Il s'agit ici d'une Étude sur le discours prononcé par le Général De Gaulle, place de la République à Paris, le 4 septembre 1958, par Philippe Dautrey (1929-), Josée Guelfucci (1934-2011) et Pierre Muller (1950-). Personnellement, je l'ai trouvée fort ambitieuse (pour des élèves de Première), mais tellement intéressante et même stimulante que j'ai eu l'idée de la proposer à tout un chacun (ou presque). Je me permets d'ajouter (outre ce que joins, in fine, après cette remarquable Étude) d'une part que, ayant écouté ce discours en direct (on peut aujourd'hui le retrouver sur le site de l'Ina), j'avais totalement oublié qu'il fut précédé d'une Introduction particulièrement éloquente de Malraux (certes, de lui, on n'en attendait pas moins) - aux prises, durant 7 minutes trente, avec une paire de lunettes singulièrement récalcitrante, à tel point qu'il en vint à lire deux fois le même paragraphe !
Durant son discours, on peut apercevoir furtivement, lorsque la caméra élargit son champ, un mouvement de foule à l'extérieur de l'imposant cercle des auditeurs. Il s'agit de la contre-manifestation organisée par le parti communiste (lequel avait proféré à l'encontre de De Gaulle des accusations de "fascisme" ou de pouvoir personnel) - et que Malraux désigne par "ceux qui crient là-bas parce qu'ils ont intérêt à la faiblesse de la France" (remarque à mon sens toujours valable). Cette manifestation fut sévèrement réprimée par la police, à telle enseigne qu'un manifestant blessé, qui devait plus tard devenir célèbre, dut être trépané : c'est à cette occasion que le jeune André Lajoinie (futur candidat à la Présidence en 1988, où il réunit un piteux 6,76 %) perdit le peu de neurones que lui avait chichement octroyé Dame Nature...
Tout de même, on ne voudrait pas risquer une comparaison, mais c'est tellement tentant ! Malraux-De Gaulle, vs Bachelot-Macron : qu'on ne m'allègue point que c'était moins bien avant ! On a beau s'interdire d'être décliniste, on n'en songe pas moins à la crainte prémonitoire du Général : nous sommes devenus "un peuple périmé et dédaigné". Tandis que les "coassements du marécage politique français" - pour reprendre le mot cruel de Mauriac - ont toujours autant d'intensité, à défaut de pertinence.

 

"C'est à vous qu'il appartient de tenter de faire de la Ve république l'héritière de la 1ère, ou l'héritière de la machine à crise ministérielle à laquelle Diên Biên Phu semblait annoncer une grande nuit funèbre. Au-delà des textes juridiques, fussent-ils les meilleurs, et encore imparfaits comme le sont les textes et les hommes, vous choisirez entre la volonté de résurrection nationale et l'effacement de notre pays, en réponse à un homme qui tient de l'Histoire le droit de nous appeler en témoignage, mais dont l'entreprise ne peut tenir que de vous sa légitimité".

André Malraux

 

 

I. Lire une argumentation

 

1.1. Trouver l'organisation d'un texte

 

Démontrer, argumenter, expliquer, raisonner, c'est la raison d'exister d'une bonne part de la "littérature" de notre vie quotidienne, de nombre des pages des meilleurs auteurs et de l'essentiel des documents écrits exploités par les historiens et les géographes. Dans tous ces textes, le sens est supporté par une armature qui organise le discours en fonction d'un objectif final précis - convaincre, comprendre... - et en fonction de l'idée que l'auteur se fait de son interlocuteur. Leur lecture peut donc apporter non seulement la connaissance d'un contenu et d'un style, mais aussi celle d'une méthode d'argumentation et d'une situation historique.

Y parvenir suppose de retrouver l'enchaînement utilisé par l'auteur et la relation entre émetteur et récepteur qu'implique cet enchaînement. Comme la démarche est explicite et volontaire, puisqu'elle doit être perçue et suivie par le destinataire, il est possible de la reconstituer à travers la grammaire qui lui sert de support. Il faut procéder à une analyse précise, systématique et portant sur l'ensemble du discours, d'un ou plusieurs des outils syntaxiques qui organisent le texte. Leur répartition reflète une évolution, une dynamique, d'autant plus forte qu'elle est celle d'une argumentation. Elle propose une structure voulue ou acceptée par l'auteur qui a l'avantage d'être fondée sur des observations objectives détachées des interprétations a priori. La façon dont elle modèle le sens, ses particularités sont des indications positives qui guident la lecture et sont donc efficaces dans le contexte d'une classe.

Il ne s'agit pas de renoncer à une lecture "culturelle" qui, par imprégnation des significations, des contextes, des méthodes de discours, permet de déchiffrer un texte directement, donc rapidement, mais aujourd'hui de plus en plus difficilement. Il s'agit de rechercher des moyens pratiques et méthodiques d'atteindre une organisation du discours tout en procédant à un retour constant au texte, de façon à ne jamais s'écarter du sens. Une telle méthode oriente le travail des élèves, leur permet de coordonner et de confronter des références diverses, celles des professeurs de lettres, langue, histoire et philosophie, car l'analyse débouche à la fois sur une compréhension du texte et sur une confrontation soit entre ce que l'auteur prévoyait et ce que le public a réellement perçu, soit avec d'autres structures des textes.

 

1.2. Les temps, signes d'une structure

 

Les temps des verbes ont servi ici d'outil d'analyse. Les verbes ont une fréquence suffisamment grande, une répartition suffisamment régulière et un rôle suffisamment déterminant pour qu'il soit possible de voir dans leurs variations une image du déroulement de l'ensemble d'un texte. Leur classement soulève toutefois des difficultés. Il n'y a pas identité entre la fonction suggérée par les dénominations grammaticales des temps - passé, présent, futur... - et l'usage qui est fait de ces temps. Non seulement un même temps peut avoir des valeurs différentes - aspects des temps - mais surtout le choix des temps prend en compte plusieurs fonctions du discours. Le type de structuration des temps que nous utilisons permet de travailler à la fois sur l'engagement vis-à-vis de ce qui est dit - récit et commentaire - et sur le moment de parole. Il le permet d'une façon relativement simple qui facilite le classement des temps par les élèves et la lecture des résultats. La topographie temporelle des discours apparaît alors clairement.

