Le témoignage qu'elle apporta n'était pas inintéressant, tant s'en faut. Cependant, née dans un milieu bourgeois, cette journaliste demeure à mes yeux une bourgeoise aimant se frotter au danger, ce qui n'est pas aller, c'est vrai, sans grand courage physique de sa part. Mais elle parla incidemment d'une expérience de travail ouvrier qu'elle tenta - après tant d'autres (qu'elle cite), et je songe par exemple à ce journaliste dit d'investigation, Günter Wallraff, qui se grima durant un an (et pas cinq mois !) en turc au milieu des années 80, pour rendre compte de la vie difficile des immigrés (dans ce cas, en Allemagne). Il relata son expérience dans Tête de turc (titre originel : Ganz unten - "Tout en bas"), paru aux Éditions La Découverte (et préfacé par Gilles Perrault - tout un programme...). Le seul hic selon moi, c'est qu'il n'était pas né turc, ni n'avait baigné depuis sa tendre enfance dans la religion mahométane. Bon, il a tout de même vendu 500 000 exemplaires du bouquin tiré de cette expérience : Florence n'a quant à elle, atteint que les 120 000...
Je reviens à elle, qui donc tenta durant cinq mois une expérience de travail ouvrier à Ouistreham (que savent-ils, les nés bourgeois, du monde ouvrier ?), car elle voulait se forger une idée précise de la "crise" : "tout donnait l'impression, écrit-elle, d'un monde en train de s'écrouler" (dix ans et plus après son expérience, notons qu'il n'en finit pas, hélas, de s'écrouler). Or, je venais précisément, grâce à mon estimé gendre, de traverser le Channel (à partir de Plymouth) sur un ferry bondé, pour être débarqué sans beaucoup de ménagements au petit matin à Ouistreham, après une courte nuit reposante, ponctuée par le bruit étouffé et doux de puissants moteurs. Moi, c'était dans une cabine, certes exigüe. J'avais noté que la moitié, environ, des passagers devaient se contenter de sommeiller sur les fauteuils de la coursive.
D'où cette mise en ligne, qui m'a fort opportunément appris l'envers du décor.
Je signale enfin, ci-après, deux livres sur des expériences semblables (et davantage remarquables, de mon point de vue) : en cherchant un peu, on devrait en trouver les "bonnes feuilles" sur ce site.
- Christiane Peyre, Une société anonyme, 1963
- Claire Etcherelli, Élise ou la vraie vie, prix Fémina 1967
Au loin, la masse blanche du ferry s'approche lentement, floue, irréelle, prenant peu à peu tout l'horizon entre l'eau et le brouillard. J'ai l'impression d'avoir attendu ce moment toute la journée."
Fl. Aubenas
L'annonce
Tout le monde m'avait mise en garde. Si tu tombes sur une petite annonce pour un boulot sur le ferry-boat à Ouistreham, fais attention. N'y va pas. Ne réponds pas. N'y pense même pas. Oublie-la. Parmi ceux que j'ai rencontrés, personne n'a travaillé là-bas, mais tous en disent la même chose : cette place-là est pire que tout, pire que dans les boîtes de bâtiment turques qui te payent encore plus mal qu'en Turquie et parfois même jamais ; pire que les ostréiculteurs, qui te font attendre des heures entre les marées avant d'aller secouer les poches en mer par n'importe quel temps ; pire que dans le maraîchage, qui te casse le dos pour des endives ou des carottes ; pire que les grottes souterraines de Fleury, ces anciennes carrières de pierre, puis abris antiaériens pendant la guerre, devenues aujourd'hui des champignonnières, qui te laissent en morceaux au bout d'un après-midi de travail. Pour les pommes, on en bave aussi, mais la saison commence plus tard. Ces boulots-là, c'est le bagne et la galère réunis. Mais tous valent mieux que le ferry de Ouistreham.
Comme tous les matins, je viens d'arriver à Pôle Emploi. J'y ai mes habitudes, maintenant, je connais l'imprimante qui fonctionne correctement, le téléphone où il est presque possible de s'isoler, la manière de changer le papier de la photocopieuse. En général, je rentre, je fonce en essayant de viser le seul ordinateur qui permet de consulter les annonces assis, et pas debout devant un petit comptoir. Il est libre, aujourd'hui. Ça doit être un signe de la Providence, j'en suis sûre.
Je retire mon bonnet, j'installe mon manteau sur le dossier de la chaise, avec soin parce qu'il est souvent trempé. Je sors un stylo, un papier et l'énorme dossier en plastique rose, avec des intercalaires transparents, où je range les documents concernant "ma situation". Tous les chômeurs en ont un, même ceux qui ne savent ni lire ni écrire. C'est notre signe distinctif. Certains arrivent même à évaluer chez les autres le temps et l'énergie mis à la recherche d'un emploi rien qu'à la taille et à l'organisation de leur dossier, comme les biologistes qui déterminent l'âge des hannetons à la grosseur de leurs articulations.
À l'accueil, un type qui transpire excessivement est en train de protester : "Je sais que je n'ai pas rendez-vous, mais je voudrais juste vous demander de supprimer mon numéro de téléphone sur mon dossier. J'ai peur qu'un employeur se décourage, s'il essaye d'appeler et que ça ne répond pas.
