Augustin Grosselin, auteur de plusieurs ouvrages concernant l'apprentissage de la lecture (en particulier s'agissant des enfants malentendants), a laissé une empreinte chez les déficients auditifs : plusieurs Centres spécialisés pour les Déficients Auditifs portent son nom.
Ouvrages :
- (1864) Méthode phonomimique rendant facile et attrayante l'étude de la lecture. Paris
- (1877) Manuel de la phonomimie ou méthode d'enseignement par la voix et par le geste. 2e édition, entièrement refondue. Paris
- (1885) Société pour l'instruction et la protection des sourds-muets par l'enseignement simultané des sourds-muets et des entendants- parlants. Quinzième et dix-huitième Assemblées générales, 1882 et 1885. Paris].

 

 

Les petites classes, malgré la nature très élémentaire des exercices qu'elles comportent, ont une réelle importance, et le maître chargé d'initier les enfants à la vie scolaire a besoin d'être profondément pénétré des vrais principes pédagogiques. Il est chargé de jeter les premières bases de l'édifice ; la solidité et l'élégance de l'édifice entier dépendront beaucoup de la façon dont ses premières assises auront été posées.

Notre but n'est pas, dans cet article, d'embrasser tout le champ de l'instruction primaire ; il est simplement de montrer comment les principes ainsi établis doivent trouver leur application quand il s'agit d'enseigner la lecture.

Pour atteindre un résultat avec la moindre somme d'efforts, il faut se rendre tout d'abord nettement compte du but à atteindre et des moyens les plus sûrs et les plus prompts d'y arriver. En quoi donc consiste l'enseignement de la lecture ? Quelles sont les difficultés qu'il présente ? Quels sont les moyens de vaincre celles-ci ?

La lecture consiste dans la traduction du langage écrit en langage parlé. Le but final qu'on se propose est d'arriver, en suivant des yeux les lignes d'un texte, à avoir l'intuition rapide des pensées que ce texte exprime. Tous les exercices scolaires doivent donc être combinés de manière à amener le plus promptement possible à ce résultat.

L'écriture se compose de lettres qui se groupent entre elles pour former des syllabes, lesquelles répondent aux sons articulés. Il s'agit donc d'étudier tout d'abord la valeur de ces lettres prises isolément. La ressemblance très grande que présente certaines de celles-ci est une première cause de difficulté. Les enfants par exemple, ont peine à distinguer les quatre lettres b d p q qui ne diffèrent que par les positions diverses des mêmes parties. De plus la valeur phonétique qui doit s'attacher à chaque lettre n'ayant aucun rapport avec le dessin qu'elle forme, il n'y a là qu'un rapprochement arbitraire à retenir par un effort irraisonné de la mémoire. Enfin, la correspondance entre les lettres et les sons une fois établie, il s'agit de réunir en une seule émission de voix et les voyelles et les consonnes qui les viennent modifier.

A ces difficultés générales de la lecture, il s'en ajoute dans la langue française de particulières, nées de la complexité de représentation de certains sons pour lesquels plusieurs lettres sont employées ; de la multiplicité des façons dont un même son peut s'écrire ; de la nullité, au point de vue phonétique, de certaines lettres qui n'ont été conservées, dans le corps ou à la fin des mots, que par un respect pour la dérivation qui diminue chaque jour, mais n'est pas près de disparaître entièrement.

Il s'agit de vaincre ces difficultés diverses. On les augmente encore quand on recourt à l'épellation, car on va directement contre le but synthétique qu'on doit se proposer ; on dissèque les mots, on les morcelle au lieu de s'efforcer de les faire saisir dans leur ensemble. Le seul avantage qu'on croit trouver dans le procédé d'épellation, celui de donner une base solide à la connaissance de l'orthographe d'usage, est une pure illusion. Outre l'argument de fait tiré de l'orthographe très défectueuse de nombreux enfants devenus hommes, qui ont appris à lire en épelant, on peut montrer que, même en théorie, il n'y a pas, dans l'épellation, un sûr moyen de fixer l'orthographe des mots dans la mémoire. A quoi amène-t-on un enfant auquel on fait répéter un grand nombre de fois, par exemple, e a u = ô ? On l'habitue à retenir, par l'oreille et machinalement, la suite de quatre sons, l'énonciation des trois premiers devant réveiller le souvenir du quatrième. Mais qu'y a-t-il de commun entre cette opération et celle tout opposée que l'enfant aura à faire plus tard, quand ayant à écrire le mot peau par exemple, il devra se souvenir que le son ô qui frappe son oreille peut se traduire de diverses façons et qu'il y a lieu pour lui de rechercher quelle est, dans le cas particulier, la forme à préférer ? Les deux opérations sont complètement inverses et l'une ne peut utilement servir de préparation à l'autre.

