On double un plaisir en le partageant.

 

Le lendemain Aimée, à l'heure de son déjeuner, qui était aussi l'heure de sa récréation, vint faire une visite à la cave de Francinet.

Elle tenait d'une main une grande tartine de confitures ; de l'autre, le livre où elle devait apprendre sa leçon après déjeuner.

- Bonjour, mademoiselle Aimée, s'écria Francinet tout joyeux de la revoir.

- Bonjour, Francinet, répondit-elle avec une vivacité espiègle. Je viens te demander de me faire un plaisir ; veux-tu me l'accorder sans savoir ce que c'est ?.

- Eh bien, répondit-elle en tendant sa longue tartine, partageons !

Le petit garçon, surpris de la proposition, était un peu honteux ; sa fierté souffrait. Mais la bonne petite Aimée, qui devinait que Francinet était susceptible et ne voulait pas se laisser nourrir comme un mendiant, reprit aussitôt :

- Allons, allons, Francinet ! tu vois bien que c'est en signe de bonne amitié et de réconciliation ; ne me refuse pas. D'ailleurs, ajouta-t-elle malignement, j'ai ta promesse, tu ne peux plus te dédire.

Francinet ne se fit pas prier plus longtemps. Il prit un bout de la tartine tandis qu'Aimée tirait sur l'autre ; et l'espiègle petite s'arrangea de si belle sorte que la part la plus grosse resta aux mains de Francinet.

Si le petit garçon s'était fait prier pour accepter, nous devons dire qu'il n'en mangea pas moins d'un fort grand appétit. C'était la première fois de sa vie qu'il goûtait aux confitures, et cette tartine lui parut un régal de prince.

Aimée, de son côté, croquait la sienne à belles dents, et Phanor, qui s'était couché aux pieds des deux enfants, les regardait foire avec beaucoup de calme ; car, à la grande surprise, de Francinet, Phanor n'aimait pas les confitures.

Tout en mangeant, Francinet n'interrompait pas pour cela son travail. Il tenait d'une main sa tartine, et de l'autre tournait son moulin ; en même temps, la conversation marchait son train.

- C'est quelque chose de très bon que les confitures, disait Francinet.

- C'est délicieux ! reprenait Aimée. Cela fait qu'on peut manger des fruits en tout temps.

Ici, il y eut une pause pendant laquelle les deux enfants avalèrent chacun une nouvelle bouchée. Puis Francinet reprit, changeant le sujet de la conversation :

- Je vous vois toujours un livre à la main, mademoiselle Aimée, vous avez donc bien des leçons à apprendre ?

- J'en ai deux le matin et deux le soir.

- Cela doit être bien ennuyeux !

- Quelquefois, car il y a des leçons difficiles à retenir ; mais alors je prends un grand courage et je m'en tire tout de même.

- Hélas ! mon Dieu, pourquoi donc votre grand-père, qui vous aime tant, vous fait-il travailler, vous qui êtes si riche et qui pourriez être si heureuse en vivant sans rien faire ?

- Voilà justement ce que j'ai dit une fois à mon grand-père, Francinet, et il m'a fait comprendre que je me trompais.

- Je voudrais bien savoir comment ?

- Oh ! cela n'est pas difficile ; écoute, tu vas comprendre aussi.