- Pourquoi ? demande l'employée, qui est aujourd'hui une blonde de petite taille.
- Il ne marche plus.
- Qu'est-ce qui ne marche plus ?
- Mon téléphone.
- Pourquoi il ne marche plus ?
- On me l'a coupé pour des raisons économiques.
- Mais vous ne pouvez pas venir comme ça. Il faut un rendez-vous.
- Bon, on va se calmer. Je recommence tout : je voudrais un rendez-vous, s'il vous plaît, madame".
La jeune femme blonde paraît sincèrement ennuyée. "Je suis désolée, monsieur. On ne peut plus fixer de rendez-vous en direct. Ce n'est pas notre faute, ce sont les nouvelles mesures, nous sommes obligés de les appliquer. Essayez de nous comprendre. Désormais, les rendez-vous ne se prennent plus que par téléphone.
- Mais je n'ai plus le téléphone.
- Il y a des postes à votre disposition au fond de l'agence, mais je vous préviens : il faut appeler un numéro unique, le 39 49, relié à un central qui vient d'être mis en place. Il est pris d'assaut. L'attente peut être longue.
- Longue ?
- Parfois plusieurs heures".
Autour de ma chaise, mon manteau a fait des petites rigoles d'eau sur le sol. Ce matin, j'attends la réponse pour un poste d'agent de nettoyage dans un centre médico-social, de veilleur de nuit dans un hôtel à Caen, de femme de ménage dans une parfumerie au centre commercial Mondeville 2 et de vendeuse dans une jardinerie. Sur l'ordinateur, le programme qui recherche les offres correspondant à mon dossier s'est mis en marche, essentiellement du ménage, un peu de vente, des travaux saisonniers, en somme tout ce qui passe et ne nécessite aucune qualification. Certains jours, il n'y en a pas plus d'une vingtaine pour toute la Basse-Normandie. Mes préférées sont celles qui précisent "débutant accepté" : elles me donnent l'impression que les portes se déverrouillent et que quelque chose devient possible. Ça n'arrive presque jamais. Voilà des jours que je n'ai pas vu passer une proposition d'emploi à plein temps, pour un contrat à durée indéterminé ou un salaire au-dessus du Smic. Un agent de Pôle Emploi m'a expliqué que c'était normal. "Ce type d'emploi n'existe tout simplement plus dans votre circuit à vous. Bientôt, il n'existera peut-être plus nulle part. On ne sait pas".
Devant moi, les offres du jour ont commencé à apparaître. Je les connais presque toutes par cœur, ce sont les mêmes qui tournent en boucle parfois pendant des jours.
- À Deauville, vous nettoierez les extérieurs d'un magasin de luxe, trottoirs et vitres. Vous travaillerez 1 h 30 par jour, du lundi au samedi, de 9 h à 10 h 30. Expérience exigée en lavage de vitres.
- À Bréville, dans une collectivité, vous serez cette personne polyvalente chargée du service à l'assiette, de la plonge, du ménage des communs, du ménage des chambres. Horaire découpé (9 h - 14 h 30 et 19 h 30 - 22 h), travail les jours fériés et week-ends par roulement ; pas de possibilité de logement, contrat à durée déterminée de deux mois, expérience exigée de service en salle, avantage en nature en nourriture.
- À Mondeville, vous nettoierez un magasin dans la ZAC de l'Étoile, le mardi et le mercredi de 9 h 30 à 10 h 30, vous laverez les sols, vous ferez les poussières, vous désinfecterez les sanitaires, vous viderez les poubelles. Savoir nettoyer les vitres à la raclette est un plus. Dynamisme, autonomie, minutie, rapidité, expérience exigée, savoir lire et écrire. Contrat à durée déterminée de deux jours, deux heures au total.
- À Caen, rue Guillaume-le-Conquérant, chez Quick Horse, vous devrez être capable de faire les pizzas, les livrer à mobylette, entretenir les locaux, travail 7 jours sur 7, horaire de 11 h 30 à 14 h 30 et de 18 heures à 23 heures. Payé au Smic.
- À Honfleur, vous nettoierez les chambres d'un hôtel en respectant les normes d'hygiène, il est nécessaire d'être disponible pour les petits déjeuners à partir de 5 h 30. Pas de logement possible, langue an-glaise obligatoire, expérience à un poste similaire de 2 ans.
- À Ifs, vous serez chargé de diverses tâches de manutention, tonte des pelouses, entretien et petite réparation, livraisons de pièces auto. Votre contrat sera de 5 mois, poste réservé aux travailleurs handicapés.
- À Merville-Franceville-Plage, vous serez garant d'une propreté irréprochable de l'établissement, vous aurez en charge le nettoyage des sanitaires, des mobile homes et de toutes les structures d'accueil. Contrat de 4 h par semaine pour 4 mois.
Je repère une nouvelle annonce. - À Caen, vous participerez à une tournée événementielle d'envergure nationale. Urgent.