Si l'épellation ne sert pas à l'orthographe, elle nuit certainement à la lecture, puisqu'elle va contre son but essentiel, et il faut la faire disparaître dans la plus large mesure. Comment ? En prenant comme des unités les manières de représenter des sons, alors même que ces représentations se font à l'aide de plusieurs lettres ; en donnant à chaque forme de transcription des unités phonétiques la valeur exacte qu'elle prend dans les mots et notamment, en ce qui concerne les consonnes, en les étudiant avec leur pure valeur d'articulations. C'est là ce qu'on appelle la méthode phonétique.

Depuis longtemps déjà des auteurs de livres pour l'enseignement de la lecture ont cherché à se rapprocher du principe de cette méthode ; mais les progrès ont été lents.

On s'est d'abord contenté de changer la dénomination des consonnes et de substituer à l'antique épellation , , erre, l'appellation plus uniforme de be, de, re, appellation préférable puisqu'elle se rapproche de la vérité, sans être cependant la vérité complète en fait de valeur des consonnes. Puis on a fait un peu plus en enseignant, sans les décomposer, les voyelles polygrammes ou, an, etc. Mais on faisait dénommer la consonne ou la voyelle séparément avant de les assembler en une syllabe. C'était par conséquent de l'épellation mitigée, mais c'était encore de l'épellation.

On a bien cherché à tourner la difficulté en faisant nommer la voyelle, second élément d'une syllabe, pour la joindre ensuite à la consonne précédente, vue par les yeux, mais non dite, afin d'en former la syllabe. Il y avait là une demi-épellation et un procédé singulier de rétrogradation qui ne menait pas assez directement au but.

Enfin on a voulu plus résolument appliquer le principe de la méthode phonétique en ne donnant aux consonnes que leur valeur d'articulation, même quand elles étaient étudiées séparément. Mais on rencontre alors une difficulté : c'est de faire comprendre et accepter aux enfants cette manière très atténuée d'émettre les consonnes. De plus, certaines de ces consonnes ne pouvant, à cause de leur caractère explosif, être prononcées séparément, le maître a quelque peine à guider les élèves dans la lecture sans se montrer parfois infidèle à la méthode, ou sans être obligé de dire aux enfants la syllabe qu'ils n'ont plus qu'à répéter par simple imitation.

La méthode phonomimique donne la véritable et complète solution du problème. Elle est au plus haut degré une méthode synthétique, et remplit en outre toutes les conditions pédagogiques que nous avons essayé de résumer en commençant ce travail.

Sur quoi est-elle fondée ? Le voici :

Les voyelles de la langue française sont en même temps des exclamations, expression de sentiments ou de volontés divers (comme ah ! qui exprime l'admiration ; hé ! qui traduit l'appel ; hu ! qui est une façon d'exciter un cheval à la marche). Les consonnes, bruits modificateurs des voyelles, peuvent être considérées comme reproduisant des bruits résultant de certains phénomènes naturels, de certaines actions humaines ou animales (comme r qui rappelle le bruit produit par le roulement d'une voiture ; v celui qui est produit par le vent causé par les battements d'ailes d'une volée de gros oiseaux ; f , cri de colère du chat ; s, sifflement du serpent).

Augustin Grosselin, l'auteur de la Phonomimie, s'emparant de cette donnée, en a fait la base d'un enseignement attrayant des lettres considérées par lui comme des onomatopées. Un court récit familier fait par le maître se termine par l'expression du sentiment ou par l'imitation du bruit choisi comme base de la personnification d'un élément phonétique donné. Une lettre devient ainsi, aux yeux des élèves, non plus le signe arbitrairement affecté à un son, mais comme l'écho d'un fait dont le récit les a intéressés. L'étude est d'autant plus facilitée que l'attention des élèves a été plus aisément et plus complètement conquise.

