Voici pourquoi l'affaire Dominici va enfin éclater (suite)

 

Et certaines de nos questions - sinon toutes - recevront leur réponse - que tout le pays connaît déjà

 




1° Est-il vrai que Gaston Dominici n'a pas seulement parlé d'une conversation surprise, mais qu'il a affirmé au juge d'instruction comme au commissaire Chenevier, avoir VU Roger - suivi du Gustave - transportant dans ses bras la petite Elizabeth bâillonnée d'un mouchoir ?

2° Est-il vrai que la soirée de beuverie du 4 août, qui "n'est pas au dossier", est cependant connue de tout le monde dans le pays ?

3° Est-il vrai que cette réunion, si souvent démentie, aurait eu pour objet un transport d'armes ?

4° Est-il vrai que le mystérieux side-car venu la même nuit à la Grand'Terre, était là pour récupérer deux caisses de grenades entreposées par l'ancien maquis de Sigonce ?

5° Est-il vrai que les derniers éléments de ce maquis, étrangers pour la plupart, ont tous subitement quitté la région à l'arrivée des nouveaux enquêteurs ?

6° Est-il vrai qu'en parlant à la barre des Assises d'une fracture du crâne "en sac de noix" analogue à celle d'Elizabeth, le médecin-expert, Professeur Jouve, faisait allusion à un motocycliste accidenté, mort dans sa clinique la semaine précédente ?

7° Est-il vrai que ce motocycliste n'était autre que l'ex-"commandant Autheville", du maquis de Lurs, qui avait eu, à deux jours d'intervalle, le double malheur d'être exclu du Parti, et de recevoir sur la tête un pylône électrique en cours de démontage ?

8° Est-il vrai qu'un proche parent d'Yvette ait récemment séquestré dans sa ferme quatre fillettes de l'école communale qui auraient traité ses petites-filles de "Dominici" ; les ait fait s'agenouiller sur le carreau de la cuisine, et les ait obligées, sous menace, à demander pardon ?

9° Est-il vrai qu'il a plusieurs fois été question d'interroger Louis Barth, beau-père de Gustave Dominici, fermier énergique et intelligent, chef indiscuté du groupe communiste dont l'audition pourrait être capitale - et qu'on y a toujours renoncé au dernier moment ? Pourquoi ?

10° Est-il vrai que le secret de la "couverture" du crime n'est ni familial, ni politique, ni ethnique, mais une solidarité d'intérêt - des trésors illicites à conserver ?

11° Enfin, les non-lieux qui ont clos TOUTES les affaires de pillage, de meurtres et d'exactions commis à l'époque de la Libération dans le secteur, n'ont-ils pas eu pour résultat - comme le semi non-lieu de la Grand'Terre - d'empêcher la récupération de sommes volées ou extorquées, dont l'opinion publique évalue le montant à des dizaines de millions ?

12° Bref, est-il exact que ces questions, toute la région se les pose - avec bien d'autres - et qu'aucun apaisement n'est possible tant qu'on n'aura pas au moins essayé d'y répondre ?.

 

 

© M. Vox, article publié dans  Justice-Magazine, juillet 1955, pp. 15-18

 

 


 

 

Le texte de M. Vox est soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.

 

 

Commentaires

 

 

I. Les hommes

 


Raymond Escholier (1882-1971), critique d'art, commandeur de la Légion d'honneur, est sans doute surtout connu pour avoir été le Chef de Cabinet d'Aristide Briand (il a d'ailleurs laissé des "Souvenirs parlés de Briand" - Hachette, 1932 - extrêmement vivants).