Je téléphone et - incroyable - la ligne n'est pas occupée. L'homme qui décroche se présente comme Ie "manager". Il m'explique que la tournée événementielle consiste à distribuer des échantillons de déodorant dans une rue piétonne du centre-ville, un samedi après-midi. "Vous avez plus de vingt-cinq ans ? Alors pourquoi vous me faites perdre mon temps ? Vous savez bien que c'est un mauvais point pour ce genre de job. Et à quoi vous ressemblez ? Blonde ? Rousse ? Quel style ? Glamour ? Rockeuse ? Je vous préviens, j'ai une pile de candidatures devant moi : au deuxième mauvais point, je raccroche".
Dans le hall de Pôle Emploi, la file d'attente se balance mollement au rythme des soupirs bruyants d'une personne que je n'arrive pas à identifier. Derrière moi, une fille téléphone en riant. Je la connais, ou plutôt je la croise ici tous les jours. Elle est d'une bonne humeur que rien n'entame. "On va devoir donner 20 euros à EDF. Pourtant, je te jure, maman, j'avais commencé à baisser le chauffage à 15 degrés. C'était trop la mort, j'ai remonté à 18. Même là, j'ai froid, mais je n'ose pas augmenter davantage". Elle rit encore. À la mission locale de l'emploi, on vient de lui proposer de passer un bac pro, option "vente d'articles de sport". Elle a dit oui. Ça fera deux ans de salaire, en tout cas c'est ce qu'elle a compris, parce que le type parlait très vite. "J'aurais préféré travailler dans une cantine, comme toi, mais je n'ai pas osé le dire". Elle rit de nouveau et croque une cacahuète au chocolat, qu'elle pioche dans un sachet devant elle. "Pour aujourd'hui, en tout cas, ça va, t'en fais pas. J'ai emprunté 3 euros à Sandrine. Pour demain, je verrai. Bisous, maman".
C'est exactement à ce moment-là que les deux petites lignes sont apparues sur mon écran.
Société de nettoyage à Ouistreham cherche employé(e)s pour travailler sur les ferrys. Débutant accepté.
La voilà, la fameuse petite annonce. J'appelle immédiatement, c'est irrésistible. Il faut se présenter le jour suivant, à 9 h 30, au siège de l'entreprise, quai Charcot à Ouistreham, avec papiers d'identité et photo en couleurs.
Le lendemain, un ciel blanc a tout enveloppé, pas tout à fait du brouillard, plutôt une brume légère comme de la gaze, qui semble assourdir tous les bruits et dont s'échappe de temps en temps un petit bateau ou un cycliste. Le quai Charcot, à Ouistreham, longe le canal qui vient de Caen, jusqu'à l'endroit où il se jette dans la Manche. Les locaux de l'entreprise sont plantés là, un peu en amont du large. Un minuscule caniche aboie. "Tais-toi, Napoléon", crie une voix flûtée. En 1857, Eugénie et Napoléon III inaugurèrent les quatorze kilomètres du canal et ses deux écluses, supposés faire la fortune du port de Ouistreham, en le reliant à la zone industrielle naissante de Caen. Depuis des générations, des animaux de compagnie, des bateaux ou des mobile homes continuent d'être baptisés d'un de ces prénoms prestigieux, seuls à entretenir le souvenir de l'événement et, plus encore, celui de ses ambitions perdues.
Le néon d'un magasin d'alcools pour chauffeurs routiers brille sur le quai comme un phare. En face, une vingtaine de vieux bateaux de pêche sont accrochés à leurs anneaux, un petit port sauvage, surnommé Hong Kong, d'où les derniers pirates de la côte partent pêcher le bar ou les coquilles Saint-Jacques. Bien plus loin, invisible d'ici, se trouve l'autre Ouistreham, celui du casino et de la plage Riva Bella, où le tortillon des glaces à l'italienne dessine les après-midi en famille, les dimanches où il ne pleut pas.
Les locaux de la société ressemblent aux baraques à bateaux qui les entourent, bas et fonctionnels. Dans l'entrée, un gaillard à la moustache couleur de cidre est en train d'engueuler un candidat. "C'est la deuxième fois que vous venez postuler. La première fois, vous aviez des problèmes d'emploi du temps et de voiture. Est-ce que vous les avez résolus ? Non ? Alors pourquoi vous revenez ? Au revoir. Les autres, asseyez-vous autour de la table".
Nous sommes une dizaine, hommes et femmes mélangés. Il se révèle vite que le gaillard à moustache ne peut être que le patron, le "grand patron", comme je l'entendrai désigner plus tard ou plus respectueusement encore par son seul prénom, "Jeff", que les gens du ferry - surtout les plus humbles -, aiment faire sonner dans leurs conversations. Jeff habite une autre ville, à plus de cent kilomètres de Ouistreham. Tous les jours avant l'aube, il avale deux heures de route en voiture pour arriver sur le port au petit point du jour, un peu avant qu'accoste le premier ferry qui, lui, vient d'Angleterre.
En public, Jeff fait des imitations, très réalistes, des employés, jusque dans leur manière de parler ou de marcher. C'est une distraction prisée. Il défie, plaisante, rudoie, félicite, protège tour à tour.
