Tombant en arrêt, au cours d'une récente brocante landaise (salut, Bala !), sur un ouvrage à couverture passée, qui m'a irrésistiblement rappelé mes premières années de Lycée, je l'ai tout aussitôt acquis pour l'euro symbolique. Et puis, dans le calme du soir, je me suis mis à en lire, de près, la préface rédigée par l'auteur de ce recueil d'extraits (Poètes et Prosateurs du Moyen-Âge). Et là, tout soudain, j'ai éprouvé une immense honte - honte au sujet de ce qu'est devenue l'instruction dans ce pays.
Je sais bien que la préface de Gaston Paris, qu'on lira infra, est tout de même élitiste (je dirais plutôt : fort ambitieuse), et qu'à l'époque, au tout début du XXe, le "tout-venant" ne s'ennuyait pas (comme aujourd'hui) sur les bancs scolaires secondaires : mue par je ne sais quel ressort intérieur, l'infime fraction de la classe d'âge qui avait l'insigne chance d'accéder à l'enseignement long (et qui correspondait à peu près à l'élite sociale, j'en ai parfaitement conscience), savait en gros "qu'on ne retient bien que ce qui a été appris avec effort", phrase que j'ai entendue, jeune lycéen, dans la bouche de l'Inspecteur général Clarac (co-auteur, plus tard, de la première édition de La Recherche en Pléiade). Que, donc, l'instruction n'était pas un amuse-tablette, comme de nos jours.
Et je risque une incidente : je me demande comment des bacheliers ont eu en juin dernier l'aplomb de se plaindre d'un terme, ludique, qu'ils n'avaient soi-disant pas compris (terme présent dans l'énoncé d'une question qui leur était posée), alors même qu'on nous serine, depuis de trop nombreuses années, que tout apprentissage se doit d'être ludique...
Il convient maintenant d'ajouter que non seulement G. Paris nourrissait une très forte ambition à l'égard des chères têtes blondes, mais qu'à l'aune d'aujourd'hui, on a l'impression qu'il aggrave son cas s'agissant de l'état d'esprit de nos ados ("Je pense... que les enfants liront avec plaisir et profit tous les morceaux j'ai que j'ai traduits pour eux... Parmi les contes et les fables, plusieurs leur sont déjà familiers..."), et plus encore lorsqu'il invoque la fierté nationale ("L'inspiration de notre épopée proprement nationale, dans sa naïveté simple, forte et parfois sublime, ira droit au cœur de jeunes Français... Tout le livre leur apprendra, je l'espère, à mieux aimer la vieille patrie..."). Sic transit patria.
Bref, si mes souvenirs de Joinville (l'auteur dont on lira un extrait ci-après) étaient partis à tire-d'aile, je dois l'avouer, je me souviens encore que nous suions péniblement sur les textes "en vieux français" qui étaient à notre programme (dès la classe de sixième !) : La Chanson de Roland (texte que notre professeur avait opportunément rapproché de Aymerillot), bien entendu, Villon, Rutebeuf, Froissart, Chrétien de Troyes, Villehardouin, que sais-je encore. Tout cela, ringard depuis pas mal de temps, et passé aux oubliettes. Les adolescents d'aujourd'hui sont surtout conviés à lire du... Bradbury, et à tchatcher sur Tik-Tok. Pour la culture générale, c'est évidemment top, n'est-ce pas. Et combien le niveau monte, depuis un siècle !
Mais je me tais, vox clamantis in deserto, je suis un vieux grincheux. Ai-je seulement le droit de dire, avec ce cher Chateaubriand, "Que fais-je dans le monde ? Il n’est pas bon d’y demeurer lorsque les cheveux ne descendent plus assez bas pour essuyer les larmes qui tombent des yeux" ?

 

"Saint Louis en Égypte. - Saint Louis dirigea son expédition en Égypte, contre le sultan du Caire, qui s'était emparé de Jérusalem. Il partit d'Aigues-Mortes et débarqua à Damiette. Il s'empara de cette ville, et y séjourna six mois. Mais il fut vaincu à Mansourah par l'imprudence de son frère Robert d'Artois, et il fut fait prisonnier. Ce fut dans sa captivité que parut toute sa grandeur d'âme. Il consola ses soldats désespérés et il inspira à ses vainqueurs du respect et de I'admiration.
Saint Louis obtint sa liberté par la reddition de Damiette. Il alla visiter en pèlerin la Palestine, qu'il aurait voulu délivrer. La nouvelle de la mort de sa mère le rappela en France (1254)"

Désiré Blanchet, Histoire de France, Cours moyen, Librairie classique Eugène Belin, 1899, p. 57.