Devant la mort, la pudeur doit être de mise, quand bien même l'impudeur s'étale sans retenue (faut-il citer, mais ce n'est qu'un exemple mineur, le profond anéantissement de la reine d'Angleterre ?). C'est pourquoi nous avons inscrit, en exergue, un extrait des plus récentes Instructions officielles. Mais nous revient en mémoire une autre mort (survenue le 14 septembre 1982), d'une autre princesse, dans un autre accident de la route : le journaliste, qui se nommait Bernard Langlois (mais avons-nous bonne mémoire ?) fut dans l'heure licencié à cause de son commentaire jugé politiquement incorrect. Aussi nous montrerons-nous très prudent, ce qu'on voudra bien ne pas nous reprocher, nous en tenant à l'objectivité des faits.
Un commentaire, cependant : on ne peut à la fois solliciter avec constance les paparazzis pour se faire connaître et assiéger les Une de tous les journaux, puis les vouer aux gémonies lorsque le tragique survient. Le phénomène paparazzi n'est qu'un des signes, parmi bien d'autres, d'une société de voyeurs et de m'as-tu-vu, intimement dépendants les uns des autres.
Et le déferlement médiatique présent n'est qu'une nouvelle manifestation de la névrose contemporaine directement liée à l'immobilisme d'une société dirigée par le pouvoir de l'argent, les ambitions et les manipulations des nantis (31 août 1997, 23 h).

 

 

[Concerne au premier chef la dernière année du cycle III et la classe de sixième.]

 

 


"L'éducation civique n'est pas une discipline à enseigner en tant que telle, isolément, mais ses principes fondamentaux, appréhendés à partir de l'analyse de faits de la vie quotidienne, doivent imprégner toutes les activités de l'école.
L'enfant prend conscience de la responsabilité de chacun dans la société. Il réfléchit sur les valeurs relatives à la personne et sur les normes de la vie en commun ; il acquiert peu à peu de celles-ci une pratique raisonnée
"

 

(Programmes de l'école primaire, février 1995, cycle des approfondissements).

 

 

Nous donnerons tout d'abord l'intégralité des dépêches AFP "tombées" au même moment ; elles sont au nombre de seize. Il en manque une : les accidents de la route causant, en France, trente morts par jour (en moyenne), la dépêche n° 1 ne représente que dix % des morts sur la route (en France) de la journée du 31 août 1997. Des neuf dixièmes restants, il ne sera jamais question. D'autre part, les morts de la route, malheureusement, ne sont pas grand-chose par rapport aux massacres, aux cortèges de violence de tous acabits : 300 Arabes, des Noirs, des Jaunes, ne représentent donc rien, face à deux éminents représentants de la Jet society ?

On peut donc conduire avec les élèves une réflexion civique sur la façon dont les médias traitent l'information, traitent des puissants et des misérables. La lecture de l'intégralité des dépêches du même moment permettra, à cet égard, une utile mise en perspective, qu'on pourra appuyer sur l'examen de la 'Une' de quelques journaux du jour. La relecture des Instructions (suite du texte mis en exergue) sera aussi, pensons-nous, salutaire pour le maître. Enfin, nous proposons quelques pistes de travail.

 

 

I. Le Monde en bref à 04 : 40 GMT, 31 Août 1997

 

1. France-Royauté-Diana PARIS

 

- Lady Di, 36 ans, et le milliardaire égyptien Dodi al-Fayed, 42 ans, sont morts dans un accident de voiture dans la nuit de samedi à dimanche sous le tunnel de l'Alma à Paris. Le chauffeur du véhicule, un employé de l'hôtel Ritz, a également trouvé la mort. Le garde du corps de la princesse a été grièvement blessé.

Dodi al-Fayed est mort sur le coup, Lady Di est morte à 04 h 00 locales (02h00 GMT) d'une hémorragie pulmonaire à l'hôpital de la Pitié Salpétrière où elle avait été transportée.

La voiture, suivie par des photographes à moto, roulait à vive allure peu après minuit dans le tunnel de l'Alma, dans le centre de la capitale française, sur la rive droite de la Seine. La voiture, une puissante Mercédès noire dans laquelle se trouvaient les quatre personnes, était suivie par des photographes en moto et en scooter. La voiture roulant à très vive allure a heurté un des piliers sous le pont de l'Alma, a rebondi contre un mur avant de s'arrêter au milieu de la chaussée.

Lady Di avait été transportée à l'hôpital de la Pitié Salpétrière. A l'aube on indiquait que la princesse se trouvait dans un "état grave". Elle souffrait d'un traumatisme crânien, d'une fracture à un bras et de plaies importantes à la cuisse.

