LA LETTRE DE R.E.V.E.I.L. N° 6 - 2 juin 2002
Sommaire
La rencontre de Perrier
A propos de lecture : "deux ou trois choses que je sais d’elle…" : témoignage
"La globale, cette galeuse !" (R. Dottrens)
La coopération en classe
Réflexions d'un pédiatre sur le système scolaire français
L’éducation au développement durable
La rencontre de Perrier
30 participants annoncés à ce jour (28 juin), venant d’horizons divers, ce qui promet des échanges particulièrement riches et variés.
La proposition de programme diffusée mi-mai a déjà fait l’objet de quelques suggestions intéressantes. Comme cela avait été précisé dès le départ, il ne s’agissait que de propositions, (difficile de lancer l’idée d’une rencontre sans aucune indication de contenu !), mais les thèmes précis des échanges et l’organisation définitive seront décidés coopérativement en fonction des apports de chacun – et des contributions écrites reçues - par l’ensemble des participants au cours de la première après-midi, le 9 juillet.
D’ores et déjà, deux demandes se sont fait connaître pour une séquence « politique » - et une séquence « d’échanges libres ». Chacun des participants pourra dès à présent y réfléchir. Il est toujours possible aux non-participants de nous envoyer des contributions écrites sur des thèmes qu’ils souhaitent voir abordés. (soit par courrier électronique – en pièce jointe, par exemple – soit par fax (04 73 89 18 46 : ligne de fax/répondeur ouverte 24 h sur 24).
Pour que cette rencontre soit ouverte localement au public, nous avons quand-même fixé deux séquences pour le mercredi 10 : l’après-midi, de 14 h 30 à 18 heures, échanges sur le thème de l’écrit. Et le soir, à partir de 20 h 30, Bernadette ARNAUD (du MRERS) présentera les échanges réciproques de savoirs et « l’arbre aux savoirs » d’un quartier de Tours, en se fondant sur son expérience personnelle.
La date et l’heure de l’A.G. (statutaire) de REVEIL sont susceptibles d’être déplacées en fonction des demandes des participants – merci aux adhérents qui ne pourront assister à cette A.G. et qui n’ont pas encore envoyé leur pouvoir (surtout assorti de leurs suggestions) de bien vouloir le faire aussi rapidement que possible.
Pour les personnes se décidant au dernier moment à venir à Perrier, qu’elles sachent qu’elles seront les bienvenues. Un terrain de camping confortable jouxte le lieu de la rencontre (tél. 04 73 89 03 17) et il existe un « Formule 1 » à une dizaine de km, à Coudes (sortie 7 sur l’A75, en venant de Clermont. En venant du sud, la bretelle de sortie de Vic-le-Comte-Coudes passe devant l’hôtel.
A propos de lecture : "deux ou trois choses que je sais d’elle…" : témoignage
En 1963, j’étais Instituteur dans un village de la plaine d’Alsace et mes élèves produisaient quotidiennement quantité de textes libres sur les sujets les plus divers. Il arrivait parfois que certains de ces textes soient des « tranches de vie » de leur auteur : c’est le cas du texte que je veux évoquer ici. Malheureusement, j’ai perdu le texte original, mais le souvenir m’en est resté très vif, tant il m’apparut à l’époque comme un témoignage rare et précieux.
Blanche était une fillette toute menue pour ses 9 ans, à son arrivée dans ma classe, en CE2. Je ne l’avais pas connue à son entrée au CP, mais j’imagine qu’elle avait dû être de ces enfants, trop nombreux hélas, qui, parce qu’ils ont leur 6ième anniversaire au cours de l’année civile, sont légalement astreints à débuter l’apprentissage de la lecture (notamment). (Voir le texte ci-après de Guy VERMEIL). Toujours est-il qu’à l’issue de cette première année « à la grande école », elle avait été admise… à redoubler son CP. Et cette seconde année ne s’annonçait pas plus fructueuse que la première. Le premier trimestre s’était écoulé et Blanche n’arrivait toujours pas à « démarrer en lecture ». A la rentrée de janvier, sa maîtresse avait réorganisé sa classe en fonction des niveaux atteints : deux rangées de bancs accueillaient les « lecteurs » tandis que la troisième, à gauche – peut-être en souvenir de Charlemagne ! – était dite « la rangée des ânes ». Blanche y occupait, du fait de sa petite taille, la première place, juste devant le pupitre de la maîtresse.