 

 

II. Une approche du système temporel

 

Notre étude s'appuiera essentiellement sur l'analyse du système temporel proposé par H. Weinrich(1). Partant de la constatation que les formes temporelles viennent d'abord à nous à travers les textes, il en déduit qu'il ne faut pas se limiter à la phrase ni à la dimension paradigmatique, mais étudier ces formes en fonctionnement dans les textes, donc pratiquer une "linguistique textuelle". On observe ainsi qu'"un signe linguistique est en principe valable jusqu'à la fin du texte, à moins qu'un autre signe de la même catégorie ne vienne le rendre caduc" (Par exemple les indications de lieu et de date). Pour certaines catégories largement représentées, comme les pronoms personnels et les formes temporelles, on parlera de "récurrence obstinée".

 

2.1. Un système à trois dimensions

 

1) L'attitude de locution qui oppose deux groupes de temps :

- les temps commentatifs (présent, passé composé, futur) qui marquent un engagement personnel du locuteur, et font savoir que le texte mérite de la part de l'auditeur une attention vigilante. Ils créent une tension.

- Les temps narratifs (passé simple, imparfait, plus-que-parfait, conditionnel) qui marquent une attitude de détachement de la part du locuteur et avertissent qu'une écoute plus détachée est possible. Ils sont caractérisés par la détente.

2) La perspective de locution : dans chacun des deux groupes, les différents temps ont pour fonction d'exprimer le rapport entre temps du texte et temps de l'action. Trois sortes de rapports peuvent exister : un degré zéro, lorsque la relation ne pose aucun problème, la rétrospection et la prospection.

Les temps zéro ont des fréquences qui, en moyenne, sont rarement inférieures à 80 %.

3) La mise en relief. Elle n'existe que dans le récit où elle permet de distinguer un arrière-plan, marqué par l'imparfait, et un premier plan, constitué par le passé simple. Cette situation est le résultat d'une évolution qui prend son plein développement au dix-neuvième siècle.

 

2.2.  Les formes verbales semi-finies

 

On appellera ainsi les modes autres que l'indicatif, car ils ne possèdent qu'une partie des informations suivantes :

- information lexicale du verbe,

- personne,

attitude de locution,

- perspective de locution,

- relief.

On peut voir dans l'existence de cette catégorie un principe d'économie de la langue, car on se trouve généralement renvoyé vers un autre verbe qui donne l'éclairage syntaxique complet. On dira que cet autre verbe est "prépondérant", et le verbe semi-fini dépendant. Il y a là une sorte de mise en relief et les verbes semi-finis peuvent être considérés comme des formes de l'arrière-plan.

Dans cette description, l'impératif pose problème et l'auteur écrit lui-même qu'il a une parenté structurale avec les formes commentatives. II serait préférable de suivre jusqu'au bout cette interprétation : le présent de l'impératif peut être considéré comme un temps de la prospection dans la perspective de locution, puisque sémantiquement il lui est impossible de prendre une autre valeur. On pourrait en dire autant du subjonctif présent lorsqu'il est "prépondérant", c'est-à-dire utilisé dans une proposition principale ou indépendante.

On peut ainsi résumer, sous forme de tableau, le système temporel du français (document 1).

DOCUMENT 1

RÉPARTITION DES TEMPS EN FONCTION DE L'ATTITUDE ET DE LA PERSPECTIVE DE LOCUTION  

dgdoc 1

Lorsque le mode n'est pas précisé, il s'agit de l'indicatif

 

 

III. Préparation du corpus et de l'exercice

 

3.1. Le corpus

 

L'étude que nous proposons porte sur le discours prononcé par le Général De Gaulle le 4 septembre 1958(2), mais nous avons prévu aussi un travail de comparaison. Nous avons laissé la possibilité de le mener en adjoignant un autre discours, celui prononcé à Bayeux le 16 juin 1946. Voici les règles que nous avons observées pour établir ce corpus.

- Disposer de textes complets. C'est un point essentiel pour que l'étude d'une organisation ait un sens "historique" et non "professoral".

- Se limiter à une longueur de 4 à 5 pages pour une exploitation étalée sur 2 heures de cours et complétée par une rédaction à la maison.

 - Choisir des textes de longueur relativement proche.

- Définir avec précision les différences et les ressemblances entre les conditions de production des textes. C'est important, car cela conditionne à la fois les domaines de comparaison et les méthodes. Dans notre cas, nous avons considéré que la langue de De Gaulle n'avait pas changé entre 1946 et 1958. À ces deux moments, il en avait la maîtrise. Nous avons admis également que la situation de discours était identique. De Gaulle s'adresse chaque fois à une foule dans laquelle il voit un substitut de la France, ou plutôt de son "peuple" ou de ses "hommes", et le moyen d'un contact direct. En 1946, dans le discours de Bayeux, la particularité du lieu n'est pas évoquée comme définissant un auditoire, mais au contraire comme justifiant un droit à parler à la France tout entière, car c'est le lieu où lui-même a fait renaître l' "État légitime" en 1944. Pas d'ambiguïté en 1958 ; l'appel final est lancé aux "Françaises, Français". Dans les deux cas, les médias doivent jouer un rôle de relais et rendre compte du rapport De Gaulle / peuple, en même temps que du contenu du texte. Par conséquent, les comparaisons grammaticales, mais aussi lexicales peuvent être menées terme à terme. Les spécificités de chacun des deux discours ne proviennent pas de la situation de discours, mais de son contenu historique, c'est-à-dire du contenu de la relation établie entre De Gaulle et son auditoire, celui-ci étant à la fois "le peuple" et ceux contre lesquels il doit convaincre.

 

3.2. L'exercice

 

Le travail préparatoire ne s'arrête pas au choix du corpus, ni à sa saisie et à son traitement lexical par ordinateur. À cause du recours à une étude de syntaxe, il implique un double prolongement : préparer le travail de reconnaissance des temps des verbes par les élèves, puis celui de classement et d'analyse des temps qui ont été identifiés.

Nous donnons - document 2 - le tableau d'identification des verbes du discours de 1958 avec une structure par phrase et paragraphe pour le texte et suivant le système récit-commentaire pour le temps des verbes. C'est le document de référence dont les élèves doivent pouvoir disposer sous forme écrite(3).

Pour faciliter le commentaire, il est indispensable que ce tableau serve à élaborer un nouveau document plus sélectif. Le document de base ne prend en compte que les temps et met, par conséquent, tous les verbes sur le même niveau quel que soit leur rôle dans la phrase (principale, relative ... ). C'est pourquoi nous avons trouvé commode de faire isoler par les élèves phrase par phrase, car le style le permet, les verbes "prépondérants" et d'éliminer les autres. Les règles de cette sélection doivent être données. Il est utile de les définir clairement et de les faire appliquer, car elles permettent de lever bien des difficultés de lecture. Ainsi, nous avons considéré le subjonctif présent de souhait comme appartenant à la prospection, ainsi que les présents du verbe aller avec un verbe à l'infinitif : "va devenir un état qui se gouvernera lui-même". Les verbes à valeur monstrative : "c'est en un temps où il lui fallait se réformer ..." ont été considérés comme non­-prépondérants. Cette recherche donne aux élèves une vue précise des phrases, et l'habitude de fonder leur interprétation sur une analyse grammaticale.

