Lorsque j'étais tout jeune, disons au Lycée en sixième, j'étais particulièrement friand des histoires que contenait un magazine, à l'usage des têtes blondes, aujourd'hui et depuis longtemps disparu, qui s'appelait, je crois, Attack.
attackCe magazine avait pour objectif de magnifier les actions résistantes dans la France occupée, et de ridiculiser les troupes occupantes - jamais je ne me posai, alors, la question qui tue : comment des hommes si valeureux et si nombreux, face à des tas d'incapables, furent incapables de rapidement bouter l'occupant hors du territoire national ? Je me souviens en particulier, comme si je l'avais lue hier, de l'histoire d'un résistant qui avait laissé passer, dissimulé dans les fourrés, une longue colonne de chars allemands puis, au dernier moment, s'était précipité au-devant du dernier Panzer, s'était laissé couler entre les chenilles du monstre, et avait déposé contre le ventre de la bête une mine magnétique. Le char passé, il s'était promptement relevé, avait retrouvé sa place dans les fourrés, tandis que l'engin blindé explosait dans tous les azimuts. Action héroïque, certes, et qui m'emballa au point de me faire rêver... L'auteur de cette image d'Épinal n'avait commis qu'une erreur : il situait la scène "près d'Ansouis", région que je connais fort bien, puisque j'y suis né. Malheureusement pour cet auteur de bandes dessinées patriotiques, il n'y a jamais eu de colonne de Tigre à Ansouis, pas plus que de tigres, d'ailleurs, lesquels habitaient le Bengale, de mon jeune temps. Il a fallu que je grandisse pour enfin comprendre que l'hagiographe anonyme était un sacré menteur. Et que les exploits des "résistants" du coin, pratiquement tous de la vingt-cinquième heure d'ailleurs, consistèrent surtout, le dernier soldat allemand disparu (et il y en eut relativement peu, à cet endroit précis), à fusiller des gens (pas tous très blancs, c'est entendu) qui ne leur plaisaient pas... D'ailleurs, l'auteur dont on va lire quelques pages ci-après, ne craint pas d'avancer que "l'épuration" fit en six mois cinq fois plus de victimes, que les Allemands n'avaient fusillé de Français en cinq ans. Ces choses-là sont rudes, et on n'y fait guère allusion, car il est malaisé de les porter au pinacle pour les célébrer.
Or, la France est un pays qui aime commémorer (elle aime aussi, à la folie, les médailles et autres hochets, et cela va sans doute de conserve). Le doux mois d'août est particulièrement propice à ce type de manifestation, tant le souvenir du débarquement de Provence est cultivé dans les mémoires, (je l'ai vu, et vous ?) et peut-être pas sous l'angle de la pure vérité historique. N'ai-je pas lu, en effet, très récemment, qu'on célébrait le "débarquement franco-américain" de Provence ? Franco-américain, bien sûr, dans la proportion d'une alouette française (équipée "américain" jusqu'à la dernière de ses plumes) pour toute une cavalerie yankee... Bref, j'en viens à me poser une question : ne forçons-nous pas l'accent sur la liturgie résistante, pour jeter le manteau de Noé sur ce que fut la France occupée (s'accommodant presque parfaitement de cette occupation), il y a soixante-cinq ans et plus ? Cette question possède évidemment un corollaire : comment se fait-il que, soixante-cinq ans après, les résistants, qui n'étaient à l'époque qu'une petite poignée, soient de plus en plus nombreux, ou peu s'en faut ?

C'est à ces interrogations, et à beaucoup d'autres questions du même ordre d'idées, qu'a voulu répondre un authentique résistant (Croix de guerre, médaille de la Résistance), n'ayant pas cherché, ensuite, à monnayer son courage et son engagement, et surtout indigné par ce qui s'est passé après le passage des Anglo-américains (et de l'alouette française) boutant les occupants hors du territoire national, c'est-à-dire l'épuration (œuvre essentiellement communiste), puis le trafic des médailles et des certifications, comme de vulgaires piastres.

