La plus belle chose, c'est d'être éternellement parfait, comme Dieu ; mais la plus belle après celle-la, c'est de se perfectionner sans cesse, et tel est le devoir de l'homme.

 

Le lendemain, le temps était froid et pluvieux ; il fut impossible de prendre la leçon dans la cour. Les trois écoliers se réunirent dans la salle d'étude. M. Edmond se promenait de long en large en les interrogeant, pour les habituer à trouver les choses par eux-mêmes. Il commença par Aimée.
- Petite Aimée, lui dit-il, vous qui voulez savoir d'où viennent le mal et la souffrance, écoutez une comparaison. Quand une mère voit que son enfant est capable de marcher seul, elle se place à quelque distance de lui, et que fait-elle ?
Aimée. - Elle lui tend les bras, elle lui sourit.
M. Edmond. - Oui, mais elle veut qu'il marche et fasse quelques pas vers elle. L'enfant pleure parfois sans oser avancer, mais comme il est heureux lorsqu'il a pu marcher et que, séparé de sa mère par une distance de quelques pas, il a réussi à la franchir pour se jeter sur le sein de celle qu'il aime ! Eh bien, nous sommes tous comme l'enfant. Dieu veut que nous apprenions à marcher seuls dans le chemin de la vie, dans la voie du progrès, à nous rapprocher de la perfection par le travail et la vertu. Pour cela, il faut que quelque chose nous avertisse de notre imperfection et nous empêche de nous y complaire : c'est la douleur.
La première utilité de la souffrance, vous vous le rappelez, c'était d'éveiller en nous l'amour du prochain et le désir de travailler au bonheur d'autrui ; la seconde, c'est de nous exciter à nous perfectionner nous-mêmes, c'est de nous faire travailler à notre propre bonheur.
La souffrance nous fait apercevoir toutes nos imperfections et tous nos besoins. Par exemple, Francinet, qu'est-ce qui nous avertit plusieurs fois par jour qu'il est temps de réparer nos forces ?
- La souffrance, la faim.
- Si des occupations trop nombreuses, ou la paresse, ou le manque de nourriture, empêchent l'homme de prendre ses repas habituels, voyez comme la faim, légère d'abord, se fait bien vite impérieuse. Il n'y a plus moyen de lui résister ; il faut manger, il faut vivre. Si l'homme ne souffrait pas ainsi quand il oublie de manger, il l'oublierait sans cesse, et il mourrait. Grâce à la souffrance, nous pouvons être tranquilles, il n'oubliera pas.
- Oh ! monsieur, dit Henri, c'est bien singulier ! Vous nous dites là des choses au milieu desquelles nous vivons, et cependant je ne les avais jamais observées. Comme je suis étourdi !
- Moi aussi, dit Aimée ; car je ne m'étais jamais avisée de songer à cela.
- Et moi encore bien moins ! dit Francinet. M. Edmond sourit, et continua.
- Vous aviez faim et vous souffriez ; mais vous mangez, et un bien-être se fait sentir aussitôt. En même temps, le fruit porté à vos lèvres vous cause un plaisir. Vous songerez peut-être alors, Francinet, à prolonger ce plaisir et à manger sans besoin ; ne craignez rien : la souffrance veille ; elle accourt de nouveau, elle vous enseignera la modération. Vous avez trop mangé parce qu'il était agréable de manger ; mais la nourriture prise sans besoin fatiguerait votre estomac et compromettrait votre existence : votre estomac la refuse, et vous voilà en proie aux souffrances de l'indigestion.
Vous voyez, mes enfants, le rôle salutaire de la souffrance auprès de l'homme. Elle l'instruit, le presse, le modère, éveille sa raison et sa volonté. Remarquez-le bien, mes enfants, la souffrance ne nous avertit pas seulement des besoins de notre corps, mais aussi des besoins de notre âme. Ainsi l'âme a besoin de connaître et de s'instruire, elle a soif de vérité ; eh bien, vous souffrez en présence de l'inconnu, et toute chose nouvelle que vous apprenez vous est agréable. Avons-nous fait quelque action mauvaise ? La souffrance nous en avertit et nous la fait expier ; c'est ce qu'on appelle le remords. Souvent aussi la souffrance est une épreuve ; elle est la condition du mérite, de la vertu. En un mot, c'est le pressant aiguillon qui nous excite au progrès.
Je vous remercie, monsieur, dit Aimée. Plus vous parlez, plus je vois combien j'étais ignorante, et ma pauvre petite intelligence réussissait mal à m'expliquer ce que je désirais savoir.
- Étudions donc, mes amis ; car plus nous nous instruirons, et plus nous serons portés à admirer les plans simples et féconds de la Providence.