Le document 3 donne un exemple des résultats obtenus au cours de cette étape, et met en évidence l'enchaînement des temps. On observe en effet des séquences de temps et des ruptures. Ces ruptures ont deux fonctions, elles peuvent servir d'origine, d'ouverture à un développement ou bien au contraire d'aboutissement. Une nouvelle lecture, séquentielle cette fois, doit conduire, avec le recours au sens, à connaître la valeur de ces ruptures et à la matérialiser sur le tableau. La classe dispose alors d'une image de la structure du discours et peut lui donner un sens.

 

 dgdoc 2 1

 dgdoc 2 2

 

Les chiffres des colonnes RÉCIT et COMMENTAIRE représentent le numéro d'ordre des verbes dans la phrase.

 

 

IV. Les structures du discours du 4 septembre 1958

 

Le discours du 4 septembre 1958 se caractérise par la superposition de trois types de structures. Deux d'entre elles reflètent la présence du mode de fonctionnement des temps que nous avons choisi : récit-commentaire et situation de parole. La troisième, au niveau du paragraphe, est celle du mode d'exposition des différents éléments du discours.

 

Document 3
Enchaînement des temps des verbes
"prépondérants"
(première et deuxième séquences)

 dgdoc 3

 

4.1. Récit-commentaire

 

La division récit-commentaire éclate au premier coup d'œil. Elle oppose une première partie de 25 phrases dominée par les temps du récit associés à quelques temps du commentaire à une longue seconde partie - phrase 26 à 73 - exclusivement dans le commentaire. Cette opposition a une double signification. Elle est une opposition au niveau du moment de locution et au niveau de l'implication de l'auteur. La partie dominée par les temps du récit a en effet valeur de passé à la fois par le sens et par la grammaire. Elle est marquée par un éloignement vis-à-vis du destinataire ainsi que par l'exclusion de la prospection, alors qu'au contraire la partie de commentaire est dominée par celle-ci. Surtout, l'essentiel semble résider dans la volonté de De Gaulle de ne pas s'impliquer dans le passé. Les temps du récit, par eux-mêmes, témoignent d'une distance, tandis que le souci de ne pas personnaliser la narration, en particulier par le type des sujets donnés aux verbes, transforme cette distance en une coupure. Les jugements portés sur le passé sont exprimés comme des évidences qui appartiennent à tous grâce à l'emploi de notions comme agents de l'histoire : "l'hommage ... s'adresse aussi à la République", ou de sujets à valeur impersonnelle dans la triple répétition "on sait, on ne sait que trop" (phrases 1 9, 20, 21). Cette évolution a eu lieu quasiment sans l'intervention de personnalités : "quelles que pussent être les intentions, souvent la valeur, des hommes". Elle traduit une nature qui est à la fois une aspiration : "l'appel de la liberté, l'espérance de la justice", et un risque "le déchirement de la nation", sans que De Gaulle précise la part qu'il a prise face à ce risque "de justesse empêché". Enfin, le seul lien que De Gaulle entend assumer avec le passé est souligné par un temps du commentaire, qu'un verbe de modalité rend prospectif, et par un sujet personnalisé : "nous voulons qu'elle le demeure".

Dans la seconde partie, par contre, le choix des temps du commentaire s'accompagne d'une personnalisation. De Gaulle intervient lui-même : moi-même, je ..., ou personnalise son interlocuteur : la nation, le peuple. Cette affirmation de sa propre existence et de celle de la totalité du pays est un engagement. Sa force est accentuée par le recours exclusif à des temps du commentaire, dont c'est la fonction même, mais aussi par le poids donné, parmi ceux-ci, au subjonctif de souhait et aux futurs qui en dépendent. Là, l'implication est totale. S'identifiant au futur, il rejette ses adversaires dans le passé, mais comme il a dépersonnalisé ce passé, le discours leur dénie toute autonomie. Ils sont une caractéristique de ce passé.

 

4.2. Rétrospection - degré zéro - prospection

 

À l'intérieur de l'opposition récit-commentaire, De Gaulle utilise aussi la structure du moment de locution, mais presque exclusivement dans le commentaire.

Dans la première séquence, le degré zéro est quasiment seul présent, même lorsqu'il y a combinaison avec le commentaire qui dans deux cas est au présent. La seule modulation qui soit employée, la combinaison passé simple - imparfait, c'est-à-dire mise en relief-arrière-plan, paraît au service de l'éloignement et de la dépersonnalisation imposés à cette séquence et, à travers elle, à la période qui vient de s'écouler. Dans les six premières phrases qui décrivent la République que De Gaulle veut faire durer, l'emploi de l'imparfait accentue l'éloignement des qualités du régime en leur donnant valeur d'arrière-plan, alors qu'au contraire le passé simple met en relief le poids de la nature mauvaise du passé.

La seconde séquence, par contre, est marquée par un glissement affirmé du rétrospectif au degré zéro, du degré zéro au prospectif, et enfin par une combinaison prospection - degré zéro. De Gaulle introduit ainsi une dynamique temporelle d'autant plus forte que le prospectif s'étend à lui seul sur 17 phrases et qu'il conclut.

 

4.3. Les séquences courtes

 

Les temps du discours tout entier sont structurés en courtes séquences de deux ou d'un seul paragraphe. Partout des suites de temps d'un seul type : narration, rétrospection ... , trouvent leur aboutissement dans un temps d'un type différent qui sert à interpréter ou à conclure. Il s'agit toujours d'un temps du commentaire, que l'on peut dire surdéterminé puisqu'il synthétise la séquence courte qui le précède. Il a un rôle double : il introduit un rythme dans le déroulement du discours et il isole sous une forme ramassée le contenu du paragraphe. Par ailleurs, parfois, une phrase à un temps différent de celui de la séquence, sert d'annonce ou de transition, par exemple ce passé composé en tête de la seconde séquence courte : "certes, la République a revêtu des formes diverses".