Cet homme, écorché vif, s'est ensuite fourvoyé, peut-on penser, du côté de l'Algérie française, des catholiques intégristes et même de la remise en cause de l'innocence du capitaine Dreyfus. Bon.

Mais ce n'est pas une raison pour mettre sous le boisseau ce qu'il avait à nous dire : lui qui fut le gendre de Pierre Brossolette (ce qui est, tout de même, peu banal, et vous classe un personnage) avait, en effet, beaucoup de choses à nous dire. Certes, qui sont souvent très désagréables. Jusqu'au point de refuser de les regarder en face ? Surtout que son texte, écrit il y a trente-cinq ans, n'a pas plus vieilli que ça...

Mais où donc ai-je entendu, le 6 juin dernier, à 11:47, une allusion aux purs héros et aux autres, aux héros et collabos ? Cela disait : Pour une poignée de héros, combien de collabos, de trouillards, de profiteurs, et de résistants de la dernière heure qui ont bien profité de la Libération et des biens eux aussi libérés...
Ces choses-là, en effet, sont rudes…

 

"Je dois dire qu'ayant appartenu à la Commission qui décerna la Médaille de la Résistance dans les milieux de l'Éducation nationale, je constatai que beaucoup l'obtenaient qui en avaient fait moins que moi. Ce fut une raison supplémentaire de refuser de la demander, comme on me le proposait. Je n'avais rien fait qui me parût justifier une distinction que j'aurais souhaitée exceptionnelle".

(Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité, Flammarion, 1982, p. 29)

 

La Résistance a des limites. Voilà toutefois un bout de temps qu’elles sont excédées, et que, par voie de conséquence, nous le sommes aussi.

Pourtant la mesure, que l’on croyait comble, en fait ne l’était point. Sous prétexte qu’il y a trente ans les armées américaine et anglaise, débarquées en Normandie, se mettaient à remporter des victoires sur la Wehrmacht, voici que des conciles de grotesques se sont amplifiés chez nous. Se balançant les uns aux autres, sans complexe, et avec un sens exceptionnel du retour de l’ascenseur, le titre de « héros », ces personnages dont le temps a fané le pseudo-profil de médaille, trouvent encore moyen, trente ans plus tard, d’exploiter le filon d’une Résistance dont, neuf fois sur dix cependant, mieux vaut ne pas rechercher la qualité ni l’importance.

S’il ne s’agissait néanmoins que de se pavaner, qu’importerait ? On laisserait, avec un sourire ou un haussement d’épaule, faire ces guignols, et l’on s'occuperait de choses sérieuses.

Malheureusement, il n’y a pas que la farce. Il y a aussi ceux qui en sont les dindons. C’est-à-dire la France et les Français. Depuis trente ans prisonniers d’un mythe vénéneux. Selon lequel il y a dans ce pays une catégorie d’êtres supérieurs, les « résistants », qui ont tous les avantages. Puis, une catégorie courante de Français, dont le devoir est d’admirer sans réserve (et sans curiosité), les résistants, et de leur céder le pas. Enfin, des réprouvés à vie, ceux qui ont été (ou que l’on décrète avoir été), collaborateurs, maréchalistes, vichystes, etc.

À l’occasion, et en fonction de certaines circonstances, ou de certains intérêts, on voit, trente ans après, la cohorte sacrée s’ouvrir pour faire place à quelques personnages qu’on ne s’attendait point à y voir figurer.

Il n’y a pas bien longtemps, Mme Marie-Madeleine Fourcade, qui, de sa propre autorité, fait la loi et les prophètes en matière de résistance, a accordé un brevet à M. Raymond Marcellin. Lequel on savait avoir été parfaitement vichyste, au point de recevoir, et de porter, la francisque gallique. Mais qui, jusqu’à ces derniers temps, nous avait modestement caché sa qualité de « héros de la résistance ».

Plus récemment encore, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, nous avons appris, avec quelle émotion, que Giscard, lui aussi, avait été dans la résistance. Où il joua, selon «Le Monde», un rôle «modeste mais méritoire» en distribuant des journaux clandestins. Lesquels ? Nous n’avons pas besoin de le savoir, ni à quel réseau le futur président se rattachait.