 

Maximilien Vox (1894-1974), de son vrai nom Samuel Monod, appartient à la famille parpaillote des Monod. Fils du pasteur Wilfred Monod, il était le frère de Théodore Monod (1902-2000), "l'homme des sables", qu'il est superflu de présenter. Vox était un spécialiste de la typographie : on lui doit la classification des polices de caractères dite Vox-Atypi (classification aujourd'hui adoptée universellement). Il s'engagea dans la Résistance, non dans les tout premiers, mais assez tôt, en tout cas, pour être chargé, à la Libération, de présider le comité d'épuration concernant son domaine.
On pourra éventuellement suivre le lien ci-après : un Lycée qui porte son nom.

 

 

 


Claude Bourdet (1909-1996), résistant de la première heure, ce qui le conduisit d'ailleurs à la déportation, il est l'exemple parfait - et tellement rare - de l'individu ayant fait passer ses convictions avant ses ambitions. Chrétien de gauche et même d'extrême-gauche, fondateur de France-Observateur (rien à voir avec l'hebdomadaire qu'on connaît, si cher au cœur des bobos parisiens et de la gauche-Lubéron réunis), il fait partie de ces figures qui permettent, dans les moments difficiles, de ne pas désespérer totalement de l'humanité.

Ernest Borrély (1889-1959), d'abord instituteur (qui appliquait les Techniques Freinet !), puis entré en politique (il finit Président du conseil général des Basses-Alpes). emprisonné par la Gestapo, il fut délivré par son épouse (dont il était séparé) et son fils, fait d'armes qui n'a pas eu autant de retentissement que le coup de Madame Aubrac, à Montluc (affaire de publicité personnelle - il y a encore des gens pudiques et discrets).

 Gabriel Laurin (1901-1973), Louis Mattéi dans la Résistance, "peintre manchot".



 

 

Louis Martin-Bret (1898-1944), Conseiller général de Manosque et organisateur de coopératives agricoles, il entra rapidement dans la Résistance. Tombé dans une souricière à Oraison, fusillé par les Nazis en juillet 1944.

 

 

 

Qu'on nous permette de nous étendre un peu plus sur le cas de Gabriel Besson. Homme de confiance de Martin-Bret, et "pote" de René Char, ce "héros dans la plus pure acception du terme, un juste sans qui l'espoir parmi nous se fût souvent effondré" (René Char) fut assassiné, lui aussi.

Le promeneur anonyme qui, d'aventure, risque ses pas, un jour de flânerie, du côté de la gare de Manosque, est littéralement stupéfié de tomber sur un monument relativement discret, une plaque surmontée d'un buste. Et sur la plaque, le promeneur lit ceci :

"Ici a été assassiné, le 1er mars 1946, Gabriel Besson, Chef des Groupes Francs Région R2, Capitaine S. A. P. [Section Atterrissages et Parachutages, dirigée dans les Basses-Alpes par "Alexandre" (René Char)]. Mort pour la France. Il fut un héros de la Résistance, un noble cœur et un brave. Croix de guerre avec étoile de bronze, Médaille de la Résistance".

Le promeneur se demande donc s'il n'y a pas d'erreur sur la date. Car les hostilités s'étant terminées, au plus tard, le 8 mai 1945 (et pour la région de Manosque, près d'un an plus tôt), un Résistant ne peut pas avoir été assassiné dans la nuit du 28 février au 1er mars 1946 ! Eh bien, si.

Et cela oblige à lever le voile sur certaines opérations du Parti communiste français, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne furent pas glorieuses. Les staliniens français n'ont jamais hésité à exécuter aveuglément les ordres de leurs chefs, et c'est ainsi que nombre de militants communistes, que la signature du Pacte germano-soviétique (du 23 août 1939 - signature qui entraîna l'interdiction du P. C. par Daladier) avait révulsés, furent discrètement liquidés. Et dire qu'il y a une dizaine d'années, l'un de ces "liquidateurs" n'a pas craint, visage découvert, de se glorifier à la télé, d'avoir perpétré certains de ces assassinats ("assassinats", et non meurtres, puisqu'ils étaient planifiés) !