Ces sentiments, ces phénomènes peuvent en outre se rappeler par un côté visible qui se conduira naturellement à l'aide d'un geste. C'est ainsi que sous l'empire d'un sentiment d'admiration les mains s'élèvent à la hauteur du visage, que pour solliciter l'approche d'un camarade on semble l'attirer du bras, tout en l'appelant de la voix. C'est ainsi encore que le mouvement de la roue retentissant sur le pavé peut se traduire par un mouvement circulaire de la main et l'essor des oiseaux par l'élévation oblique du bras. Cette gesticulation supplémentaire, que le maître emploiera pour donner plus de vie et de vérité à son récit, sera répétée par les élèves. Voilà par suite le mouvement introduit dans l'école comme un élément utile, excellent moyen de l'empêcher d'y faire invasion comme une cause de désordre. La mobilité enfantine est impérieuse et une contrainte prolongée du corps se transforme aisément en turbulence ; elle empêche tout au moins l'esprit d'être attentif.

La méthode phonomimique fournit au maître, par les récits dont elle accompagne l'enseignement des lettres, un moyen de développement intellectuel, et par les mouvements qu'elle y joint, en même temps qu'une force pour maintenir la discipline, un moyen d'entraînement pour une classe même nombreuse et une facilité de contrôle pour le maître.

Toutes les branches de l'enseignement doivent être solidaires et chacune d'elles doit contribuer au développement général de l'esprit. La lecture, pas plus que les autres, ne doit se soustraire à cette règle. Or la répétition monotone des sons à la vue des lettres, ou de syllabes dépourvues de sens, n'est-elle pas faite pour briser tout ressort intellectuel ? Tandis que la façon dont la phonomimie initie les élèves même aux éléments de la lecture, fournit un aliment continuel à leur activité. Chaque récit offre au maître l'occasion de donner incidemment une notion utile. A propos du son u qui rappelle le cri du cocher, il peut parler du cheval, des usages de cet animal domestique, des soins qu'il exige, des bons traitements qui lui sont dus. Le son m, qui traduit le cri du geindre pétrissant la pâte, amènera le maître à parler de la fabrication du pain, des éléments qui y entrent, de la manière dont le blé croît, dont on retire la farine du grain. De sorte que, n'épuisant pas ces notions en un même jour, mais les variant chaque fois qu'une même lettre revient dans les exercices, la leçon de lecture entrecoupée de parties intéressantes ménagera la fatigue des enfants et sera par conséquent plus fructueuse.

De leur côté, les élèves auront l'occasion naturelle de s'exercer à parler, à exprimer leurs pensées, d'abord par la simple reproduction des récits faits par le maître, puis par des variations introduites par eux dans le thème primitif. Outre l'attrait qui résulte évidemment de cette manière de présenter aux. jeunes élèves les lettres étudiées, le mouvement nécessité par les gestes phonomimiques sera, disions-nous, un moyen d'entraînement. En effet, les exercices corporels faits en commun, dans la gymnastique, dans les manœuvres militaires, excitent l'activité de chacun par l'exemple de tous et la communauté même d'efforts empêche de ressentir la fatigue. La mise en action de la faculté d'imitation sera bien plus énergique quand il s'agira des gestes phonomimiques conduisant nécessairement à l'énonciation des sons, que s'il s'agissait uniquement de la répétition d'un son, et de cet entraînement résultera la disparition presque complète de ces malheureuses queues de classe, composées d'écoliers nonchalants et médiocres, qui font le désespoir des maîtres.

Enfin il s'établit si promptement entre les deux manières de traduire la même idée, son et geste, un lien tellement intime que, lorsque le maître voit un geste bien fait par le bras, il est sûr que la bouche a émis le son correspondant à la lettre montrée par lui. D'où la facilité pour lui de savoir non seulement si tous ses élèves prennent part à la leçon, mais si quelques-uns d'entre eux, fussent-ils les plus éloignés, ont commis une erreur.

Voilà pour l'étude des lettres, qui marchera ainsi rapidement. Mais ce n'est là qu'un préliminaire et, sans attendre que toutes soient connues, il faudra aborder la syllabation. La consonne ayant conservé sa véritable valeur d'articulation ou du bruit accompagnateur du son, rien ne sera plus aisé que de la faire retomber sur une voyelle pour former la syllabe. Le geste fait en même temps que cette consonne aidera à la tenir un moment, pendant que le maître en montrera la figure sur son carton mobile, et aussitôt qu'à côté apparaîtra la voyelle, la liaison s'opérant, la syllabe sera émise.

