"L'expérience de la vie m'aurait bien peu profité, si je ne connaissais pas la force presque indestructible de la légende, et la puissance presque illimitée du mensonge"

(Léon Blum)

"Une erreur néfaste, je dirai même criminelle quand elle est volontaire, assimile au racisme idéologique et exterminateur les attitudes de rejet provoquées par de fort afflux de travailleurs immigrés. Sans doute ces attitudes sont-elles indésirables, sans doute faut-il les faire disparaître, mais on ne peut y parvenir que par l'éducation, l'explication, la persuasion, et surtout en remédiant aux conditions concrètes qui causent les frictions entre nouveaux venus et anciens résidents. Ce n'est pas en insultant ces derniers et en les traitant de fascistes que l'on a une chance de faire éclore en eux de bonnes dispositions à l'égard des immigrés qui, de leur point de vue, viennent les envahir. Ce n'est pas avec l'intolérance qu'on enseigne la tolérance. Comment prétendez-vous, en effet, inculquer à votre société le respect de la personne humaine vis-à-vis des immigrés, si vous pratiquez le mépris quand vous parlez à vos propres concitoyens ? Les mêmes qui dénoncent les "comportements d'exclusion" à l'égard des immigrés... s'y livrent eux-mêmes sans retenue quand ils précipitent dans le gouffre infâme du racisme nazi et veulent frapper, en fait sinon en droit, de mort politique ceux de leurs concitoyens qui ont, sans aucun doute, le tort d'être hostiles aux immigrés, alors qu'il vaudrait mieux convaincre qu'excommunier"

(Jean-François Revel, La connaissance inutile, pp. 72-73)

 

 

[Suite]

 

III-4 À travers Le Méridional, du 26 août à fin décembre 1973

 

Le 29 août, en première page du Méridional, tandis qu'on nous annonce "calme et dignité" au-dessus d'une grande photo des obsèques du malheureux traminot, il est rendu compte, tout à côté, du viol d'une jeune fille par deux Algériens, à Collioure, devant ses deux camarades tenues en respect par une arme. Il y a là une intention éditoriale, c'est évident.

À l'intérieur, en page 13, le quotidien reprend et amplifie les deux événements. Après avoir fait une relation de la cérémonie mortuaire, il nous apprend qu'une alerte à la bombe a été déclenchée, la veille, dans les locaux de l'ambassade d'Algérie à Paris - les spécialistes du laboratoire central de la préfecture de police se sont déplacés, et n'ont rien trouvé.

Il rapporte également une visite du chargé d'affaires algérien à Paris, auprès du ministre des Affaires étrangères, venu lui parler de "la détérioration du climat dans lequel vit la colonie algérienne en France depuis l'assassinat à Marseille d'un conducteur d'autobus par un ressortissant algérien". Selon le même chargé d'affaires, trois Algériens ont été tués depuis samedi : deux à Marseille et un dans la région parisienne, tous par balles(1). Il a donc fait part de la "psychose" qui s'est emparée de la colonie algérienne à la suite des "incidents racistes" de Marseille.

La même page relate par ailleurs l'existence de violents incidents survenus entre militaires et travailleurs Nord-Africains à Toulouse, mais cela paraît n'avoir aucun rapport avec le meurtre du traminot marseillais.

Enfin, le crime de viol est largement développé, précédé d'une remarque caustique : "Il semble que ce soit devenu un principe, dans une grande partie de la presse française, de ne plus citer les faits divers ignominieux, quand ils sont dus aux Algériens.

C'est ainsi que, dimanche soir, à Collioure, trois jeunes campeurs, qui s'étaient installés au Fort-Carré pour la nuit, ont été assaillis par deux Arabes armés d'une carabine...[…] Les deux salopards prirent ensuite la fuite, mais alertés par les jeunes campeurs, les gendarmes de Collioure ne devaient pas tarder à les appréhender. Il s'agit de Ahmed ... 26 ans, et de Ali ... 33 ans, tous les deux originaires de Cherchell, en Algérie, et travaillant en France comme manœuvres. Ils ont été inculpés de viol avec violences. On peut s'étonner que la presse parisienne, si prompte à s'émouvoir sur le sort des Algériens, ait omis de parler de cet odieux attentat".

Le 30 août, le journal annonce à nouveau, dès la première page, deux faits divers, tous les deux sous le titre gras et souligné, "Assez !" Le premier concerne un nouveau viol, celui d'une jeune Manosquine par sept Algériens ; le second, l'agression de deux Algériens, dont l'un est mort des suites de ses blessures(2).

Mais à quel moment, doit-on parler de racisme ?

Ce même jour, Le Méridional publiait une longue tribune concernant l'immigration nord-africaine (par Jean Chelini & Jacques Zattara) sous le titre "Le courage d'une politique", ce texte même qualifié par La Marseillaise de "déchaînement raciste" [Le Méridional, journal "de droite" ne faisait pourtant qu'anticiper un peu le fameux discours de Georges Marchais "Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine" (le 6 janvier 1981)...]

"L'immigration massive des Nord-africains sur le territoire français, écrivent les auteurs, pose des problèmes graves, que l'on ne peut résoudre avec un slogan ou ignorer. Les uns la justifient par la nécessité économique : "il faut de la main-d'œuvre arabe pour les gros travaux que les européens ne veulent plus faire", sans se préoccuper des conséquences politiques ou sociales qu'entraîne cette présence d'une communauté étrangère dans nos villes. D'autres, sans considérer cette nécessité de l'emploi, veulent tout simplement "jeter les bougnouls à la mer", parce qu'ils sont, à leurs dires, "paresseux, hypocrites et cruels". Rares sont ceux qui, sans passion, essaient de rassembler les données du problème pour tenter de le résoudre".

Après avoir stigmatisé les conditions faites aux travailleurs immigrés ("Là s'entasse une population d'hommes qui vivent loin de chez eux dans des conditions d'hygiène physique, morale et sociale détestables"), les deux auteurs en viennent à proposer des solutions, certes pour éliminer la minorité qualifiée de "pègre arabe" ("Passeurs, logeurs, cabaretiers, maquereaux, trafiquants de drogue, tueurs professionnels, pressurent leurs coreligionnaires et entrent en guerre avec le "milieu" européen, auquel ils disputent le marché du crime"), mais surtout pour tirer l'immense majorité des travailleurs étrangers du "cycle infernal des violences", en "tenant compte du droit des personnes, aussi bien des métropolitains que des migrants, des besoins économiques, des nécessités absolues de la sécurité et de l'ordre public". Ces mesures, dont certaines seraient certes considérées comme racistes par nos "repentants", se résument pour l'essentiel en :

- Limitation et contrôle de l'immigration nord-africaine ; contrôle périodique de la population nord-africaine ;

- Obligation pour les travailleurs immigrés de dépenser ou d'investir au moins le tiers de leurs gains en métropole, pour améliorer leurs conditions de vie ;

- Destruction des 'ghettos', et répartition de la population nord-africaine en favorisant l'installation des familles dans un habitat individuel (idée du regroupement familial).

- Mesures sociales favorisant la totale assimilation au bénéfice de ceux des travailleurs qui voudraient devenir français.

Chacun pourra maintenant être libre de trouver, a posteriori, des "appels au meurtre" dans ce texte, écrit à chaud il y a un tiers de siècle(3).

Dans ce même numéro du 30 août, G. Domenech en vient à commenter, souvent avec humour, les réactions qu'il a reçues à la suite de son billet du 26, "assez !", montrant par la même occasion son talent de redoutable polémiste :

"L'article que j'ai publié dimanche, à la suite de l'odieux assassinat d'Émile Guerlache, écrit-il, m'a valu un important courrier auquel je m'excuse d'être dans l'impossibilité de répondre. Merci, en tous cas, à tous ceux qui m'ont manifesté leurs encouragements et leur sympathie.

Quant aux quelques lecteurs (souvent occasionnels, d'ailleurs) qui me reprochent une certaine rudesse de plume, que leur dire, sinon que je souhaiterais plus que quiconque qu'il ne soit pas nécessaire de hurler, dans ce pays, pour être entendu.

Ceux qui ne manquent pas de culot, en revanche, ce sont ces confrères de la presse écrite, de la radio ou de la télévision, ce sont ces hommes politiques, et tous ces chefs d'organisations de gauche qui nous accusent presque de crime contre l'humanité, parce que nous réclamons une solution légale pour un problème posé... eux qui approuvent, depuis de années, toutes les barricades, toutes les manifestations violentes, tous les cocktails Molotov, tous les enlèvements d'otages, toutes les exactions commises par des groupuscules révolutionnaires qui tentent d'imposer leur volonté en terrorisant l'opinion publique.

Mais je crois que la lettre la plus ahurissante que j'ai reçue émane d'un certain R., qui se dit prêtre à Saint-Gabriel (mon saint patron) à Marseille, et qui tient à m'informer qu'il n'était pas en état de grâce, dimanche, en célébrant la messe, puisqu'il a profité de son sermon pour me vouer aux gémonies "parce que l'Évangile, dit-il sans rire, nous invite à choisir à nouveau Jésus-Christ, sans dérobade aucune".