Le ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, le Préfet de Police de Paris, Philippe Massoni, l'ambassadeur de Grande-Bretagne en France, sir Michael Jay et son épouse, ainsi que le Consul Général de Grande-Bretagne à Paris, s'étaient rendus à son chevet.

La mort de la princesse de Galles a été annoncée par le Dr Bruno Riou du service de réanimation en présence du ministre de l'Intérieur.

Cinq photographes qui poursuivaient la voiture de Lady Di ont été interpellés par la police et l'un d'entre eux a été roué de coups par des témoins de l'accident. Deux motos et un scooter ont été saisis par la police.

 

2. GB-royauté-Diana LONDRES

 

- La reine d'Angleterre et le prince Charles ont fait savoir dans un communiqué qu'ils étaient "profondément choqués et anéantis" par le décès de Lady Diana, moins d'une heure après l'annonce de sa mort.

La BBC, en faisant état du communiqué, a présenté à l'écran l'Union-Jack en berne, tandis qu'était interprété l'hymne national.

L'accident de voiture qui a coûté la vie à Diana a été accueilli avec consternation à Londres, plusieurs hauts responsables pointant un doigt accusateur vers les paparazzi.

Un porte-parole de Buckingham Palace a ainsi immédiatement qualifié de "prévisible" l'accident survenu lors d'une course poursuite avec des photographes de presse.

Le Premier ministre britannique Tony Blair s'est déclaré "choqué et attristé par ce qu'il considère comme une tragédie accablante et épouvantable", avait indiqué pour sa part Downing Street avant l'annonce du décès de la princesse.

 

3. Algérie-islamistes ALGER

 

- Quarante-cinq personnes ont été assassinées dans la nuit de jeudi à vendredi dans deux nouveaux massacres à Maâlba (sud-ouest d'Alger) et à Alger, ont indiqué samedi les quotidiens El Watan et Liberté. La même nuit, 98 personnes selon un bilan officiel, et entre 200 et 300 selon des habitants, ont été égorgées et brûlées vives par un groupe armé présumé islamiste à Raïs, près d'Alger.

 

4. Algérie-islamistes PARIS

 

- Le chef du Front islamique du Salut (FIS-dissous) Abassi Madani a indiqué samedi être prêt à lancer "immédiatement" un appel à l'arrêt des violences en Algérie. C'est la première fois que M. Madani, libéré de prison le 15 juillet, marque de façon solennelle sa disposition à lancer un tel appel. Dans une lettre adressée au secrétaire général de l'ONU, le chef du FIS s'est dit "prêt à lancer un appel pour arrêter l'effusion de sang immédiatement et préparer l'ouverture d'un dialogue sérieux".

 

5. VENISE

 

- Le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, en visite à la Mostra de Venise, a lancé samedi soir "un appel à la tolérance et au dialogue" en Algérie, après le massacre commis à Raïs.

 

6. Bosnie-Serbes PALE

 

- L'émissaire américain pour l'ex-Yougoslavie, Robert Gelbard, a menacé samedi les dirigeants serbes bosniaques de Pale des "conséquences les plus graves que l'on puisse imaginer" s'ils ne mettaient pas fin à leur "comportement totalitaire". "Nous en sommes clairement au moment le plus critique que nous ayons connu, non seulement pour la mise en oeuvre du processus de paix mais aussi pour l'avenir de la Republika Srpska" (RS, l'entité des Serbes de Bosnie), a déclaré M. Gelbard après un entretien de trois quarts d'heure avec l'élu serbe à la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, Momcilo Krajisnik.

 

7. Bosnie-Serbes PALE

 

- Les dirigeants bosniaques ultranationalistes de la Republika Srpska (RS) ont insisté sur un report des élections municipales des 13 et 14 septembre, au cours d'un entretien samedi à Pale (près de Sarajevo) avec Robert Frowick, chef de la mission de l'OSCE en Bosnie.

 

8. OTAN-Bosnie BRUXELLES

 

- Le Conseil de l'OTAN (ambassadeurs) a réitéré samedi soir dans un communiqué sa volonté de poursuivre le processus de paix en Bosnie, en soulignant que la force de paix (SFOR) qu'il dirige dans ce pays "ne tolérera pas l'usage de la force ou l'intimidation" contre elle.

 

9. Congo-violences KINSHASA

 

- Des tirs incessants d'armes lourdes ont été entendus à Brazzaville durant tout l'après-midi de samedi depuis Kinshasa de l'autre côté du fleuve. Les déflagrations, parfois d'une extrême violence se sont poursuivies sans interruption durant l'après-midi.

