On parle peu de l'écriture. Depuis que la presse, la radio, la télévision s'intéressent à l'École, c'est surtout pour évoquer, souvent mal, la lecture.

Or l'écriture, appelez-la si vous voulez : expression écrite, rédaction ou composition française, personne ne s'en soucie en dehors de ceux qui ont pour mission de l'enseigner et qui savent leur tâche capitale et difficile.

Tâche capitale :

Comme la lecture, l'écriture est instrument de réalisation de soi et de pouvoir social.

Savoir écrire, c'est savoir penser. C'est ne pas subir tout ce qui se dit sur tous les tons et sur toutes les chaînes.

Si le téléphone joue un rôle essentiel de communication directe, la plus grande partie de la communication sociale s'effectue et continuera de s'effectuer par l'écrit.

L'informatique tuera-t-elle l'écriture ? Contrairement à ce qu'on avait pensé ici et là, le développement de l'automatisation et de l'informatisation des rapports sociaux entraînera l'affinement de la pratique de l'écriture, en particulier dans la conception des programmes.

J'ajoute qu'écrire c'est aussi exister davantage, par la libération de ce qui bloque ou étouffe au fond de soi. Combien d'adultes, combien d'adolescents et d'enfants se découvrent par l'écriture !

Tâche difficile :

Elle l'a toujours été. Les Instructions Officielles de français de 1923 et 1938 notaient déjà que les résultats scolaires en composition française étaient décevants.

Chez les adultes, la relation à l'écriture est rarement positive. Voyez comme il est difficile de trouver dans une réunion une personne qui accepte la rédaction du compte rendu. Cette difficulté se rencontre même dans les milieux cultivés, parfois même chez les enseignants.

Ne peut-on craindre dans un avenir proche comme dans une marginalisation d'un grand nombre d'individus au profit d'un groupe restreint qui détiendra le redoutable privilège d'écrire, et donc de penser, pour les autres ? L'existence d'un tel mandarinat sonnerait le glas d'une liberté fondamentale.

L'école se doit se réagir.

Que faire ?

Se mobiliser. Ce n'est pas l'effort isolé de tel ou tel convaincu qui portera du fruit, mais l'action cohérente d'un grand nombre, de la maternelle au lycée.

On a fait de l'expression écrite un exercice trop scolaire, un "devoir" comme un autre, coincé dans le cahier du jour entre un exercice de grammaire et la solution d'un problème mathématique.

À l'école, au collège, on écrit sans intention de communication, on n'écrit à personne, ni à soi, ni à d'autres, même pas au maître ou au professeur, si ce n'est pour obtenir une note.

J'ose affirmer, avec l'expérience du témoin, que dans certaines classes, on n'écrit plus du tout. Quelques enseignants, devant la difficulté de la tâche, agissent pratiquement comme si la meilleure façon de résoudre le problème était de ne plus le poser. Ils se contentent d'enseigner l'orthographe, la conjugaison, la syntaxe, le vocabulaire ou s'imaginant que, par la vertu d'un impossible miracle, tout cela fera un jour des enfants compétents en écriture.

Comme toute fonction, celle d'écrire se développe par son propre exercice. On apprend à écrire en écrivant, comme on apprend à lire en lisant. L'école accorde trop d'importance aux exercices de structurations, pas assez à l'écriture elle-même.

On ne peut enseigner l'orthographe, la grammaire que dans la perspective d'un réinvestissement de ces acquis en situation d'écriture. Si je n'écris pas, je n'apprendrai jamais à écrire et tant que je n'écris pas, tout ce que je mets en place en vue de l'écriture ne sert strictement à rien. Privilégier l'écriture-communication :

C'est la nécessité de communiquer avec des adultes ou des enfants que l'on ne peut rencontrer facilement, qui fait découvrir l'utilité et l'exigence de l'écriture-communication.

La correspondance scolaire, vieille idée de Célestin Freinet, garde tout son prix. Est-elle pratiquée ? Oui, certainement. Dans combien de classes ? Peu.

Et le journal scolaire, ce document réalisé par des enfants pour être diffusé dans un quartier, un village, existe-t-il ? Oui. Est-il fréquent ? Non.

Notre vœu ? Que les enfants vivent comme un plaisir l'activité d'écriture : "amener les enfants à prendre l'écriture comme nous souhaitons les amener à prendre la parole" (Jean-Pierre Goldenstein).

 

C'est un enjeu éducatif fondamental, c'est aussi un enjeu politique de première grandeur.

Jean Naviaux, in J'écoute, journal du CRDP de l'Académie de Grenoble, n° 2, avril 1985