Je n'ai pas eu le privilège d'entendre cette diatribe, mais le ton de la lettre m'en donne une idée : "Au dénommé Domenach" (cet abbé m'en veut tellement qu'il ne respecte même pas mon nom), "Je ne vous dis même pas Monsieur. Ce que vous avez osé écrire dans Le Méridional de ce dimanche n'est pas digne d'un journaliste, n'est pas digne d'un homme. Cela vous déshonore en même temps que le journal déjà pas très honorable qui semble n'avoir pour doctrine que le mépris, la haine et le racisme. Oui, j'ai honte de voir la bêtise et l'ignominie dont vous avez une fois de plus fait la preuve. Honte pour mes frères algériens qui, eux, au moins, peuvent s'honorer de n'être pas de votre race..."

Arrêtons-là, voulez-vous ! je frémis en pensant ce qu'aurait dit ce "bon père" si j'avais osé revendiquer le même honneur !"

En même page, Le Méridional développe deux informations annoncées à la Une ; la première rapporte les circonstances de l'assassinat à Marseille d'un petit délinquant Algérien de 16 ans, abattu en pleine nuit par des coups de feu tirés d'une voiture non identifiée précisément, de la découverte d'un autre Algérien de 42 ans, blessé par un instrument contondant du côté de l'Estaque(4) : selon les enquêteurs, il s'agirait d'une bagarre entre Nord-africains, enfin de la mort à Le Perreux d'un troisième Algérien, tombé à l'évidence non pour des raisons relevant du racisme, mais à cause de l'état d'ivresse de son assassin ; la seconde information insiste longuement sur un autre viol, celui d'une jeune Manosquine, par sept Algériens, déplorant être le seul quotidien à donner cette information(5).

Le 31 août, Le Méridional revient en page intérieure sur "les attaques contre les Nord-africains à Marseille". Il est très difficile de se prononcer, d'après ce que rapporte le quotidien, sur le caractère raciste ou non de ces morts violentes qui sont au nombre de deux.

S'agissant de l'un des deux malheureux, retrouvé blessé près de la gare de l'Estaque, et qui est décédé, on note en citant des sources policières que ses blessures paraissaient avoir été provoquées par le passage d'un train. Les mêmes sources indiquaient que d'autres accidents furent constatés antérieurement au même endroit de la voie.

S'agissant de l'autre ressortissant algérien (un jeune homme de 21 ans) décédé à la suite d'une bagarre "avec des inconnus", la brigade de police dite d'outre-mer fait observer que dans la période d'août précédant l'assassinat du traminot marseillais (du 1er au 24 août, donc), vingt Nord-africains ont été blessés à l'arme blanche par des coreligionnaires, une tentative d'homicide a été commise par un Nord-Africain sur un coreligionnaire, un Algérien a été assassiné par un coreligionnaire ; tandis que, durant la même période, aucune attaque d'Européen contre un travailleur africain immigré n'a été perpétrée. Ce qui incite, en conclusion, à penser qu'il est prématuré de mettre sur le compte du racisme toute agression dont est victime un travailleur étranger, avant même que ne soient connus les résultats des enquêtes policières.

Par ailleurs, sur la même page, le quotidien rapporte le conflit opposant la direction nationale de l'UJP (les jeunes gaullistes) accusant la section marseillaise de racisme pour avoir réclamé du gouvernement, après l'assassinat du traminot, que, "tant dans l'intérêt des Français que dans celui des travailleurs immigrés en situation régulière, des mesures énergiques soient prises afin d'éliminer une certaine pègre qui nuit à la communauté nord-africaine tout entière". Il énumère tous les soutiens (en particulier ceux de certains membres du Comité central de l'UDR - ancêtre du RPR - reçus par la section locale (qui a démissionné de l'UJP) à la suite de sa prise de position - dont on remarquera qu'elle est en tous points calquée sur celle de Domenech.

S'agissant des incidents "racistes", les choses semblent se calmer jusqu'à la mi-septembre(6).

Le 16 septembre, Jacques Paget (ancien médecin militaire à Alger, dans les années 43-44) fait paraître une opinion, "Questions sur l'immigration". Il rappelle au départ une antienne : "Les travailleurs immigrés (arabes, essentiellement) sont indispensables puisque désormais les Français refusent d'exécuter certains travaux trop rudes". Il lui oppose le fait qu'aux États-Unis - selon lui - les choses ne se passent pas ainsi. Il prend comme exemple la nationalité des ouvriers construisant les gratte-ciels, de l'autre côté de l'Atlantique, et celle(s) des travailleurs construisant, chez nous, la tour Montparnasse. "Cela se passe de commentaires", conclut-il. Il se dit convaincu que si les travaux dits pénibles étaient davantage rémunérés, les Français ne les rejetteraient plus - ce qu'il faudrait démontrer.

Le 20 septembre, le journal rend compte de la suspension de l'immigration algérienne vers la France, suspension décidée par le "Conseil de la Révolution" algérien "en attendant que les conditions de sécurité et de dignité soient garanties par les autorités françaises aux ressortissants algériens". Le communiqué du Conseil ajoute un hommage "à la maturité politique de l'émigration algérienne qui a su déjouer toutes les provocations, et aux voix françaises qui se sont élevées contre toutes les manifestations racistes qui ont abouti finalement aux attentats criminels". Mais voilà, on l'a vu en passant en revue les jours et les mois antérieurs : absolument rien ne vient étayer l'hypothèse de ces "attentats criminels", pour nombre d'entre eux règlements de comptes entre coreligionnaires.

C'est d'ailleurs ce qu'un éditorialiste, J. de Lacenne, met en lumière, dans un article publié le lendemain, 21 septembre, sous le titre "Ni généraliser, ni grossir", observant dès l'abord que "si la main-d’œuvre algérienne est utile à l'économie française, les quelque deux milliards de francs que cette main-d’œuvre envoie annuellement dans son pays d'origine ne le sont pas moins à l'économie algérienne", puis ramenant les faits à leur juste proportion, en rappelant le communiqué du ministre français du Travail(7), qui parlait de "la dramatisation artificielle de la situation" (le Ministre faisait allusion à des "incidents profondément regrettables" et nullement à des crimes de sang) et rappelant que "la France n'a pas de tradition xénophobe". On a bien l'impression, à cette date, qu'il s'agit réellement d'une dramatisation artificielle, peut-être destinée, selon le journaliste, à obtenir pour l'Algérie de "nouveaux avantages" (il cite l'augmentation des quotas d'importation de vins algériens).

Le journaliste préconise donc une maîtrise des flux migratoires en s'opposant à l'immigration clandestine (un tiers de siècle plus tard, on en est toujours là), et termine en fustigeant la notion de "race".

À partir du 21 novembre, Le Méridional fait paraître les réflexions issues d'une intéressante "table ronde", portant sur le sujet "l'immigration et nous", qu'il a organisée, après avoir réuni des personnes compétentes. L'un des participants, qui est avocat, évoque la nécessité de la création d'un ministère de l'Immigration, création qui vient de voir le jour, après plus de trente années, au milieu des cris d'orfraie que l'on sait… Un autre ne craint pas de déclarer : "Le Français, nous le savons, n'est pas raciste". Puisqu'il le dit... Et qu'il est le vice-consul du Maroc(8)...

Le Directeur de l'aide aux Travailleurs d'Outre-Mer, qui ne craint pas de dénoncer le sort fait aux immigrés, qu'il qualifie de "soutiers de l'Europe", ne se prive pas d'affirmer par ailleurs : "Nous nous battons contre l'élevage et l'abattage des moutons dans les cités. L'odeur des peaux qui sèchent est affreuse, et les tripes bouchent les W.C.". Encore des propos racistes, tenus par un responsable ! Lequel fait aussi appel à une image tirée de Platon, pour appeler de ses vœux une réunion fraternelle des peuples vivant autour de la Méditerranée(9).

Et nous voici enfin au 15 décembre 73 ; la veille, ce fut l'explosion d'une bombe au consulat d'Algérie de Marseille, tuant quatre personnes, et en blessant vingt autres. Toute la Une du Méridional est consacrée à l'attentat, sous le titre générique : "Du sang pour rien".

Et Domenech d'écrire, dans ce style percutant que nous connaissons maintenant bien : "... Dans l'état actuel de l'enquête, c'est plutôt vers cette catégorie de dangereux imbéciles qui se veulent des "justiciers" que j'orienterais mes recherches. Il s'agit, en tout cas, d'un salaud de la plus belle espèce, et plus vite il sera pris, mieux ça vaudra. Quel qu'il soit en effet, à quelque race, religion ou parti qu'il appartienne, celui qui a placé cet engin de mort dans le hall du consulat d'Algérie à Marseille ne mérite pas le nom d'homme. C'est la forme la plus hideuse du crime politique que celle qui consiste à tuer au hasard, d'autant qu'on épargne pratiquement toujours ceux qui sont visés en principe. [...] La façon même dont le paquet explosif a été déposé dans le couloir de l'immeuble démontre que le coup a été prémédité. Et il n'en est que plus odieux [...] Qu'est-ce qu'ils avaient à voir, ces pauvres bougres déchiquetés par une bombe anonyme, avec les seigneurs du pétrole ? Est-ce la faute de Mohamed Chouache si nous devons un jour manquer d'essence ? Était-ce Kébaïli Guizout qui est responsable de la guerre du Kippour ? Était-ce Suzanne Ayvassian qui doit payer pour la délinquance nord-africaine ? Et le jeune Houas Djemeh, à onze ans, peut-il être considéré comme coupable de quoi que ce soit vis-à-vis de la France, de la race blanche, ou de nos religions non-musulmanes ? Les Provençaux en tous cas, et les Marseillais en particulier ... ne permettront pas qu'une poignée de trublions haineux ou de provocateurs sans scrupules versent le sang pour semer le racisme dans une région qui ne l'a jamais connu"(10).