La difficulté que nous signalions tout à l'heure, venant de la nature explosive de certaines consonnes, sera aisément tournée au moment de la syllabation. On aura d'abord étudié les consonnes soutenues comme v f l r m, qui, par leur murmure que perçoit l'oreille, se prêtent mieux à la réunion avec une voyelle. Sans insister longtemps ensuite sur l'étude séparée des consonnes explosives telles que p c t, apprises rapidement grâce au procédé phonomimique. On les fera entrer presque immédiatement dans les syllabes. Leur préparation pourra se faire silencieusement, grâce au geste accompagnateur qui suffira à indiquer au maître que les bouches sont disposées pour former telle ou telle articulation, et la voyelle venant s'ajouter à la consonne; la syllabe sera prononcée sans qu'il ait été besoin que l'organe vocal émît la consonne antérieurement au moment où elle doit se joindre à la voyelle.

La syllabe obtenue, c'est la base essentielle de la lecture établie : car il n'y a qu'à allonger de plus en plus la série des syllabes pour en former des mots, puis des phrases. Mais il y a des syllabes de diverses sortes, plus ou moins compliquées ; il y a des représentations différentes d'un même son ; il y a les variations dans la valeur des lettres. C'est alors affaire de gradation sagement ménagée pour que les élèves, en abordant chaque nouvelle nature d'exercices, n'y trouvent pas un obstacle qui les rebute et soient conduits sans fatigue au but qu'on s'est proposé. Nous verrons tout à l'heure comment, à chaque pas, le geste phonomimique vient prêter son concours efficace.

Le principe d'une méthode est le fil conducteur qui guide avec sûreté dans les détails de son application et empêche qu'on ne s'égare dans des pratiques erronées qui nuiraient à son succès. Ce qu'il s'agira donc surtout de faire ressortir aux yeux des élèves d'une école normale, c'est le principe de la personnalisation des éléments phonétiques créée par la méthode phonomimique ; c'est la façon dont, devenus instituteurs, ils devront profiter des ressources que cette méthode leur offre pour développer chez leurs élèves l'activité d'esprit ; c'est la possibilité qu'elle leur donne d'entraîner sans cesse leurs élèves pris en masse, par conséquent d'arriver promptement à un résultat général satisfaisant et d'employer le temps économisé à l'enseignement de connaissances positives.

Quand le maître entré en fonction se trouvera mis en demeure d'enseigner la lecture, pénétré qu'il sera du point de départ, du principe, de la raison d'être de la méthode phonomimique, il marchera d'un pas sûr dans son application. Donnons seulement quelques indications sur l'ordre spécial que la phonomimie permet de donner aux difficultés de la lecture, et quelques exemples de la manière dont elle les fait vaincre.

L'habitude d'émettre la syllabe en unissant la voyelle et la consonne préalablement préparées et la facilité qu'ont les élèves de compter les gestes qu'ils font, permet de leur faire lire, presque au début, des mots assez complexes et contenant des lettres finales. Il suffit alors de leur recommander de ne prononcer dans le mot que ce qui correspond à deux gestes. Ainsi les mots lait, bois seront aussi aisément et correctement lus que les mots lit et rat, sans que les petits lecteurs soient tentés de faire entendre la consonne finale.

De même la phonomimie permet d'aborder promptement l'étude des équivalents, ou manières diverses de représenter un même son, et de faire des exercices beaucoup plus favorables à l'observation de l'orthographe des mots que ne peut l'être l'épellation préalable. Les gestes rappelant aux élèves l'unité des sons, ils se rendront bien mieux compte, après cette traduction visible, de l'opposition qu'il y a, dans un grand nombre de cas, entre l'unité de l'élément phonétique et la pluralité des lettres correspondantes, et alors, remontant du son à la façon dont il s'écrit, ils compteront les lettres et les prononceront, faisant là précisément ce qu'ils auront à faire lors d'une dictée où, n'ayant pas le mot sous les yeux, ils devront rechercher comment un son qui frappe leur oreille peut s'exprimer par l'écriture. La décomposition d'un de ces exercices le fera mieux. comprendre. Prenons le mot peau. Après l'avoir lu d'une seule émission de voix avec accompagnement des gestes et grâce à la connaissance préalablement acquise de la valeur des trois lettres qui composent le son ô, les élèves diront : p un signe pour une lettre qui est pe {la consonne recevant alors un nom et n'étant plus seulement indiquée par sa valeur) ; ô (cette lettre figurant simplement le son, niais ne se trouvant pas sous les yeux des élèves) ; un geste pour trois lettres qui sont e a u.

