[On peut penser ce que l'on veut du capitaine Barril, qui dans l'inconscient collectif apparaît comme un personnage éminemment sulfureux. Oui mais, justement, la vox populi est de nos jours forgée de toutes pièces par une armée de "communicants" au service des puissants. Aussi, quoi de mieux à faire que d'écouter - à propos d'un seul dossier - l'ancien gendarme, qui a beaucoup à dire en effet, et qui en sort des vertes, et des pas mûres...]

 

 

Vingt ans d'instruction dans l'affaire des Irlandais de Vincennes, c'est bien long si l'on songe que la théorie du montage a été parfaitement établie par Le Monde et son investigateur vedette, Edwy Plenel. Un exploit qui n'est d'ailleurs pas totalement étranger au fait que ce dernier occupe aujourd'hui le fauteuil convoité de directeur de la rédaction du prestigieux quotidien.

À l'origine du bras de fer que le quotidien du soir a engagé contre moi, les circonstances tout à fait extraordinaires qui m'ont vu perdre l'action en diffamation que j'avais, bien imprudemment, engagée contre Plenel. C'était une grosse erreur. On ne peut pas gagner contre Le Monde.

Ne faisant, à l'époque, l'objet d'aucune poursuite judiciaire, n'ayant même jamais été entendu comme simple témoin par aucune juridiction dans le cadre de cette affaire, les tribunaux se trouvaient confrontés à une lourde responsabilité. En effet, la cour d'appel souligne que les imputations portées contre moi par Le Monde constituent, je cite, "une accusation d'une exceptionnelle gravité", de nature à me "discréditer (...) et à ruiner définitivement [ma] réputation, tant au plan professionnel qu'au plan personnel". Ce n'est pas rien ! Il faut savoir qu'en matière de diffamation, les critères imposés par la loi pour prouver la vérité des faits sont particulièrement contraignants. L'offre de preuve doit être "parfaite", "absolue" et "complète". Or, ce n'est que sur la base d'une simple enquête journalistique appuyée par l'unique témoignage d'un indicateur, terroriste repenti, qu'au terme de trois années d'introspection la cour d'appel a pris la décision de "ruiner définitivement ma réputation".

Il arrive parfois que l'on perde un procès parce qu'on est mal défendu. Je m'empresse de dire que ce n'était pas le cas. Avec Hélène Clamagirand, Joséphine Trang, Patrick Rizzo et Jacques Vergès, j'avais rassemblé autour de moi une véritable "task force", dont la somme des compétences ne venait, paradoxalement, que souligner davantage ma déconfiture.

 

 

Entre ce procès perdu et ma convocation au printemps à Versailles, il s'écoule presque dix années au cours desquelles la justice va instruire la plainte qu'a déposée l'avocat des Irlandais en 1993. Nous savons que la justice n'est pas toujours rapide, mais dans ce cas, l'essentiel du travail est fait et les "preuves" de ma culpabilité entre les mains de la cour d'appel, de la Cour de cassation et bien entendu dans la collection du Monde. Faut-il en conclure que ce n'était pas suffisant ? Au risque de me répéter, mais c'est, je crois, essentiel, le juge va donc entendre plus de 100 témoins et son dossier compte aujourd'hui 15 volumes et 10 000 pages. Anecdote qui va d'ailleurs me coûter la bagatelle de plusieurs dizaines de milliers de francs rien qu'en frais de photocopies pour obtenir un exemplaire du dossier dans lequel je suis accusé ! C'est un détail qui n'en est pas un au regard du nombre de procédures dans lesquelles j'ai ainsi été amené, pour assurer correctement ma défense, à obtenir copie. Avant même de parler de "défense", il faut en effet, dans ce pays, payer pour être informé de manière précise de ce dont on vous accuse. Les grosses affaires pesant souvent plusieurs milliers de cotes et votre avocat ne pouvant pas décemment camper en permanence dans le couloir du juge d'instruction, la facture s'élève rapidement à plusieurs dizaines de milliers de francs.

Cette difficulté, la presse l'ignore. Par magie, elle réceptionne, quasiment en temps réel, les procédures. Avant même que l'encre n'en soit sèche. Je ne vais pas pleurnicher sur les violations du secret de l'instruction. Il faut savoir vivre avec son époque. En revanche, je m'insurge contre le fait d'être soumis à un interrogatoire sans avoir pu, au préalable, prendre connaissance d'un dossier dont les pièces savoureuses ont déjà été distribuées à certains journalistes. Ce qui est choquant, ce n'est pas la violation du secret de l'instruction, qui correspond au désir légitime de la presse de révéler une information, c'est l'opération politique qui souvent l'accompagne.

