment interpréter autrement qu'à l'aune de la bouffonnerie, en effet, et entre plus d'une centaine d'autres exemples, la note 47 de la page 91, nous indiquant, dans un rapport étroit avec le thème traité, bien entendu, que Barthes, à l'époque du triple crime, "sans appartenir à aucun parti politique, conduit ses analyses dans une optique marxiste. Il deviendra plus tard structuraliste sous l'influence de Claude Lévi-Strauss". Pour que l'allusion soit pertinente, il eût fallu que cette personne si compétente nous expliquât la différence (les différences) entre marxisme et structuralisme (et de quel côté se situaient les Dominici…). Il en est évidemment incapable. Moi, je peux (pas concernant les Dominici, certes). C'est pourquoi je me garderai bien de mêler la philosophie à l'Affaire. Le ridicule ne tue plus, bien entendu, mais tout de même !

Pour achever ce point sur une autre note lexicale, j'ai constaté que le lourd pavé renfermait une bonne centaine d'occurrences de drame. Je voudrais donc rappeler ici avec force que, effectivement, l'Affaire de Lurs fut un drame pour la famille Dominici, drame dont d'ailleurs, en gestionnaire avisé, elle a bien profité(7) ; mais qu'en revanche, s'agissant de la famille Drummond, ce fut une authentique tragédie. Les deux vocables ne sont pas à placer sur le même plan, ne vous déplaise(8) !

Il est vrai que notre auteur, empruntant largement sur ce point à l'air du temps, s'efforce de victimiser les coupables et leurs descendants (Cf. p. 723, "La quête d'Alain Dominici ronge sa vie" !!!) et tente de salir les malheureuses victimes - le père, à tout le moins - en englobant naturellement, dans sa philippique débridée, tous les corps constitués, raillant, entre autres aménités, leur "obsession" et leur "cécité opiniâtre"(9).

C'est de bonne guerre, si l'on peut dire. Comme l'a écrit je ne sais plus qui, "par une dialectique maintenant habituelle, le coupable est présenté comme une victime, qu'il convient bien entendu de défendre contre un système oppressif représenté […] par la police et la justice".

 

 

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Notes

(1) Nous sommes encore fort loin des quelque 2 000 "explications définitives" de l'assassinat du président Kennedy.
(2) Éric Guerrier, L'Affaire Dominici, expertise du triple crime de Lurs, Cheminements, 2007, 735 pages.
(3) Mais également dans nombre d'articles de journaux, où la désinformation chère à notre auteur s'étale sans pudeur. À cet égard La Provence atteint régulièrement des sommets. Ainsi ce quotidien n'a pas craint d'écrire sur trois colonnes, dans sa page littéraire du samedi 1er mars 2008, à propos du dernier opus de Reymond consacré au suicide de Marilyn Monroe (sans doute une remise au goût du jour du travail de Don Wolfe, paru fin des années 1990, Marilyn Monroe : Enquête sur un assassinat), "Un coin de voile se lève…". et le corps de l'article indiquait que "William Reymond poursuit sa quête de vérité(s)… ce journaliste [qualifié de perfectionniste !] s'est déjà attaqué, souvent avec brio, aux grandes énigmes, voire aux manipulations qui jalonnent l'histoire (JFK, Dominici)… WR livre la réponse". Jean Espinouze, l'ancien journaliste du Provençal ayant suivi de bout en bout l'Affaire de Lurs, a dû une nouvelle fois se retourner dans sa tombe !
(4) Nous ne donnerons ici que quelques exemples, tirés des pages 89 (risque, danger, et moindre), 147 (lieu du drame), 158 ("modeste" trois fois répété, à propos de l'Hillman des Drummond) et 375-376 (improbable/impossible).
(5) Quand on songe que notre auteur reproche à Laborde l'introduction dans son texte de "détails inutiles" (p.503, note 102)... Mais notons quand même qu'un quart de ces notes sont des références à des cotes du dossier - les plus importantes étant rappelées jusqu'à une dizaine de fois (il doit y avoir environ cinq cents références différentes, ce qui est tout de même colossal : plus de la moitié des cotes du dossier).
(6) Et dire, parce que ce n'est pas la modestie qui l'étouffe, que l'auteur se permet avec ça de critiquer le style du juge Carrias - ou celui du commissaire Chenevier, ce qui est quand même plus opportun.
(7) Je me demande si l'aspect perfectif du temps que j'emploie est bien adéquat, par exemple lorsque je lis des phrases un peu alambiquées comme celle qui suit : "je crois sa cause [celle de l'un des petits-fils] perdue d'avance quoi qu'en disent tous ceux dont la publicité qu'ils en retirent en s'occupant de cette affaire arrange les leurs".
(8) On pourrait aussi se demander pourquoi les fort nombreuses occurrences de colmatage se présentent tantôt avec des guillemets, tantôt sans. Y a-t-il là une quelconque intention ? On se perd en conjectures.
(9) Il semble me compter, involontairement sans doute, au nombre des membres du Service public si vilipendé, en parlant de ma "cécité complaisante". Il me rend là un hommage appuyé dont je ne saurais trop le remercier.