Le 16, le journal publie un éditorial signé "MF", donc issu du Rédacteur en chef. On y reconnaît d'ailleurs la "patte" de Domenech dans ce texte intitulé "Contre toute violence". Cet éditorial sans ambiguïté dénonce certes "les détestables individus qui commettent leur forfait dans le secret de leur lâcheté et qui ne méritent pas d'être confondus avec les humains". Mais il entend aussi fustiger "ceux qui se réjouissent du malheur parce qu'ils espèrent en profiter. Ceux-là aussi sont complices et par là condamnables".

En effet, si l'on apprend que l'attentat a été "revendiqué par un groupe inconnu" [Charles-Martel], on apprend, en parallèle, qu'il est aussi "exploité au maximum par les gauchistes". C'est ainsi que le journal signale, le lendemain, lorsqu'il rend compte des obsèques des victimes ou plutôt du parcours emprunté par le cortège, depuis l'hôpital de la Timone jusqu'à la porte d'Aix(11), la "présence d'agitateurs maoïstes bien connus(12) venus, comme à l'accoutumée, dans l'intention délibérée d'essayer de créer de nouveaux incidents en profitant de l'émotion de la foule".

Il précise que "malgré les appels des représentants de l'Amicale des Algériens, les invitant à la dispersion", les groupes maoïstes se heurtèrent à la police, avec les slogans de longue date éprouvés (Crs-SS, à bas les flics fascistes...), avant d'être dispersés par une charge brève, mais violente, qui laissa trois blessés sur le sol.

Et le 18, Gabriel Domenech est à nouveau sur le pont, sous le bandeau "Terrifiant", cette fois pour communiquer son émotion à la suite des attentats d'Athènes et de Rome (une quarantaine de victimes) : "Des hommes, ça ? Non, des chacals. Et plus chacals qu'eux encore, ceux qui les dirigent. Et plus odieux encore ceux qui les soutiennent. [...] Depuis des mois et des mois, sous prétexte de défendre la cause palestinienne - dont personne n'a jamais nié qu'elle fût humaine, mais que pas un seul État arabe n'a encore essayé de résoudre autrement qu'en paroles - ces chacals se livrent à la plus atroce des escalades, celle de la violence et de la terreur. On croyait avoir atteint le comble de l'horreur avec le massacre de Munich ! Hélas, on a vu pire, hier, à Rome [...]. Le malheur, c'est que les nations civilisées, au lieu de faire front contre cet effroyable système qui ne peut conduire qu'au pire, ont eu à tour de rôle la lâcheté de s'incliner devant les criminels".

Ce qui nous conduit à nous intéresser très sommairement à quelques événements survenus au cours de l'année 1973.

 

IV- L'année 1973, en France et dans le monde

 

Année fort troublée que cette époque qui fut aussi, sur le plan intérieur, le temps de la "justice populaire" œuvrant auprès du juge Pascal tout en attisant ses fantasmes. À l'extérieur, se préparait la destitution d'Allende (mi-septembre 1973), et s'annonçait le contexte de la guerre du Kippour qui débute le 6 octobre 1973, le roi Fayçal ayant proclamé, le 30 août 1973, "l'argent du pétrole… doit être utilisé contre Israël". Contexte passablement agité, donc, ce qui peut expliquer nombre de réactions.

Et cependant, au même moment, Gabriel Domenech réservait sa fougue vengeresse et sa plume vitriolée aux acteurs, qu'il traitait de "tristes pitres", de La Grande Bouffe (film qu'il qualifiait d'écœurant, une semaine plus tard) venus faire un numéro selon lui peu ragoûtant au Gala de l'Union des Artistes (Le Méridional, 13 juin 1973) ; il s'occupait davantage d'interviewer aimablement la sœur cadette (de sept ans) de Marcel Pagnol, Mme Gombert (Le Méridional du 16 septembre 1973) que de rédiger ces "éditoriaux violemment anti-immigrés et anticommunistes" dont, à croire l'auteur cité supra, il inondait son quotidien(13). Le 20 mai 73, enfin, il se réjouissait de la prochaine expulsion du pasteur suisse Berthier Perregaux, agitateur au milieu de Tunisiens en situation irrégulière.

Et voici que le jeudi 21 juin 1973, premier jour de l'été, une très violente manifestation "gauchiste" fut organisée sur le pavé parisien pour protester contre la tenue d'un meeting par "Ordre nouveau" (organisation d'extrême-droite, à n'en pas douter) à la Mutualité de Paris, meeting dont le thème était l'arrêt de "l'immigration sauvage". Au cours d'intenses affrontements, de nombreux policiers furent blessés. Aussitôt des perquisitions, fructueuses dit-on, furent conduites à la fois dans les locaux de la Ligue communiste (trotskyste) et dans ceux d'Ordre nouveau.

La Ligue communiste fut dissoute, et certains de ses dirigeants emprisonnés(14).

Ici, on nous permettra de marquer un temps d'arrêt pour faire entrer la petite histoire dans la grande, et relier le passé au présent : un jeune homme était là, quelques jours après, vociférant dans sa sono contre l'attitude du Ministre de l'Intérieur (Raymond Marcellin, toujours lui). Voilà qu'il est filmé par la caméra d'une jeune bourgeoise issue de la dynastie des Servan-Schreiber. Et c'est ainsi que trente-cinq années plus tard, ce jeune homme, ancien directeur de Rouge, devenu député et/ou sénateur socialiste fidèle compagnon de Fabius, férocement qualifié de "Titan de la pensée" par le regretté Jean-François Revel, vient de faire son Cirque d'Hiver en épousant son égérie, toujours éprise de cinéma, mi-septembre 2007 ; réunissant pour la circonstance toute la Gauche-caviar, et même au-delà, sous les sarcasmes et les quolibets de son ancien journal(15) !

Mais revenons à l'année 1973. Si le bureau politique de la Ligue communiste se félicitait, quant à lui, du "succès de la contre-manifestation" et de la façon dont "les anti-fascistes ont bousculé à plusieurs reprises les brigades spéciales qui protégeaient la démonstration raciste", tout en accusant le gouvernement d'avoir déployé ses efforts "pour protéger le meeting raciste", en revanche un certain Gérard Monate, qui devait devenir (tristement) célèbre un peu plus tard, condamna "unanimement les agressions dont ont été l'objet les policiers chargés d'assurer la liberté d'expression à une réunion autorisée par la Préfecture de Police". N'oublions pas que c'étaient là les propos d'un socialiste, qui demeura fidèle à son parti même lorsque ce dernier l'eut abandonné. Cela mérite d'être souligné. Et il n'est pas jusqu'au Comité de Défense de la République qui dénonça "le comportement fasciste des militants d'extrême-gauche", précisant que "Ordre Nouveau", dont il désapprouvait les thèses, avait le droit "de pouvoir se réunir pour s'exprimer".

Évidemment, Gabriel Domenech but du petit lait, à cette occasion. Dans un billet intitulé "La main dans le sac", il rapportait le 23 juin, avec une délectation certaine, un savoureux compte-rendu d'écoute téléphonique concernant une conversation entre Maurice Clavel et Jacques Debu-Bridel, frères ennemis de l'anarchisme et du gauchisme, tentant de réunir leurs maigres troupes respectives pour aller "casser la gueule à ces salauds d'Ordre Nouveau".

Lesquels, ajoute Domenech "osaient se réunir à la Mutualité pour protester contre l'immigration sauvage. C'est-à-dire contre l'envahissement de notre pays par toute une population incontrôlée... dont les exploits constituent l'essentiel des rubriques 'faits divers' dans la presse française". voilà bien une notation que d'aucuns qualifieront de raciste, avant tout examen…

Il remet le couvert le 25 juillet(16), à l'annonce de la fin d'une prise d'otages par des "terroristes" palestiniens, et de l'explosion dans le feu d'un immense brasier, sur l'aéroport de Benghazi, d'un Jumbo-Jet de chez Boeing. Et de rappeler alors que, début septembre 1970, quatre autres appareils avaient été dynamités après avoir été détournés de leur destination par des commandos palestiniens, l'un au Caire, les trois autres à Zarka, mais aussi de faire allusion à l'attentat perpétré en mai 1972 à Lod, en Israël(17).

et il ajoute : "voilà où nous en sommes arrivés. Voilà où nous conduit le terrorisme. Voilà la sorte de guerre que les Krivine, les Rocard, les Maurice Clavel, les Jean-Paul Sartre et autres illuminés ont prônée derrière les criminels du marxisme-léninisme dont la plupart, aujourd'hui, essaient de renverser la vapeur parce qu'ils craignent que leur aberration se retourne contre eux dans les pays où ils sont au pouvoir..."