Le document 3 met en évidence l'enchaînement de ces séquences courtes. Il montre que les deux premières séries de temps du récit à l'imparfait et au passé simple aboutissent toutes deux à des temps du commentaire au présent. Dans la première qui porte sur le rôle de la République et sur ses débuts, le groupe verbal-synthèse préfigure le contraste dépersonnalisation / personnalisation qui marque l'ensemble du discours. "Nous voulons qu'elle le demeure !" Face au tonitruant "nous voulons", l'objet de cette dénomination est quasiment indéterminé. C'est "le", qui renvoie à "cela" dans la phrase précédente, lequel renvoie à son tour à des intentions : à "la souveraineté du peuple, l'appel de la liberté, l'espérance de la justice". La procédure d'éloignement et de dépersonnalisation est ainsi affichée d'entrée de jeu, parallèlement à l'amplification apportée par le "nous". La seconde séquence courte, sur l'œuvre de la République, reprend aussi cette attitude d'éloignement en plaçant le verbe prépondérant après une accumulation de subordonnées et en l'affaiblissant par un aussi : "l'hommage s'adresse aussi à la République".

La troisième séquence courte est mise en évidence par deux ruptures de temps. Une entête à l'imparfait annonce le thème : "le régime comportait des vices", tandis que le triple commentaire du "on sait, on ne sait que trop", accentue l'interprétation qui est donnée. Mais, en même temps, l'emploi d'un passif dans la phrase-synthèse : "le nécessaire a été fait" assure la dépersonnalisation.

Les quatrième et cinquième séquences courtes ont une structure presque identique dans la mesure où toutes deux s'achèvent sur des futurs qui sont tous deux commandés par un sujet identique : la nation. Pour l'une, ce sont les dispositions prises par De Gaulle qui sont renvoyées devant la nation qui "approuvera ou repoussera". Pour l'autre, ce sont les conditions grâce auxquelles la nation "refleurira ou périra" ; objectifs vers lesquels De Gaulle propose de la conduire "là où elle doit aller" et principes à respecter pour y parvenir.

La partie prospective est formée de 4 courtes séquences d'un paragraphe. Elle débute par un passé composé : "a été établi le projet de constitution", l'exposé suit sous la forme de souhaits au subjonctif présent et de résumés au présent : "telle est la structure équilibrée que doit revêtir le pouvoir", ou au futur : "la compétence, la dignité, l'impartialité de l'État en seront mieux garantis"... Pour terminer, la conclusion interrompt et ferme deux suites de futurs par des présents : "Je vous demande de répondre oui", "Je crois qu'il est déjà levé".

Plus qu'une formidable personnalisation de la situation, l'emploi que De Gaulle fait des temps dans son discours de 1958 montre un désir de rupture et une volonté d'imposer le temps comme la dimension du débat. En dépersonnalisant ses prédécesseurs et l'État Républicain antérieur et en les plongeant dans le récit, il les coupe de leur propre réalité actuelle et du domaine sur lequel ceux-là voulaient placer le débat : la légalité républicaine. De Gaulle en fait des représentants du passé tandis que lui-même se fait apôtre de l'avenir tout en suggérant aussi qu'il l'est de la modernité. Il transforme le rapport de force République - ou - non en un rapport de force passé-avenir. Il n'est pas certain qu'il s'agisse d'une tactique. Il n'y a que deux emplois sur 12 du terme République dans la séquence commentaire, et, parmi ces deux, l'emploi le plus significatif - phrase 68 - se réfère en fait à l'État : "le résultat sera de rendre la République forte et efficace". Comme en 1946, le problème reste pour lui, un problème d'État, et la question républicaine semble une question de forme. La modernité, c'est celle de la RES PUBLICA.

 

 

V. Exploitation pédagogique

 

5.1. Le terrain

 

Lorsque l'analyse des discours constitutionnels du Général De Gaulle a été entreprise, elle avait pour but, outre l'apprentissage d'une méthode d'étude de texte, d'aider les élèves à aborder l'environnement institutionnel dans lequel nous nous trouvons. Il s'agissait d'un exercice pratique d'instruction civique. Plutôt que de décrire les institutions existantes, nous entendions les montrer en train de se faire. Nous voulions que les élèves y voient des combinaisons et des choix auxquels les citoyens doivent se plier, mais qu'ils sont aussi en droit de juger : ils doivent en connaître les raisons et savoir que d'autres solutions sont possibles. Nous entendions ainsi nous adresser largement à tous les élèves du second cycle et leur procurer un moyen de se familiariser avec certains des problèmes de fond de la vie politique. Les programmes de seconde et de première permettent d'intégrer ces exercices.

L'expérimentation décrite ici prend place dans le cours de géographie de première qui propose un chapitre traitant les structures politiques de la France. La classe choisie est une première B, section économie, d'une trentaine d'élèves, d'un niveau plutôt faible (à la fin du premier trimestre, un tiers des élèves se situait à la moyenne) mais de bonne volonté et intéressés. Toutefois, si l'on se place dans la perspective de l'exercice que nous avons réalisé, on peut affirmer qu'ils n'y étaient que très peu préparés.

Ils n'ont que peu ou pas de référence politique, culturelle et, de propos délibéré, l'exercice n'avait pas été précédé de cours sur les notions constitutionnelles.

Les élèves ont seulement reçu une certaine habitude d'utilisation des textes, puisque dans le cadre d'un travail autonome, en inter-disciplinarité Lettres-Histoire, ils avaient étudié la guerre de 1914-1918 à partir de deux séries d'exercices sur textes : des analyses individuelles du contenu de textes courts et la rédaction par groupes de dossiers autour de romans sur la guerre.

 

5.2. Les objectifs

 

Pour l'étude de la constitution de 1958, nous avons voulu éviter le texte de la constitution elle-même, trop difficile dans son vocabulaire et surtout dans tout ce qu'il comporte d'implicite, d'informulé. Le discours de De Gaulle offre au contraire un point de vue précis, cohérent et surtout centré sur les arrières-pensées qu'il explicite ou, du moins, dont certaines sont mises en évidence. Le style en est relativement difficile mais les procédés oratoires répétitifs et l'absence d'images rendent le contenu abordable sans trop d'exégèses.

À partir de ce discours, l'exercice se proposait deux objectifs :

- l'acquisition d'une méthode précise de recherche de la structure d'un texte ;

- la représentation du schéma constitutionnel proposé par le discours.

Une analyse préalable nous avait montré que le discours avait été structuré par une évolution des temps employés, ceux-ci passant du passé au présent puis au futur. Il nous a paru commode d'utiliser cette structure comme un guide permettant aux élèves d'avoir accès au plan indépendamment du contenu, et donc de sérier les difficultés. De plus, cette étude des temps des verbes faite avec le professeur de Lettres permettait d'élucider et peut-être d'éliminer certaines des difficultés de lecture dues à une mauvaise compréhension des temps. Une grille des temps a été ainsi mise au point.

