Le Pasteur Roger Mehl (1912-1997), agrégé de philosophie et docteur en théologie, était professeur émérite et doyen honoraire à la faculté de théologie protestante de l'université des sciences humaines de Strasbourg où il enseigna de 1945 à 1981 l'éthique et la sociologie religieuse, et fondateur du Centre de sociologie du protestantisme (Université et CNRS)

 

 

L'hebdomadaire protestant Réforme publie dans son numéro du 30 juillet un éditorial du pasteur Roger Mehl, doyen honoraire de la faculté protestante de Strasbourg, intitulé "La France, un pays ingouvernable".

Selon le pasteur Mehl, "indépendamment de la crise économique, qui est mondiale et dont personne ne voit l'issue, la France souffre de deux maux ; l'un est d'ordre constitutionnel, l'autre est d'ordre sociologique". Après avoir souligné que "la Constitution de 1958 nous a imposé le bipartisme", Roger Mehl écrit : "La stratégie électorale contraint à la formation de deux blocs, mais ce sont des blocs mal soudés et qui n'ont pas envie de se souder". "Tout cela, ajoute-t-il, ne résulte pas [...] des jeux subtils et pervers des états-majors. Tout cela traduit au contraire le mécontentement des Français qui ne trouvent pas leur compte dans les blocs qu'on leur propose. Ceux qu'on appelle les déçus du socialisme qui, à l'heure actuelle, font baisser dangereusement la cote de popularité du président de la République et de son gouvernement, n'ont sans doute jamais été socialistes ni même socialisants. Tout simplement, las de la politique giscardienne, de ses échecs et de sa suffisance, ils ne pouvaient faire autre chose que de voter pour Mitterrand... "

 

Quant au "mal sociologique", M. Mehl constate que "les Français sont farouchement divisés, sans motifs idéologiques très apparents". "Ils sont divisés, écrit-il, parce que la France est un agrégat de corporations, et chacune d'elles ne pense à autre chose qu'à la préservation de ses "droits acquis", sinon à leur extension".

 

Le pasteur Mehl conclut : "Oui c'est vrai, nous avons une Constitution qui n'a pas été taillée à notre mesure, et qui ne permet pas aux différentes familles politiques de s'exprimer librement. Mais c'est peut-être un mal nécessaire si nous voulons avoir un gouvernement stable, et par suite efficace. Mais le corporatisme nous ronge plus profondément encore. Ceux qui rêvent de déstabiliser les institutions et ceux qui s'accrochent désespérément à leurs "droits acquis" souffrent du même mal : l'absence de civisme [...]. Devant une crise sans précédent, devant l'appauvrissement général du monde occidental lui-même, nous ne disposons que de l'arme des pauvres, le civisme.

 

Prenons-y garde : si nous ne consentons pas, comme des citoyens libres, à ce civisme, il nous sera un jour ou l'autre imposé. Or, un civisme imposé, cela s'est toujours appelé une dictature".

 

© D'après Le Monde du 2 août 1983

 

 


 


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