La préparation de la consonne, facilitée tout à la fois par le rapprochement avec le bruit du phénomène choisi et par l'emploi du geste accompagnateur, amènera les élèves à lire les mots où entrent des articulations doubles avec la même facilité que s'il s'agissait d'une simple syllabe composée de deux éléments, consonne et voyelle.

Les renversements si fréquents avec le système de l'épellation, dans la lecture de la syllabe inverse où les enfants sont entraînés à replacer la voyelle après la consonne, bien que leurs yeux leur disent qu'elle est avant ces renversements, deviennent impossibles avec la phonomimie, puisque la lecture de la syllabe, guidée par les gestes, doit être faite du premier coup.

Quant aux. changements de valeur des lettres, ils ne sont abordés que lorsque les élèves sont devenus assez habiles dans la lecture des mots, même de plusieurs syllabes, pour que le sens qu'ils sont habitués à y attacher leur fasse plus aisément comprendre la raison des règles suivant lesquelles certaines consonnes ont des valeurs différentes suivant les conditions de leur voisinage.

De tout ce que nous avons dit, il résulte que la méthode phonomimique, par son principe, par l'intervention continuelle du procédé qui fait sa force dans les exercices gradués qu'elle établit, répond aux conditions pédagogiques que doit remplir tout enseignement. Par la façon même dont elle amène à la lecture courante intelligente, elle rend à l'enfant l'immense service de lui faire aimer le livre. Or celui qui éprouve du plaisir dans la lecture sait y puiser un puissant et continu moyen de développement intellectuel. Il trouve dans les bons livres choisis avec discernement, soit des indications utiles sur l'exercice de la profession qu'il a embrassée, soit le moyen de remplir agréablement et avec profit, les heures de loisir que lui laissent ses occupations et ses devoirs.

Est-ce là le seul avantage que présente la méthode phonomimique? Non, il en est un autre qui, dans bien des circonstances, doit faire pencher la balance en sa faveur. Elle permet de recevoir et d'instruire, dans l'école où elle est pratiquée, un pauvre enfant qu'une infirmité de naissance, une maladie ou un accident a privé de la faculté d'entendre. Cette infirmité semblait lui fermer l'accès de l'école, en obligeant le maître à assumer la tâche, impossible en face de ses devoirs envers tous, de s'occuper de lui l'une façon spéciale et par des procédés différents de ceux qu'il emploie avec ses autres élèves. La phonomimie lui en permet l'entrée et transforme en instructeurs, non seulement le maître, mais tous ses camarades. Il peut d'abord, comme ces derniers, participer aux leçons de lecture, puisque les valeurs phonétiques s'expriment aussi d'une manière visible, par conséquent saisissable par lui. Puis l'ensemble des gestes phonomimiques forme une sorte de langage qui permet aux. relations de s'établir entre les parlants et le sourd. Celui-ci acquiert peu à peu la connaissance du vocabulaire et de la construction des phrases par l'usage même qu'on en fait avec lui. En se perfectionnant dans l'emploi du langage de tous, il prend part d'une manière de plus en plus facile et complète aux leçons communes. De plus, il saisit sur les lèvres de ceux qui l'entourent les mouvements provoqués par la parole ; il s'ingénie à les imiter ; aidé par les indications du maître, il y parvient peu à peu et les relations, commencées à l'aide des gestes phonétiques, arrivent à s'établir par le moyen à l'usage de tous : la parole vivante qui naît sur les lèvres et que, s'il ne l'entend pas, il voit du moins sur les lèvres des autres. Ce contact continuel des entendants est une incitation puissante à son développement intellectuel, et le maître, ainsi secondé par la jeune population scolaire qu'il aura intéressé à son œuvre de charité et dont le concours s'ajoutera à son dévouement et à son zèle, le maître pourra, sans avoir négligé l'accomplissement d'aucune des obligations que ses fonctions lui imposent, obtenir cette douce récompense de voir son jeune élève infirme conquérir, grâce à ses soins, une instruction suffisante pour être digne de ce certificat d'études, couronnement de la carrière scolaire que beaucoup de ses compagnons mieux doués ont plus aisément conquis.

 

 

 

A. Grosselin, sténographe-réviseur de la Chambre des Députés, Revue pédagogique, 2e semestre 1881, pp. 517-530