"Ampleur du délire... contes à dormir debout... histoires invraisemblables... thèses hallucinantes... démission, défaite de la raison... naufrage de l'intelligence"
(Arte, 13 avril 2004).

 

 

I. Mercredi 14 avril 2004.

 

France5/Arte est une chaîne qui indique ce que pourrait être une télévision respectueuse des gens qui la regardent : c'est d'ailleurs pour cela que ses parts de marché sont si congrues. Mais, bon, on n'est pas là pour nourrir d'amères pensées sur le citoyen Lambda. Hier soir, Arte nous donnait à voir, à partir de l'exemple des "négationnistes du 11 septembre", un documentaire d'une qualité rare consacré au mécanisme de la rumeur et à l'incroyable succès que rencontre - pas seulement chez nous - la théorie du complot. "Ampleur du délire... contes à dormir debout... histoires invraisemblables... thèses hallucinantes... démission, défaite de la raison... naufrage de l'intelligence". Et j'en passe, et j'en passe (au passage, on a rappelé à quel point, dans ces délires, la jonction de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche faisait merveille). Mais ceci posé, il fallait dénoncer le nerf de la guerre : le complot fait vendre, et Meyssan, par exemple, "doit sa fortune à son incroyable thèse". À son incroyable foutaise, plutôt... Et comme, parmi les voix "off", j'ai reconnu celle de Jean-Charles Deniau, auteur d'un récent documentaire sur "les mensonges de l'affaire Dominici", je me suis soudain avisé que, mutatis mutandis, les propos qui étaient tenus, hier soir, s'appliquaient tout aussi bien au mécanisme qui a conduit à la projection (et au succès) du téléfilm incroyablement mensonger consacré à l'affaire Dominici, justement, cet automne, sur TF1 (je ne sais plus qui a dit, récemment : "quand l'honnêteté sera payante, TF1 fera des choses honnêtes". Peut-être Patrick Sébastien, non ?). Cette démission de l'esprit, développée grâce à une "stratégie-marketing sans failles", est d'abord une entreprise destinée à amasser beaucoup d'argent : la littérature conspirationniste se vend très bien (pauvres rêveurs de l'école pour tous, qui croyaient dur comme fer que l'instruction rendrait les individus plus lucides, et l'humanité meilleure !). Bref, tout ce qui se disait s'appliquait à merveille à l'affaire de Lurs, tant la stratégie des conspirationnistes est identique quel que soit l'angle d'attaque ; on discute des choses qui ne sont pas discutables, on avance les délires les plus extravagants, et on demande à ceux qui s'en indignent de rapporter les preuves de leur fausseté : la perspective est totalement renversée (au fait, c'est très exactement la stratégie adoptée, dans l'émission de Deniau, par Me Collard au sujet du prétendu assassinat d'une prétendue secrétaire de Sir Jack Drummond dans le port du Havre). Et me revint alors en mémoire le contenu d'un récent n° de Marianne, sur l'excommunication de la raison justement, sur les charlatans, les obscurantistes, les sectateurs de tous bords...
Mais sur la fin, le coup du merlin fut appliqué par un journaliste venu d'Allemagne (Gunther Latsch, du Spiegel), qui, jusque là, s'était montré assez peu volubile. Certes, dit-il à peu près, vous avez raison, le complot est un réducteur de complexité, c'est une vision simpliste et mercantile de l'ordre des choses, et il est regrettable que le bon public se laisse prendre à ces thèses hallucinantes. Mais l'exemple ne vient-il pas d'en haut ? Comment voulez-vous reprocher au vulgum pecus sa démission de la raison, quand vous assistez au triste spectacle du fils du Général de Gaulle venu, pour faire vendre son bouquin, faire la pute chez Thierry Ardisson (il avait été fait allusion, au cours de l'émission, au "passage" de Meyssan chez Ardisson) ? Un ange passa... Pauvre Général ! Il a dû se retourner dans sa tombe, en effet, lui si droit, devant les pitreries de son "Sosthène" !