Le retour au contenu a été conçu ensuite comme la représentation schématique de l'organisation constitutionnelle décrite dans le discours. Deux étapes : un premier schéma fait par les élèves sans aucune aide, puis un second schéma réalisé après discussion et évocation du contexte historique et constitutionnel.

 

5.3. La grille des temps

 

La lecture du discours et l'identification des temps des verbes à partir de la grille que nous avions fournie, classement des paragraphes du discours suivant le type de temps dominant, découpage du plan en fonction des temps et justification, n'a soulevé que peu de difficultés. Il y a à cela trois raisons, nous semble-t-il.

- D'abord, la grille des temps avait été simplifiée au maximum. Le problème soulevé par les valeurs des temps, en particulier par les valeurs que le présent peut prendre, n'a pas été posé. Seul le subjonctif présent a été envisagé comme pouvant avoir la valeur de souhait ou de subordonnée dépendant d'un souhait ou d'une autre proposition.

- Ensuite, un travail sur les temps préparant directement à ce discours a été réalisé en cours de Lettres.

- Enfin, la grille des temps avait été structurée implicitement entre passé, présent, futur, ce qui facilitait considérablement la redécouverte du plan. Par exemple, le passé composé avait été situé en charnière entre le passé et le présent.

Au cours du travail effectué à la maison, les élèves n'ont été conscients que d'une seule difficulté, celle soulevée par le comptage des auxiliaires sous-entendus. Ils n'ont pas soulevé la difficulté posée par les valeurs des temps, comme si le présent n'avait pas eu, dans ce discours, une valeur intemporelle ou passée à côté de sa valeur d'actualité. Ils ont évité aussi la difficulté représentée par les verbes passifs. Le temps a été pour eux celui de l'auxiliaire.

L'identification du plan proposé par la répartition des temps des verbes dans le discours a été réalisée par 27 élèves sur 30 et très souvent avec des précisions intéressantes. D'une part, 21 élèves ont reconnu la conclusion, certains d'entre eux précisant même ce qui distinguait au niveau des temps la conclusion du paragraphe 3.

D'autre part, 9 ont mis en évidence le statut de certains paragraphes servant de transition.

Les explications que les élèves ont jointes à leur plan, et plus spécialement dans la conclusion, ont permis de faire apparaître certaines idées toutes faites et certaines lacunes. Si la conclusion est bien conçue comme une partie d'exposé autonome, sa fonction répond à des stéréotypes. Les élèves y voient souvent une synthèse du discours, alors qu'il était bien difficile d'identifier l'appel à voter oui comme une synthèse. La notion de destinataire, et d'action voulue sur ce destinataire est, en corrélation, mal vue. Un seul élève signale que De Gaulle donne un conseil et un autre indique qu'il s'adresse au peuple lorsqu'il conclut. Ceci montre que l'idée de démonstration et de conséquence à tirer de cette démonstration ne semble pas avoir été reconnue. Nous en avons une autre preuve dans le fait que la relation entre l'appel à voter "oui" en réponse au référendum constitutionnel et la constitution n'est pas établie. On dirait que les élèves n'ont pas vu qu'il s'agissait d'un choix constitutionnel à faire. Le "non" ne leur est pas paru comme un vote pour autre chose. Pour eux, mais peut-être était-ce l'objectif du discours, le vote a porté sur la France. Deux élèves ont précisé que le vote portait sur "la France avec lui (De Gaulle)", et deux autres ont simplement marqué que c'était sur "la France" et sur "l'avenir de la France".

La notion de choix constitutionnel n'existe donc pas, l'aspect  constitutionnel du discours n'est pas vu. Pour les élèves la constitution = l'avenir de la France avec ou sans De Gaulle.

 

5.4. Les schémas

 

Le schéma constitutionnel a été exécuté par les élèves à partir des paragraphes 10, 11, 12, 13, à deux reprises, avant et après explication des notions constitutionnelles.

Leur réalisation, ou plutôt la réalisation d'un schéma quelconque, a montré que les élèves avaient besoin de certaines techniques pour travailler de façon systématique et sûre. Si les élèves ont facilement fait l'inventaire des différents éléments qui devaient être introduits dans le schéma - les organes constitutionnels - ils n'ont pas su en général les regrouper par types, en ensembles et sous-ensembles. Ils établissent difficilement aussi des hiérarchies. Ainsi, la notion de parlement est très rarement comprise : il est un élément distinct du Sénat et de l'Assemblée Nationale. Une difficulté comparable se rencontre à propos des relations associant ces différents éléments, les élèves n'ont pas fait l'inventaire des types de relations possibles. La différence entre le sens des relations et leur contenu fourni par les termes du texte a par ailleurs été souvent mal saisie. Les degrés de dépendance ou de pouvoir sont rarement précisés. Or, c'est là que réside essentiellement la combinatoire constitutionnelle et les choix, et que les absences de relations prennent une forte signification. Enfin, l'organisation claire du schéma au niveau graphique et sa lisibilité appellent des apprentissages d'expression.

En tenant compte de ces remarques générales, on peut toutefois observer que la quasi-totalité des élèves a correctement isolé les quatre éléments principaux jouant leur rôle dans la constitution : le peuple, le Président, le gouvernement, le parlement. Dans un cas seulement, il y a confusion entre le Président de la République et le gouvernement. Par ailleurs, le terme de "peuple" est presque constamment préféré à celui de "citoyens" qui n'est utilisé que par un élève. L'aspect affectif, émotif, vague, suggéré par le terme "peuple" et dont De Gaulle avait joué, explique cette préférence, et explique aussi que deux élèves seulement lui aient associé le terme de "pays", lui aussi sans doute trop précis. Ce terme de "peuple" a enfin été privilégié, par rapport à celui de "Président" par exemple dans plus de 80 % des cas, ce qui confirme le poids qu'il peut avoir dans l'imaginaire des élèves. Enfin, ce n'est qu'après discussion et questions en cours que les notions d'exécutif et de législatif sont utilisées à peu près par la moitié des élèves, mais deux élèves seulement notent un exécutif fort.

L'identification et la figuration de l'autorité judiciaire ont, de leur côté, souvent été mal effectuées. Bien que le discours soit explicite sur ce sujet : "que l'autorité judiciaire soit assurée de son indépendance et demeure la gardienne de la liberté de chacun...", les élèves l'ont très rarement reconnue spontanément comme un élément de l'ensemble constitutionnel. Il semble qu'elle soit perçue à la fois comme un mythe : "gardienne de la liberté de chacun" et comme une administration. Alors qu'une majorité l'isole, trois élèves l'associent au gouvernement. D'autres s'efforcent maladroitement de représenter une relation avec le peuple : "justice rendue au nom du peuple", "la justice défend la liberté de chacun, protège, punit ou contrôle le peuple".