Jeff passe parfois à bord du ferry pendant une vacation ou une autre, avec une préférence nette pour celle du matin. Il y aura toujours quelqu'un pour rapporter la chose : "Tiens, Jeff est venu aujourd'hui. - Et alors ? - Et alors, rien", répond l'autre presque invariablement, mais il traîne dans l'intonation de ce "rien" quelque chose qui laisse deviner, sans toutefois en éclaircir le mystère, que la journée n'aura pas été tout à fait la même pour ceux qui l'auront croisé.
Jeff nous regarde l'un après l'autre, assis autour de la table. Personne n'a osé enlever son manteau, un type a même gardé son casque de moto et ses gants, comme s'il s'attendait à se faire éconduire lui aussi, et de telle manière qu'il lui faudrait décamper précipitamment. "Vous sortez vos papiers d'identité, je les photocopie. Vous ferez une formation demain matin, vous commencerez après demain. Il y a, en général, trois ferrys par jour, à 6 heures, à 14 heures, à 21 h 30. On fait le ménage pendant l'escale, entre le moment où le bateau arrive et celui où il repart. Pour commencer, vous serez embauchés sur l'horaire du soir, six jours par semaine, congé le mercredi. La vacation à bord va jusqu'à 22h30. Ça fait une heure payée, en salaire de base. Après on verra. Pas de questions ?"
On passe nos documents.
"Une dernière chose, dit Jeff. Si vous venez de Caen, il vous faut une voiture : il n'y a pas de bus correspondant à vos horaires de travail. Je vous conseille aussi de vous regrouper pour partager les frais d'essence, sinon vous mangerez toute la paye en carburant : vous toucherez un peu plus de 250 euros par mois, avec des primes les jours fériés ou les dimanches". Il brandit nos papiers en éventail devant lui, comme un jeu de cartes. "Pas de regrets ? Tout le monde a bien entendu ? Personne ne reprend ses billes ?" Il me regarde. " "Vous, vous avez une voiture ?" Je mens immédiatement : "Oui, bien sûr". Jeff continue de me regarder. "Si vous le dites".
Il inscrit nos noms, nous rend les cartes. "Vous pouvez partir". Ça y est, c'est fait. On a signé pour six mois, cela a duré dix minutes et, hormis Jeff, je n'ai presque aucun souvenir de ceux qui étaient avec moi autour de la table.
Avant de commencer à chercher du travail à Caen, c'est exactement ainsi que j'imaginais les embauches, aussi simples et brutales qu'une paire de bras à louer. Maintenant, je n'en reviens pas, cette facilité me stupéfie, j'ai fini par intégrer les séries d'épreuves et de génuflexions requises pour le moindre remplacement d'une semaine. Dans le bus du retour, j'en suis même à me demander si c'est vrai, si je suis bien engagée.
Il me reste à trouver une voiture pour demain. Je pense d'abord à Philippe. On s'est rappelés une ou deux fois depuis notre déjeuner à Bayeux et, au moment où il décroche, je me souviens qu'il n'a aucun moyen de transport. Je me dis que c'est idiot de lui téléphoner, mais on discute un peu. Philippe a toujours quelque chose à raconter, c'est un de ses bons côtés. Là, il vient de trouver un contrat - " trois mois dans les espaces verts" - et il m'invite dimanche. Si je dis oui tout de suite, il prépare son fameux veau Orloff. Il pourrait aussi emprunter une moto à un de ses partenaires de belote pour que l'on sorte ensemble un soir, "à un combat de catch, par exemple. Qu'est-ce que t'en dis ?" Il croit urgent de me faire une promesse, histoire de me consoler au sujet de la voiture pour laquelle il n'a aucune solution : "Ce printemps, tu seras la première que j'emmènerai à la foire de Caen". L'an dernier, il a failli gagner un iPhone à une des loteries, celle qui est tout près de la grande roue. "Tu te rends compte ? À un cheveu près, je l'avais dans la main et je t'appellerais avec aujourd'hui. Ce sera formidable d'y aller ensemble". Je n'arrête pas de penser à la voiture pendant qu'il me parle. Il le comprend et enfonce le clou : "À ta place, j'aurais vraiment peur de ne pas en trouver une. Si tu te plantes, t'es morte. C'est marrant que tu aies pensé trouver un boulot alors que tu n'as pas de voiture. Pour le logement, on ne te demande jamais rien, tu peux dormir sous les ponts. Mais la voiture, impossible d'y couper. Je te croyais plus maligne. Tout le monde sait ça". Il laisse passer un silence. "Ouais, t'as intérêt à te bouger pour en trouver une". Il répète encore une fois : "Sinon t'es morte".
J'ai l'impression d'être en train de rater le premier boulot, et peut-être le seul, que j'obtiendrai. D'un coup, Philippe m'exaspère. Je lui dis : "Et toi ? T'as pas de voiture non plus! Comment tu fais ?
- Moi, c'était le divorce ou la voiture. Je n'avais plus les moyens de payer les deux. On s'est séparés comme ça, sans réfléchir, mais depuis je n'y arrive plus du tout avec la pension. J'ai failli retourner vivre chez mes parents. Et pour le boulot, tu as envie de connaître toute la vérité ? La vérité vraie ? Le contrat de trois mois dont je te parlais, c'est pas dans les espaces verts. l'ai dit ça pour t'épater, je pensais que ça faisait classe, ça sonnait bio. En fait, je vais ranger des œufs dans des alvéoles à l'usine. Avant, pendant presque un an, je déchargeais les camions d'animaux à l'abattoir, et encore avant, je filetais les poissons, j'ai pué la marée pendant des mois. Et tout ça, je ne l'aurais peut-être même pas eu sans mon œil gauche, tu sais, celui qui me donne la Cotorep.