 

 

II. Mardi 9 mars 2004.

 

Dans ce petit matin, je roule sous un ciel d'une pureté sans égale. Un régal des yeux et du cœur, cette limpidité bas-alpine ! J'écoute la radio nationale, et je suis soudain doublement gêné. L'ex-candidat Le Pen est interrogé, il répond avec sa verve habituelle. Et comme le journaliste lui fait observer qu'il se plaint toujours d'un temps de parole réduit comme peau de chagrin, l'autre lui oppose des données statistiques très pointues, tendant à prouver la véracité de ses dires. Le journaliste, sans même accuser le coup (ou parce qu'il l'accuse trop, justement), passe immédiatement à la question suivante.
De deux choses l'une : ou Le Pen avait tort, et alors il fallait le traiter de menteur, et produire d'autres statistiques, irréfutables, sans quoi on faisait preuve de lâcheté, et on lui accordait - ses partisans n'ont pas dû s'en priver - le titre si ressassé de mal-aimé de la politique ; ou Le Pen avait raison et dans ce cas-là, on ne pouvait pas sans malhonnêteté, ne tenir aucun compte de ses dires, tant les accusations de partialité étaient graves. Il est vrai que question malhonnêteté, le candidat permanent de l'extrême droite en connaît un rayon. Revenant sur l'affaire de son inéligibilité dans les Alpes maritimes, affaire pourtant parfaitement jugée, il crut bon de s'attaquer aux divers fonctionnaires, plus ou moins hauts, qui avaient pris les décisions que nous savons "parce qu'ils sont aux ordres du gouvernement et du Président de la République".
Cela gêne vraiment, d'entendre ce type d'argument, éculé de toute éternité, qu'on utilise quand on ne possède rien d'autre qu'une immense mauvaise foi. Et je songe que tous les extrêmes de tous bords l'emploient, et me revient soudain en mémoire qu'on a récemment voulu 'revisiter' une tragédie vieille d'un demi-siècle, et parfaitement jugée, elle aussi, en expliquant doctement que le vieux Dominici était innocent, mais que tous les fonctionnaires qui eurent à connaître de son histoire se sont inclinés devant la Raison d'État, qui commandait qu'il fût coupable. Et je juge qu'entre les gogos qui ont gobé cette infamie, et les partisans de Le Pen, il y a la barrière d'une feuille de papier à cigarette... Les explications rationnelles ne tentent guère nos contemporains, qui veulent du mystère (et du scandale) pour faire fonctionner leur imagination, et s'évader de leur monotonie quotidienne...

 

 

III. Dimanche 26 octobre 2003.

 

Ah ! Il a eu raison, l'ami journaliste qui m'a téléphoné et enjoint, toutes affaires cessantes, d'aller m'installer devant ma télévision ! Arrêt sur image, produit par Arte/La Cinq, avait en effet consacré un volet au téléfilm honteux que TF1 a fait tourner sur l'affaire Dominici. Et, face à Christian Charret, très suffisant en même temps que très insuffisant, producteur de cette "fiction historique", se trouvait Jean-Charles Deniau, l'un des deux auteurs de l'enquête sur l'enquête de Reymond (vous savez, cette enquête en profondeur que Reymond prétend avoir menée durant plusieurs années...), parti enquêter (jusqu'à Dieppe, je crois !) avec, au départ, un a priori favorable pour la thèse du crime d'espionnage. Je dirai d'abord que, si les responsables de l'émission (Hélène Risser en tête) se sont montrés honnêtes (allant jusqu'à produire un "montage" pour révéler les supercheries concernant l'émission Cinq Colonnes à la Une vue à travers le téléfilm de TF1), en revanche je suis prêt à parier que le temps de parole du producteur de TF1, mis sur la défensive et parlant, pour excuser les mensonges diffusés deux lundis durant, de "théâtralisation" et de "procédé scénaristique" (sic) a été nettement supérieur à celui de son contradicteur (Jean-Charles Deniau), dont la voix a la plupart du temps été couverte par celle de Charret, et/ou celle du réalisateur (Daniel Schneidermann, tout récemment "vidé" du Monde_Télévision), et qui fut souvent réduit à lancer des interjections indignées : "C'est faux ! Non !", etc. Charret a eu le toupet d'énoncer : "nous n'avons pas prétendu que ces scènes se sont passées de cette façon" (menteur !), "pratiquement tous les livres consacrés à l'affaire Dominici concluent à l'innocence de Gaston" (menteur !). Mis sur le reculoir comme je viens de le dire, il s'est défendu avec le toupet qui le caractérise en jouant les vertus offensées, en arguant que le document que la chaîne confidentielle "Odyssée" diffusera le 28 novembre, était un document "racoleur" et "médiocre", et qu'il ne voulait pas aider ce "coup de marketing" (un suppôt de TF1, parler de coup de marketing !). On a pu pourtant, enfin, entendre la vérité que j'étais trop seul, jusqu'ici, à défendre. On a entendu :"Dominici innocent - les assassins retrouvés est le livre d'un mythomane" ; "William Reymond a écrit un livre qui est une imposture, une supercherie" ; ce livre bourré "d'erreurs, de faux témoignages et de mauvaises références est une imposture du début à la fin". "Vous êtes un menteur", a également lancé Deniau à Charret. On allait le dire, à propos d'un personnage qui s'est permis d'affirmer, sans rire, que la contre-enquête de Chenevier innocentait Gaston !
Ils ont voulu en faire trop, les révisionnistes, et il est en train de leur retomber dessus, le caca dont ils ont voulu, d'une haine incompréhensible, salir la mémoire de Sébeille. Allez, je ne suis pas chien : puisque j'en suis à Sébeille, voici ce que j'ai lu, l'autre jour (dans un de ces journaux de l'époque dont Charret, ne reculant devant aucune infamie, a osé prétendre qu'ils accréditaient tous la thèse d'un Guérino manipulé par Sébeille et manipulateur de Gaston Dominici) : "La plus formidable, la plus tenace, la plus intelligente des enquêtes".