Or un matin, tandis que la fillette prenait son petit déjeuner, elle regardait la boîte de cacao qui trônait sur la table familiale. Et, soudain, nous racontait-elle, un peu moins de deux ans après, elle « lut » l’inscription portée sur cette boîte : BA NA NIA. Ce mot, bien sûr lui était familier, mais elle venait de réaliser la correspondance terme à terme entre la succession spatiale de graphisme, la succession temporelle des sons d’un mot qui lui était familier. C’est ce qu’avec ses mots d’enfants, la fillette venait de nous expliquer.
Ce matin là, comme tous les matins, après avoir donné un travail aux « lecteurs », la maîtresse du CP s’occupa de la « rangée des ânes » : et Blanche, première interrogée, déchiffra correctement le texte du jour. Étonnement de la maîtresse ! La fillette nous cita alors la phrase qui allait changer sa vie : « Mais Blanche, tu sais lire ! Prends tes affaires et change de rangée. »
Rares sont ceux, sans doute, qui ont conservé aussi vif le souvenir de ce moment où se produit le « déclic » familier aux maîtresses et aux maîtres habitués au CP. Déclic ne traduit pas bien cette soudaine prise de conscience que les Anglo-Saxons traduisent par insight et les Allemands par einsicht.
Un jour, peut-être, on renoncera à gloser sur la nocivité de telle méthode de lecture – ou à enfermer les « mauvais lecteur » dans des catégories artificielles (comme la « dyslexie »), - ; on s’étonnera alors devant ce petit miracle qui fait que des jeunes enfants apprennent à lire ; on cherchera à comprendre comment ce miracle se produit soudain alors qu’il semble que rien ne l’annonçait jusque là, non pas à grand renfort de tests et de calculs de corrélations, mais tout simplement par une observation clinique attentive des « cas limites » ; on sortira alors des fausses querelles et on consacrera ses efforts dans la mise en place des conditions les plus favorables à la survenue de ce « déclic ».
"La globale, cette galeuse !" (R. Dottrens)
Psychologue scolaire (et « rééducateur ») pendant vingt cinq ans, j’ai été confronté à plus de mille cas d’enfants qui, pour les raisons les plus diverses, se heurtaient à des difficultés pour apprendre à lire (notamment). Dans les années 60, il existait plusieurs « écoles » d’orthophonistes, mais l’une d’elle supplantait toutes les autres : celle de Madame Borel-Maisonny, auteur d’une méthode d’apprentissage « phono-mimique » qui suivait la démarche synthétique, allant du simple au complexe, de l’élément au tout. Les attaques contre « la globale » n’ont pas commencé avec Madame Borel, mais les siennes furent particulièrement virulentes.
La démarche, dite improprement « globale », avait été préconisée au début du 20ième siècle par un médecin et pédagogue belge, Ovide DECROLY, qui s’était inspiré du travail conduit par ITARD avec l’enfant sauvage Victor de l’Aveyron. Elle consistait à partir du tout (global) pour aller vers l’élément par l’analyse de ce tout. Il est donc plus juste de parler de « démarche analytique » en opposition à la démarche synthétique.
N’ayant guère le choix à l’époque, pour que mes examens soient suivis d’effets positifs, je travaillais à l’époque avec plusieurs orthophonistes dont l’une était une fervente adepte de Madame Borel-Maisonny. Or j’avais beau lui répéter que je ne connaissais pratiquement aucun CP travaillant « en globale », elle ne manquait jamais une occasion pour accuser cette « méthode » de tous les maux – et – déjà ! – de la baisse des niveaux en lecture.
Un jour, on m’avait demandé de rechercher pourquoi une fillette fréquentant une classe où la maîtresse pratiquait la pédagogie la plus traditionnelle qui fût, notamment une méthode synthétique des plus anciennes (P-A PA). Cette fillette ne présentait apparemment aucun des « symptômes » qui aurait permis de la classer comme « dyslexique » au sens « Borel-Maisonny » de l’époque. On était au milieu du deuxième trimestre et elle ne dépassait pas la reconnaissance de quelques-unes des lettres de l’alphabet. Dans un petit test de lecture, elle reconnaissait cependant quelques mots, lisant notamment « la poule » alors que le mot présenté était « le coq » (ce test ne présentait que des mots, sans image, bien sûr).
Après l’avoir adressée à l’orthophoniste, qui, de son côté, examina l’enfant, je reçus un bref compte-rendu qui se terminait par la phrase : « on voit bien là les méfaits de la méthode globale ! ».