Puis il s'interroge : ce geste insensé, les terroristes l'auraient-ils accompli "si, au lieu d'en faire des héros, le monde en faisait le symbole de la pire barbarie ? Qui osera enfin mettre le terrorisme au ban de l'humanité ?"

Nous voici au 6 septembre 73. Un an après Munich, 6 commandos palestiniens envahissent à Paris l'ambassade d'Arabie Saoudite, s'emparant d'otages. Finalement, après divers périples, ils font reddition au Kuweit, et libèrent leurs otages.

Deux semaines plus tard, nouveau coup de force des Palestiniens, le 29 septembre. Deux commandos s'emparent de 3 juifs soviétiques dans le train Bratislava-Vienne, font pression sur l'Autriche et obtiennent d'elle qu'elle cesse d'autoriser le transit des juifs soviétiques à destination d'Israël sur son sol. Golda Meir ne réussira pas, ultérieurement, à faire fléchir les Autrichiens, à les faire revenir sur leur décision.

Après la guerre du Kippour c'est, le 18 décembre, l'attentat de Rome (entre Rome et Athènes) encore fomenté par des Palestiniens, dont le bilan est d'environ 35 morts. Journée terrifiante puisque le quotidien La Croix, dont on connaît le langage modéré, parla à cette occasion de la "cruauté délibérée" des Palestiniens.

Et il n'est pas jusqu'au 27 décembre, où 13 terroristes turco-palestiniens furent arrêtés au milieu de leurs préparatifs par la D.S.T., dans le Val-de-Marne.

Comment ne pas imaginer que ce contexte violent de l'année 1973 ait pu jouer un rôle sur la mentalité de nos concitoyens, provençaux en particulier ? et pourquoi ne monter en épingle que les victimes - supposées - d'un racisme à la française ? Les nombreux otages, massacrés au cours de cette année-là sur l'autel de causes arabes, doivent-ils être moins considérés que les victimes de l'attentat de Marseille, dont il serait un peu trop facile de trouver les commanditaires dans les colonnes du Méridional ?

 

V- Les douloureuses surprises d'une statistique ministérielle

 

D'autant plus que, pour faire cesser nombre de rumeurs (peine perdue) concernant une France soi-disant à feu et à sang, le ministère de l'Intérieur publia un point-presse(18) au sujet des 129 meurtres (ou tentatives de meurtre), et sur les 74 agressions commises par ou sur des Nord-Africains entre le 1er janvier et le 20 septembre 1973.

Sur les 129 meurtres (ou tentatives), 89 avaient été élucidés (69 %).

39 (44 %) concernaient des meurtres (ou tentatives) commis par des Nord-africains sur des Européens

33 (37 %) concernaient des meurtres (ou tentatives) commis par des Nord-africains sur des Nord-africains

Autrement dit, les Européens n'avaient rien à voir dans 81 % des agressions.

17 (19 %) concernaient des meurtres (ou tentatives) commis par des Européens sur des Nord-africains

Peut-on donc qualifier les seuls Européens d'agresseurs et de racistes ?

S'agissant maintenant des 74 agressions :

18 n'avaient pas encore été élucidées, elles concernaient des victimes nord-africaines.

Taux d'élucidation : 76 %.

Restaient donc 56 agressions :

20 agressions d'Européens sur des Nord-africains (36 %)

30 agressions de Nord-africains sur des Européens (54 %)

06 agressions de Nord-africains sur des Nord-africains (11 %).

Ce sont là des données objectives, certes trop objectives pour avoir été prises en compte par les "repentants", ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui. Et il conviendrait peut-être de reprendre les calculs en les pondérant eu égard au nombre respectif d'Européens et de Nord-africains, vivant en France en 1973... Cela nous permettrait peut-être de savoir si les Français sont vraiment l'affreux peuple raciste dénoncé dans l'émission de Canal Plus.

VI. Les Français, peuple "raciste" entre tous ?

C'est la question qui vient à l'esprit, lorsqu'on prend connaissance de la prose écrite par divers "repentants" avant la lettre, toujours prêts à battre la coulpe de leurs concitoyens.

Outre qu'on pourrait ici rappeler l'opinion, émise en pleine crise de l'été 1973, par le vice-consul du Maroc, participant à la table ronde du Méridional, selon qui "Le Français […] n'est pas raciste", cette prise de position ne fait que conforter celle du ministre français de l'époque, parlant à juste titre de "la dramatisation artificielle de la situation", et rappelant que "la France n'a pas de tradition xénophobe", il paraît opportun d'interroger, hors de nos frontières, un passé très proche, et dans deux directions, seulement :

- en 2004, le ministre libyen des Affaires étrangères, M. Abdel Rahman Chalkam, n'a-t-il pas réclamé des subsides à l'Europe, à propos de la présence de nombre d'immigrés clandestins sur son sol, déclarant en guise de justification : "pour vous, c'est un problème, pour nous c'est une invasion" ? N'a-t-il pas convoqué les ambassadeurs de vingt-deux pays africains pour leur signifier le rapatriement sans délai (et sans la protestation des organisations spécialistes des droits de l'homme) des clandestins dans leurs pays d'origine ?

- Bien plus encore, il me paraît utile, de produire ici quelques extraits d'un magazine peu connu, "Jeune Afrique l'Intelligent"(19), s'intéressant pour l'occasion aux "relations interraciales" au Maghreb. Sous le titre explicite, "Discrimination à l'algérienne", l'auteur qui ne "vise nullement à jeter de l'huile sur un feu mal éteint", estime qu'en dépit d'une Constitution qui "consacre l'égalité entre tous les citoyens algériens", les faits ne vont pas sans "un certain racisme et une 'négrophobie' inconsciente".

Ainsi, il nous présente le cas de Mohamed, jeune universitaire noir, descendant d'esclaves au service de la nomenklatura coloniale turque, qui s'estime "fils de la Casbah, marque déposée, exclusive aux Algérois de souche". Passionné de ballon rond, il est de tous les déplacements de son équipe de foot favorite, l'USM Alger : "nous n'avons pas affaire, dit-il, à un racisme comme celui qui a sévi au sud des États-Unis ou en Afrique du Sud. Il n'y a jamais eu, à ma connaissance, de lynchage de Noir, à la Casbah ou ailleurs. Mais nous avons toujours vécu avec ce perpétuel regard qui nous rappelle notre différence. Mes voisins trouvent normal de m'appeler Babay [un surnom méprisant], mes collègues de travail, mes amis du club de supporteurs et tout le monde en fait autant. Et si je proteste, c'est moi qui passe pour le méchant". Et le dit Mohamed de proposer un Quiz à tous ceux qui veulent savoir si le racisme est une réalité en Algérie :

- Combien d'Algériens noirs font-ils partie des grandes figures du mouvement national ?

- Combien l'armée algérienne compte-t-elle de généraux noirs ?

- Combien de ministres originaires de cette communauté ont-ils été nommés dans les gouvernements successifs de l'Algérie ?

- Combien de footballeurs noirs font-ils partie de la sélection nationale ?

et d'ajouter : " […] Si vous demandez à un jeune de vous citer le nom d'un acteur, d'un dramaturge ou d'un cinéaste algérien noir, il sera bien incapable de vous répondre.

Parfois, quand je marche dans la rue et que quelqu'un veut me demander l'heure, il le fait en français, persuadé qu'il a affaire à un Nigérien ou à un Tchadien, une manière de signifier qu'un Algérien ne peut être noir. […] C'est grâce au service militaire que, sur le tard, de nombreux ruraux ont découvert qu'ils avaient des compatriotes noirs ".

Quant à Rym, une jeune traductrice oranaise, elle évoque les histoires d'amour entre jeunes Algériens de couleur différente : "À Oran, il y a beaucoup de Noirs, mais si l'un d'eux entretient une relation amoureuse avec sa voisine blanche, cela finit rarement avec un "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". L'angoisse de ma mère ? Que je lui ramène, un jour, un prétendant qui ne soit pas blanc. Et s'il est de surcroît étranger, la situation se complique. De nombreuses Algériennes ont épousé des Subsahariens, voisins de banc à l'université. En faisant ce choix, elles ont dû quitter le foyer familial et vivent aujourd'hui dans le pays d'origine de leurs époux. La plupart d'entre elles sont coupées de leurs parents et ne reviennent plus en Algérie. Avant cela, elles ont été raillées, voire agressées, dans leur quartier, car elles auront eu l'outrecuidance de s'afficher avec un Babay, main dans la main".