 

 

IV. Mardi 21 octobre 2003.

 

La voilà enfin, cette seconde partie : on nous annonçait un éclairage nouveau, mais c'est celui que le PC avait lancé comme rideau de fumée pour protéger la Grand'Terre ! Déjà, après la diffusion de la première partie, les journalistes du Monde et d'Ouest-France (deux journaux qui comptent, en France) avaient été particulièrement sévères pour Tf 1 qui n'avait "pas fait dans la dentelle" ("même les chèvres en font trop", avait-on pu lire !), parlant d'une fiction rusée, qualifiant d'hasardeuse la thèse des agents soviétiques, et jugeant très sommaire l'interprétation des faits. Et ils ne furent pas les seuls. Les acteurs jouent faux, à commencer par Serrault, clown manipulateur sorti de la Cage aux Folles et du Viager, appuyant beaucoup trop sur les finales des mots ; hugolien passionné, capable de réciter du Victor Hugo par cœur, avec des imparfaits du Subjonctif, il prononce des phrases qui ne faisaient manifestement pas partie du vocabulaire du Patriarche ("il a parlé sous la contrainte"), il mène le procès à sa guise ! Quant au rôle donné à Michel Blanc, ce n'est pas une caricature (par comparaison, le sort fait à de Bénouville dans Jean Moulin apparaît presque doux) : c'est un constant mensonge haineux (oh les scènes montrant Sébeille débarquant avec ses valises sur le toit de la "Onze-légère", et désignant le coupable moins de cinq minutes après son arrivée ; usant subrepticement d'un magnétophone pour déstabiliser le suspect ; caché derrière une porte et soufflant les questions à l'agent Guérino ; ou visitant Gaston dans sa prison marseillaise, tour à tour goguenard, aigri et envieux, et finissant par tenter d'étrangler le condamné ; ou encore à la Grand'Terre, dissimulé derrière un arbre, assistant dépité au retour triomphal de Gaston !). Un Sébeille que tout le monde prend pour une carpette, à commencer par la très jeune fille de l'aubergiste, mais prenant à son tour les gendarmes pour des carpettes (y compris le capitaine Albert !). Pour ce qui concerne les enfants du Patriarche, entre Gustave qui pleurniche et Clovis qui, ayant dénoncé son père pour des questions d'héritage et pris de remords à cause des accusations mensongères qu'il a portées, va noyer sa honte en se saoulant la gueule, on ne sait dire lequel est le plus mal rendu ! Oh Me Pollak, assistant à la reconstitution (lui qui s'était plaint, peut-être pas à tort au plan moral, sinon au plan juridique), d'avoir été écarté de cet événement ! Un Pollak qui, évidemment, "ne connaît pas le dossier" et doit tremper dans le Complot comme les autres ! Les autres, c'est-à-dire les journalistes veules et aux ordres (d'ailleurs souvent d'anciens collabos), les policiers (anciens collabos aussi : ça, c'est quelque chose qu'il faudrait aller affirmer sur la tombe de Chenevier) agissant au nom de la raison d'État (curieusement, Sébeille qui est "un très mauvais policier" est le seul à croire en la culpabilité de son suspect). Et Gillard qui brûle la déposition de Wilhelm Bartkowski, après avoir déclaré : "personne ne veut de la vérité. Ce que les Russes ont fait à la Grand'Terre, nous l'avons fait chez eux"... Et l'incroyable manipulation qui transforme soudain Lukas Fabre, le journaliste omniscient (plus encore : ultra-lucide), omniprésent et inventé de toutes pièces, en un Pierre Desgraupes allant visiter Gaston Dominici pour Cinq Colonnes à la Une (les "coupures" pratiquées dans cette émission passée le 8 avril 1960, sont tout à fait révélatrices : entre autres, Desgraupes dit ceci : "j'entends encore sa voix cassée et tenace : pourquoi