 

10. Congo-violences PARIS

 

- La France a replié samedi tout le personnel de son ambassade à Brazzaville vers la résidence de l'ambassadeur dans un autre quartier de la capitale du Congo.

 

11. Congo-violences LIBREVILLE

 

- Le président congolais Pascal Lissouba a quitté samedi soir Libreville après avoir "réaffirmé sa confiance dans l’œuvre de médiation" conduite par le président gabonais Omar Bongo, avec qui il a "convenu de propositions nouvelles" pour régler le conflit du Congo.

La délégation du général Denis Sassou Nguesso aux négociations congolaises de Libreville a annoncé samedi "récuser" désormais la médiation nationale présidée par le maire de Brazzaville Bernard Kolélas dont le parti "vient de se ranger dans le camp des belligérants".

 

12. Israël-Palestiniens JÉRUSALEM

 

- Israël refuse de procéder à un nouveau redéploiement de ses troupes en Cisjordanie le 7 septembre comme l'exige l'Autorité palestinienne, a indiqué samedi un porte-parole officiel israélien. "Il n'est pas question de procéder au moindre retrait tant que l'Autorité palestinienne se refuse à mener la guerre contre les organisations terroristes dans les territoires sous contrôle", a-t-il déclaré.

 

13. Sénégal-Casamance DAKAR

 

- Cinq personnes ont été tuées et dix autres blessées samedi après-midi en Casamance, dans le sud du Sénégal, après que le véhicule qui les transportait eut explosé en passant sur une mine.

 

14. RDCongo-ONU KINSHASA

 

- Près de 5 000 manifestants ont protesté samedi à Kinshasa (RD Congo) contre la mission d'enquête des Nations unies chargée de faire la lumière sur les massacres présumés des réfugiés rwandais dans l'est de la RDC (ex-Zaïre). Les manifestants ont dénoncé l'absence de neutralité de la mission d'enquête des Nations Unies qui est arrivée dimanche à Kinshasa.

 

15. Rwanda-violence KIGALI

 

- 108 représentants de l’État rwandais et 10 fonctionnaires de justice ont été tués au cours de différentes attaques, entre janvier 1996 et juin 1997, attribuées aux extrémistes hutus, selon un rapport de la Mission des Nations unies pour les droits de l'Homme au Rwanda (HRFOR).

 

16. Cambodge-Sihanouk SIEM REAP (Cambodge)

 

- Le roi Norodom Sihanouk a réclamé dimanche la fin des hostilités au Cambodge entre les parties en conflit armé et a appelé à une négociation de paix qu'il pourrait "arbitrer".

 


 

© AFP, 31 août 1997

 

 

II. De l'école à la société : vers une citoyenneté responsable

 

Respect de soi

- Sens de la vérité, de l'honnêteté, du courage.

- Sens de la justice.

- Sens de l'effort et du travail bien fait, ordonné et réfléchi.

Respect de l'autre

- Sens de la dignité de la personne humaine, respect de l'intégrité physique.

- Respect de la liberté de conscience.

- Respect des règles de politesse.

- Accueil et respect des personnes malades et handicapées.

Le devoir de responsabilité

- Sens du débat démocratique : écoute et respect de la parole de l'autre.

- Sens du travail en équipe.

- Sens de la responsabilité personnelle et collective face aux problèmes liés :

* aux droits de l'homme et aux atteintes qu'ils subissent (en particulier, discrimination et violence),

* à l'environnement et aux atteintes qu'on lui porte,

* aux ressources individuelles, collectives et sociales et à leur caractère limité,

* à la santé et à la protection qu'on lui doit.

La vie civique dans la société

- Dignité et droits de la personne humaine

* la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (1789)

- Les institutions de la République

* la République, ses symboles et sa devise ;

* le président de la République ; son élection au suffrage universel ;

* les parlementaires ; l'élaboration et le rôle de la loi ;

* la justice ;

* les élus locaux, en particulier le maire de la commune ;

* un exemple de service public.

- La vie démocratique

* la protection des personnes et leur sécurité : la police, la gendarmerie, les pompiers ;

* la protection sociale et la solidarité ;

* la sécurité routière ; la sécurité domestique ;

* la protection du patrimoine commun naturel et culturel ;

* la liberté d'expression et d'information (les médias, la publicité...)

 

Programmes de l'école primaire, 1995, cycle des approfondissements, pp. 71-72)

 

 

III. Suggestions pour une exploitation

 

* on pourra faire repérer, sur une mappemonde, les pays auxquels il est fait allusion ; et en faire tirer la conclusion que ces dépêches ne renvoient qu'à une petite fraction de notre terre...