"Barril mis en examen ? Pas étonnant d'ailleurs, tu n'as pas lu, il préparait même un attentat contre Mitterrand !" Toujours ce même souci de brouiller l'image, de rendre inaudible ma voix. Faut-il que l'on redoute ce que j'ai à dire ? À quelque chose malheur est parfois bon car, en définitive, c'est cette situation qui va me permettre de découvrir en "exclusivité" et pour la modique somme de 7,50 francs, le fruit des investigations judiciaires qui viennent, au printemps 2001, justifier le rebondissement que constitue ma mise en examen.

Reportons-nous à l'article du Monde du 6 avril, qui avait mis de si joyeuse humeur Me Vergès.

 

"La responsabilité directe de Paul Barril dans la manipulation orchestrée en août 1982 afin de légitimer l'interpellation de trois personnes présentées comme de 'dangereux terroristes' avait été établie par une décision du tribunal correctionnel de Paris confirmée en novembre 1995 par la Cour de cassation relaxant Le Monde des poursuites engagées par l'ancien gendarme de l'Élysée. Avérée, l'implication de M. Barril dans le 'montage' opéré au détriment de Mary Reid, Stephen King et Michael Plunkett a été renforcée par les témoignages recueillis par le juge Madre. Plusieurs gendarmes lui ont déclaré que Paul Barril avait dissimulé lui-même, dans l'appartement des Irlandais, les armes et le pain de plastic destinés à les confondre".

 

Fabrice Lhomme, auteur de l'article, renvoie le lecteur à l'article publié en octobre 2000 dans lequel il avait déjà dévoilé l'essentiel de son scoop. C'est ainsi que les 400 000 lecteurs de son journal purent prendre connaissance de l'accablante déposition faite contre moi, le 4 février 1998, par Jean Pineau, ancien Commandant de la compagnie de gendarmerie de Vincennes. La date a son importance. Comme par extraordinaire, et pour démentir l'habituelle célérité avec laquelle les procès-verbaux s'empilent à la rédaction du Monde, ce témoignage, jugé pourtant essentiel, assez pour que le quotidien du soir lui consacre sa Une, a donc mis trois longues années pour "fuiter". Une performance. Cette fuite précède de quelques jours la sortie d'un de mes livres intitulé L'Enquête explosive. Décidément, ce journal me prête beaucoup d'attention. Au point d'assurer la promotion de mes ouvrages ? Ayant quelque peu étrillé le directeur de sa rédaction dans Guerres secrètes à l'Élysée, je ne crois pourtant pas que tel était le but recherché. J'y vois plutôt la manifestation d'une certaine... fébrilité.

Le témoignage du commandant Pineau vient donc étayer ma culpabilité. Pineau, qui est aujourd'hui à un stade relativement avancé de la retraite, paraît avoir narré en détail au juge les circonstances au cours desquelles il m'a vu dissimuler l'explosif dans les toilettes de l'appartement des Irlandais dits "de Vincennes". En découvrant ce témoignage, certes tardif mais accablant, j'ai tout de même été ému. Je ne me souvenais pas avoir rencontré ce commandant, ni à Vincennes ni ailleurs. J'ai donc repris mon bâton de pèlerin et me suis mis en chasse. Quelques heures suffirent pour établir que le commandant Pineau n'avait, de notoriété publique, jamais pu participer à l'opération de Vincennes : ce jour-là, il était en permission !

Abracadabrantesque, me dira-t-on, mais authentique. C'est un détail que je me suis aussitôt, bien naïvement, cru autorisé à transmettre aux fins limiers du Monde, et d'abord à Fabrice Lhomme, qui a fait ses classes à France-Soir. Rien. J'ai utilisé ensuite la voie légale du droit de réponse. En pure perte.

J'ai également écrit au commandant Pineau qui, plus courtois, a bien voulu accuser réception. Dans sa réponse, avec une franchise certaine, il confirme qu'il était bel et bien en permission ce 28 août 1982. Quid alors de ses accusations ? Dans sa lettre, le commandant ajoute: "Dans ma déposition chez le juge, je n'ai fait que rapporter ce que j'avais lu dans la presse ou entendu à la radio". Pineau ne précise pas s'il est abonné au Monde...