Certains, peut-être, auront eu l’idée de soupirer : «Comment l’aurait-il fait s’il n’était pas né ?» Objection sans valeur. D’abord, il était né, et, ne l’aurait-il pas été, que cela n’aurait aucune importance.

Que si, en effet, Giscard était né en 1944, eh bien ! il aurait fait de la résistance utérine, voilà tout. Et il suffirait d’homologuer cette catégorie-là, pour que ses titres vaillent tous autres.

Il faut en effet bien comprendre — faute de quoi l’on ne peut suivre la politique française contemporaine — ce syllogisme :

«Pour être un personnage sous la Ve République, il faut avoir été un héros de la résistance. Pour être un héros de la résistance, il n’est pas nécessaire d’avoir fait de la résistance. Ce qu’il faut, c’est dire qu’on en a fait, et surtout, honorer tel, tel et tel comme en ayant fait encore plus que soi. En échange de quoi, tel, tel et tel décrèteront votre qualité, et certifieront votre gloire».

L’amusant est qu’à l’intérieur de ce grand principe, qui n’est pas autre chose qu’une vaste combinaison, il s’est opéré des clivages. Entre « héros de la résistance », il arrive que l’on se discute...

C’est que la boutique est assez solide pour que l’on s’y querelle sans risque. Le mythe a été tellement accrédité, quiconque n’est pas (ou ne devient pas !) héros de la résistance (car on peut le devenir a posteriori, pourvu que l’on se conforme à certaines exigences) n’ayant aucune chance d’accéder à quoi que ce soit — un peu de bagarre interne est sans péril. Et ce n’est pas pour autant que les non-héros de la résistance parviendront à pénétrer dans la baraque. Les légendes sont plus solides et mieux défendues que des barricades. On enfonce beaucoup moins facilement un mythe, qu’une compagnie de C.R.S.

Tout cela ne tient d’ailleurs qu’à un problème technique :

— il y a eu très peu de résistants; partant, très peu d’exploits ;

— la plupart de ceux qui les ont accomplis sont morts, sinon, rentrés chez eux sans mot dire ;

— mais il y a dix, vingt, cent héros de la résistance, bien vivants, bien décorés, bien pensionnés, candidats à l’affectation de chacun de ces exploits.

C’est ce qui crée parfois un peu de confusion dans le sérail, et de la bousculade. Le problème étant de répartir une pénurie d’exploits entre une foule de prétendants.

Toutefois, Ulysse-Moulin, Ulysse-Brossolette, et quelques autres Ulysses, ne risquant point de revenir, on règle paisiblement ses comptes dans les coulisses. Quitte, lors des cérémonies commémoratives, à se retrouver bras dessus, bras dessous, avec des frottements d’ânes.

Si, entre eux, les « héros de la résistance » ne peuvent pas se regarder sans ricaner — en présence du public, quelle mine grave ! Trente ans après, on les croirait encore chargés des chaînes qu’ils n’ont jamais portées.

Il est vrai qu’il faut les applaudir. Avoir fait durer trois décennies cette mascarade, et espérer bien la prolonger encore, ce n’est pas une œuvre de petits compagnons (de la Libération).

Naturellement, en France, de 1940 à 1944, il y a eu résistance. Et comment n’y en aurait-il pas eu ? Partout, en tout temps, lorsqu’un pays était occupé par une armée ennemie, il s’est toujours manifesté une résistance.

Ce qui frappe, lorsque l’on considère l’occupation allemande de notre pays durant la dernière guerre, c’est au contraire la minceur, l’insignifiance, de la résistance. Limitée au sacrifice pas toujours organisé, quelquefois un peu fou, de quelques milliers d’hommes.

(À cet égard, je dois dire mon désaccord total avec Henri Frenay, dont on lira, aux Annexes, la belle lettre qu’il m’a adressée. Malgré certaines erreurs de Frenay — nous en reparlerons à propos de Jean Moulin — j’ai de la considération pour lui, parce qu’étant un des vrais résistants, il n’en a point tiré profit, et qu’il vit modestement à l’ombre. Cela dit, il se fait des chimères à propos des effectifs de «Combat»).