Quant aux militants trop connus pour être éliminés sans bruit, alors on leur crachait dessus, on s'efforçait de les salir : c'est ce qui arriva à l'un d'entre eux, au moins, Paul Nizan. Sartre, pour une fois clairvoyant, a parlé de cela dans la belle préface qu'il a écrite pour "Aden-Arabie" (chez Maspéro) - qu'on veuille bien s'y reporter.

Plus tard, au cours de la période des maquis, les staliniens FTP n'ont pas craint de dégommer nombre de résistants qui n'étaient pas assez communistes à leurs yeux, disons qu'ils étaient un peu trotskistes, ce qui est la tare suprême pour ceux qui, alors, "chantaient rouge". Besson flirtait sans doute de ce côté-là. Et c'est pour cette raison que, ne pouvant atteindre son ami, le poète René Char, sinon par l'insulte la plus ignominieuse, d'anonymes staliniens liquidèrent une nuit, d'un coup de fusil tiré dans le dos (les courageux), le résistant, qui laissait derrière lui une adolescente de quatorze ans.

Tant d'exactions de toutes sortes, sans oublier l'épuration sauvage à la Libération (ni la désertion de Thorez), eussent dû entraîner, en 1945, l'interdiction de ce mouvement (qui, d'ailleurs, après avoir félicité les Nazis d'avoir vaincu les démocraties bourgeoises anglaise et française, n'eut pas honte, l'armistice venu, de leur demander l'autorisation de faire reparaître l'Humanité !). Mais voilà, le P. C. avait des armes, beaucoup d'armes, d'ailleurs en provenance des démocraties (Angleterre-États-Unis) honnies...

Ces choses-là sont particulièrement dégueulasses. Mais ce qui est encore pire, c'est que le politiquement correct a permis l'oubli le plus profond. Et cependant, de là à parler de  l'assassinat, par le P. C., de Roger Autheville, il y a un pas que je ne franchirai pas, comme on le verra infra.

Époux Cartier, Commissaire Stigny, M. le Maire François Musy (exécuté le 29 juin 1944) : ces assassinats sont davantage connus, on ne s'y étendra donc pas.

Sinon pour préciser que le policier dépêché de Nice pour résoudre l'affaire de Paillerol (époux Cartier - il se murmurait que Barth, le beau-père de Gustave, en savait long sur ce double assassinat, crapuleux), eut l'imprudence d'annoncer par téléphone, à ses supérieurs, qu'il avait en un tournemain résolu l'affaire, et démasqué ses auteurs.

Le lendemain, 20 octobre 1944, son corps fut retrouvé à l’embranchement des routes de Pourcelles et des Mées. Un certain Guy Lamontre (qui avait été son adjoint) fut arrêté et protesta qu'il s'agissait de la liquidation d'un traître.

Malheureusement pour lui, l'Inspecteur chargé de l'affaire, un certain Fernand Constant, qui devait s'illustrer un peu plus tard, n'est-ce pas, prouva que bien loin d'être un "traître", le commissaire Stigny avait été un authentique Résistant, autant que ses fonctions le lui permettaient.

Lamontre (né dans l'Ain, le 28 juin 1916) fut condamné par la Cour d'assises de Digne à cinq années de prison (il en avait fait deux en préventive). Et le Provençal, "journal des patriotes", tonna contre ce verdict, qu'il trouva "très sévère" (septembre 1951) ! Cinq ans pour l'assassinat d'un Commissaire de Police !

Ce qu'on sait moins, et même beaucoup moins, c'est qu'à propos de l'affaire de Lurs, dont Fernand Constant fut chargé, notre Commissaire écrivit à celui qu'il avait fait condamner ! Constant écrivit en effet à Lamontre au sujet de la Résistance et de ses dévoiements. Lamontre, s'estimant injustement emprisonné, ne voulut pas le renseigner...

Et puis, comme il faut faire les comptes, l'assassinat de Stigny ne fut que l'une des 8 000 exécutions sommaires de la Libération (5 234 sous l’Occupation ; 3 114 après la Libération et sans jugement ; et 1 325 à la même époque, mais après jugement).