Même le commandant Beau, qui ne figure pourtant pas au premier rang de mes supporters, dans un courrier adressé au Monde et publié, selon l'usage, dans un recoin du quotidien, souligne la faiblesse du témoignage de Pineau. En dépit, une nouvelle fois, de la gravité de l'accusation portée contre moi et de son caractère éminemment spectaculaire (en première page), non seulement Le Monde n'a pas pris la peine de vérifier, mais il n'a pas cherché à me joindre, comme c'est, paraît-il, la règle impérative pour pouvoir bénéficier de la présomption de bonne foi. Telle est la nature des preuves si "parfaites" rapportées par Le Monde au terme de dix-neuf années et six mois d'investigations intensives. Quant aux autres "témoins", à ces gendarmes évoqués dans l'article et supposés, eux aussi, m'accabler, la portée de leurs dépositions ne me semble guère plus pertinente puisque Le Monde omet d'en faire état.

Fouillant dans les recoins du dossier d'instruction, le quotidien du soir est tombé sur un autre témoignage extraordinaire, celui de Christian Prouteau. Fondateur du GIGN (il est titulaire du brevet n° 1 et moi du n° 2), Prouteau fut, des années durant, mon frère d'armes. La vie, les "affaires", mais surtout son envoûtement par Mitterrand ont fait diverger nos routes. Au printemps 1982, lorsqu'il est appelé auprès du chef de l'État pour assurer sa sécurité et monter une structure de lutte contre le terrorisme, c'est la Direction de la gendarmerie qui me désigne pour lui succéder à la tête du GIGN. J'assure donc le commandement de cette unité prestigieuse, alors sans équivalent de par le monde. Ce n'est donc pas sans stupeur que je découvre, selon Le Monde, que mon ancien chef et ami aurait affirmé au juge que, dès 1982, il se "méfiait de Barril", qu'il soupçonnait de préparer "un attentat contre Mitterrand". Trop c'est trop... Les bras m'en tombent. Un attentat contre le président de la République ourdi par le responsable du GIGN alors que c'est cette unité qui va précisément servir de vivier aux hommes chargés de sa sécurité. Ce n'est plus un scoop, c'est une "bombe" ! Le complot parfait.

Curieusement, cette information sensationnelle ne donne lieu à aucun développement dans le journal, bien que j'aie droit à ma photo en couleur en première page du quotidien. Pourtant, dès lors qu'il me prête un projet homicide contre le chef de l'État, Le Monde se devait d'apporter des précisions. Si l'accusation, au contraire, est jugée farfelue, pourquoi en faire état ? Le résultat est là : ces informations minent ma réputation, me discréditent. Je rappelle, incidemment, que je suis chef d'entreprise et que mon activité consiste à assurer la sécurité des biens et des personnes, en particulier celle de chefs d'État.

C'est pourtant ce projet d'attentat qui enchante Jacques Vergès. Il me traite de "petit cachottier" mais surtout me reproche de ne pas l'avoir associé à cette conjuration. "Ensemble nous aurions réussi", m'assure-t-il en éclatant de rire. "Peut-être, mais à l'époque, j'étais chargé de vous neutraliser", lui fais-je observer.

Plus sérieusement, je crois qu'il y a matière à s'interroger sur d'aussi grossières manifestations de "dilettantisme" dans un journal dit de "référence".

 

© Capitaine Paul Barril, in Les archives secrètes de Mitterrand, Albin-Michel, 2001, pp. 29-35

 

 


 

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[On pourra compléter cette lecture par celle des deux fichiers suivants :

- Le Monde à l'envers

- L'opinion de Michel Legris.

On pourra ensuite estimer que pour un journal qui se dit "objectif", cela fait tout de même beaucoup de parti-pris.



Mais au contraire de ce que j'ai indiqué dans mon propos liminaire, je me plais à souligner qu'au moment même où je mets en ligne ce fichier, le quotidien Le Monde (6 mars) produit un parfait exemple d'objectivité, à propos de la disparition de Stéphane Hessel en publiant côte à côte (page 18,"Décryptages Débats") deux articles consacrés à l'auteur de "Indignez-vous", l'un assez hagiographique, l'autre rétablissant la vérité à propos d'une légende trop longtemps colportée - Hessel et la Déclaration des droits de l'homme.

De ce dernier article, j'extrais d'ailleurs une phrase qui pourrait utilement figurer en exergue au texte de P. Barril : "Nous avons une fois de plus la démonstration de l'inconséquence avec laquelle les médias imposent à l'opinion publique une vision illusoire de l'Histoire autour de héros populaires rendus plus séduisants encore qu'ils ne le sont en réalité"