Pour ne prendre qu’une comparaison — la plus proche — en 1914-1918, dans nos territoires occupés, la résistance a été beaucoup plus dure, beaucoup plus générale, beaucoup plus efficace, qu’entre 1940 et 1944.

Seulement, la résistance de 1914 était une résistance patriotique et militaire, sans visées politiques. La vraie de 1940 aussi, mais elle a été escamotée par un esbrouffeur exceptionnel, nommé Charles de Gaulle, entouré d’une assez jolie bande de truqueurs et d’arnaqueurs.

De telle sorte que l’on est arrivé au paradoxe scandaleux d’aujourd’hui; en partant d’une résistance particulièrement faible, particulièrement insignifiante — on a réussi à constituer une maffia omnipotente, qui est devenue pratiquement propriétaire de la France.

L’un des éléments essentiels qui ont permis d’arriver à ce résultat aberrant, ce fut une littérature abondamment complaisante, un journalisme agréablement domestique, qui ont prétendu écrire l’Histoire avec des bobards et du roman chez la portière.

Ainsi s’est constitué de toutes pièces un invraisemblable «Western», qui nous tient lieu d’action, une gigantesque tartarinade, à laquelle peut-être, certains soirs où ils sont particulièrement fatigués, après, par exemple, de copieux banquets du souvenir, ses «héros» finissent par croire...

 

Or, avec ce mythe largement ouvert sur un passé douteux, usurpé, ou imaginaire — on a bloqué l’avenir. En réservant les places aux Zhéros de la Résistance — on les a refusées, du même coup, aux capacités sans pedigree.

Il ne faut point chercher ailleurs les motifs de cette stagnation, voire de cette régression de la France, puissance mondiale devenue Hexagone. Nous sommes comme anesthésiés depuis trente années déjà — la longueur d’une génération — par le mensonge rouge et doré qui fausse entièrement notre Histoire contemporaine, et qui bloque notre destinée en la travestissant.

Sur tout cela, j’ai déjà jeté l’œil de la colère dans un petit livre précédent. Il ne s’agit point ici de se répéter, mais d’approfondir. Car, derrière le masque que j’ai arraché, beaucoup n’ont pas voulu voir le visage qu’il y avait. Sous prétexte qu’un pamphlet n’est pas une démonstration.

En revenant ici sur le sujet, il s’agit donc de l’illustrer davantage, plutôt que de l’exposer encore. Bien entendu, la plume me démange de caricaturer encore ces fakirs ridicules, oiseux, et bien souvent odieux, de la fausse résistance, avec leurs cérémonies propitiatoires, leurs envoûtements truqués, et leurs malédictions sordides.

Je n’en finirais pas de les peindre, accomplissant leurs rites et savourant leurs maléfices, pareils, avec leur croix de Lorraine le plus souvent indue, à des sorciers nègres terrorisant les peuplades, et se faisant apporter tribut.

Dans cette cohorte de Zhéros de la Résistance qui font des simagrées devant des monuments, vous aurez la plus grande peine à trouver par hasard un combattant authentique. Les autres, ce sont de ces couards qui s’abritaient derrière un micro à Londres, ou bien qui ont fait la guerre dans un palace de Cannes ; ce sont des trafiquants du marché noir qui se sont fait prendre, et qui ont mis leur arrestation sur le compte de leur zhéroisme ; ce sont des lamentables qui, saisis par la police allemande ont livré leur réseau en un clin d’œil, et qui, ainsi rescapés, n’hésitent pas, aujourd’hui, à assumer l’héritage des camarades morts par leur faute ; ce sont des proxénètes travestis en maquisards, enrichis par l’argent des parachutages ; ce sont d’anciens employés de l’Ahwehr et de la Gestapo qui ont changé à temps la croix de leur brassard; ce sont même, et en proportion non négligeable, des assassins.

 

Que de tels personnages soient décorés, c’est beaucoup ; qu’ils soient pensionnés et installés, c’est trop ; qu’ils prétendent jeter l’interdit sur d’autres, c’est inadmissible.

