Tout est sensé et vrai dans les propos qui suivent, écrits en réaction aux remous et autres larmes de crocodile ayant accompagné l'affaire Gaillot, ce prétendu prélat (ex-évêque d’Évreux) que Rome envoya aux oubliettes de Parténia - avec grande raison selon moi, qui n'ai aucun intérêt dans l'affaire, mais j'ajoute qu'à la place du Pape, j'y serais allé de mon pied au cul de ce cul-mal-bénit. Sauf, peut-être, que le jugement est par trop sévère à l'endroit de l'Abbé Pierre (et encore...).

 

Certains (et paradoxalement ce sont souvent ceux qui n'appartiennent ni à cette foi, ni à cette Église) rêvent d'une Église démocratique gouvernée par l'opinion, elle-même gouvernée par les nouveaux directeurs de conscience de la modernité, c'est à dire le système médiatique... On assisterait vite aux conflits d'une Église immergée dans l'immanence, à la disparition même de la religion, privée de son pôle de vérité transcendante : un concile n'est pas le Palais-Bourbon [...]

Le vrai "procès Gaillot" n'est pas le débat sur le mariage des prêtres, le préservatif ou l'homosexualité... Le vrai procès Gaillot [...], c'est celui d'un jeu pervers avec le système médiatique, où l'image construite par le système, et dont jouit l'intéressé, vient remplacer le sérieux de l'échange et de l'argumentation, dans l'oubli de sa véritable fonction.

Dans ses apparitions télévisées, j'ai pour ma part toujours été profondément irrité, non par les positions théologico-politiques de Mgr Gaillot, au demeurant fort banales et ressassées, aussi vieilles que les critiques d'Eugen Drewermann, mais par l'insignifiance et le vide de sa présence et de son discours. Être là : c'est l'essentiel, pour une image. Mais une image n'est pas une présence. Et au fond il n'a rien à dire, sinon à reprendre dans les médias, et à l'usage de l’Église, le discours même des médias, ou du petit monde médiatico-branché qui croit penser et agir parce qu'il s'agite dans une télévision d'une stupéfiante uniformité moralisatrice ; d'où d'ailleurs le succès de Mgr Gaillot auprès d'eux : il est devenu des leurs, il est des leurs.

Toutes proportions et respect gardés, il est, pour l’Église, ce qu'un Jack Lang est au socialisme, un Bernard Tapie à l'entreprise, un abbé Pierre à la charité, un Bernard Kouchner à l'humanitaire, un Bernard-Henri Lévy à la pensée, une Ève Ruggiéri à la musique [...] : des images de synthèse, orgueilleusement narcissiques, même sous les apparences de pseudo-humilités, prises et piégées par leur rôle, qui jouent, et même avec la plus grande sincérité, mais non sans obscure jouissance, leur rôle sur la scène médiatique.

Le problème de Mgr Gaillot [...], c'est Tartuffe à l'âge des médias : un Tartuffe sournois, qui [...] est le prototype même du bien-pensant médiatique, nouvelle catégorie de fidèles de la grande Église médiatique dont le clergé est d'un cléricalisme bien pire que tout le Saint-Office réuni ! [...]

 

 

 

© J-C R., lecteur du Monde, 21 janvier 1995

 

 


 


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[On pourra aussi poursuivre la réflexion en prenant connaissance d'un "vieil" article publié par le regretté Morvan Lebesque dans "Le Canard enchaîné"]