J’ai rencontré des centaines de cas analogues par la suite ; la cause est si évidente qu’on s’étonne qu’elle reste méconnue dans la plupart des cas : dans la majorité des CP, le « déclic » évoqué plus haut se produit entre la Toussaint et Noël chez les enfants qui suivent le rythme d’apprentissage considéré comme « normal » (environ les 2/3). Au deuxième trimestre, ces enfants entrent dans la 2ième phase de l’apprentissage, celle du début de la lecture courante. Chaque matin, un petit texte est déchiffré par les enfants les plus avancés ; il est repris ensuite, à voix haute, par chaque enfant, si bien qu’il est rapidement mémorisé. Or les enfants chez qui le « déclic » ne s’est pas produit vont être enfermés, souvent à l’insu des maîtres, dans un processus de globalisation qui ne sera pas suivi de la phase essentielle d’analyse du matériel lexical mémorisé. Comme ils sont souvent débrouillards, ils peuvent même donner l’impression de savoir vraiment lire, dégageant les idées générales d’un texte à partir de certains « indices » (dont les images qui illustrent souvent les manuels de lecture). Il m’est arrivé d’examiner des enfants de CM1 dont personne n’avait réalisé qu’ils ne savaient pas réellement lire !
On peut, bien sûr, discuter du sens de l’expression « savoir lire ». Il n’est pas question de réduire les difficultés d’apprentissage de la lecture à cette observation, mais simplement de signaler l’un des départs de difficultés ultérieures, tellement banal qu’il passe souvent inaperçu. Et accessoirement de montrer sur quoi repose parfois une querelle de méthode !
La coopération en classe
Le Nouvel Éducateur, revue mensuelle de l’ICEM, publié par PEMF, 06376 MOUANS SARTOUX, consacre son dossier du mois de mai 2002 aux « responsabilités dans la classe coopérative ». Occasion pour rappeler que si le but initialement attribué aux coopératives scolaires par B. Profit était partiellement utilitaire (il s’agissait de contribuer à l’équipement matériel des classes), l’objectif essentiel de la coopération dans les classes est éducatif : il s’agit d’amener les enfants, par la pratique quotidienne, à vivre les uns avec les autres et non les uns à côté des autres, encore moins les uns contre les autres. Le dossier cité met l’accent sur l’apprentissage de la responsabilité, le sens de l’engagement individuel au sein d’une collectivité. L’anecdote rapportée ci-dessous illustre un autre aspect éducatif de la coopération.
Lorsque R. est arrivé au CM1, il avait redoublé suffisamment de classes pour n’avoir plus que deux années à attendre avant d’être « dégagé de l’obligation scolaire » (14 ans à l’époque). Il ne savait ni lire, ni écrire, ni compter, mais était précédé d’une solide réputation d’enfant difficile. Et encore n’est-ce là qu’un euphémisme : au CE1, après 3 CP, il lui arrivait de prendre la mouche, de se sauver de la classe en disant qu’il en avait marre et qu’il allait se pendre dans la forêt voisine ! Inutile de décrire l’affolement de son Institutrice qui courait derrière lui pour le ramener à la raison – et à l’école. R. appartenait à une famille logée dans un préfabriqué entouré d’une clôture barbelée, à l’écart du village.
Lorsqu’il arriva dans ma classe, l’effectif était particulièrement chargé : 39 élèves. Mais les enfants savaient que l’on ne fonctionnait pas de la même manière que dans les autres classes de l’école et, très rapidement, ils intégraient le fonctionnement coopératif qui leur était proposé. Sauf R. qui, assis au fond de la classe, gardait les bras croisés en me fusillant du regard, et en marmonnant fréquemment « non » à toutes les propositions que je lançais à la cantonade. Bien entendu, R. n’avait aucun camarade et refusait de participer à toutes les activités de la classe.
Comme tout Instituteur aux prises avec une situation qui le dépasse, j’ai cherché à me débarrasser de cet élève. Un ami conseiller d’orientation, appelé à mon secours, me confirma ce dont je me doutais, que R. était d’intelligence tout à fait normale, mais très asocial, non intégrable et qu’il relevait d’une structure spéciale – qui n’existait pas dans la proche région ! Il me fallut donc bien me résigner à le garder. Après quelques semaines, je ne me souviens plus par quel cheminement, j’appris que cet enfant s’intéressait à l’électricité. Je vis là une voie possible pour qu’il ne perde pas complètement son temps dans ma classe en lui proposant de réaliser des petits montages électriques. Mais nous n’avions aucun matériel adapté pour cette activité et les crédits de fonctionnement étaient gérés par le Directeur qui ne faisait que tolérer mes pratiques pédagogiques et n’avait aucune intention de me faciliter la tâche.