Le journaliste nous rapporte aussi l'histoire de Zouleikha, secrétaire dans une administration, qui en a vu de toutes les couleurs à Birkhadem, quartier populaire d'Alger. Son tort ? Apprécier la compagnie d'Adif, un diplomate béninois dont la chancellerie se trouvait dans ce quartier. Elle l'invitait régulièrement chez elle. Ses parents n'y voyaient aucun inconvénient. Ce qui n'était pas le cas des voisins. Ils s'en plaignaient à son frère : "Comment peux-tu accepter que ta soeur fréquente un Africain ?" lui demandaient-ils sans cesse.

Sa famille a résisté aux attaques jusqu'au jour où la grand-mère de Zouleikha est venue de son village du Djurdjura passer quelques semaines à Birkhadem. Ce jour-là, Adif était invité à déjeuner. Cri horrifié de la matriarche : "Dachou dibin asaligani yagui sakham ? - que fait ce Sénégalais chez nous ?" demanda-t-elle en tamazight. Face au silence de ses parents, la pauvre Zouleikha tenta de détendre l'atmosphère : "c'est mon ami, et il n'est pas sénégalais". La grand-mère menaça de ne plus remettre les pieds dans la maison si Adif ne quittait pas les lieux sur-le-champ, et Zouleikha fut obligée de mettre son invité à la porte. Son ami parti, elle interpella sa grand-mère : "Je ne te savais pas aussi raciste. Et pourquoi spécialement les Sénégalais ?" Après un long soupir, la matriarche lui répondit : "ce n'est pas moi la raciste, ce sont eux. Les tirailleurs sénégalais positionnés en Kabylie durant les années cinquante nous ont tellement fait de mal. Ils violaient les bergères, pillaient nos troupeaux, saccageaient nos récoltes et nous tiraient dessus comme des lapins"... Pour Sabiha, sociologue à l'université d'Alger, "les méfaits des troupes subsahariennes de l'armée coloniale ont accentué la négrophobie des Algériens du Nord. Saligani, pour "Sénégalais", est devenu le terme générique désignant tous les Africains noirs"(20).

Quant à Serge Nitch, il est camerounais ; il a fait des études supérieures dans une grande école d'agronomie à Alger. Il relève le paradoxe suivant : "L'Algérie est le pays d'Afrique qui offre le plus de bourses d'études aux universitaires venus des quatre coins du continent. Cette volonté du pouvoir algérien à matérialiser son appartenance à l'Afrique et son souci d'intégration sont gravement atténués par le comportement raciste de ses citoyens. Bien sûr, on ne peut affirmer que tous les Algériens sont racistes. Au cours des cinq ans que j'ai passés dans ce pays, j'ai rencontré des gens merveilleux qui n'attachaient pas d'importance à la couleur de ma peau, me traitaient comme leur semblable. Mais leur gêne dès que nous abordions le problème du racisme prouve que ce fléau existe chez eux".

Un Malien, étudiant en théologie à l'université Émir-Abdelkader de Constantine, déclare pour sa part : "je ne peux croire que je me trouve en terre d'Islam, puisque les Algériens nous considèrent comme des animaux. Le dernier incident en date remonte à quelques minutes. En me rendant au cybercafé pour vous transmettre ce courriel, des enfants m'ont jeté des pierres, et aucun adulte n'est intervenu pour y mettre fin. Nous n'avons pas affaire à de simples propos injurieux, mais à de véritables agressions physiques, en plein jour et sans que personne ne s'en émeuve. Nos représentations diplomatiques sont au courant, mais ne font rien pour alerter les pouvoirs publics".

Plus que les garçons, les filles sont soumises à un traitement particulier. Aissatou est nigérienne. Le cycle universitaire qu'elle avait choisi devait durer cinq ans. Elle n'a tenu le coup que dix-huit mois. Elle a quitté l'université de Tizi-Ouzou, a renoncé à sa bourse et s'est inscrite à Dakar : "Notre manière de nous habiller choquait les gens qui nous prenaient pour des putes. Dès que je quittais la cité universitaire, les automobilistes s'arrêtaient pour me demander le prix de la passe". Harcèlement sexuel par les professeurs et assistants, propositions indécentes par les agents de l'administration et humiliations en tout genre ; pour Djeïnaba, mauritanienne, "aux yeux des Algériens, que l'on soit sénégalaise, malienne, zaïroise ou, comme moi, arabe et black, notre venue ici ne peut s'expliquer que par notre volonté de vendre notre corps".

 

VII. Et que dire des Italiens ?

 

À la suite du meurtre - pudiquement qualifié par certains de nos journaux d'agression - le 30 octobre 2007, d'une Italienne par un Roumain d'origine tzigane, de nombreuses agressions ont été perpétrées à Rome et ailleurs, contre des Roumains. Le climat d'hostilité a conduit à des "incidents racistes" dans les stades italiens, lors des obsèques, le 3 novembre, de l'infortunée victime, Giovanna Reggiani. Téléphonant à son homologue italien (le socialiste Romano Prodi), le premier ministre roumain a déclaré que "la situation commence à se dégrader [en Italie] et que cette vague de xénophobie doit être enrayée". Il a également violemment critiqué les mesures que le socialiste Prodi a commencé à prendre : l'expulsion massive et immédiate, par l'Italie, de ressortissants roumains. On notera par ailleurs que plusieurs pays d'Europe occidentale ont restreint l'accès des Roumains à leurs marchés du travail respectifs, et que le gouvernement roumain - en la personne de son ministre des affaires étrangères - a envisagé l'achat d'un "morceau de désert" (égyptien) pour y parquer ses Roms ("pour y mettre tous ceux qui nous font honte")... Quant à l'Espagne, elle redoute que les Roms menacés d'expulsion en Italie fassent route vers la péninsule ibérique...

Et ne citons que pour mémoire les Néerlandais, troublés actuellement par une "invasion polonaise", et redoutant un proche afflux de travailleurs bulgares et roumains, à cause de la levée de la restriction à l'emploi de la main d'œuvre en provenance des pays d'Europe centrale...

Les journaux, octobre-novembre 2007

 

Bref, plutôt que de solliciter très largement les faits (c'est un euphémisme), ou de leur prêter un sens qu'ils n'avaient pas, il eût été possible de parler d'une époque où les sentiments de répulsion à l'égard des étrangers s'étaient donné libre cours. Il eût été possible, par exemple, de ramener à la mémoire collective la tuerie d'Aigues-Mortes qui, à la mi-août 1893, vit la population locale "ratonner" toute une foule d'infortunés Italiens sans défense. De nos jours, cet élément peu glorieux de notre histoire a été traité dans un livre étonnant et exceptionnel, mais qui a connu un succès tout relatif, je veux parler de La nuit de Faraman, de Christian Liger(21).

Peut-être est-ce d'ailleurs trop demander aux amateurs de sensationnel et d'à-peu-près, que d'exiger un respect scrupuleux des faits ?

 

Pour en revenir à Gabriel Domenech et à ses emportements, il apparaît donc, au terme de nos lectures, que l'habit de raciste violent et pousse-au-crime, qu'on a voulu lui faire endosser si longtemps après sa disparition, n'est pas convenable.

Comment ne pas voir en revanche un portrait fidèle de lui, pourtant dressé dans un journal qui ne l'aimait pas(22), dans les lignes qui suivent : "Gabriel Domenech […] militant de la J.O.C. en 1940, diffusait des tracts de Témoignage chrétien sous le manteau (" Choisir le Christ ou Hitler ") […] mais Gaby n'a rien à voir avec la droite et ses "groupuscules de casseurs", rien de commun avec la droite "du renoncement". Il est - comment dire ? - anarchiste, "anarchiste de droite".
Brave type, fort en gueule, qu'un Dieu et plusieurs maîtres : Travail, Famille, Patrie
".

 

 

 

 

VIII. Et pour terminer, quelques dires de Gaby...

 

 

À Mohamed X..., travailleur algérien immigré

 

"Certains n'emploient leur parole que pour déguiser leur pensée" Voltaire

 

Mohammed,

 

C'est à toi [Si j'emploie le tutoiement, c'est parce qu'il est de rigueur en langue arabe] que j'ai décidé d'écrire aujourd'hui, en espérant que tu m'accorderas la faveur de me lire puisqu'aussi bien certains ne cessent de te dire du mal de moi et des Marseillais, depuis août 1973, en nous faisant passer pour tes pires ennemis parce que nous nous sommes élevés, un jour qu'un de tes compatriotes a égorgé sauvagement un malheureux conducteur d'autobus, contre les crapules qui s'introduisaient chez nous en profitant d'une immigration massive et incontrôlée.

Bien sûr - et je le précisais assez clairement à l'époque pour que personne de bonne foi ne puisse s'y tromper - ce n'est pas à toi que je faisais allusion dans mon propos. J'ai trop de respect pour les hommes, à quelque race, à quelque religion, à quelque philosophie, à quelque tendance philosophique qu'ils appartiennent, pour vouer (aussi aveuglément que les menteurs le prétendent) un peuple tout entier aux gémonies. Je ne suis pas de ceux qui voulaient faire de l'ensemble des Allemands, en 1945, les complices des crimes d'Hitler. Je ne suis pas non plus de ceux qui réclament la corde, la prison ou le camp de concentration pour les gens qui ne pensent pas comme eux. Je ne suis pas de ceux qui justifient les massacres quand les victimes ne sont pas de leur bord. Je ne rends pas tous les communistes responsables des crimes de Staline, pas plus que je fais de tous les Siciliens des membres de la Mafia. Pourquoi, dans ces conditions, te confondrais-je, toi qui es venu chez nous pour gagner ta vie à la sueur de ton front, avec ceux de ta race qui, profitant de la coupable faiblesse de nos pouvoirs publics, se livrent à toutes sortes de méfaits ? Ce n'est pas le fait d'être Algériens que je leur reproche : c'est d'être des canailles, et de se servir de leur ressemblance physique avec des centaines de milliers de braves travailleurs comme toi pour camoufler leur canaillerie.