* on expliquera la différence entre le GMT, et l'heure locale.

* Downing Street : notre Hôtel Matignon

* les variations de l'information : vive allure, ou très vive allure ? La vitesse est-elle règlementée, en un pareil endroit ?

* on s'interrogera sur le style habituel des dépêches de presse :

- à l'aube, on indiquait... Qui ?

- des tirs ont été entendus... Par qui ?

- des attaques attribuées (Par qui ?) aux extrémistes...

 

* le relevé des occurrences de deux champs lexicaux, "paix vs violence". Malheureusement, la première colonne sera tôt remplie (tolérance et dialogue, processus de paix, oeuvre de médiation, la fin des hostilités, une négociation de paix, un arbitrage)...

 

* travail sur la paronymie : incident/accident ; médiation/méditation.

 

* sens et construction des verbes :

- trouver (la mort, etc.)

- replier (le personnel, etc.)

- appeler (quelqu'un, à une négociation, de ses voeux, etc.)

* on pourra enfin lire ou relire la leçon "Mon Papy est mort" (Enrichissement du vocabulaire, pp. 175-186), texte pudique et plus profond qu'il n'y paraît, et faire pratiquer un certain nombre des travaux qui y sont suggérés.

 

 

IV. Septembre 1998 : pour en finir avec Lady Di

 

Pour en finir avec la prétendue "princesse du peuple", il nous paraît adéquat de donner ici (à l'attention des adultes !) un article publié dans Le Monde début septembre (vendredi 4) :

 

Le premier anniversaire de la mort de Diana a été un flop dans l'opinion mondiale. Il y avait davantage de reporters que de public au-dessus du tunnel de l'Alma, à l'heure nocturne et précise où la princesse s'est tuée avec son chauffeur saoul et son amant égyptien. Les médias ont dûment noté cette baisse de tension dans le culte dianesque, avec un brin de tristesse en ce qui concerne la presse populaire, et comme un reproche muet adressé à chacun de ses lecteurs pour avoir ainsi délaissé la "princesse des cœurs", voire la "princesse du peuple", selon l'expression forte et niaise utilisée l'an dernier par le premier ministre britannique Tony Blair, une des grandes voix, avec celles d'Elton John et à un moindre degré de Bill Clinton, de cette étonnante dévotion moderne.

On comprend la tristesse des tabloïds. Il n'est jamais agréable de perdre un fonds de commerce, qui paraissait inépuisable et qui se révèle moins fructueux que prévu. Mais les lois du genre sont immuables : une autre princesse orientale à scandale, dans la tradition Soraya, une nouvelle Évita, une mère Teresa un peu plus déjantée, un abbé Pierre plus fringant et moins négationniste, un jeune premier tout frais émoulu de Hollywood remplaceront fatalement, dans l'imaginaire collectif, la grande jeune femme blonde morte il y a un an dans un hôpital parisien. La famille Grimaldi, de toute façon, reste un placement sûr.

Aucun souci à se faire non plus, pour l'instant au moins, en ce qui concerne Leonardo DiCaprio. Les épouses et petites amies, réelles ou putatives, des joueurs de la première équipe française championne du monde de football n'ont-elles pas opéré cet été une entrée remarquée, et nécessairement durable puisque le trophée est valable quatre ans, dans l'univers "glamour" sur papier glacé des magazines et revues "people" ?

Le phénomène Diana relevait de cet univers, et non pas de l'histoire sainte racontée aux enfants.

Un photographe britannique spécialisé dans la couverture de la famille royale racontait à qui voulait l'entendre, il y a dix ans, une anecdote révélatrice. Lors d'une cérémonie officielle, Diana, apercevant ce confrère qu'elle connaissait bien et appréciait au milieu de la "horde" des photographes de presse (ce mot a une connotation péjorative, mais il tente de traduire, rongeur en moins, l'expression anglaise courante rat-pack) avait imperceptiblement relevé le haut de sa mini-jupe à son intention avec un clin d’œil complice, afin que son cliché soit le plus réussi et le plus sexy de tous. Au même moment, son mari dénonçait l'intrusion de la presse dans la vie privée de sa famille, et Diana faisait chorus.