suis-je là ? Et il a ajouté, sans se rendre compte de l'énormité du mensonge qu'il proférait, moi qui n'ai jamais donné une gifle à mes enfants", dont le téléfilm n'a retenu que le dernier membre de phrase) ! On n'en finirait pas. Ils veulent gagner, avec ça, un procès devant l'opinion publique ? Mais quand on est obligé, pour y parvenir, de salir si vilainement tant de gens, cela peut légitimement faire douter, déjà, de la noblesse (et de la crédibilité) de la cause. On avait pu être sévère à l'endroit du film éponyme dont Jean Gabin tenait la vedette (entre lui et Serrault, vraiment il n'y a pas photo, soit dit en passant) : mais en dépit de quelques côtés peut-être discutables, ce film un peu ancien vaut cent fois la fiction de TF 1 : ce sera l'honneur d'une autre chaîne de songer à le programmer dès que possible. Afin que le public dispose, comme dans toute démocratie, d'un autre point de vue. En attendant la diffusion de "l'Affaire Dominici, ses impasses, ses mystères, ses mensonges" : mais ce document n'aura évidemment pas l'audience de la fiction de TF 1.
Je ne sais plus lequel des réalisateurs a affirmé : "on n'a rien inventé". Voyons ; rappelez-moi qui, déjà, avait dit : "plus un mensonge est gros, plus il a de chances d'être cru" ? Aussitôt après ce forfait, on annonce l'émission "Scrupules". On peut le comprendre : ça avait beaucoup manqué, juste avant.

 

 

V. Lundi 13 octobre 2003.

 

TF1 vient de diffuser la première partie du téléfilm consacré à l'affaire Dominici, revue et corrigée par le dénommé W. Reymond, le bon jeune homme selon le juge Carrias (si vous voyez ce que parler veut dire). TF1, comme on sait, a une conception très personnelle de l'Histoire. On s'était un peu partout indigné, lors de la diffusion d'un précédent téléfilm, consacré à Jean Moulin. Présentement, ce n'est pas ce sentiment qui prédomine, en dépit des mensonges éhontés rapportés ici pour argent comptant. Et des élucubrations grand-guignolesques.
On se souvient qu'il y a quelques années, le dénommé Michel Serrault, invité en direct sur A2, un dimanche soir, lors du journal télévisé, entreprit, l'interview achevée, de se déshabiller lentement, jusqu'au caleçon, devant le présentateur médusé (et les spectateurs qui ne le furent pas moins, du moins je l'espère). Eh bien, rien ne saurait mieux qualifier l'extravagant téléfilm consacré à l'affaire de Lurs : c'est une triste pantalonnade. Avec, entre autres, Gaston Dominici sorti de La cage aux folles, on ne pouvait imaginer plus profond mépris de la part de la chaîne privée à l'égard des téléspectateurs - qui n'ont, après tout, que ce qu'ils méritent (rappelons que TF1 "fait" à peu près autant d'audience que toutes les autres chaînes réunies). Mais qui, on peut le craindre, ne feront pas la différence entre une odieuse bouffonnerie, et l'élémentaire respect de la simple vérité. Et qui se souvient encore, au jour d'aujourd'hui, de cette réflexion du commissaire Chenevier : "Entre la parole de l'officier [le capitaine Albert] et un mensonge supplémentaire de la jeune femme [Yvette, la bru de Gaston], mon choix est vite fait". Les téléspectateurs ont-ils seulement été amenés à faire un choix ?
J'ai pu observer, de près, l'élection controversée de Schwarzenegger (depuis la Californie, combien l'affaire de Lurs apparaît dérisoire !). Un journal européen est allé jusqu'à écrire : "Ce peuple gâté et capricieux a donc décidé de se séparer de son gouverneur (...) et de le remplacer par un âne". Peut-être. Un âne, du moins, n'est pas capable de manquer au devoir de mémoire. Et sans doute, aussi, de silence.

