La neige tombe

Et le ciel gris

Sur ma tête où le toit est pris

La nuit

Où ira l'ombre qui me suit

À qui est-elle

Une étoile ou une hirondelle

Au coin de la fenêtre

La lune

Et une femme brune

C'est là

Quelqu'un passe et ne me voit pas

Je regarde tourner la grille

Et le feu presque éteint qui brille

Pour moi seul

Mais là où je m'en vais il fait un froid mortel.

 

© Pierre Reverdy (1889-1959), Poème, extrait de Sources du vent, 1929 (recueil composé à Solesmes).

 

 

 

Complément : portrait de Pierre Reverdy par Jean Follain

 

Un écho paru dans Le Figaro du 12 décembre 1966, à l'occasion d'une réception au Palais de Justice, annonce : "Le poète-magistrat, Jean Follain, nous fait part de son projet de publier en prose une série de portraits suggérés par le seul comportement des modèles, sans interprétation personnelle de l'auteur"…

 

Je rencontrai Reverdy à Solesmes dans une maison de campagne sévère. Sauf une brève salutation à mon arrivée et à mon départ, la femme à bandeaux noirs qui cousait à ses côtés ne me dit mot. Dans la vaste pièce à gros meubles, à murs chaulés, je crois me souvenir de quelques cuivres, étains, tableaux et du battement d'une pendule.

Reverdy m'explique qu'il ne va plus à l'église depuis qu'il a entendu le curé de la paroisse, moine bénédictin de l'abbaye, prêcher sur la prétendue inconvenance des modes féminines avec un conformisme sinistre. Au milieu de ce sermon, il quitta à jamais son banc. "Je cherchais Dieu, m'a-t-il dit, et j'ai trouvé la religion". Sa femme continue à pratiquer.

Dans une auberge du bourg, nous allons boire tous les deux un vin blanc sec et limpide comme l'été de cette année-là. C'est encore la guerre pourtant.

Je rencontrai aussi par un jour d'hiver Reverdy à Paris, à la Brasserie Mazarin, sur les grands boulevards. Cet établissement gardait ses dorures de mil neuf cent. Un portrait en pied du Cardinal Mazarin l'ornait. Aux tables siégeaient des femmes tristes, très fardées et empanachées, qui contribuaient au silence de ce vieux lieu à banquettes en peluche rouge, à garçons blêmes porteurs de rondin.

Les poèmes de Pierre Reverdy disposent des entrées obscures ou claires, du rayon de soleil sur les toits et les tables, du tremblement de la vie sous le cours des astres. On y rencontre des chemins de traverse ou de terre menant à un unique champ, des barrières ou remparts à l'aube, dans les journées, au soir plus ou moins pacifié.

La poésie de Reverdy s'entoure d'une grande marge de silence. À tout moment, le temps s'y joint à l'espace. Dans un certain sens, elle manque de séduction tout en se dessinant sur un fond d'inquiétude et parfois de peur.

Reverdy nous a dit qu'arrivé à Paris en 1910, les artistes qu'alors il connut le dégoûtèrent de l'art et qu'il lui fut, à cette époque, tout à fait impossible de lire un poète.

Il reste pourtant un des hommes qui auront le mieux parlé de la poésie avec un pathétique clairvoyant : "Le poète, écrit-il, est par-dessus tout esclave de la valeur du signe. II pense en pièces détachées, idées séparées, images formées par contiguïté. Le prosateur s'exprime en développant une succession d'idées qui sont déjà en lui et que, logiquement, il déroule. Le poète juxtapose et rêve dans les meilleurs cas les différentes parties d'une œuvre dont le principal mérite est précisément de ne pas présenter de raison trop apparente d'être ainsi rapprochées". 

C'est aussi lui qui a prononcé : "Ce qui importe en art et en morale, c'est de se poser des questions et de les résoudre soi-même". Ce qu'il ne cessa de faire.

Peut-être demeurait-il en Reverdy un sourd regret de n'avoir pas été prosateur ; son essai de roman, La Peau de l'Homme, est un texte qui semble sortir d'un poème.

La poésie lui demeurait besogne lente, tâtonnante, mais toujours essentielle. Il affirme : "Le poète secrète son œuvre comme le coquillage la matière calcaire de ses valves et comme lui pour n'en peut plus sortir, elle est devenue sa prison autant que son bouclier".

Et encore : "Il manque au poète le don d'ubiquité. Le romancier se dédouble, il est dans tous ses personnages. Le poète n'a qu'un seul personnage, lui-même, foyer de l'univers".

Et Reverdy d'ajouter : "Il y a de quoi s'ennuyer dans la vie".

Façon d'ironiser certes, mais qui veut peut-être aussi exprimer, au plus profond de soi, les temps d'une sourde élaboration avant la montée de la plus belle création.

 

[© Jean Follain, in Les uns et les autres, Rougerie, Ouvrage publié (septembre 1981) avec le concours du Centre National des Lettres]