D'ailleurs, comment pourrais-je t'en vouloir d'être un travailleur immigré ? Mon père en fut un. Et je sais mieux que quiconque, dès lors, le courage et l'abnégation qu'il faut pour quitter sa patrie, pour laisser sa famille, et s'en aller, tout seul, avec ses bras comme unique capital, accepter n'importe quelle tâche en pays étranger, vivre difficilement parmi des gens qui t'ignorent parce que tu parles mal leur langue et n'as pas les mêmes coutumes. Mais qui pourrait faire grief à un homme d'être un immigré, si cet homme respecte les lois de la nation qui l'accueille ? Et que serait devenue Marseille depuis vingt-cinq siècles, si elle avait connu les sentiments de racisme et de xénophobie que les provocateurs de la presse et de la politique lui prêtent depuis quelques mois ? Il n'y a probablement pas, autour de la Méditerranée, de ville qui comporte plus de sangs mêlés, de nationalités croisées, de races confondues. Quant aux Algériens, Marseille n'a pas attendu 1962 - comme tant de villes françaises et européennes - pour les découvrir. Il y en a toujours eu chez nous. Et, que je sache, rien ne les a jamais opposés aux Marseillais.

Alors pourquoi voudrais-tu que, soudain, ceux-ci - et moi en particulier - te haïssent à cause de ta race ? As-tu seulement posé la question à ceux qui essaient de te le faire croire, pour voir ce qu'ils te répondraient ? Et leur as-tu demandé aussi pourquoi antiracistes comme ils prétendent l'être, ils ne se sont jamais intéressés au sort des harkis, lesquels, bien qu'ayant choisi de devenir Français, sont encore plus malheureux que toi, en général ? Ce sont pourtant des maghrébins, les harkis !

Je vais te dire, Mohammed, ce que pensent les Marseillais - et moi en particulier - quand ils te croisent dans les rues de la ville ou celles de leurs quartiers. Ils te plaignent d'avoir été forcé de t'expatrier pour te nourrir et nourrir ta famille parce qu'ils avaient cru - on le leur a tellement dit - que les Pieds Noirs vous exploitaient jusqu'au trognon et que vous seriez plus heureux quand vous seriez indépendants. Ils ont donc été tout surpris de te voir arriver, avec des centaines de milliers de tes semblables, mais ils auraient accepté cette immigration si elle ne leur avait pas amené, en même temps, tant de tes compatriotes qui se comportent mal avec eux. Je sais bien que ce n'est pas ta faute, et qu'il ne serait pas juste de te rendre responsable de la mauvaise conduite d'une minorité qui te menace, te vole, te brime, t'exploite et quelquefois te tue encore plus facilement qu'elle ne le fait pour les Marseillais. Seulement, les Marseillais sont chez eux, entendant y vivre en paix, et ont déjà assez de la voyoucratie locale sans qu'on fasse appel à la main d'œuvre étrangère en la matière, si tu vois ce que je veux dire.

Ce qui fait que - les habitants des quartiers bourgeois et les masochistes mis à part - ils en ont ras-le-bol (comme on dit) et pourraient finir par ne plus faire la différence entre les bons et les mauvais pour peu qu'on persiste à les accuser de racisme au lieu d'apporter des remèdes à la situation créée par des gouvernants aveugles… ou sans courage !

Voilà où nous ont conduits tes prétendus amis, Mohammed ! Toutes ces bonnes âmes qui n'y voient pas plus loin que le bout de leur sentimentalisme bêlant. Sans parler de ceux (plus dangereux) qui n'ont d'autre souci que de se servir de toi, parce qu'ils ont besoin d'une masse sous-prolétarisée pour tenter d'imposer chez nous, malgré tout, leurs idées révolues qui ont fait faillite, le progrès ayant systématiquement contredit les prévisions de leurs maîtres à penser. On veut se servir de toi pour détruire notre société (une société sans laquelle, pourtant, tu n'aurais même pas ce que tu as), et c'est pour cela qu'on te fait croire que nous sommes tes ennemis, qu'on te fait endosser les méfaits des voleurs, des casseurs, des tueurs de ta race en clamant qu'on te désigne chaque fois qu'on les dénonce.

Te laisseras-tu longtemps manœuvrer, Mohammed ? N'as-tu pas encore assez souffert des bons conseils et des belles promesses de ces curieux amis ? Ne vois-tu pas qui sont les véritables racistes, ceux qui te méprisent tellement qu'ils ne t'accordent même pas l'intelligence de comprendre tes propres intérêts ?

Crois-moi, les Marseillais n'ont jamais demandé à ceux qu'ils accueillent autre chose que de les respecter comme ils les respectent. Ne cherche pas ailleurs une raison à leur grise mine, quand ils font grise mine. Et sois leur allié pour chasser de notre sol ceux qui violent les lois sacrées de l'hospitalité. Tu verras tout ira mieux, ensuite !

15 Février 1975 [pp. 51-53

 

Aux pourfendeurs d'un prétendu racisme qui pourraient bien finir par le provoquer

 

"Un racisme intelligent, qui a le sens de la diversité des ethnies dans le monde, est moins nocif qu'un antiracisme intempérant, niveleur et assimilateur".

Raymond Ruyer

Décidément, vous ne serez pleinement satisfaits que lorsque vous aurez réussi à faire exploser la violence à Marseille. D'une manière ou de l'autre. Soit en surexcitant une minorité d'Arabes (déjà cyniquement "travaillés" par les jobards de la révolution permanente) qui, un beau jour, sans crier gare, dans un réflexe de peur ou de haine, peuvent sortir le rasoir qu'ils ont dans la poche pour égorger quelques passants qui n'auront que le tort de se trouver à leur portée. Soit en exaspérant une poignée de Marseillais qui, rendus fous par votre inlassable mauvaise foi, croiront devoir vous donner raison en allant jeter, à l'aveuglette, une grenade ou deux au milieu d'un paisible rassemblement de Nord-africains au nom de je ne sais quelle justice immanente.

Alors, vous aurez gagné votre pari stupide, et il sera trop tard pour gémir sur le sort des innocentes victimes. Les apprentis-sorciers que vous êtes se retrouveront criminels. Autant vous le préciser tout de suite, puisque votre éternelle bonne conscience aurait vite fait, à ce moment-là, de vous transformer en pudiques Ponce Pilate.

Mais à quel jeu vous livrez-vous, confrères qui travestissez tout ce qu'on vous dit et ne voulez voir que ce qui peut aggraver une situation déjà suffisamment tendue ? C'est la question que nous nous posons périodiquement à Marseille, en lisant votre prose venimeuse ou en écoutant votre façon de déformer la vérité, à la radio et à la télévision.

Une fois pour toutes, vous avez décidé que nous sommes une ville raciste parce que nous nous sommes émus, il y a deux ans, devant l'afflux d'une immigration algérienne absolument incontrôlée. Depuis, tout le monde (du Président de la République au plus modeste des édiles locaux) a reconnu la nécessité de porter remède à la chose. Mais vous n'en avez cure. Pour vous, tout ce qui est marseillais est pourri. Ce n'est pas d'aujourd'hui que vous nous faites cette réputation. Et, naturellement, nous le sommes aussi bien dans notre moralité que dans notre travail, notre politique, notre football, notre police, notre justice, et, du même coup, notre façon de traiter les gens qui viennent travailler chez nous et n'ont pas notre couleur de peau. Haro sur Marseille, donc ! Tant qu'à faire, pourquoi ne pas rééditer 1793 en décrétant "Sans nom" notre ville indigne ?

Le seul détail qui vous échappe, dans ce déferlement de calomnies plus ou moins clairement exprimées, c'est que si le racisme est le fait d'imputer à toute une collectivité les actes ou les sentiments de tel ou tel de ses membres, c'est vous qui êtes des racistes. Et de la pire espèce, puisqu'il ne se produit pas le moindre fait divers mettant en cause un Arabe, à Marseille, sans que, aussitôt, vous ne repreniez votre antienne. À la condition, évidemment, que l'Arabe soit la victime. Car dans le cas contraire - ça arrive tout de même, non ? - il ne s'agit plus que de la peccadille (bien excusable, n'est-ce pas ?) commise par "un individu de type méditerranéen".