- Et qui plaît aux femmes".
Philippe rit : "En tout cas, j'ai renoncé à ma carrière, voilà.
- Tu pensais à quoi comme carrière ?
- Je voulais monter ma boîte.
- Une boîte de quoi ?
- Je n'aime pas en parler, mais je te fais confiance. Je sais, c'était un projet de fou, trop gros pour moi, mais je me serais accroché. Je voulais un camion à pizzas, un camion à moi. Attention, faut pas confondre. Pas les frites, ni les merguez : les pizzas".
Il faut que je trouve une voiture. Je ne vois plus qu'une personne pour me sauver : Victoria. Je galope vers le quartier Vaucelles. Victoria range des papiers sur la table de la salle à manger, par petits tas devant elle. Elle fait des listes de choses à faire, de personnes à appeler. Elle a entendu parler d'un couple d'amis qui veut vendre une vieille voiture dont il ne se sert plus. Ils ne sont pas pressés, ils pourraient me la prêter quelques semaines, le temps de me dépanner, avant de s'en séparer. On part immédiatement la voir. Ses propriétaires l'ont surnommée le "Tracteur", à cause de son bruit et de son allure : c'est une Fiat vert bouteille, moteur Diesel, 1992, avec siège enfant à l'arrière. Je ne peux pas m'empêcher d'embrasser ses propriétaires.
Les toilettes
C'est le tout petit matin. La veille, pour être sûre de ne pas arriver en retard, j'ai fait deux fois le trajet avec le Tracteur, ma nouvelle voiture. Le rendez-vous est à 5 h 30, au port d'embarquement du ferry-boat, pour la matinée de formation. À la sortie de Caen, quelques camions naviguent doucement sur la voie rapide entre les ronds-points et les radars, comme en apesanteur ; d'autres sont encore garés en troupeaux à l'entrée des villes où ils ont passé la nuit.
À Ouistreham, un routier se lave dans l'abreuvoir des chevaux, de grands alezans au milieu d'un pré, entre la voie rapide et le centre commercial. Une phrase de Philippe tourne dans ma tête. Je lui avais raconté qu'on m'avait unanimement déconseillé de travailler sur le ferry. Philippe avait ri. "Parce que tu penses que tu as le choix ?"
Il est bien trop tôt, pas même 5 heures, lorsque je passe devant les locaux de la société, le long du canal. L'embarcadère est plus loin, tout au bout de la jetée. Sur une petite place, un stand de tir et le manège d'un Luna Park miniature scintillent dans le noir. En face, un marché aux poissons à la criée paraît si propre et si vide qu'on croirait une autre attraction de foire. Au bout d'un parking désert, le terminal de la gare maritime n'est pas encore allumé.
Devant le poste de contrôle qui délimite la zone sous douane, un homme et une femme se serrent dans la nuit, harnachés de gilets jaunes fluorescents surdimensionnés qui claquent au vent comme un déguisement pour une soirée de Halloween. Sur sa mince béquille, leur scooter paraît un jouet. Les présentations sont vite faites. Elle s'appelle Marilou, elle a vingt ans et, en général, c'est elle qui parle pour eux deux. En montrant le garçon, elle dit "mon homme", puis tape des pieds bruyamment, parce qu'il fait froid et que la semelle de ses baskets est fendue. Elle attend une promo pour en racheter. Comme moi, elle vient d'être embauchée. Son homme, non. Il l'accompagne parce que sans elle il ne sait pas quoi faire. Il s'ennuie. Dans leur couple, Marilou est la femme de tête.
D'emblée, elle me pose la question qui la tenaille en ce moment : "Tu sais où on peut acheter des rôtis moins cher ?" Ses parents habitent Condé-sur-Noireau. Ils viennent déjeuner chez eux dimanche. C'est une grande affaire.
Marilou et son homme habitent Caen : ils ont mis presque une heure avec leurs gilets fluorescents et leur tout petit Scooter à lutter contre les bourrasques pour parcourir les quinze kilomètres de route. Sans nous connaître davantage, nous nous jetons dans les bras l'une de l'autre. Oui, nous ferons du covoiturage ensemble, comme Jeff nous l'a recommandé. Oui, je passerai la chercher tous les jours chez elle. Oui, nous ne nous quitterons plus. Oui, nous avons l'impression d'être sauvées parce que chacune vient d'apercevoir dans les yeux de l'autre la même inquiétude à l'idée de plonger dans le monde féroce du ferry. De son côté, l'exaltation flanche un peu quand elle me demande où je suis garée. Son regard tombe sur le Tracteur, encore fumant et tremblant de sa course, solitaire sur le parking. Elle ne dit rien, mais je comprends que je suis sévèrement jugée et que seule l'absolue nécessité de ce travail lui fait avaler l'idée de s'afficher là-dedans tous les jours. Marilou n'a ni permis ni voiture, mais on la croirait élevée pour survivre sur un parking d'hypermarché. De loin, et à l'oreille, elle reconnaît plus facilement une voiture que n'importe quel être humain, elle est capable de réciter les marques et les prix de tous les concessionnaires de la ville, sait déjà l'auto qu'elle achètera - et avec quelles options - quand elle aura des sous, c'est-à-dire très bientôt. En tout cas, elle sera neuve, c'est sûr.