 

 

VI. Vendredi 19 septembre 2003.

 

Le récent dénouement de l'affaire tragique du Grand-Bornand (assassinat de tous les membres de la famille Flactif) montre une fois de plus cette attitude récurrente des criminels se mêlant aux badauds, participant éventuellement aux recherches, s'érigeant même en justiciers. Le dénommé Hotyat, et ses - désormais - surprenantes déclarations de cet été, rejoint par là les rodomontades d'un Patrick Henry réclamant la peine de mort pour les assassins d'enfants et encore - il y a fort longtemps - la morgue d'un Gaston Dominici jouant volontiers les cicérone auprès d'automobilistes curieux qui stoppent sur la route et se font expliquer la tuerie, ou encore pleurant sur l'épaule d'un ami, en déclarant au journaliste, j'en ai assez, pourvu qu'ils trouvent rapidement l'assassin, car je n'en peux plus (j'extrais ces deux citations du défunt quotidien communiste La Marseillaise). Et on pourrait citer aussi son fils Gustave, alité pour fatigue le lendemain du triple crime, et dont un journaliste d'une rare clairvoyance, Georges Reymond, écrivait dans Nice-Matin : "il est fatigué, certes, mais personne ne l'obligeait à répondre à la curiosité des journalistes, ni à s'informer auprès d'eux de l'avancement de l'enquête". Rien de nouveau sous le soleil...
Au fait, ce soir (ou plutôt très tôt, demain matin) A2 passe le documentaire tourné par Orson Welles sur l'Affaire Dominici : occasion de se rafraîchir la mémoire, avec un film honnête et non pipé, tourné par un cinéaste génial ! Et de savourer les cuirs de Paul Maillet, dit l'indicateur des Chemins de fer.

 

 

VII. Lundi 12 mai 2003.

 