J’en parlai donc au bureau de ma classe-coopérative et suggérait que l’on pourrait peut-être consacrer un peu d’argent à l’achat de quelques petits matériels électriques (piles plates, ampoules, petites douilles, etc.). Lors de la réunion de la coopérative, le samedi suivant, le Président déclara qu’il avait appris que R. aimerait sans doute réaliser quelques montages électriques pour lesquels je pourrais lui donner des indications ; et de proposer que la coopé fasse l’acquisition de petits matériels électrique.
Sans hésiter, les enfants acceptèrent cet investissement à l’unanimité… Sauf R. qui se leva, pâle, défait, bredouillant « pour moi ? pour moi ? ».
Le soir même, j’étais allé à la ville voisine faire les achats nécessaires et le lundi, R. reçut quelques fiches suggérant des montages électriques simples – des croquis sans longues explications écrites, évidemment ! Dans la semaine, il présenta ses premières réalisations à la classe et sut les commenter avec beaucoup d’intelligence, répondant aux questions posés par certains de ses camarades. Dire que R. était transformé ne peut exprimer le bouleversement qui venait de se produire – chez lui mais aussi dans toute la classe.
Sur sa lancée, R. commença à « produire » des textes libres – parfaitement illisibles – mais qu’il « lisait » cependant avec cœur. Être choisi, imprimé, figurer dans le journal mensuel de la classe le mit aux anges.
Nous avions inauguré une pratique nouvelle en « calcul » (à l’époque, on était modeste en primaire : on ignorait les mathématiques !). M’inspirant à la fois de Cousinet, de Decroly, des expériences de « calcul vivant » d’un ami de l’ICEM (Maurice BEAUGRAND) et d’un ouvrage qui venait de sortir sur la « mathématique moderne », nous travaillions en petits groupes sur des données chiffrées (« histoires chiffrées » apportées par les enfants, qui faisaient le pendant au texte libre quotidien). Les groupes se formaient librement : or il s’avéra que R., s’il était incapable de poser une opération, avait une « don » particulier pour donner l’ordre de grandeur du résultat et surtout qu’il avait beaucoup d’imagination pour exploiter les histoires chiffrées. Il fut donc choisi par une équipe de filles, toutes bonnes élèves, mais très « scolaires », qui appréciaient cette imagination.
A la fin de l’année scolaire, R. passa dans la classe de fin d’études (l’inspecteur primaire demandant que tous les enfants, quel que soit le niveau atteint, passe au moins une année dans la « grande classe »). Il ne savait toujours ni lire, ni écrire, ni compter (malgré d’incontestables progrès même dans ces domaines). Mais il était maintenant intégré dans l’école.
Nous terminions chaque trimestre par une présentation aux parents des travaux réalisés par les enfants. Le père de R. – qui n’était jamais venu à l’école jusque là, vint à la soirée organisée à cet effet à la veille de Noël. Il fut ébahi par les réalisations que son fils lui montra fièrement. Quelques jours plus tard, il nous envoya un stock impressionnant de fil de sonnerie électrique qui permit de réaliser quantité de nouveau montages passionnants.
R fut emporté par une leucémie à 20 ans.
Réflexions d'un pédiatre sur le système scolaire français
J'ai été très surpris de constater que, dans les reproches adressés aux précédents gouvernements, les problèmes scolaires ne sont que rarement évoqués. Au hasard de mes lectures, je n'ai sélectionné que deux textes[1] . Il y en a sûrement d'autres; je n'ai pas fait de recherche bibliographique systématique, ne voulant insister ici que sur la surprenante rareté de la mise en question du fonctionnement de notre système scolaire.
N'est?il pas évident que beaucoup des difficultés que connaît notre société sont, en partie ou en totalité, la conséquence du mauvais fonctionnement de notre système éducatif`? Prenons l'exemple de l'insécurité dont il a tant été question au cours de la campagne électorale : il est certain qu'elle est liée à l'augmentation de la délinquance juvénile et que celle ci est essentiellement due au fait que, chaque année, le système scolaire rejette environ 60 000 adolescents en échec scolaire total qui ne peuvent trouver place dans notre société. Qu'il soit nécessaire de prendre des mesures répressives, c'est Inévitable, mais cela ne résoudra rien si on ne parvient pas à mettre au point des mesures préventives dont beaucoup concerneront l'enseignement.