Nous sommes cinq nouveaux embauchés ce jour-là, à l'embarcadère.
Arriver jusqu'au ferry est un nouveau périple. Il faut pénétrer dans la zone sous douane en montrant un badge avec une photo, fourni par la société. Parfois, des vigiles sortent de la guérite et s'accroupissent pour ausculter les essieux ou les habitacles, en parlant de trafics et de clandestins. Nous nous postons devant un bâtiment composé d'une petite salle nue flanquée de deux toilettes. Nous attendons l'autocar de la compagnie qui nous conduira jusqu'au ferry. La distance entre les deux ne doit pas excéder sept cents mètres, mais il est interdit de les effectuer à pied. Entre l'attente, le trajet en car, l'attente à nouveau avant de grimper à bord, il faut compter une bonne demi-heure supplémentaire.
Les autres employés arrivent un à un sur le quai, une quarantaine peut-être, des filles surtout, quelques hommes aussi. Personne n'a assez dormi, chacun garde le nez dans son reste de sommeil, le visage sans couleurs et encore froissé de la nuit, les cheveux alourdis. Peu de mots, même pour demander une cigarette. Quand l'un sort un paquet, les regards quêtent, les mains se tendent, des hochements de tête miment un merci, parfois un reniflement. Les gestes ressemblent à des frissons, tremblants et raides, tendus contre l'humidité qu'on sent prête à se faufiler entre les couches de vêtements, à chaque mouvement, comme des doigts glacés jusqu'à la peau tiède. Quelques-uns nous soufflent des "bonjour", mais ce sont des "bonjours" sévères, me glisse Marilou, sur le qui-vive. Nous portons tous la blouse rayée verte et blanche, siglée du nom de la boîte. À bord, il est interdit de monter avec autre chose que son badge et un stylo, qui permet de signer la feuille de présence.
Sur un panneau lumineux, des lettres vertes, brillantes, écrivent dans le sombre du ciel : "Mer calme, peu agitée". On sent, plus qu'on ne la voit, au bout du quai, une ombre silencieuse d'un gris plus clair, avec parfois des traînées blanches d'écume.
Le car arrive.
Sur la passerelle, serrées contre la rambarde, nous attendons que les passagers descendent pour investir les lieux. Bientôt, je ne ferai plus attention à eux, happée bien plus sûrement par le monde qui va devenir le mien. Mais c'est mon premier jour et je ne peux m'empêcher de dévisager tous ces gens avec leurs valises, à qui je lance consciencieusement des "bienvenue" retentissants. Personne ne répond. Parfois, l'un d'eux me regarde aussi étonné que si le paquet de cordage enroulé sur le pont lui avait adressé la parole. Je suis devenue invisible.
Le ferry se donne le style d'un paquebot de croisière, version populaire. Chaque chose est là, à sa place, flambante et astiquée comme veut la tradition, le laiton, le bois verni, la moquette, les cuivres, les fauteuils club, le bar et ses alcools. Il manque les sensations qui devraient les accompagner, celle du moelleux et du feutré. Le menu routier du restaurant offre des frites à volonté en self-service et les affiches anciennes vantant la Côte de Nacre sont des reproductions.
Mauricette, la chef d'équipe, est désignée pour nous former. Elle a les cheveux très courts, blond platine, un physique taillé pour l'ouvrage. Son humeur monte et descend comme la mer et nul ne sait quelle Mauricette va répondre quand on s'adresse à elle. Ça lui plaît. Elle en joue.
Marilou et moi restons collées l'une contre l'autre, en essayant de ne pas commettre d'impairs. "Vous deux, là, vous allez faire les sanis". C'est le premier mot que j'apprends à bord. Sanis veut dire "sanitaires" qui lui-même signifie "toilettes". Faire les sanis, c'est laver les toilettes, tâche majoritaire à bord et exclusivement féminine. Parfois, on dit à un employé homme : "Tu vas faire les sanis", mais ça ne se réalise jamais, c'est forcément pour faire une blague, même avec les fortes têtes ou les souffre-douleur. Les hommes passent l'aspirateur, l'auto-laveuse, nettoient les restaurants ou les bars, dressent les couchettes pour les traversées de nuit. Jamais ils ne frottent la cuvette des WC.