Les relations entre les différents éléments sont en général mises sur le même plan, qu'il s'agisse des relations de désignation : "élit", "nommé", de pouvoir : "contrôle", ou de fonction : "vote les lois".

De rares élèves ont essayé de classer les relations en types. Le sens des relations, par contre, est en général exact. Un choix a été fait parmi ces relations. En général, et ceci s'accorde avec l'importance attribuée au peuple dans le schéma, ce sont les relations de désignation qui ont été retenues. Presque tous les élèves les ont mentionnées : le peuple désigne, mais n'agit pas. Ce sont les relations de fonction qui sont le moins représentées et qui ont soulevé des doutes comme celles proposées dans la phrase "gouvernement et parlement collaborent".

Enfin, en analysant dans le schéma l'absence de relations entre certains organes, on note, pour un tiers des élèves, l'absence de contrôle du parlement sur le gouvernement et la méconnaissance de la notion de régime parlementaire.

Le bilan de cette expérimentation nous semble positif, à la fois du point de vue de la méthode et du point de vue du contenu mais surtout en tant que révélateur de préalables nécessaires, de lacunes méthodologiques et de limites. En effet, un travail de ce type ne peut s'improviser, il ne peut se faire que sur des textes entièrement analysés au préalable et dont structure et contenu sont bien connus.

De plus, malgré une préparation approfondie, l'exercice a révélé des lacunes méthodologiques et montre qu'il est nécessaire de mettre en place de nombreux outils intellectuels : grille, représentation schématique, types de relations et hiérarchie.

Cet exercice, enfin, révèle aussi des limites dans la mesure où les élèves qui entrent dans un véritable processus guidé le suivent au pied de la lettre. Il faut donc envisager des parties d'exercice ouvertes avec du travail personnel ou en groupe, et avec une prise de distance vis-à-vis des données, en particulier en exploitant la notion de choix. L'analyse aurait alors pour rôle de fournir une base solide à ces interprétations, de mettre en évidence certaines incompréhensions, de guider ainsi les interventions des enseignants ou de faciliter un travail pluridisciplinaire complémentaire.

Notes

(1) Harald Weinrich, Le temps : Le récit et le commentaire, Seuil, collection Poétique, 1973.
(2) Charles De Gaulle, Discours et Messages, Paris, Plon, 1970, t. 2, pp. 5-11 et t. 3 pp. 41-45.
Une étude comparative de ces deux textes a été publiée dans Utilisations pédagogiques des banques de données, Dossier EPI n° 5, Paris, juin 1984, pp. 170-203.
Pour une bibliographie détaillée, on se reportera à Simone Bonnafous, Dominique Willems, État présent des études sur le discours gaulliste, Mots, n° 4, mars 1982, pp.171-180.
(3) Ce travail a été fait à la main. Mais il pourrait se faire sur ordinateur, à condition de coder au préalable tous les verbes du texte.

 

© Rencontres pédagogiques n° 3, (1984), "Des textes, avec ou sans ordinateur", INRP, Paris, 127 pp.

 

Texte soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.

 

 

VI. Compléments

 

6.1. Résultats du référendum constitutionnel

 

La question posée le 28 septembre 1958 aux électeurs français, était : "Approuvez-vous la Constitution qui vous est proposée par le Gouvernement de la République ?"

Le corps électoral était alors égal à 47 249 142. 38 097 853 de Français se déplacèrent, soit 80, 63 % du corps [à titre de comparaison, mentionnons qu'aux dernières élections municipales - juin 2020 -, le taux de participation s'éleva, si l'on peut s'exprimer ainsi, à 45 %]. Il y eut environ 3 % de votes blancs ou nuls. Le Oui l'emporta à près de 83 %. Le Parti communiste ("ceux qui crient là-bas parce qu'ils ont intérêt à la faiblesse de la France"), qui avait jeté toutes ses forces dans la bataille en faveur du Non, fit montre d'un humour involontaire au lendemain des résultats. "L'Humanité", en effet, publia à sa Une un immense "Forte opposition"...

Parmi les bulletins nuls on découvrit (c'était à Lyon) un billet de banque d'une importante valeur faciale. Le Canard enchaîné, autre féroce opposant (n'oublions tout de même pas que le Général était parvenu au pouvoir à la faveur d'une sorte de coup d’État), rappela l'incident avec un jeu de mots à sa manière grinçante : "les Français, dorénavant, veulent payer contents"...

 

6.2. Le texte du discours

 

6.2.1. Données quantitatives

 

Le discours du Général comprend 935 mots-outils, dont 125 différents ; et 736 mots pleins, dont 578 différents. Parmi ces 578 mots, 488 sont des hapax - soit 84, 4 %, ce qui est considérable. En effet, on estime que ce pourcentage est habituellement de l'ordre de 50 % dans les textes de lisibilité ordinaire. On en tirera la conclusion qu'il s'agit d'un texte difficile, mais aussi d'une grande hauteur de vue. On peut risquer ici une comparaison, étant bien entendu que comparaison n'est pas raison (quoi que...). Le 24 novembre 2020, le président Macron a prononcé un discours au sujet de la Covid (comparaison n'est pas raison, en effet : on peut être sûr que le Général a pensé puis écrit lui-même son discours ; on peut en revanche être sûr que le président en exercice a disposé de "plumes"). Naturellement, nous ne nous intéressons qu'au contenant (encore que l'analyse du contenu au regard de l'évolution de la pandémie, serait assez cocasse, voire cruelle) : ce discours, nettement plus long que celui du Général (un peu plus de deux fois en nombre de mots), contient évidemment des hapax, mais dans un pourcentage bien moindre (62 %). La conclusion s'impose d'elle-même.

 

6.2.2. Le discours en paragraphes

 

Le texte dont je dispose ne correspondait pas exactement, dans son découpage, à celui utilisé par les auteurs de l’Étude. Je l'ai donc revu en conséquence. Par ailleurs, ce texte, tel que distribué aux journalistes, ne correspond pas parfaitement au discours prononcé (de mémoire ! Il me semble que De Gaulle n'a jeté qu'une fois un bref regard sur ses feuillets), par son auteur. Par exemple (ce relevé est bien loin d'être exhaustif), le Général a dit : il s'était montré (vs il se montrait) au paragraphe 1, le drame national (vs la tourmente nationale), ... elle est restée (vs elle devait rester), au paragraphe 2, Cependant, le régime comptait des vices de fonctionnement qui sans doute étaient supportables à une époque assez statique (vs Cependant, le régime comportait des vices de fonctionnement qui avaient pu sembler supportables à une époque assez statique) au début du paragraphe 5. Et il a même omis de prononcer les trois premières phrases du paragraphe 7 !

