Point de départ : un extrait du texte de J. Lanzmann.
En 1936, papa s'était mis dans la tête de m'apprendre l'heure. Je l'ai dit : j'avais neuf ans, et l'heure ne m'intéressait pas en dehors de celle des repas que les tiraillements de mon estomac m'indiquaient. D'abord, il fallait distinguer la petite aiguille de la grande. C'était assez facile, mais pour me repérer à partir de ce terrible douze qui voulait dire à la fois midi et minuit, et de ce traître de six qui signifiait tantôt six heures, tantôt la demie, impossible de m'y retrouver sous le regard blanc et myope de mon père. J'étais fébrile et répondais au hasard quand ses doigts crispés sur le remontoir changeaient les aiguilles de place en vue d'une prochaine question. En fait, mon père était bien plus compliqué que l'heure qu'il désirait m'apprendre. Plus compliqué et plus pressé. Les gifles se mirent à tomber toutes les dix secondes. Je sus donc qu'une minute était composée de six gifles et une heure de soixante. Après, ce fut le blocage, puis la révolte. J'attrapai la montre de mon père et la jetai par la fenêtre. Je reçus ce jour-là la dérouillée la plus dure que l'on m'ait jamais donnée. Pour finir, j'allai atterrir dans la cheminée et mes habits, mes cheveux prirent feu. Mon frère Claude s'interposa et obtint qu'on me laissât tranquille. Il pleurait davantage que moi, il avait bien plus mal, aussi. Aujourd'hui, je ne sais toujours pas l'heure. Pour m'y retrouver, j'ai des trucs, je triche avec le temps, mais je me trompe assez souvent.
J'aimais mon frère à la folie. C'était mon idole, le grand, celui qui savait, qui comprenait. Parce qu'il était intelligent et qu'on l'avait désiré, il n'était que fort peu battu et en souffrait. Combien de fois ne s'est-il pas accusé à ma place pour recevoir la correction ! Mais on ne la faisait pas à mon père. Claude était privé de dessert pour avoir menti, moi, privé de dîner. Enfermé dans ma chambre des heures durant, j'avais mis au point un système de téléphérique qui partait du balcon de ma fenêtre et qui arrivait directement sur la lucarne des W.-C. Après le repas, Claude jetait ce qu'il avait réussi à grappiller dans ma benne. J'ai dit plus haut que je n'étais pas un enfant martyr, et c'est vrai. Un martyr subit et ne rend pas les coups. Soit qu'il n'en ait pas la possibilité, soit qu'il se complaise dans son état de martyr. Moi, j'étais malgré tout un enfant heureux et espiègle, souriant et se fichant de tout. J'avais hérité ce trait de caractère de mon grand-père Léon. J'ai toujours su laisser passer l'orage, même quand l'orage durait longtemps, très longtemps.
Rares étaient les adultes qui m'aimaient, J'étais trop vivant, trop remuant, dérangeant sans cesse avec des questions "stupides" ou des gestes "déplacés". Il arrivait tout de même que certaines grandes personnes s'entichent de moi. Parmi celles-ci, un voisin de La Celle-Saint-Cloud qui descendait de voiture pour me tapoter gentiment la tête. Il ne me parlait pas ; il s'arrêtait, donnait sa caresse et repartait. J'aurais voulu avoir un père comme lui, gentil, affectueux, discret.
Quelques suggestions pour une exploitation
I. Lectures variées, verbalisation, etc.
- l'obstination et la violence paternelles
- les mots qui montrent que Jacques n'était pas un enfant martyr
- la douceur et la consolation de l'amour fraternel
- violence et éducation...
[Pour la petite histoire, et à l'usage exclusif du maître, signalons que ce voisin affectueux n'était nullement un pédophile. Et qu'il allait devenir (tristement) célèbre, car se nommant Weidmann... ; et que Claude, le frère aîné, a été plus tard l'un des innombrables "amis" de Simone de Beauvoir, mais surtout restera dans l'Histoire comme l'homme ayant conçu et mené à bien le formidable projet que fut - et que demeure - "SHOA"]
II. Les deux lexèmes fébri et fièvr
ø | le | ||
lité | |||
sub | fébri | fuge | |
lement | |||
e | |||
ø | eux | ||
en | fiè(é)vr | eusement | |
er | |||
[Noter le renversement de l'accent]
III. Grilles lexico-syntagmatiques à partir de rendre et laisser
Rendre : restituer, remettre, rapporter (rendement), vomir (rejeter) : la mer a rendu l'épave.
Expressions : - l'âme ; - hommage ; - justice ; - des comptes ; - visite.
Laisser : abandonner, confier, léguer, oublier...
Expression : laisser passer.....
GN1 | VERBE | GN2 | ||||
animé + humain + |
animé + humain - |
animé - |
RENDRE |
animé + humain + |
animé + humain - |
animé + |
Pierre | rend | le livre | ||||
Le Tribunal | rend | un jugement | ||||
Mon ami | (me) rend | mes cent francs | ||||
L'enfant | rend | son repas | ||||
Cette couleur | rend bien | ø | ø | ø | ||
La mer | rend | l'épave | ||||
Les oranges | rendent | du jus | ||||
etc. |
IV. Une chanson
Le têtard, c'est aussi une chanson...
Interprétée par Jean Guidoni, entre autres.
On l'appelait le Têtard
Car il était dans la vie
Comme un têtard dans une mare
Il nageait et plongeait
Coups de queue coups de tête
Coups du sort coups du cœur
Mais surtout mais surtout
Il ne voulait pas mourir
Sans avoir fait l'amour
Mais surtout mais surtout
Il avait pour l'amour
L'intention d'en mourir
C'était un enfant seul
Un petit Sans-Famille
Et la guerre imbécile
Rendait les hommes aveugles
C'était un enfant roux
Un vrai Poil-de-Carotte
Et cette couleur idiote
Attirait le courroux
On l'appelait le Têtard
Car il était dans la vie
Comme un têtard dans une mare
Il nageait et plongeait
Coups de queue coups de tête
Coups du sort coups du cœur
Mais surtout mais surtout
Il ne voulait pas mourir
Sans avoir fait l'amour
Mais surtout mais surtout
Il avait pour l'amour
L'intention d'en mourir
C'était un enfant seul
Un petit Sans-Famille
Et la guerre imbécile
Rendait les hommes aveugles
C'était un enfant juif
Un fils de l'Éternel
Et ce fait naturel
En faisait un fautif
On l'appelait le Têtard
Car il était dans la vie
Comme un têtard dans une mare
Il nageait et plongeait
Coups de queue coups de tête
Coups du sort coups du cœur