Vous venez de recommencer avec l'affaire Laïd Moussa. Avant même de savoir exactement ce qui s'était passé, vous dénonciez le racisme marseillais. Sans vous étonner le moins du monde de la manière extrêmement curieuse dont l'exécution de cet homme a été perpétrée. En oubliant de noter qu'il n'y avait pas eu la plus petite protestation publique à la suite du verdict de la cour d'Assises des Bouches-du-Rhône le 12 mars dernier. En ignorant qu'il y avait des Marseillais dans ce jury qui fit preuve de clémence pour un meurtrier.

Et pourtant, qu'auriez-vous dit - je frémis rien que d'y penser; si le contraire s'était produit - si un travailleur marseillais, agacé par l'électrophone d'un Nord-Africain voisin de palier, était entré chez lui et l'avait tué... Le gouvernement a1gérien, l'Amicale des Algériens en Europe, la Ligue des Droits de l'Homme, l'Union de la Gauche, les Maoïstes, les Trotskystes, les intellectuels, la C.G.T., la CFDT, que sais-je encore, auraient appelé à manifester. Et je n'ose pas imaginer ce qu'aurait été le procès…

Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : rien n'excuse l'assassinat de moussa, quatre jours après sa sortie de prison. Mais pourquoi en faire un crime raciste, alors que vous ignorez tout du tueur et du mobile qui l'animait ? Il se produit chaque jour, en France, des crimes aussi odieux (quelquefois dus à des Arabes, si vous m'autorisez à le rappeler) sans que personne n'y cherche d'autre motif que celui de la malfaisance de leurs auteurs, sans distinction de race, de sexe ou de condition sociale. Cela n'arrête ni votre plume, ni votre bagou : un Arabe tué à Marseille est obligatoirement victime du racisme. Il faut bien justifier vos préjugés !

Remarquez que vous auriez pu vous demander comment cette ville, fondée par des marchands venus d'Asie Mineure, il y a vingt-cinq siècles, ouverte sur l'Orient depuis plus de mille ans, formée de l'amalgame de toutes les races qui ont fait de Méditerranée le berceau de la civilisation, ayant été la première à nouer des relations avec le monde musulman, s'étant montrée en tout temps si tolérante qu'elle ne connut pratiquement pas les guerres de religion, fut détruite par Charles Martel pour s'être alliée avec les Sarrazins et accueillit, en moins de cent ans, des dizaines de milliers d'Italiens, puis d'Arméniens, puis d'Espagnols aujourd'hui citoyens à part entière, vous auriez pu vous demander - dis-je - comment cette cité pouvait avoir un réflexe de rejet face au dernier flux migratoire de son histoire. Vous auriez pu essayer de vous expliquer les raisons du malaise provoqué par la saturation nord-africaine dans ces quartiers où les Français sont maintenant en minorité. Vous auriez pu, honnêtement, vous pencher sur le problème qui est le nôtre depuis que nous sommes devenus, bon gré mal gré, la plaque tournante de l'immigration algérienne. Et, ce faisant, vous nous auriez peut-être aidés à trouver les solutions qui s'imposent et qui, en aucun cas, ne sauraient être celles de la violence.

Mais là n'est pas apparemment votre souci. C'est tellement plus dans la tradition de faire de nous des racistes, après nous avoir voulu fainéants, hâbleurs, nervis, pas sérieux, truqueurs d'élections, menteurs et peu courageux !..

Et puis, un mensonge cent fois répété ne devient-il pas une vérité ?

Peut-être, hélas ! Seulement, c'est toujours une action déshonorante pour ceux qui la commettent, sachez-le !

22 Mars 1975 [pp. 60-62]

 

Textes extraits de © Gabriel Domenech, Les lettres ouvertes de Monsieur Tout-le-Monde, Éditions DGDL, Marseille, 1983, 285 p.

 


Notes

 

(1) Mais où trouve-on trace de ces morts violentes ? et un lien assuré a-t-il été tissé avec l'égorgement du traminot ?
(2) Le 30 septembre, le quotidien socialiste Le Provençal parle d'un jeune Algérien antérieurement blessé, et qui décède. Ce quotidien avait déjà signalé que la police ne faisait pas de rapprochement avec le meurtre du traminot, comme éventuel acte de vengeance. Il va jusqu'à indiquer, assez fielleusement, que le père du jeune garçon était en arrêt pour son septième accident du travail...
Le même jour, Le Provençal donne la parole au Maire de la ville, Gaston Defferre, lequel déclare que "les Marseillais ont eu un réflexe émotif et sentimental compréhensible [...]. Mais après que quelques excités eurent cherché à pousser l'opinion, à commettre des excès, le bon sens a repris le dessus très vite, et aujourd'hui, c'est avec beaucoup de calme, de sang-froid et d'intelligence que les Marseillais essaient de trouver à ce problème" [de la surreprésentation des travailleurs immigrés dans certains quartiers de la ville]. Peut-on imaginer une seconde que si le meurtre perpétré sur le traminot Guerlache avait entraîné une ratonnade (pour parler comme les communistes) de quinze Algériens (ou davantage), le maire socialiste de Marseille se serait contenté de parler dans son propre journal d'un simple "réflexe émotif et sentimental" ?
Le même jour, Nice-Matin rapporte avec force détails des expéditions punitives organisées par des voyous, entre autres contre la Maison des jeunes de Toulon. Un travailleur immigré aurait été pris par malchance dans la tourmente, il est évident que certains en auraient profité pour transformer cette manifestation de malfrats en acte raciste...
(3) Mais comment contenir autrement "l'immigration libre préconisée par les groupes gauchistes" dont même La Marseillaise repoussait l'idée ? Notons qu'aujourd'hui, toute une pléiade d'organisations (Collectifs des sans-papiers, Réseau d'éducation sans frontières, Respect des droits des étrangers, etc.) brave la loi française dans le sens autrefois préconisé par les groupes gauchistes, et ce en toute impunité. Dans quel autre pays au monde trouve-t-on une telle situation ? et la France a-t-elle vocation à accueillir toute la misère du monde, elle qui en prend largement sa part ?
(4) Banlieue de Marseille.
(5) Le quotidien Nice-Matin, quant à lui, cite quelques passages de l'article publié conjointement par MM Chélini et Zattara, ainsi que du communiqué publié par un éphémère "Comité de défense des Marseillais" (une émanation du Front National), selon lequel "l'immigration nord-africaine constitue dans notre pays et dans notre ville une menace sans cesse croissante. Partout en France, les incidents se multiplient dans une indifférence qui ressemble aujourd'hui à de la complicité. Marseille ne sera pas Harlem. Nous dénonçons les méfaits de l'immigration sauvage, etc. etc."
Il n'en reconnaît pas moins que "l'horreur du drame" se double "d'une teinte très prononcée de racisme qui ne manque pas de soulever de vives inquiétudes, au moment où précisément une série d'incidents raciaux vient de se produire dans les Alpes-Maritimes, le Var et les Bouches-du-Rhône" et fait une large place au communiqué de Mgr Etchegaray, indiquant "qu'il ne faudrait pas faire porter sur quelques-uns le poids des responsabilités, qu'il s'agisse du comportement de certains Nord-africains ou de la délinquance juvénile", et ajoutant que le problème des travailleurs immigrés "est un des plus graves de notre pays. Si nous n'y prêtons pas attention, nous courrons devant une flambée terrible de racisme".
(6) Le 1er septembre, le quotidien Nice-Matin signale que le Président Pompidou a adressé un "message personnel" au Président algérien (Boumediene) : dans le même temps, il rapporte que les ouvriers nord-africains de La Ciotat et de nombreuses villes du Midi se sont massivement mis en grève, à la suite de la distribution d'un tract émanant du "Mouvement des travailleurs arabes" dénonçant l'assassinat de sept d'entre eux. Outre qu'il est difficile de faire le lien entre ces morts - qu'il faudrait précisément dénombrer - et leur origine (actes racistes peut-être, ou bagarres entre coreligionnaires), on peut se demander comment ce nombre a soudainement doublé pour être ensuite exploité, sous forme fallacieuse, jusqu'à nos jours.
Il faut noter que l'Amicale des Algériens d'Europe avait désapprouvé les termes du communiqué, "l'heure étant à l'apaisement et non à l'agitation" (on remarquera également que, six mois plus tard, lors de l'attentat contre le Consulat algérien à Marseille, les membres des deux organisations rivales en vinrent aux mains).
Le journal niçois ne manque pas de signaler, tout à côté, plusieurs agressions perpétrées à Marseille même par des Nord-africains sur des Européens... Et il continue, le 6 septembre, la litanie.
Il signale même l'assassinat, à Alger, du poète algérien d'origine française, Jean Sénac. Les habituels défenseurs des droits de l'homme ont-ils, à cette occasion, parlé d'un crime raciste ?
(7) Georges Gorse, un authentique socialiste, et un gaulliste de la première heure.
(8) Si G. Domenech avait été l'affreux et sanguinaire raciste impénitent, éditorialiste d'un journal de la "droite extrême" tel qu'on nous l'a dénoncé à l'envi, imagine-t-on une seule seconde que le vice-consul du Maroc serait venu participer à la table ronde du Méridional ? Il faut en tirer la conclusion qu'il y a, chez nous, des gens peut-être bien intentionnés, mais en tout état de cause plus royalistes que le roi.
(9) Platon, Phédon : "en outre, dit-il, je suis persuadé que la terre est immense et que nous, qui l'habitons du Phase aux colonnes d'Héraclès, nous n'en occupons qu'une petite partie, répandus autour de la mer, comme des fourmis ou des grenouilles autour d'un étang, et que beaucoup d'autres peuples habitent ailleurs en beaucoup d'endroits semblables".
On remarquera qu'il s'agit, là encore, d'une proposition aujourd'hui avancée par notre actuel Président, sous la forme de création d'une Union de la Méditerranée afin d'ouvrir "un espace de solidarité et de coopération" au sud de l'Union européenne.
(10) Le même jour, le quotidien Nice-Matin nous apprend que le préfet de police de Marseille exprime sa certitude que l'attentat contre le consulat n'est pas un acte raciste. J'ignore d'où il tenait sa "certitude", mais il me semble pouvoir affirmer que sa compétence, en la matière, était quelque peu plus étendue que celles de nos habituels "défenseurs des droits de l'homme", en l'occurrence des travailleurs immigrés.
On notera enfin que l'égorgement d'une vieille dame, par un immigré tunisien, un certain Mohamed Briki, dans la région de Grasse, un jour de fin décembre 1973, n'a soulevé aucune vague de "ratonnades"... Le même jour qui vit, à Nice, plusieurs Nord-africains s'affronter entre eux à coups de couteau...
(11) Ensuite, par l'autoroute, les dépouilles ont rejoint Marignane, pour être conduites en Algérie.
(12) Le journal cite les "groupuscules d'extrême-gauche Rouge et Révolution".
(13) Notons au passage l'amalgame subtilement effectué entre l'attitude supposée raciste et l'anti-communisme !
(14) Qu'on se rassure, la République a été plus que clémente et bonne fille, envers ses enragés, de 68 comme de 73. Après avoir connu les geôles de la République, nombre d'entre eux ont vécu sous ses ors, qui comme Inspecteur général de l'Éducation nationale (mais oui, mais oui), qui comme député européen.
(15) Henri Weber, l'ancien créateur de la Ligue communiste révolutionnaire (avec Krivine) a donc loué le Cirque d'Hiver pour accueillir près de 1000 invités (plus de 800, en tous cas)… et je trouve dans un blog écrit par un homme de gauche, ces quelques lignes, qui relèvent du bon sens :
"Imaginez un instant, amis lecteurs, Sarkozy fêtant son anniversaire de mariage en réservant, je sais pas moi, l'Olympia, par exemple. Que ne lirait-on pas dans la presse de gauche, quels cris d'orfraie brutalisée de la rondelle n' entendrait-on pas ! Ce serait un concert étonnant, pas vrai ?". Comme quoi, la Gauche, caviar ou pas, peut tout se permettre, elle.
(16) Il aurait pu aussi parler d'un attentat manqué, le 19 à Athènes, par un Palestinien contre un avion d'El-Al. Et des luttes israélo-palestiniennes sur le sol italien : mi-juin 1973, une voiture bourrée d'explosifs saute dans le centre de Rome (mauvaise manœuvre d'amorçage d'une bombe ?). Les occupants arabes s'en tirent sans dommages. La voiture se trouvait alors tout près des bureaux de la compagnie El Al.
(17) Trois Japonais partis de Rome, se prétendant alliés du Fatah, avaient massacré 26 personnes sur l'aéroport de Tel Aviv.
(18) Publié par de nombreux quotidiens, mais que nous empruntons, en la circonstance, au Dauphiné libéré du 25 septembre 1973.
Un article de la revue Esprit (très favorable aux immigrés, très attentive à leur sort), paru vingt ans plus tôt (n° 9 de septembre 1953, pp. 426-437) révèle en premier lieu qu'à l'époque, la criminalité nord-africaine était sensiblement moins importante que lors des événements ici rapportés. L'auteur (Pierre-Bernard Laffont) indique que sur quatre années et pour la seule région parisienne (qui accueillait à elle seule la moitié des immigrés nord-africains, soit environ cent cinquante mille individus), il n'y eut que 49 Nord-Africains arrêtés pour meurtre ou tentative de meurtre, ajoutant, "il est rare que la victime des Nord-Africains soit française... [sic] Ce sont en général des règlements de comptes entre groupes 'arabes' (Nefra) ou des vendettas (Rebka), les immigrants nord-africains 'réglant' leurs affaires eux-mêmes".
Il convient d'ajouter que bientôt, la rivalité entre tenants du F.L.N. et partisans du M.N.A., dont les règlements de compte eurent lieu aussi sur le sol de la métropole (et ne s'arrêtèrent vraisemblablement pas avec l'accession à l'indépendance), peut expliquer cet accroissement.
(19) N° 2273, livraison du 1er août 2004, p. 34 (Chérif Ouazani, auteur de l'article).
(20) Selon les opinions de chacun, certains diront que les feux de la guerre d'Algérie ne sont pas éteints, d'autres qu'on est toujours le "parachutiste" de quelqu'un d'autre...
(21) Robert Laffont éditeur, 1999.
(22) In Libération du 27 juillet 1986, sous la plume de Jacques Maigne.