Par le fait de la géographie (ma fréquence habituelle donnant d'évidents signes de faiblesse), je fus, hier, à l'écoute d'Europe1. Ce que j'en ai retenu me pousse à conclure : peu de "réclame", beaucoup d'intelligence. Voici qu'on annonce un entretien entre Frédéric Mitterrand, neveu de l'autre, et Clémence Boulouque, fille d'un "juge et martyr", selon son expression. Magnifiques échanges graves et tendres : ce Mitterrand-là (Frédéric le Grand, de France) trouve le ton et les mots adéquats pour laisser s'exprimer, avec quel à-propos, une douleur indicible et qui pourtant a tenté de se dire. Clémence Boulouque se trouvait pour études à New-York, lors de l'attaque du World Trade Center. L'horreur du suicide de son père lui est revenue à cause du fait tragique qu'elle avait devant ses yeux, lui apparaissant comme l'écho d'une même cause, le terrorisme (islamique, c'est moi qui ajoute le qualifiant). On eût dit que les deux interlocuteurs étaient portés par une sorte de grâce, impalpable et pourtant si réelle, celle de deux êtres qui n'oublient rien, qui n'éprouvent ni haine ni crainte, et qui instaurent sans le savoir une sorte de laïque communion des saints. Et Mitterrand (le grand) de faire part de sa propre expérience, exprimant son remords de n'avoir pu aider Bérégovoy, rencontré quelques jours avant le suicide de l'ancien premier Ministre. Et nous voilà faisant un détour par Modiano, pour des raisons que je vous laisse découvrir (car il faut acheter «Mort d’un silence»)... Comme Clémence ne souhaite pas porter d'accusation sur les raisons du suicide de son père (un être trop intègre), je me tairai sur ce sujet, encore qu'il me démange de parler de ceux qui l'ont lâchement abandonné et sali (Gilles Boulouque a mis fin à ses jours, mi-décembre 1990, au lendemain de sa mise en examen pour violation du secret de l'instruction), car ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique, quelle que soit sa couleur, abandonne et salit les meilleurs serviteurs de l'État (et je songe, entre autres fameux exemples, au commissaire Sébeille, de l'Affaire de Lurs). J'émettrai pourtant une réflexion, une seule, et sur l'actualité. Tandis que Clémence est invitée ici ou là à parler, avec quelle pudeur et quelle humanité, de son livre, une autre jeune femme envahit tous les médias, et sans autre raison à mon avis que son auguste filiation. Comme Clémence, elle eut une enfance protégée par des gardes du corps - mais protégée des gens trop curieux, non des terroristes. Ce qui lui donne une morgue et un caractère hautain parfaitement détestables, et qu'elle étale avec fatuité : si elle n'était la fille chérie de son père, Mazarine n'intéresserait personne avec son écriture pesante, et la chronique oiseuse de ses amours successives (après Ali, Mohammed).
Et lorsque Mitterrand (le Grand) a conclu l'entretien par un "Merci de nous avoir parlé si bien de ce si beau livre", on avait envie de le remercier, lui, d'avoir aidé cette jeune femme digne à si bien parler de son intime confession.

 

 

VIII. Mercredi 19 mars 2003.

 

La Provence de ce jour fait sa luzerne grasse (les connaisseurs me comprendront) d'un remake de l'affaire Dominici, tourné... en Avignon... Le journal trempe dans le dithyrambe, parle d'un homme "à l'origine d'une polémique judiciaire loin de s'éteindre encore aujourd'hui". Hum ! L'acteur, quant à lui, est criant de vérité (sic) et d'une incroyable justesse, le regard dur, parfois insoutenable (re-sic). Et La Provence de récrire l'histoire. Comme le Dauphiné devrait donner à relire, à ses jeunes journalistes, les articles de Lachat, la Provence serait bien inspirée de faire de même avec ceux d'Espinouze. Mais ce n'est pas là, exactement, mon propos. J'observe de près l'accoutrement de Serrault-Dominici. Criant de vérité ? Les habits sont très exactement ceux d'un capoulié du Félibrige (observez le gilet Valdrôme) ; le visage est frotté à l'ocre le plus cru : on l'aura compris, il s'agit d'un santon grandeur nature, il s'agit d'une galéjade. Que les révisionnistes vont encore tenter de faire passer pour de l'histoire. Bon, attendons de voir ce que donnera Michel Blanc en commissaire Sébeille.

 

 

IX. Jeudi 24 octobre 2002.

 

