Au-delà de tous les commentaires auxquels donne lieu le premier anniversaire de la mort de l'ancien président François Mitterrand, on peut à bon droit se demander si nous ne sommes pas rentrés paradoxalement dans l'ère des contre-vérités et des fragments de vérité, l'impression laissée étant celle de la constitution médiatique d'une attristante république des mensonges.

 

François Mitterrand semble aujourd'hui répondre à la fois à la définition de l'écrivain Jacques Laurent : "Un homme prestigieux a le droit de mentir, il n'a pas le droit d'être vaincu" ; à l'affirmation presque proverbiale du Jacques le Fataliste de Diderot soulignant que "le grand homme n'est pas celui qui fait vrai mais celui qui sait le mieux concilier le mensonge avec la vérité" ; enfin à la finesse du philosophe Vladimir Jankélévitch, écrivant du "professeur de confusion" qu"il n'est pas si confus qu'il veut bien le dire puisqu'il garde la tête assez lucide pour professer l'équivoque".

L'ancien président nous semble être l'incarnation de ces trois qualifications : les mensonges d'État comme les demi-vérités n'étant l'œuvre que d'un "ambiguïste machiavélique" qui semble paradoxalement être le studieux et appliqué lecteur de Saint Augustin comme de Montaigne.

François Mitterrand a peut-être médité, pour mieux se l'approprier, ce passage de Saint Augustin dans son Traité Contre les mensonges : "Cacher la vérité n'est pas la même chose que dire un mensonge. Tout menteur écrit pour cacher la vérité, mais tous ceux qui cachent la vérité ne sont pas des menteurs ; car nous dissimulons souvent la vérité, non seulement en mentant mais en gardant le silence..."

À moins que Montaigne, dont il tenait les Essais entre les mains, pour la photographie officielle des trente-six mille mairies de France, ne lui ait soufflé, mieux que le héros de la Conjuration de Fiesque du Cardinal de Retz, la... morale de l'histoire : "Si, comme la vérité, le mensonge n'avait qu'un visage, nous serions en meilleurs termes. Car nous prendrions pour certain l'opposé de ce que dirait le menteur. Mais le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indéfini".

 

 

© S. B., lecteur du Monde, 11 I 1997

 


 

 

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