Mes réflexions sur le fonctionnement du système et mes propositions sur les améliorations que je crois possibles ne concerneront que les premiers stades de la scolarité: École Maternelle et École élémentaire. C'est, en effet, à ce stade que se joue presque toujours l'avenir de la scolarité et que les pédiatres sont fréquemment consultés.
L'École Maternelle
Tous les enfants vivant en France ont le privilège de pouvoir être accueillis à partir de l'âge de 3 ans dans cette école qui est, de loin, la meilleure réussite de notre système éducatif. Il s'avère pourtant aujourd'hui qu'il y a beaucoup à faire pour la rendre capable de répondre efficacement aux exigences nouvelles que l'évolution sociale lui impose. Les mesures qui me semblent indispensables concernent l'accueil des enfants de moins de 3 ans, les effectifs et le passage de la Maternelle à l'École Élémentaire.
Les enfants de 2 ans à la Maternelle?
Beaucoup d'écoles maternelles ont ouvert des classes pour enfants entre 2 et 3 ans. Que, pour certains enfants défavorisés, des classes de 30 enfants de cet âge, gérées par des personnels non spécialisés soient préférables à la vie familiale, c'est possible, mais cela ne saurait constituer une structure acceptable pour tous. Il faut des structures spéciales, intermédiaires entre la crèche et l'école, et des durées de fréquentation souples.
Réduire les effectifs
L'objectif, auquel on ne pourra évidemment aboutir que progressivement, devrait être de 15 élèves pas classe. Utopie, dira?t?on. Certes, mais les utopies d'aujourd'hui sont souvent le bon sens de demain. Comme le dit Lamartine. "Les utopies ne sont que des vérités prématurées". Cette mesure est absolument nécessaire à la mise en oeuvre de procédures d'éducation individualisées cherchant à corriger certains retards et à compenser dans la mesure du possible certaines carences du milieu familial.
Ceci nécessitera aussi un resserrement des relations avec les familles. Il ne faudrait pas que cette démarche se borne à des invitations aux parents à se rendre à l'école ; je souhaite qu'il y ait aussi mouvement de l'école vers les familles et je vais même jusqu'à considérer le personnel des Maternelles comme faisant partie des travailleurs sociaux.
Le passage de l'École Maternelle à l'École Élémentaire
Malgré d'incontestables améliorations, ce passage reste une épreuve traumatisante pour beaucoup d'enfants; elle est souvent responsable de ces échecs scolaires précoces qui mettent en péril toute la scolarité. Cette transition a besoin d'un maximum de souplesse; pour ma part je ne verrais que des avantages à supprimer toute barrière entre les deux Institutions.
Je suis bien conscient du fait que ces réformes nécessiteront de longs délais et des investissements considérables; mais si on veut civiliser les "sauvageons" dont parle M. Chevènement, il faut s'y prendre très tôt et "mettre le paquet".
L'École Élémentaire
Les deux principales erreurs qui y perturbent profondément le rendement de l'enseignement sont : la méconnaissance des variations individuelles des vitesses de développement des enfants et l'aménagement absurde des périodes de travail scolaire.
Variations individuelles des vitesses de développement
Pour beaucoup d'enfants (un tiers au moins, à mon avis), l'enseignement commence trop tôt et progresse trop vite.
La plupart des adultes, y compris ceux ayant des responsabilités éducatives, semblent ignorer que les âges d'apparition des diverses aptitudes physiques ou mentales peuvent normalement varier de plusieurs années, soit globalement pour l'ensemble du développement, soit isolément pour certaines acquisitions. Et, s'Ils ne l'ignorent pas, Ils en méconnaissent l'amplitude. Je crois, par exemple, que J'étonnerai certains participants à ce colloque en disant que l'âge normal pour le début de l'apprentissage de la lecture va de 5 à8 ans. Et que, si on commence cet apprentissage avant que l'enfant soit parvenu au niveau de maturité nécessaire, on va à un échec certain qui met toute la scolarité en péril.
Il faut savoir aussi que la lenteur de développement est une caractéristique qui persiste souvent pendant toute la croissance et que ces enfants continuent à se décaler par rapport à leurs contemporains dits "normaux". On en trouve la preuve dans les statistiques du ministère de l'Éducation: le nombre d'enfants signalés comme "en retard" triple du CP au CM2. Et on s'étonne que tant d'enfants parviennent au collège en sachant à peine lire et écrire.