En dépit de la loi pour qui les plus grandes prescriptions n’excèdent point trente ans ; en dépit, à plus forte raison, de cette loi qui interdit d’évoquer les faits antérieurs à dix ans, Messieurs les Zhéros de la Résistance prétendent encore accuser, voire faire condamner, les gens qui leur déplaisent.

(Ouvrons ici une parenthèse comique à propos de la loi susdite. Grâce â elle, j’ai le droit de prétendre qu’il y a plus de dix ans j’ai accompli tels, tels et tels exploits. Et vous, nous n’avez pas le droit de me contredire ; ladite loi vous refusant le droit à la preuve, je vous ferai automatiquement condamner comme diffamateur. Il faut avouer que voilà une invention rudement pratique, et il n’est pas surprenant que ce texte ait été voté par une majorité substantielle de faux résistants).

 

Ce manque d’oubli, cette absence de charité, ce dédain du droit, ne sont pas le fait du hasard.

Mais la suite logique d’une opération entamée voici plus de trente ans.

S’il y eut, en effet, une résistance insigne, mais, je ne le répéterai jamais trop, minuscule — qui fut uniquement une résistance-combat contre l’envahisseur — il y eut quelque chose de beaucoup plus important, qui s’institua sous le prétexte de l’autre, et qui fut une résistance-guerre civile.

Assurément, les dragonnades de la Libération, et ce que j’appelle la Terreur Verte instaurée par les maquis, furent en partie provoquées par les bas instincts soudain mis en situation de se déchaîner. Les anarchistes espagnols et les souteneurs français qui, au nom de la résistance, tuèrent, pillèrent et violèrent en août 1944, n’étaient pas tous mus, bien sûr, par une intention politique. C’était tout simplement des brigands profitant d’une époque où il n’y avait plus de gendarmes.

Mais d’autres, derrière eux, avaient des intentions précises. D’autres, qui s’étaient «réservés» au temps de l’occupation, parce que, pour eux, la résistance ne devait pas être la guerre, mais la guerre civile.

Ceux-là surgirent à point nommé pour constituer des «tribunaux» monstrueux, et commander des pelotons d’exécution afin d’éliminer, non point des «traîtres» — car les traîtres, au contraire, on les racolait, attendu qu’il n’est meilleur homme de main que celui sur qui l’on a barre complète — mais tous ceux qui pouvaient faire obstacle à une certaine forme particulièrement sordide et cruelle de révolution.

L’opération échoua après avoir réussi : les massacres eurent lieu, mais les communistes ne purent devenir les maîtres. Cependant, de merveilleuses amnisties jetèrent là-dessus un extraordinaire manteau de Noé. Si bien qu’aujourd’hui, M. Guingouin peut tranquillement publier un livre sur la libération du Limousin, et qu’injonction nous est faite de par la loi, de croire que dans la résistance, comme dans le poulet, tout est bon.

C’est ainsi, par exemple, qu’à Agen, Charles Arrivets, directeur d’un hebdomadaire régional, est poursuivi pour avoir écrit des choses vraies. Attendu (comme diraient les magistrats) que nous sommes dans un pays où la vérité n’a aucune espèce d’importance ou, plus exactement, qu’il n’existe qu’une vérité d’État, obligatoire, et dont l’examen n’est même pas permis.

 

Pourtant, il existe à l’intérieur du système, des hommes de qualité, des hommes honnêtes, et qui savent parfaitement à quoi s’en tenir. C’est ainsi qu’André Boulloche, qui fut un moment président de la commission de révision des titres de résistance — une commission à laquelle, comme par hasard, on n’a jamais fourni beaucoup de travail - me disait récemment :

«Il y a eu beaucoup plus de faux résistants que de vrais. Mais tous les salauds possèdent des contre-assurances».

Mais je suppose qu’il en va de Boulloche comme de Marcel-Edmond Naegelen ou de Robert Lacoste. Lorsqu’à la suite d’un reportage que j’avais fait dans «Le Journal du Parlement», Antoine Pinay convoqua Naegelen pour lui proposer la résidence générale de Rabat (ce qui pouvait sauver l’Afrique du Nord), Naegelen, bien que fort tenté, et sachant ce qu’il en était, refusa finalement, parce que le parti socialiste, auquel il n’avait pas le courage de cesser d’appartenir, voulait perdre le Maroc pour embêter le maréchal Juin.