 

1. C'est en un temps où il lui fallait se réformer ou se briser que notre peuple, pour la première fois, recourut à la République. Jusqu'alors, au long des siècles, l'Ancien Régime avait réalisé l'unité et maintenu l'intégrité de la France. Mais, tandis qu'une immense vague de fond se formait dans les profondeurs, il se montrait hors d'état de s'adapter à un monde nouveau.

2. C'est alors qu'au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l'appel de la liberté, l'espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd'hui, autant que jamais, nous voulons qu'elle le demeure.

3. Certes la République a revêtu des formes diverses au cours de ses règnes successifs. En 1792 on la vit, révolutionnaire et guerrière, renverser trônes et privilèges, pour succomber, huit ans plus tard dans les abus et les troubles qu'elle n'avait pu maîtriser. En 1848, on la vit s'élever au-dessus des barricades, se refuser à l'anarchie, se montrer sociale au-dedans et fraternelle au-dehors, mais bientôt s'effacer encore, faute d'avoir accordé l'ordre avec l'élan du renouveau. Le 4 septembre 1870, au lendemain de Sedan, on la vit s'offrir au pays pour réparer le désastre.

4. De fait, la République sut relever la France, reconstituer les armées, recréer un vaste empire, renouer des alliances solides, faire de bonnes lois sociales, développer l'instruction. Si bien qu'elle eut la gloire d'assurer pendant la Première Guerre mondiale notre salut et notre victoire. Le 11 novembre, quand le peuple s'assemble et que les drapeaux s'inclinent pour la commémoration, l'hommage, que la patrie décerne à ceux qui l'ont bien servie, s'adresse aussi à la République.

5. Cependant, le régime comportait des vices de fonctionnement qui avaient pu sembler supportables à une époque assez statique, mais qui n'étaient plus compatibles avec les mouvements humains, les changements économiques, les périls extérieurs qui précédaient la Deuxième Guerre mondiale. Faute qu'on y eût remédié, les événements terribles de 1940 emportèrent tout. Mais quand, le 18 juin, commença le combat pour la libération de la France, il fut aussitôt proclamé que la République à refaire serait une République nouvelle. La Résistance tout entière ne cessa pas de l'affirmer.

6. On sait, on ne sait que trop, ce qu'il advint de ces espoirs. On sait, on ne sait que trop, qu'une fois le péril passé, tout fut livré et confondu à la discrétion des partis. On sait, on ne sait que trop, quelles en furent les conséquences. À force d'inconsistance et d'instabilité et quelles que puissent être les intentions, souvent la valeur des hommes, le régime se trouva privé de l'autorité intérieure et de l'assurance extérieure sans lesquelles il ne pouvait agir. Il était inévitable que la paralysie de l'État amenât une grave crise nationale et qu'aussitôt la République fût menacée d'effondrement.

7. Le nécessaire a été fait pour obvier à l'irrémédiable à l'instant même où il était sur le point de se produire. Le déchirement de la nation fut de justesse empêché. On a pu sauvegarder la chance ultime de la République. C'est dans la légalité que moi-même et mon Gouvernement avons assumé le mandat exceptionnel d'établir un projet de nouvelle Constitution et de le soumettre à la décision du peuple.

8. Nous l'avons fait sur la base des principes posés lors de notre investiture. Nous l'avons fait avec la collaboration du Conseil consultatif institué par la loi. Nous l'avons fait, compte tenu de l'avis solennel du Conseil d'État. Nous l'avons fait après délibérations très libres et très approfondies de nos propres conseils de ministres : ceux-ci, formés d'hommes aussi divers que possible d'origines et de tendances mais résolument solidaires. Nous l'avons fait sans avoir entre-temps attenté à aucun droit ni à aucune liberté publique. La nation, qui seule est juge, approuvera ou repoussera notre œuvre. Mais c'est en toute conscience que nous la lui proposons.

9. Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial, c'est leur efficacité et leur continuité. Nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut dans les domaines scientifique, économique et social évoluer rapidement. D'ailleurs, à cet impératif répondent le goût du progrès et la passion des réussites techniques qui se font jour parmi les Français, et d'abord dans notre jeunesse. Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent par conséquent commander nos institutions.

10. La nécessité de rénover l'agriculture et l'industrie, de procurer les moyens de vivre, de travailler, de s'instruire de se loger, à notre population rajeunie, d'associer les travailleurs à la marche des entreprises, nous pousse à être, dans les affaires publiques, dynamiques et expéditifs. Le devoir de ramener la paix en Algérie, ensuite celui de la mettre en valeur, enfin celui de régler la question de son statut et de sa place dans notre ensemble, nous imposent des efforts difficiles et prolongés. Les perspectives que nous ouvrent les ressources du Sahara sont magnifiques certes, mais complexes. Les rapports entre la métropole et les territoires d'outre-mer exigent une profonde adaptation. L'univers est traversé de courants qui mettent en cause l'avenir de l'espèce humaine et portent la France à se garder, tout en jouant le rôle de mesure, de paix, de fraternité, que lui dicte sa vocation. Bref, la nation française refleurira ou périra suivant que l'État aura ou n'aura pas assez de force, de constance, de prestige, pour la conduire là où elle doit aller.

11. C'est donc pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu'a été établi le projet de Constitution. Que le pays puisse être effectivement dirigé par ceux qu'il mandate et leur accorde la confiance qui anime la légitimité. Qu'il existe, au-dessus des luttes politiques, un arbitre national, élu par les citoyens qui détiennent un mandat public, chargé d'assurer le fonctionnement régulier des institutions, ayant le droit de recourir au jugement du peuple souverain, répondant, en cas d'extrême péril, de l'indépendance, de l'honneur, de l'intégrité de la France et du salut de la République. Qu'il existe un Gouvernement qui soit fait pour gouverner, à qui on en laisse le temps et la possibilité, qui ne se détourne pas vers autre chose que sa tâche, et qui, par là, mérite l'adhésion du pays. Qu'il existe un Parlement destiné à représenter la volonté politique de la nation, à voter les lois, à contrôler l'exécutif, sans prétendre sortir de son rôle. Que Gouvernement et Parlement collaborent mais demeurent séparés quant à leurs responsabilités et qu'aucun membre de l'un ne puisse, en même temps, être membre de l'autre. Telle est la structure équilibrée que doit revêtir le pouvoir. Le reste dépendra des hommes.