L'aménagement du temps scolaire
Improprement désigné par l'expression "rythmes solaires", le problème est réévoqué périodiquement dans les médias ou dans des livres. Comme les intérêts personnels de la plupart des adultes sont contrariés par les mesures proposées et comme ils sont incapables d'y opposer des arguments valables, ils répondent par le silence. L'agitation se calme, les "rythmes scolaires" disparaissent de la presse et des émissions télévisées .... jusqu'à leur prochaine réémergence transitoire. Des réformes sont mises en place: celles qui sont bonnes, comme celle d'Épinal, restent ignorées; celles qui sont des tours de passe?passe ou même de véritables escroqueries comme la semaine de quatre jours, sont bien accueillies.
Contentons nous ici de définir les principes qui doivent nous guider:
? Il ne s'agit pas tant de prévenir la fatigue des écoliers que d'améliorer le rendement de l'enseignement. Tout le monde est d'accord sur la surcharge des journées scolaires : la quantité de connaissances nouvelles à assimiler par jour dépasse les possibilités de beaucoup d'enfants.
? Une loi fondamentale d'hygiène de vie nous enseigne que l'équilibre nécessaire entre les divers types d'activité (travail ? repos, mouvement immobilité, sommeil ? éveil, etc) doit être cherché en priorité dans le cadre des 24 heures.
? L'emploi du temps quotidien doit permettre une certaine souplesse. Les enfants ne sont pas des machines régulièrement entretenues et prêtes à répondre sans défaillance en toute circonstance. Il leur arrive d'être malades ou d'être perturbés par des problèmes affectifs qui les rendent indisponibles pour le travail scolaire pendant des périodes plus ou moins longues. Il faut donc pouvoir, à la reprise de la fréquentation scolaire ou à la récupération de la disponibilité psychique, trouver la place pour des séances de rattrapage.
? Les enfants ont plus besoin de loisirs quotidiens que de jours de congé
En face de ces exigences incontournables, l'aménagement actuel de l'année scolaire, qui ne comporte que 175 jours de travail pour 190 jours de congé, est une absurdité et une trahison de l'intérêt des enfants. Toute réforme qui ne commencerait pas par une diminution du total des congés annuels d'au moins 20 jours n'aurait aucun intérêt ; les aménagements de la journée et de la semaine n'ont qu'une importance tout à fait secondaire par rapport à celui là.
Je ne prétends pas résoudre par mes propositions tous les problèmes du système scolaire; Tout ce qui concerne la pédagogie, les modes de relation entre les divers participants, les modes de recrutement, de formation et de fonctionnement des enseignants ne sont pas moins importants. Mais l'efficacité des réformes éventuelles doit en priorité se conformer aux données élémentaires de nos connaissances sur le développement des enfants. Notre premier souci doit être de rendre physiologiquement possible l'effort qu'on leur demande.
Docteur Guy VERMEIL
Cahiers pédagogiques, N° 405, juin 2002 : L’éducation au développement durable
Ce dossier du mois de juin des Cahiers pédagogiques trouve un écho particulier dans l’inquiétude que, ces temps derniers, les électeurs ont exprimée devant cette évidence : les problèmes de la Nation se posent désormais à l’échelle de la planète au point que les solutions semblent nous échapper.
Ainsi, l’éducation au développement prend une nouvelle dimension :
- Comment donner du sens, des repères dans un monde en mutation ?
- Comment, à l’école, former de futurs citoyens capables d’impulser des changements profonds dans divers domaines : culturel, politique, pratiques de consommation, relations avec l’environnement ?
- Comment l’enseignement et les pratiques éducatives vont-elles dans ce sens, de l’école au lycée, en lien bien souvent avec le tissu associatif ?
Ce dossier propose des mises en perspective, des témoignages, des récits d’expériences et des outils de nature à faire avancer la réflexion sur ce problème qui pourrait bien constituer le défi majeur du XXI° siècle.
Dossier coordonné par Sandrine Chastang (Association RITIMO)
La version électronique de la LETTRE DE R.E.V.E.I.L. est diffusée gratuitement sans obligation d'adhésion à l'association. Elle peut être librement rediffusée auprès des personnes et des groupes intéressés.
[1] Alain Bentolila, A bout de souffle, article paru dans Le Monde au début de mai et reproduit dans "La Lettre de REVEIL » n° 5?2, mai 2002 et un livre de Vincent Giret et Bernard Pellegrin., 20 ans de pouvoir, Seuil, 2001.
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