Lorsqu’en mai 1958 Robert Lacoste sut ce qui allait se passer à Alger, au lieu de prendre la tête du mouvement (ce qui nous aurait épargné de Gaulle), il vint accomplir à Paris une prétendue mission qui le mit hors des événements. Lui non plus n’osa pas aller jusqu’à rompre avec son parti pour servir la seule vérité et la seule patrie.

Je suppose qu’André Boulloche est également gêné par des liens sentimentaux — d’ailleurs respectables. Je n’ignore pas que de vrais résistants, et qui n’ont point profité de la résistance, ne veulent pas que l’on dénonce la fausse résistance, par peur d’éclabousser la vraie.

Pour ma part, je crois que c’est une crainte tout à fait erronée, et tout à fait dangereuse. Ma conviction est même que, si l’on ne se décide pas à séparer le bon grain de l’ivraie, un jour viendra où la résistance tout entière sera honnie, parce que l’on confondra la vraie avec la fausse. Par réaction — une réaction injuste, sans doute, mais inévitable — on ne verra plus que la fausse; on croira qu’elle a été la seule.

Je pense donc que c’est servir la résistance au contraire, la vraie, la résistance-guerre, que de montrer à quel point elle était étrangère à la résistance-guerre civile, et à plus forte raison à la résistance-banditisme.

Si personne ne fait à temps ce tri, et ne l’exécute en ayant le droit de le faire, la véritable résistance est fichue. Il ne restera d’elle que les profits qu’auront tirés trop longtemps d’elle les Zhéros de la Résistance.

D’autre part, il est plus que temps de retrouver une France qui soit la patrie de tous les Français, et non plus un cirque romain pour gladiateurs de guerre civile. Il ne s’agit plus de savoir qui fut Armagnac et qui fut Bourguignon; qui Ligueur et qui Royaliste; qui Papiste et qui Huguenot. Il s’agit de savoir qui veut être Français, et travailler pour la France.

Et il est temps que celle-ci cesse d’être la vache à lait des Zhéros de la Résistance.

Voilà pourquoi au lieu d’écrire, comme d’autres, des romans-feuilletons fort rémunérateurs sur la Gestapo ou les maquis, je préfère, dans la difficulté, dans la précarité, dans l’insécurité, mais selon la liberté et la vérité, écrire ces pages nécessaires.

Afin qu’au moins existe, dût-elle se perdre dans les courants et les tourbillons des mensonges, une bouteille jetée à la mer, et qui contienne un témoignage conforme à l’honneur.

 

André Figueras (1924-2002), préface de La Résistance mise à nu, tome II, faux Résistants et vrais coquins, Publications André Figueras, 1974, 235 p.

 

 

[A. Figueras fut, incontestablement, un auteur prolifique : 111 notices concernant ses ouvrages (certes, avec pas mal de doublons) sont répertoriées à la BNF !]

 


 

 

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Commentaires

 

I. Un singulier article de "souvenirs"...

 

"Les attitudes dominantes mélangent un refus de connaître l'histoire, avec un besoin de la revivre sous forme de mise en scène. L'ignorance volontaire du passé entraîne la falsification du présent". (J.-F. Revel, La connaissance inutile, p. 57)

 

