Vieil article publié aux temps lointains, et heureusement révolus, de la vilaine droite au pouvoir - en fait, du septennat Giscard. Entre partenaires, on peut se parler, non ? Procéder à une "confrontation positive", comme l'écrivent les auteurs...
Gageons que la réponse du principal interpellé a dû être, comme d'habitude, cause toujours... Et c'est dommage. Car les problèmes demeurent

 

 

L'école, c'est l'affaire de tous : cette affirmation en forme de slogan que la C.F.D.T. met en avant rencontre souvent un acquiescement poli ou chaleureux. Quel mouvement, quelle force sociale ne parle de la nécessaire ouverture de l'école sur la vie ? Cela veut-il dire que le mur de l'école s'écroule, que l'enjeu de société qu'elle représente permet que tous, et en particulier les travailleurs, puissent y intervenir ? La réalité est tout autre, et il faudra encore bien des coups de pioche pour abattre la cloison, tant sont nombreux les obstacles qui se dressent sur la route de la participation concrète des travailleurs dans le système de formation des jeunes :

Le gouvernement, qui les ignore. Il est symptomatique que le ministre de l'éducation ait délibérément écarté les confédérations syndicales ouvrières des négociations au cours desquelles se sont décidées de nouvelles formes de contacts avec l'entreprise (sous forme de séquences éducatives de trois semaines trois fois dans l'année) pour les élèves des lycées d'enseignement professionnel (Lep), discutant de ces propositions uniquement avec la F.E.N. et le C.N.P.F. ; cette attitude de mise à l'écart des travailleurs, au moment même où le ministre déclare vouloir ouvrir l'école à la vie de l'entreprise, quel paradoxe !

Le patronat, qui les considère comme des gêneurs en matière d'apprentissage, par exemple, où les représentants patronaux cherchent à grignoter progressivement les pauvres moyens de contrôle par lesquels les travailleurs peuvent intervenir : l'agrément des maîtres d'apprentissage, le contrôle de leur formation sur le terrain, la reconnaissance que les apprentis sont des travailleurs (et devraient donc être comptabilisés dans les effectifs de l'entreprise pour ouvrir le droit à des délégués du personnel ou à des comités d'entreprise). Ou bien encore la difficulté rencontrée dans de nombreux comités d'entreprise pour imposer aux employeurs la discussion sur les jeunes qui poursuivent leur formation au travers de contrats emploi-formation ou de stages pratiques en entreprise (pour lesquels une formation est théoriquement prévue, le plus souvent non réalisée).

Les mass media, qui jugent leur intervention sur l'école comme secondaire ; il y a quelques semaines, au Conseil supérieur de l'éducation nationale, s'est discuté un projet de décret modifiant le système des vacances scolaires, qui a donné lieu à de vives discussions ; de quoi ont parlé, presse, télé, radios ? Des réactions des enseignants et de celles des parents d'élèves. Des organisations de travailleurs étaient à cette réunion, elles ont fait connaître leur position. Personne n'en a soufflé mot : ce silence est significatif.

Les enseignants eux-mêmes, qui auraient souvent tendance à prendre les travailleurs comme force d'appoint plus que comme un partenaire dans le dialogue sur l'école : tant qu'il s'agit d'aider à lutter pour l'ouverture ou le dédoublement de classes, pour le remplacement des enseignants malades, l'amélioration des équipements, le renouvellement du matériel, ils sont toujours bienvenus. Mais qu'ils se prennent à réfléchir sur la vie de l'école (les horaires, la discipline, les méthodes pédagogiques...), se développe alors une attitude entraînant souvent les parents-travailleurs à la passivité ou à l'agressivité à l'égard des enseignants ; ainsi, il n'y a pas souvent de confrontation positive, ni de ce fait acceptation des contradictions.

Et pourtant, le syndicalisme se doit de ne pas se confiner aux seuls problèmes de l'entreprise ; il est de son rôle de s'exprimer sur les problèmes de notre société. Qui oserait dire que l'école n'est pas de ceux-là ? L'intervention spécifique des travailleurs sur l'école n'est pas un anachronisme. L'éducation concerne le syndicalisme ouvrier ; les liens entre qualification, conditions de travail, salaires et la formation reçue sont évidents. Pour la CFDT, l'auto-gestion, c'est également la diffusion du savoir ; le système éducatif occupe donc une place centrale. Plus spécifiquement, qu'il s'agisse de stages d'enseignants, d'élèves en entreprises, de discuter de l'implantation des établissements scolaires, du nombre de classes, des rythmes de travail à l'école... La C.F.D.T. considère qu'il s'agit d'axes qui permettent aux travailleurs d'agir à partir de situations concrètes. Deux conséquences au moins pour nous à tirer de cette volonté :

Nous n'avons sans doute pas encore assez mesuré notre responsabilité comme représentants des travailleurs en matière d'éducation ; la manière dont les jeunes, aujourd'hui, demain, seront prêts à se battre pour changer la vie dépend, en partie, de la capacité que nous avons de leur proposer un système d'éducation qui leur permette concrètement d'apprendre, de penser, de vivre autrement qu'en fidèles reproducteurs de la société capitaliste !

Reconnaître nos différences d'approche avec nos camarades enseignants, ce n'est pas une faiblesse mais à l'inverse une nécessité pour un travail commun de rénovation profonde de notre système public d'éducation, auquel nous tenons, suffisamment même pour savoir le critiquer. Toute faiblesse en ce domaine, c'est, en fait, permettre à la stratégie patronale de se développer face à un monde enseignant qui pourrait avoir tendance à se recroqueviller . Dans cette confrontation, parfois difficile, toujours fondamentale, le fait de se retrouver enseignant et travailleur, dans une même confédération syndicale, n'est pas un mince atout.

Décidément, l'école est bien un enjeu de société et nous sommes, tous ensemble, pour la changer, au pied du mur.

 

Georges Bégot et Dominique Schalchi, secrétaire national chargé des problèmes d'éducation et secrétaire confédéral au secteur éducation permanente de la C.F.D.T. in Le Monde du 28 février 1980, p. 18.

 


 

 

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