 

 

II. Les faits

 

On aura sans nul doute remarqué que Vox reprend en partie (ou anticipe) certaines "intuitions" de Giono (auxquelles Mossé donnera toute leur ampleur : en particulier s'agissant de l'argent de la Résistance).

Notons que l'expression "erreur judiciaire à rebours", est particulièrement bien trouvée ! Et, sans doute, toujours d'actualité ! On comprend que ce parpaillot, à mille lieues d'un célèbre pasteur de cette époque (suivre le lien "Une assemblée orageuse" pour en connaître davantage à ce sujet) est viscéralement anti-communiste. Il est vrai qu'il existe de fort nombreux exemples de "complicité vastement ramifiée", mais c'est là un autre sujet...

Petite erreur au passage : il semble bien que les jurés de Digne aient retenu la préméditation pour le crime perpétré sur la petite Elizabeth. Mais affirmer que cet assassinat ressemble à ce qui se passait dans le maquis, même si le propos vient d'un vrai Résistant, cela, à l'évidence, va trop loin.

 

On ne sache pas que les maquis communistes qui certes n'étaient pas composés d'enfants de chœur, aient exécuté des enfants. Vox donne UN exemple, celui qui met en scène Borrély. Et cela, aujourd'hui, est parfaitement invérifiable.

On peut seulement rappeler que la mère Ribo échappa au peloton (ayant été Pupille de la Nation), tandis que son frère (son demi-frère, plus exactement) était, lui, passé par les armes. Il y eut, bien entendu, cette femme (d'origine lorraine ?) exécutée au quartier du Trou (près de la ferme Barth), en 1942, puis l’assassinat du juge (Staïs) qui avait instruit l’affaire - s'achevant par un non-lieu (c'est Gabriel Domenech qui rappelle ces faits, dans Le Méridional, en août 1955). Il y eut aussi Danielle Julienne, agent double au service de la Gestapo, réfugiée un temps avec son compagnon Roger Calame chez René Castang, dans sa ferme située au quartier de Pierrerue. Elle servait d'infirmière à Castang qui ignorait sans doute à qui il avait affaire - et qui semble en être mort. Ces deux tristes individus ont été fusillés à Paris le 9 juin 1948, donc après procès légitime.

Bref, la froide exécution de femmes, a fortiori d'enfants, ne saurait en aucun cas être une "loi du maquis".

 

On doit enfin s'interroger sur l'importance du "maquis de Sigonce", révélée en effet par G. Domenech, et qui paraît avoir été très nettement exagérée. Dans un livre paru en 2004 (beaucoup trop hagiographique à mon avis, mais c'est sans doute la loi du genre), qui entend recenser (et encenser) tous les maquis bas-alpins, "Les Chemins de la Liberté", Hélène Vésian cite à peine le "maquis de Sigonce-Revest-Saint-Martin", sans autre référence, comme étant une petite excroissance du maquis voisin de Ganagobie, grillé à partir de la mi-juin 1943. On pourra toujours m'objecter que si ses membres étaient une bande d'aventuriers pillards et assassins, familiers des "rapines et exactions" comme les fellaghas de l'Aurès (!), l'auteur n'ait pas tenu à s'appesantir sur des faits peu brillants - c'est un euphémisme, risquant de salir l'image, qu'on s'efforce de conserver infiniment pure et seulement glorieuse, de l'histoire des maquis. On songe ici, irrésistiblement, aux réflexions désabusées (et prémonitoires) du capitaine Alexandre : "La qualité des résistants n'est pas, hélas, partout la même ! À côté d'un Joseph Fontaine, d'une rectitude et d'une teneur de sillon, d'un François Cuzin, d'un Claude Dechavannes, d'un André Grillet, d'un Marius Bardouin, d'un Gabriel Besson, d'un docteur Jean Roux, d'un Roger Chaudon, aménageant le silo à blé d'Oraison en forteresse des périls, combien d'insaisissables saltimbanques plus soucieux de jouir que de produire ! À prévoir que ces coqs du néant nous timbreront aux oreilles, la Libération venue..." (René Char, Feuillets d'Hypnos, 65).