Je roule vers le nord, à partir de Manosque, et je me demande la raison de cette cohue, et de cette multitude de képis. L'année dernière encore, la 96 était en ces lieux jalonnée de silhouettes métalliques représentant les victimes de l'inconscience des conducteurs, et c'était impressionnant - surtout de nuit. Les silhouettes furent rapidement ôtées, après de vives protestations (en France, il suffit de protester pour obtenir satisfaction, et pourtant les protestants, depuis la Révocation de l'Édit de Nantes, ne sont pas légion !), mais les voilà regroupées sur quelques ronds-points, et ça n'est pas moins parlant. Je me demande comment on peut faire passer de la vie à trépas trente personnes chaque année, sur une portion aussi courte, aussi dépourvue, apparemment, de dangerosité.
Peu après la Grand'Terre, la fameuse "enclave des Ponts-et-Chaussées" où fut perpétré le triple crime que l'on sait, est en train d'être dégagée : je m'arrête, je ne l'avais plus vue dans cet état depuis trente ans, progressivement envahie par un maquis reprenant ses droits, et ses habitudes. Un jeune adolescent y va de sa tronçonneuse. Et l'école ? lui dis-je, jouant les Sarkozy. Mais M'sieur, c'est les vacances ! Ah, je l'avais oublié.
Et voilà qui m'explique cette circulation bientôt aussi intense que sur la parallèle A7, ces théories de gendarmes et ces multitudes d'appels de phares (tuons-nous les uns les autres, et que les pandores ne viennent pas nous casser tous les saints) ! Mais je n'étais pas là tout à fait par hasard, j'avais à récupérer des journaux belges relatant l'Affaire du siècle. Alors, si vous voulez savoir ce que je pense de ce qu'a écrit Sud-Presse, c'est ici. Le propriétaire de La Grand'Terre se désole, et me prend à témoin : regardez dans quel état est le massif que j'avais voulu créer ! Je regarde, en effet, un espace de dix mètres carrés, comme labouré profondément, et je crois reconnaître les traces de pneus d'un quelconque tracto-pelle. Mais mon ami me détrompe : allons, ce sont les sangliers ! - Mais par où donc sont-ils passés ? - Par là, naturellement ! Et je suis la direction de sa main tendue : les sangliers ont utilisé un chemin que je reconnais, alors que je ne l'avais jamais vu auparavant. C'est celui qu'emprunta le Sanglier de Lurs, au retour de son forfait : "J'ai longé et traversé la voie ferrée et ai regagné ma ferme en passant par le sentier qui aboutit dans la cour". L'histoire, éternel recommencement...

 

 

X. Lundi 5 août 2002.

 

Le meilleur et le pire, ce matin au Journal de France-Inter : il y a cinquante ans débutait l'Affaire de Lurs, et à cette occasion le journaliste a eu la sagesse de donner la parole (moins de deux minutes !) au fils du juge Carrias (décédé en mars dernier). Ainsi, en très peu de temps, tous les rideaux de fumée et de mensonges ont été déchirés. Mais il en faudrait plus pour renverser tous les bobards qu'on nous assène complaisamment depuis si longtemps...
Mais aussi le pire. Le dénommé Talamoni, avocat de son état (il est donc en principe payé pour savoir ce qu'est un État de Droit), et qu'on entend beaucoup trop, à mon avis, parle à plusieurs reprises des "prisonniers politiques" corses qui, selon lui périclitent sur le continent... Prisonniers politiques, les réputés complices de l'assassinat du préfet Érignac ? Mais, hélas, personne pour le moucher. Je vais finir par pencher du côté des harangues d'Oriana Fallaci, à propos de notre endémique manque de courage...

 

 

XI. Mercredi 24 juillet 2002.

 

Sollicité par deux journalistes belges souhaitant effectuer un reportage sur l'Affaire Dominici (cinquante ans après), je fus hier sur les lieux que je connais si bien. Au cimetière de Forcalquier, sur la tombe, une main inconnue a déposé un carton portant cette inscription : "Drummond : cinquante ans déjà". Par un coup de bol extraordinaire, nous voici mis en présence du nouveau propriétaire de la Grand'Terre, un homme d'une exquise urbanité (et du cru, ce qui ne gâte rien). Et par son entremise, nous rencontrons quelqu'un qui connaît bien l'affaire, avec une thèse implacable (qui n'est pas tout à fait la mienne). J'ai pu mesurer le mépris de nombre d'habitants de la région, pour le livre de Reymond. Voilà que TF1 est en train de tourner (avec Michel Serrault) un téléfilm en deux parties, sur l'Affaire : hélas, comme le conseiller du film se nomme Reymond, on peut déjà imaginer l'honnêteté de la reconstitution... On attendra donc le reportage de nos amis belges.

 

 

XIII. Vendredi 15 mars 2002.

 

J'apprends la disparition, le 7 mars dernier à l'âge de soixante-dix-sept ans, de Pierre Carrias, l'intègre magistrat qui eut à diriger (main dans la main avec le commissaire Sébeille, lui reprochent ses ennemis) la seconde instruction de ce qu'on nomme "l'Affaire de Lurs"... C'est l'occasion de relire les pages sobres qu'il a consacrées à son instruction, et peut-être aussi de reprendre la longue enquête que j'ai conduite sur le même sujet.
Paix aux hommes de bonne volonté.