Aujourd'hui, donc, nous allons être formées aux sanis des cabines passagers. Mauricette nous met dans les mains un panier en plastique, avec deux pulvérisateurs et une vingtaine de chiffons, puis nous entraîne en courant dans le premier des interminables couloirs du ferry, si étroit qu'il faut se plaquer contre la paroi lorsqu'on se croise. Les cabines sont d'un seul côté, environ tous les deux mètres. Mauricette ouvre la porte de la première et se précipite dans l'espace minuscule où s'imbriquent quatre couchettes superposées et un cagibi de toilette, comprenant lui-même un lavabo, une douche et des WC. Elle se jette à terre, si brusquement que je pense d'abord qu'elle a trébuché. Je veux la relever, mais, sans même un coup d'œil derrière elle, elle s'ébroue pour me repousser et, à genoux sur le carrelage, se met à tout asperger avec un pulvérisateur, du sol au plafond. Puis, toujours accroupie, elle chiffonne, sèche, désinfecte, astique, change le papier-toilette et les poubelles, remet des savonnettes et des gobelets en une rangée impeccable au-dessus du lavabo, vérifie le rideau de la douche. Tout a duré moins de trois minutes : c'est le temps imparti pour cette tâche.
Mauricette se rue hors du cabinet de toilette. Dans la cabine, elle époussette tout ce qui peut l'être, fait briller les miroirs, ramasse les papiers (trente secondes). Dans le même temps et le même espace, s'agitent au moins deux autres employés, qui changent les draps des couchettes (on dit "faire les bannettes") et passent l'aspirateur (on dit "être d'aspi"). Tous réussissent à s'éviter, les bras et les jambes se croisent au millimètre près, le drap s'envole au ras des têtes sans les frôler, à un rythme parfait, que la frénésie déployée par chacun dans sa tâche et l'étroitesse des lieux rendent particulièrement spectaculaire. Une des filles chante "Il jouait du piano debout", d'autres rythment le refrain d'un coup de hanches.
Mauricette se retourne : "Tout doit être impeccable. Faites surtout attention à ne laisser aucun cheveu, n'oubliez pas de prendre un chiffon de couleur différente pour les waters, d'éponger chaque goutte dans la douche surtout si elle a servi récemment, de ne laisser aucun savon usagé, de jeter tous les rouleaux de papier-toilette entamés". J'oublie tout immédiatement, dans un effarement proche de la panique. Quand Mauricette annonce : "Maintenant, allez-y", je manque me trouver mal. Elle nous fait un grand sourire. "Vous avez de la chance, elle est de bonne humeur", dit une fille.
En un quart d'heure, mes genoux ont doublé de volume, mes bras sont dévorés de fourmis et j'écume de chaleur dans le pull que j'avais cru prudent de garder. Je n'arrête pas de me cogner dans les gens, les meubles, je ne suis pas loin d'éborgner une collègue avec un pulvérisateur pendant qu'elle fait les bannettes. Elle ne se trouble pas : "Moi, le mois où j'ai débuté, j'avais des crampes dans tout le corps. J'ai perdu au moins six kilos".
Régulièrement, j'entends derrière moi le cri de Mauricette qui déchire le vacarme de la coursive : "Floooooreeeence". Ça veut dire que j'ai fait une connerie. "Viens là. Tu ne vois rien dans la douche ? Les poils, là, sur le côté ?" Il faut recommencer à frotter devant elle, à quatre pattes dans les sanis, pendant qu'elle continue de cravacher le reste de la troupe, sans regarder derrière elle : "Allez les filles, dépêchez-vous, faut tenir la cadence. On n'a pas fini". Je repars dans l'autre sens, hagarde, non sans ressentir un certain soulagement quand je me rends compte que la personne que je viens de renverser est la seule que je connaisse, Marilou. Sa métamorphose est stupéfiante : "Dis donc, qu'est-ce que tu es rouge ! Et trempée ! On dirait que tu es passée à la machine à laver".
Elle, outrée : "Tu t'es pas vue. T'es mauve, je ne t'aurais pas reconnue".
Partout, ça court, ça rigole, ça moucharde, ça s'épaule, ça ne s'arrête jamais dans une agitation et un bruit que rien ne fait retomber, c'est un raffut de seaux qui s'entrechoquent, d'eau qui coule, de fracas d'aspirateurs. Aujourd'hui, tout le monde houspille "Boule Puante", une femme très petite, très ronde et réputée ne jamais se laver. Son nom vole à travers les couloirs, gueulé de cabine en cabine : "Vous avez vu les sanis que vient de faire Boule Puante ? - Dégoûtants. - C'était plus propre avant qu'elle passe. - Où t'es, Boule Puante ? - Elle est par là, je la sens. - On la suit à l'odeur. - Je suis tombée sur elle, j'ai tiré la chasse". On rit. On chante : "Boule Puante, Boule Puante", puis on tombe nez à nez avec elle et tout le monde s'égaille en gloussant avec insolence. Ça reprend plus loin : "Si vous attrapez Boule Puante, poussez-la sous la douche et ouvrez l'eau".
Chez les filles, les jeunes appellent les vieilles "les vieilles". Les vieilles disent "la racaille" pour les jeunes. Des hommes, personne ne dit rien, avec une indulgence qui, parfois, ressemble à du mépris. Eux non plus ne se risquent pas à trop parler, sauf quand ils draguent.
L'heure de travail dure une seconde et une éternité. En signant les feuilles de présence, je distingue enfin les visages autour de moi. Il y a le monde entier sur le ferry, des belles, des moches, des demi-clochardes, des mères de famille, des petites paysannes, des créatures ou des top models. Mais on se côtoie, on se bouscule, dans une sorte de fraternité, que lissent le port de l'uniforme et la dureté de la tâche.