 

C'est en tout cas peut-être à partir de la réflexion qu'il rapporte : "on en avait peur", que Vox bâtit tout un roman sur le père d'Yvette, dont il affirme qu'il n'a pas été interrogé jusque là (en tout état de cause, il n'avait pas, dans le cadre de l'instruction des crimes de Lurs, à être interrogé sur "l'argent de la Résistance" !). Ce qui est parfaitement inexact.

En effet, la ferme Barth ("Les Neyrades") a été l'objet d'une perquisition, le 9 septembre 1952 (certains diront : beaucoup trop tard !), avec Sébeille et Constant. Puis notre ami François-Louis a été interrogé par trois fois, en 52-53, par Constant, Périès et Sébeille (D 135, D 150, D 244). Et donc, lorsqu'il annonce lui-même au commissaire Chenevier, qui l'entend le 3 août 1955, que c'est la première fois qu'il est interrogé, ce n'est plus une inexactitude, c'est un mensonge !

 

Quant au problème de l'argent, de quelque façon qu'il ait été subtilisé (parachutages, chantages...), il devrait, il aurait dû, se retrouver quelque part ! On aurait dû assister, ici ou là, à d'insolentes réussites matérielles. Ce qui ne fut pas le cas. En mars 1956, Chenevier accède sur commission rogatoire à divers comptes bancaires (Barth en possède deux, le premier à la Société marseillaise de Crédit, le second au Crédit agricole) ouverts par tous ceux qui gravitent autour du crime. Il n'y a rien à dire dans l'ensemble, sauf que, s'agissant précisément du père d'Yvette, il ne roulait pas sur l'or ! On pourra toujours objecter qu'il avait caché de l'argent dans je ne sais quel bas de laine : en tout état de cause, il aurait bien fallu le ressortir un jour ou l'autre - à tout le moins au moment de l'échange des billets (4 juin 1945). - et l'investir : le train de vie des protagonistes de l'affaire, ou de leurs descendants, infirme l'hypothèse des Vox et consorts : les "dizaines de millions" ressemblent furieusement à un fantasme.

 

Demeurent à examiner les douze questions posées, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont d'inégales importance et valeur, d'autant qu'elles tendent le plus souvent à conférer un statut de parfaite véracité à des faits dont le caractère problématique persiste jusque de nos jours.

 

 


- À supposer que le Zézé ait été VU portant "la petite", en quoi cela fait-il de lui un acteur de la tragédie ? La reprise de cet argument nous suggère d'ailleurs un scénario qui ne semble pas avoir été proposé jusqu'ici : parfaitement au courant du "si tu avais vu et entendu ces cris..." prononcé par son fils Gustave, le vieux fermier, rusé comme pas deux, a détourné l'incident à son profit. Ce n'est plus Gustave qui a vu (son père acteur), mais c'est le père qui devient, par cet habile renversement, le témoin de l'action de son fils !

 


- La "soirée de beuverie" n'est en effet "pas au dossier", encore que des allusions y soient faites, toutes les recherches effectuées à ce sujet n'ayant rien donné (et pour cause, serait-on tenté de dire : inquiets des suites éventuelles - principalement financières - de l'éboulement, les Dominici auraient été assez inconscients pour s'en désintéresser et sacrifier à Bacchus !). Ce qu'on trouve "au dossier", c'est que le juge Carrias s'y est beaucoup intéressé quand il a entendu les sieurs Hugues puis Veyssière (on trouvera à ce sujet des compléments in J.-L. Vincent, Affaire Dominici, la contre-enquête, p. 607). Et absolument rien n'est sorti de ces auditions.