 


 


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A la suite de la publication de ce texte, j'ai reçu de mon ami Gilbert R. la lettre suivante :

 

28 novembre 2007

Mon cher Épistémon,

Je viens d'achever ton étude sur Domenech et l'année 73. Je ne te cache pas que j'ai ramé sur certains passages, mais tu as des trucs diaboliques pour inciter ton lecteur à suivre ton discours jusqu'à son terme logique, quod erat demonstrandum.
Ton style, certes, y est pour beaucoup, gouleyant comme un vin du Lubéron, mais il y a aussi la méthode de l'investigation. Division en parties, cohérence et progression, précision et datation des faits rapprochés, etc. Je me demande encore où tu vas chercher tout ça ! Tu n'as pas perdu ton temps à digne...
J'ai toujours pensé que tu t'étais légèrement égaré dans ton métier : je t'aurais bien vu, parfois, sous le chapeau noir de pasteur d'une communauté charismatique... Erreur : c'est sous la "couverture" d'un journaliste d'investigation, un vrai, un dur, genre l'Express ou Le Point, démontant une "affaire" comme un mécano son moteur. Le monde est mal fait. Par exemple, aussi, je t'aurais bien vu, quand j'étais ingambe, comme partenaire de pérégrinations en Vercors et même, plus loin, sur le Danube, dans l'ancienne Autriche-Hongrie dont la destruction ne peut être pardonnée à Clémenceau et aux traités de Versailles (c'était le seul vrai pays civilisé !).
Pour en revenir à Domenech, tu montres que ce n'était pas un "raciste" mais, au-delà, que cette année 73 (qui n'a pas laissé de traces dans nos mémoires) est un condensé de ce que la France peut produire de plus moche dans certaines circonstances, face à un problème migratoire, c'est-à-dire les pires turlupinades et les manipulations les plus infâmes à propos du racisme. Le gauchisme a toujours fonctionné comme une machine à broyer les jugements sains et à renverser les concepts. Malheur à celui qui tombe dans la marmite gauchiste : il est condamné à superposer deux images distinctes, "arabe" et "opprimé", sous peine d'excommunication. C'est une pathologie de l'intellect. Il n'est pas donné à tout être de conserver sa faculté de juger ; c'est même une véritable débâcle de la pensée qui envahit tout et qui perdure !
Quand on a lu ton récit de cette année 73, on sait que le problème de l'immigration se posait déjà dans les mêmes termes qu'aujourd'hui : stigmatisation de tous ceux qui veulent la contrôler avant qu'il ne soit trop tard, avec l'appui de tout ce qui "pense" à gauche, mais c'est une contradiction, alors disons qui "penche" - et l'arme brandie de l'anti-racisme. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts, rien n'est réglé, le gauchisme se porte comme le Pont Neuf (Ah, cette sainte colère contre les tests ADN !;; Ah, les braves gens !). Mieux : on a laissé passer le moment où une solution de bon sens (non raciste !) aurait pu être trouvée. On a récolté en plus les populations issues de l'Afrique noire, les Bohémiens et les étrangers "du dedans", chômeurs professionnels et autres épaves auto-proclamées du "libéralisme".
Je mets le mot entre guillemets parce qu'il a été" métabolisé par le gauchisme pour ses fins propres. Sans compter que par faiblesse, par incapacité à faire fonctionner notre école pour les Africains du Nord et du Centre (comme on l'a fait pour les Italiens, les Polonais, les Arméniens, les Portugais, et j'en passe), on a laissé l'Islamisme militant s'incruster tranquillement dans nos meubles (au point d'essayer d'endiguer le flot par une loi spéciale sur le voile contraire à notre laïcité de séparation : pourquoi interdire ce qui est interdit ?).
Bref, la France de 2007 est encore plus bloquée que celle de 1973. Tes lecteurs verront comment une émission de Canal+ réécrit l'Histoire. Tu as sauvé la mémoire d'un journaliste honnête, ça te sera compté. Et tu as un peu rafraîchi mes souvenirs (ce qui, personnellement, me rendrait encore plus pessimiste...).