Une jeune fille ravissante, avec un piercing posé comme une mouche au bord de la lèvre, me demande sur quelle vacation j'ai été embauchée. "Le soir", je réponds. Elle paraît considérer que c'est une chance. Elle me dit : "Tu verras, il y a une autre ambiance. L'après-midi a quelque chose de morbide, mais ça passe. Le matin est vraiment horrible. La seule chose drôle, c'est de voir les vieilles pas maquillées".
Je reconduis Marilou en voiture, pour fêter notre nouvel attelage. Elle a déjà deux boulots, dans le ménage, en CDD, et elle précise : "Bien sûr". Il y a celui du matin, son préféré, pour lequel elle voudrait "décrocher le CDI". Elle en énumère les qualités : "Le chef est gentil. Il n'y a pas trop à faire. On n'a personne sur le dos". C'est de 6 h 30 à 8 h 30, dans une grande surface avant l'ouverture. Le soir, de 18 h 45 à 20 heures, elle nettoie des bureaux chez Youpi-Métal. Son supérieur l'a convoquée l'autre jour. "Vous téléphonez avec votre portable pendant les heures de travail, vous faites la conversation avec vos collègues. Vous allez être licenciée". Marilou a reçu une lettre, qu'elle n'a pas bien comprise. Il en ressortait qu'elle devait aller s'expliquer au siège de Youpi-Métal, à Lisieux. Son homme a haussé les épaules. Il ne sait pas lire. Lisieux, en train, ça fait cher, et en scooter ça fait loin. Le rendez-vous tombait à 9 heures, ce qui ne lui laissait pas le temps de finir son premier boulot. Toute l'affaire lui paraissait hors de prix et compliquée. Le chef lui a fait miroiter que la feuille de paye est plus intéressante quand on quitte un travail. "Tu vas toucher d'un coup le rattrapage des congés payés, des morceaux de primes. Cela te fera au moins 200 euros en plus, une sorte de parachute doré, quoi". Marilou s'est laissé pousser dehors. "Ça fait de l'argent quand même, non ?" Elle a signé pour le ferry.
Nous calculons ensemble comment faire pour arriver à l'heure. Depuis Caen, le trajet prend une demi-heure. Pour attraper le car qui nous conduit au ferry, il faut être à 21 heures sur le port. Autrement dit, nous avons à peu près une heure de déplacement et d'attente dans chaque sens. Comme seul le temps passé à bord est payé, on perd deux heures pour en gagner une. Le visage de Marilou ne reflète aucune contrariété. Je lui demande : "Tu penses que c'est trop de temps gâché pour le salaire qu'on touche ?" Elle ne comprend pas. D'où je sors pour ne pas savoir que c'est normal ? Pour le boulot du matin, elle a trois heures de trajet.
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Les médias cités en Introduction, qu'on appelle souvent, et ce n'est pas un euphémisme, islamo-compatibles (et je ne dis rien de la haine antiflics), se sont encore illustrés, fort tristement si je puis donner mon sentiment, lors des nuitées de véritables guérillas/razzias urbaines, que nous connues à partir du 27 juin dernier. Je passe. Mais c'est seulement pour illustrer mon propos par la réaction trouvée chez l'un d'entre eux (Libé) à la suite de l'incident du Pâquier d'Annecy. On se souvient de ce jeune homme, qui a évidemment le grand tort d'être catholique pratiquant, intervenant à coups de sac tyrolien pour faire fuir un sinistre assassin d'enfants. Schneidermann, le chroniqueur de Libé, n'a rien trouvé de plus intelligent que d'ironiser lourdement sur "Henri d’Arc, un héros chez Bolloré" (depuis ce matin d'ailleurs, décoré de la Légion d'honneur). Contentons-nous de reproduire la réaction indignée du Maire de Cannes (et président de l'Association des maires de France, excusez du peu), David Lisnard : "Ce n’est peut-être pas le profil de héros que recherche Libé !" [Certes, qu'attendre du torchon glorifiant la fumette et ayant appelé à la dépénalisation de la pédophilie !] Et d'inventer un jeu de mots assassin, qui va comme un gant à ce quotidien : "Libérabjection".
Et puisqu'il est question d'abjection, je vais ajouter un individu dans ce paquet-cadeau, un être particulièrement falot et médiocre, très en dessous de sa tâche de ministre de l’Éducation nationale [Les Français, qui ne sont pas complètement aveugles, sont seulement 15 % à souhaiter le maintien au gouvernement de ce ministre woke !] ; il s'est permis de stigmatiser ("une menace pour la démocratie") une presse particulièrement appréciée de nombre de Français - mais apparemment pas de lui, ministre du camp du Bien. Ministre qui a cité Chirac et son envolée prétendûment anti-raciste, oubliant opportunément l'odeur et le bruit des immigrés. Je vais donc citer, ça n'est pas mon habitude, une réflexion de feu Bernard Tapie : "j'allais dire une grossièreté, il faut encore avoir le droit de dire qu'un noir est un con, quand il est un con, voilà. Parce qu'être raciste, c'est justement faire des différences y compris dans les appréciations".