Entre cent autres possibilités, je note ici un court mais significatif exemple de cette tendance, très gaulliste d'ailleurs, à faire de la Résistance l'âme unie de tout un peuple unanimement dressé contre l'occupant, ou plus crûment dit, à pratiquer le patriotisme ostentatoire et facile.
Dans un article publié le 24 août dernier, en page intérieure de mon quotidien local, je trouve, sous le titre "Souvenirs du seul combat dans l'agglo contre les nazis", le récit d'une escarmouche ayant eu lieu, les 23-24 août 1944, dans un village situé à l'est de Grenoble, au moment de l'arrivée des Anglo-Américains dans cette dernière ville.
Même si je n'ai pas l'intention de pousser trop loin l'analyse de contenu, je pense que, déjà, le seul titre pose question. "L'agglo" de Grenoble compte vingt-trois communes, pour environ 400 000 habitants (aujourd'hui). Il est faux de dire qu'il n'y a eu du grabuge (et des tués) que dans une seule de ces communes (même si l'armée allemande avait en partie évacué Grenoble de nuit et "en douce", avant l'arrivée des troupes alliées). Par ailleurs, enfiler le qualificatif (ou le substantif) "nazi" à tout propos, est un abus manifeste de langage. Par bonheur pour nous, la Wehrmacht, ou armée régulière, n'avait que peu à voir avec les troupes fanatisées, nationales-socialistes en effet, du type S. S. C'est un premier point.
Mais parcourons l'article : [...] Les combats furent violents entre les Allemands nazis et les Français accompagnés de GI's et de maquisards [on se perd en conjectures : les maquisards n'étaient donc pas Français ? Et qui étaient ces "Français" capables d'affronter les "Allemands nazis" dans de violents combats ?]... [...] les troupes françaises de la Libération, accompagnées des troupes de la Résistance française [Dame ! Cela devait faire, au moins, plusieurs divisions !] et des Américains délivrèrent Grenoble du joug nazi le vingt-trois août. Un détachement de GI's fut envoyé sur la route nationale reliant Grenoble à Gières pour y installer des postes de surveillance [...]. Le 23 août 1944, vers vingt heures, une force armée [il s'agissait d'Allemands] venant du nord passe Grand'Rue. Les Américains, se méprenant sur la nationalité des arrivants, les interpellent amicalement [Qu'est-ce qu'ils sont cons, ces Yankees ! Ils ne savent même pas reconnaître les uniformes ennemis !]. Cette erreur coûta la vie à un ressortissant des USA, tandis que l'autre réussit à s'enfuir. [En plus, ils étaient lâches et trouillards, ces GI's !] [...] Les maquisards et les troupes américaines [des supplétifs, sans doute] arrivent vers huit heures ce fameux 24 août 1944. Les combattants de la Libération avancent prudemment des deux côtés de la RN. Une camionnette allemande venue de Domène surgit alors. Le passager tire. Les Américains protégés par des poteaux répliquent. Le chauffeur est tué d'une balle en pleine tête. La camionnette transportant des soldats allemands s'écrase contre une maison [...]. Les Allemands installent des pièces d'artillerie et pilonnent le centre de Gières [...] Les pièces d'artillerie allemandes seront détruites par l'artillerie américaine après qu'un de leur avion [ils n'avaient qu'un avion ? Un coucou de 1917, sans doute] ait [sic] survolé la zone des combats, et que les troupes américaines se soient [resic] repliées [en plus, ils reculent, ces lâches] vers Grenoble. [...] Il est seize heures trente, après huit heures de combats, Gières est libérée. Sa terre a recueilli le sang de deux civils, six maquisards, et quelques soldats américains [eux, ce n'est pas la peine de les compter. Ils étaient là juste pour le fun]. Etc. Etc.
Et voilà comment on écrit l'Histoire !

 

II. La réaction de mon ami Gilbert R.

 

Je viens de lire ton article et la préface de Figueras. C'est encore plus démoralisant que je ne le pensais. La "liturgie résistante", le manteau de Noé sur la tragédie de l'occupation, etc... Mais pourquoi cette parenthèse sur la France occupée "s'accommodant presque parfaitement de cette occupation" ?
Sur ce coup-là, ton tir à contre-batterie ne me semble pas bien ajusté : "presque parfait", ça laboure le sol un peu trop loin. On pourrait oublier, in fine, qu'il s'est trouvé quand même quelques vrais résistants (avant 1942). À Saint-Ismier, l'un a sa plaque montée de l'Église, l'autre (et sa famille) son monument dans l'ancien four à chaux...


maquis morvan






Et au sortir de Serres, sur la route de Nyons, tu trouveras après un petit pont sur le torrent de la  Blème, une stèle simplissime à la mémoire des "résistants" tués au combat dans la gorge (celle du torrent). Pour tous ces petits gars, le "presque parfaitement" gazouille comme une balle perdue.
Tout le reste est bon. Encore que.