12. Qu'un Conseil économique et social, désigné en dehors de la politique par les organisations professionnelles et syndicales du pays et de l'outre-mer, fournisse ses avis au Parlement et au Gouvernement. Qu'un Comité constitutionnel, dégagé de toute attache, ait qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont eu lieu régulièrement. Que l'autorité judiciaire soit assurée de son indépendance et demeure la gardienne de la liberté de chacun. La compétence, la dignité, l'impartialité de l'État en seront mieux garanties.

13. Qu'entre la nation française et ceux des territoires d'outre-mer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même, tandis que la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière, celle des matières premières, le contrôle de la justice, l'enseignement supérieur, les communications lointaines, constitueront un domaine commun dont auront à connaître les organes de la Communauté : président, Conseil exécutif, Sénat, Cour d'arbitrage. Ainsi, cette vaste organisation rénovera-t-elle l'ensemble humain groupé autour de la France. Ce sera fait en vertu de la libre détermination de tous. En effet, chaque territoire aura la faculté, soit d'accepter, par son vote au référendum, la proposition de la France, soit de la refuser et, par là même, de rompre avec elle tout lien. Devenu membre de la Communauté, il pourra dans l'avenir, après s'être mis d'accord avec les organes communs, assumer son propre destin indépendamment des autres

14. Qu'enfin, pendant les quatre mois qui suivront le référendum, Ie Gouvernement ait la charge des affaires du pays et fixe, en particulier, le régime électoral. De cette façon pourront être prises, sur mandat donné par le peuple, les dispositions nécessaires à la mise en place des nouvelles institutions.

15. Voilà, Françaises, Français, de quoi s'inspire et en quoi consiste la Constitution qui sera le 28 septembre soumise à vos suffrages. De tout mon cœur, au nom de la France, je vous demande de répondre : "Oui".

16. Si vous ne le faites pas, nous en reviendrons le jour même aux errements que vous savez. Si vous le faites, le résultat sera de rendre la République forte et efficace, pourvu que les responsables sachent désormais le vouloir ! Mais il y a aussi, dans cette manifestation positive de la volonté nationale, la preuve que notre pays retrouve son unité et, du coup, les chances de sa grandeur. Le monde, qui discerne fort bien quelle importance notre décision va revêtir pour lui-même, en tirera la conclusion. Peut-être l'a-t-il, dès à présent, tirée ! Un grand espoir se lèvera sur la France. Je crois qu'il s'est déjà levé !

[Vive la République ! Vive la France ! S'il vous plaît, avant de nous séparer, tous ensemble, chantons l'hymne national, la Marseillaise].

 

6.2.3. Mots pleins du discours : les hapax

 

 

 abord abus accepter accord accorde accordé adaptation
adapter adhésion adresse advint  affirmer  agir  agitées
agriculture ailleurs ainsi Algérie alliances  amenât  anarchie
ancien anime ans apparut  appel  apprécier approfondies
approuvera arbitrage  arbitre armées assemble associer assumé
 assumer  assurance  assurée  attache  attenté  aucune  aujourd'hui
 autant autour barricades base bientôt bref briser
 cas cause cela  cependant cessa  chacun chance
 chances changements  charge chargé  chose ci  citoyens
 cœur collaboration  collaborent combat  comité  commander commémoration
 commença commun  communications  communs  compatibles compétence  complexe
 comportait compte  conclusion conduire  confiance  confondu  conformes
 connaître conscience conseils conséquences  conséquent  consiste  constance
 constitueront  constitutionnel  consultatif  continuité  contrôle  contrôler  coup
 cour  courants  cours  crise  crois  décerne  déchirement
 dédaigné  dedans défense dégagé déjà délibérations demande
 demeure dépendra dès désastre désigné destin destiné
 détermination détiennent détourne deuxième devait développer devenu
 devoir dicte difficile dignité dirigé  discerne discrétion
 dispositions divers  doivent domaine  domaines  dominent donc
 dont drapeaux dynamiques économiques effacer effectivement effet
 efficace efficacité effondrement efforts élan élections électoral
 élevé élu empêché empire emportèrent encore enseignement
 ensuite entière entreprises époque équilibrée errements espèce
 façon  faculté  fallait  faut  financière  fixe  fond
 forces  formait  formée  formes  formés  fort  forte
 fournisse  françaises  fraternelle  fraternité  garanties  garder  gardienne
 gigantesques gloire goût gouverner gouvernera grandeur grave
 groupé guerrière histoire hommage honneur hors huit
 humain humaine humains hymne  immense impartialité  impératif
 importance imposent inclinent inconsistance indépendamment  industrie inévitable
 inspire instabilité  instant institué instruction instruire intentions
 intérieure investiture irrémédiable jamais  jeunesse jouant judiciaire
 juge jugement jusqu'  justesse laisse laquelle  légalité
 légitimité lendemain lesquelles levé lèvera libération libre
 libres lien lieu livré loger loi lointaines
 long lors luttes  magnifiques maintenu maîtriser mandate
 manifestation marche Marseillaise matières menacée mérite mesure
 métropole mettent mettre mieux milieu ministres mis
 mise mois monnaie montrait montrer mouvements  moyens
 nécessaire nécessaires nécessité ni nom nouveau nouvelles
 obvier œuvre  offrir ordre organisation organisations  origines
 oui ouvrent paralysie parmi particulier partis passé
 passion patrie peine périls  périmé péripéties périra
 perspectives  plaît point politiques population portent posés
 positive possibilité possible pourvu pousse pouvoirs précédaient
 premières présent président prestige prétendre preuve primordial
 principes privé privilèges proclamé procurer produire professionnelles
 profonde profondeurs progrès prolongés proposition proposons propre
 propres public publics publique publiques qualité quant
 quatre quelle question rajeunie ramener rapidement rapports
 réalisé reconstituer recourir recourut recréer refaire refleurira
 réformer régler règnes régulier régulièrement relever remédié
 rendre renouer renouveau rénover rénovera renverser  réparer
 répondant répondent répondre repoussera représenter résistance  résolument
 responsabilités responsables ressources reste rester résultat retrouve
 réussites revêtu reviendrons révolutionnaire rompre Sahara sauvegarder
 scientifique Sedan sein sembler  Sénat séparer séparés
 servie seule siècle siècles sociale sociales solennel
 solidaires solides sortir soumettre soumise sous souvent
 souverain souveraineté statique statut structure successifs succomber
 suffrages suivant suivront supérieur supportables syndicale  tâche
 tard techniques telle tendances tenu terribles tirée
 tirera tourmente train transformer travailler travailleurs travers
 traversé trônes troubles trouva ultime univers vague
 vers vertu vices victoire vivons vivre vocation
 voilà vote votées voter      

 

 

 

 

[Haut de page]