La plus belle victoire, c'est d'attirer à soi tous les cœurs.

 

- À quoi penses-tu, fillette ? fit le grand-père, caressant la joue de l'enfant.

- Je regarde le blé, dit-elle.

Et elle rougit, baissant la tête, n'osant dire ce qui la préoccupait.

M. Clertan le devinait sans doute : les parents lisent si facilement dans l'âme de leurs enfants ! Il reprit :

- Te rappelles-tu, petite fille, pourquoi j'ai voulu que tu eusses le nom d'Aimée ?

L'enfant releva la tête, et fixant ses grands yeux bleus sur ceux du vieillard, elle répondit en soupirant :

- Oui, grand-père. Votre plus cher désir, c'était que je fusse aimée de tous, et vous m'avez donne le nom d'Aimée pour me le rappeler sans cesse.

Mais pourtant, grand-père, reprit Aimée après un instant de silence, il ne suffit pas de vouloir être aimée de tous pour y arriver. Si l'on me déteste sans que je le mérite, qu'est-ce que je puis y faire ?

Le grand-père prit l'enfant dans ses bras, et l'assit sur ses genoux :

- Petite fille, lui dit-il gravement, croyez-vous donc que la victoire la plus noble, celle qui consiste à attirer à soi l'amour de ses semblables, puisse s'obtenir sans effort ? S'il en était ainsi, fillette, je me soucierais moins du beau nom que vous portez. Aimée, petite Aimée, on n'obtient rien ici-bas sans effort, sans lutte, sans courage ! Le soldat n'hésite pas à donner sa, vie pour conquérir le nom de brave ; et tu voudrais, mon enfant, que les plus difficiles victoires, les victoires du cœur, ne coûtassent rien à gagner ?

Écoute bien, petite fille, continua M. Clertan, et souviens-toi. Les cœurs humains, et parfois les plus fiers, résistent à la puissance, à la force, à l'intelligence, souvent à la grâce et à la beauté ; mais il n'en est pas, même parmi les plus mauvais, que ne sache vaincre l'irrésistible douceur, l'héroïque charité, la noblesse d'une âme aimante. Aie donc un grand cœur, mon enfant, et tu attireras à toi ceux mêmes qui te haïssent.

Aimée jeta ses bras au cou de son grand-père, elle cacha, sa petite tête sur le sein du vieillard, et lui dit entre deux baisers :

- Je tâcherai, mon grand-père !