Diana, n'en déplaise aux hagiographes, était tout sauf une sainte. Elle était menteuse, infidèle, instable, ignorante, manipulatrice et vaniteuse. Elle était aussi très belle et très émouvante. Mais surtout, et c'est ce qui a plu à des centaines de millions de nos compatriotes du cyberespace et du village planétaire cher à Mac Luhan, elle était une révoltée, une éternelle adolescente en baskets, le baladeur scotché aux oreilles, qui faisait le désespoir de sa belle-mère, de son mari, et de la maîtresse attitrée de ce dernier. Elle n'a pas accepté les compromis qui allaient de soi à une autre époque, pas si lointaine, puisqu'il s'agit du début du siècle. Sait-on que la reine Alexandra, épouse d'Edward VII, eut soin d'avertir la dernière maîtresse quasi officielle de son coureur de mari pour que cette dernière lui rende une dernière visite en 1910, alors qu'il était déjà aux portes de l'agonie ?

Diana refusa ce rôle raisonnable vers lequel le personnel de cour, qui connaît ses classiques, la poussait insidieusement et que la reine Elizabeth, moins prude qu'il n'y paraît, l'avait vivement incitée à accepter. Diana a fait un pied de nez à la monarchie britannique, qui n'est pas aussi solide qu'on le croit, puisqu'elle a vacillé sur son socle du seul fait de cette insolence. Bref, elle s'est moquée du vieil et solennel establishment anglais. Et ce faisant, elle a conquis le coeur de millions de gens. Ce n'est pas Diana démineuse ou visiteuse d'orphelins qui est devenue mondialement populaire, mais une très belle adolescente prolongée, révoltée contre son mari et sa famille.

 

 

Jeunesse et look rebelle

 

Le culte de Diana, qui comporte certes de nombreuses tendances et chapelles, ne s'expliquerait pas sans cette révolte adolescente, mélange d'irresponsabilité et de provocation. Diana, c'était un peu mai 68 à Buckingham Palace, avec de jolies jambes et un merveilleux sourire un peu triste en plus. La jeunesse et le look rebelle font, comme on sait, merveille en publicité.

Diana a donc été remplacée par d'autres idoles. Ce marché de l'imaginaire est soumis à un turn-over impitoyable. Mais la déconfiture du culte dianesque amène à poser une question de fond. Que cherchons-nous lorsque nous nous jetons avidement sur Paris-Match ou Gala, et plus généralement sur les pages dites "people" des journaux ? Aux États-Unis, le magazine qui s'appelle précisément et tout simplement People, fort de ses textes ironiques et subtils plus que de ses photos, connaît un immense succès. Notre œil est-il si différent lorsque nous lisons les rubriques "people" des journaux et celles, traditionnellement jugées plus nobles, de politique générale ou d'économie ?

 

 

Le spectacle du monde

 

N'y a-t-il pas un plaisir, qui ne relève pas seulement de la curiosité intellectuelle désintéressée, à jauger la responsabilité de Roland Dumas au prix de ses bottines achetées chez Berluti ? Le caractère altier de Mme Tiberi et son goût discutable pour les redécorations d'appartements HLM occupés par sa famille est-il sans rapport avec l'intérêt que nous portons aux déboires politiques du maire de Paris ? La liste pourrait s'allonger indéfiniment. La vie des gens, leur existence privée et ce qu'elle cache, ce "misérable tas de petits secrets", selon la formule de Malraux, fascine tant et plus que leur action publique. Nous prenons un plaisir très vif, pas nécessairement recommandable, si l'occasion nous en est donnée par les médias d'apercevoir sans risque la vie intime, d'ordinaire cachée, des personnalités en tout genre. Cela nous distrait de nos préoccupations habituelles.

"L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là. Sans divertissement, il n'y a point de joie ; avec le divertissement, il n'y a point de tristesse. Et c'est aussi ce qui forme le bonheur des hommes de grande condition, qu'ils ont un nombre de personnes qui les divertissent et qu'ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état." Cette remarque de Pascal s'applique admirablement à notre usage des médias. Quoi de plus distrayant, en effet, que de se pencher sur les joies, les malheurs ou les turpitudes des vedettes de cinéma, des princesses, des hommes politiques corrompus ou réputés tels ? "La lecture du journal est la prière de l'homme moderne", disait jadis Hegel. Elle est aussi et surtout une forme de divertissement. En tant que lecteurs des journaux, et plus encore en tant que téléspectateurs, nous avons le pouvoir de nous maintenir en état d'être divertis, à chaque instant, par le spectacle du monde. Diana un jour, une inondation en Chine le lendemain, l'émotion d'Alain Juppé mis en examen et s'expliquant au journal télévisé le jour suivant. Nous sommes des rois, qui ont les moyens d'être divertis, et qui ne demandent qu'à l'être.

 

© Dominique Dhombres, "Diana, ou le besoin de divertissement"