Dans ta cauda, tu présentes un très modeste récit (et très mauvais, en plus) du "combat" de Gières en août 45 (j'en ai plusieurs de la même farine...) comme un exemple significatif de la tendance bien gaulliste à faire de la Résistance l'âme de "tout un peuple"... Où est le rapport ?
Quant à la distinction entre Wehrmacht et la SS, si elle a sa pertinence pour certaines périodes et certains lieux (par exemple Ukraine 1941), elle perd beaucoup de sens dans le cas français d'août 45. C'est une division d'infanterie alpine de la Wehrmacht qui s'est chargée du sale boulot de la SS aux Glières et sur le Vercors (par exemple à Vassieux) - dans le cas des Glières, avec l'aimable collaboration d'une milice bien française, 100 % patriote !
Et Figueras, dans tout ça ?
Tu le vois comme un "Juste", un "Pur", un homme sincère, ô combien ! du ressentiment. Moi aussi. Mais cette énergie primaire qui trouve son impulsion dans les couches profondes de la psyché ne peut faire du ressentiment une force véritable qu'en passant dans le presse-purée de l'intelligence, c'est-à-dire de la faculté de juger, laquelle ne s'exerce que si elle est alimentée du dehors (par nos perceptions) ou du dedans (par nos désirs). Or, il me semble que, dans le cas Figueras, la remontée du flux émotionnel ne parvient pas jusqu'au niveau du presse-purée.
S'ensuivent alors une construction du discours légèrement obscure et des jugements peu élaborés.

Que la Résistance en bloc, en gros et en détail, soit un mythe, c'est une affaire entendue. Il n'est même sans doute pas inexact de considérer les années 70 comme un passage de témoin entre vrais et faux résistants. Mitterrand n'est pas loin. Et Papon ?
Mais de là à y voir les "motifs" d'un repli mondial de la France, il faut s'interroger. Il me semble que pour Figueras, ce repli se traduit surtout par la perte de l'Empire colonial (la France réduite à l'Hexagone...), ce qui peut se discuter de bien des façons (en quoi la France s'est-elle dépouillée en se retirant de l'infecte Algérie française ?). Mais il y a un autre jugement sous-jacent chez Figueras : c'est la fausse Résistance qui serait à l'origine de ce dépouillement et donc de la décolonisation. Et alors ? La vraie, ce serait le maintien de l'Empire ? Là, tout se mélange ! Et il faudrait en conclure que le Gaullisme ne constitue pas la vraie Résistance. Et, à tout dire, je pense, en lisant ce texte, que c'est le fond du ressentiment de Figueras.
Mais il y a plus. Le mythe de la vraie Résistance est lui-même le mythe du Pur et de l'Impur, du Sacré et du Profane, du Vrai et du Faux, etc... de tout ce qui se divise en deux par les artifices du langage (à la différence des systèmes binaires qui correspondent à des flux de particules élémentaires).
Je ne sais pas si on trouverait un temps et un lieu où l'opposition du Pur et de l'Impur n'aurait pas cours. Chaque acte de résistance, au moment où il s'est produit, tôt ou tard, est une aventure individuelle proprement indéchiffrable, au delà du Bien et du Mal. Même les actes de Trahison Pure (dénonciations anonymes, aides apportées à la Gestapo, adhésion à la Milice...) ont une histoire qui transcende le procès-verbal ou le compte-rendu. Quand on descend dans les abysses de la nature humaine, on n'est jamais sûr de toucher le fond, à supposer qu'on puisse refaire surface. Il y a des miliciens qui n'ont pas tiré sur des maquisards, et le capitaine Anjot, de l'armée de Vichy, s'est retrouvé chef des maquis des Glières. Mais ce n'est pas à dire qu'à un certain moment, il faut bien se résoudre à trancher, à séparer le bon grain de l'ivraie, et à faire place nette pour la justice. Il fallait fusiller Papon sur le quai de la gare de Bordeaux où le dernier Juif du convoi a été embarqué par des gendarmes à ses ordres.