 


- Encore, éventuellement, si l'on parlait d'une hypothétique "fête des moissons", on pourrait demeurer dans les parages du plausible. Mais faire allusion à un "transport d'armes", et bien plus précisément encore, au "mystérieux side-car" et à des "caisses de grenades" venues de Sigonce, cela relève du délire - mais aussi de l'effarant anti-communisme (il avait certainement ses raisons, nées dans la Résistance) de Vox.
Et cela fait irrésistiblement songer, dans un ordre d'idées voisin, aux élucubrations de Reine Ribo qui, après avoir cassé les pieds (je suis poli) des enquêteurs au sujet d'un imper qui n'était plus fabriqué depuis 1941, se vanta d'avoir découvert deux dépôts d'armes, l'un dans l'ancienne gare de Lurs, et l'autre chez le cheminot Paul Maillet !

 


- Que le Docteur Jouve ait établi une comparaison à la barre du Tribunal, cela est possible. L'expression citée est celle primitivement utilisée dans le Rapport d'autopsie de la petite Elisabeth ("en palpant le crâne, on avait l'impression de mobiliser un sac de noix"). Il est parfaitement exact, d'autre part, qu'on avait, très peu de temps avant son audition devant la cour d'Assises, conduit dans sa clinique un jeune employé de la Sécurité sociale nommé Roger Autheville.

L'accident s'était passé le 9 novembre 1954, peu avant quatorze heures. Autheville venait, en mobylette, du Boulevard Victor-Hugo. Sur la digue de la Bléone, au lieu-dit Les Épinettes, il fut sans doute aveuglé, écrit le quotidien qui rapporte l'accident, par la réverbération du soleil ; n'apercevant dès lors ni le chantier, ni les signaux que lui firent les ouvriers d'une entreprise d'électricité, en train de dresser un pylône de béton il heurta de plein fouet le dit pylône ; il eut la boîte crânienne enfoncée, et décéda sans avoir repris connaissance. Cet employé laissait une jeune veuve et trois enfants. Voilà pour le tragique fait divers.

Le rapport à l'histoire du crime, c'est que Autheville avait été un Résistant, qu'il connaissait les Dominici, qu'il avait été assez tôt averti des tenants et des aboutissants de leur forfait. Il est vrai d'autre part que le Docteur Jouve, grand Résistant lui aussi, fut, au procès, un témoin de la défense (venu dire qu'en tout état de cause, la jeune fille ne pouvait être sauvée). Il est vrai enfin que, jamais en retard d'une saloperie, le Parti communiste, qui venait d'exclure Autheville (l'employé de la S. S. des Basses-Alpes arrondissait parfois ses fins de mois en adressant des photographies à "Détective"), signala sans aucun commentaire, de façon parfaitement anonyme, dans l’état-civil de la semaine écoulée, le décès de "Roger-Émile Autheville, employé à la Sécurité sociale, 30 ans, quartier du Tir". Mais ce sont bien là des façons staliniennes. On en a vu d'autres. De là à suggérer que le P. C. a fait assassiner Autheville parce qu'il craignait que l'ancien Résistant et militant fît des révélations (sur les exactions du Parti durant l'Occupation, et plus encore à la Libération), cela relève à notre sens du délire.

Selon moi, tout ceci est impossible : jamais le Docteur Jouve n'aurait couvert une telle machination. Pour la bonne raison qu'il appartenait, comme Vox, à la "franc-maçonnerie parpaillote".

Le docteur Paul Jouve était en effet issu d'une immense lignée de protestants ardéchois. Né à Saint-Agrève le 18 juin 1894 (et décédé à Digne le 25 mars 1959), il se maria à Lyon (7e) le 18 juin 1924 avec Marguerite-Marie-Anne Durand, et vint s'établir dans les Basses-Alpes. Chirurgien, maire de Digne à la Libération (1946-1947), il fut aussi sénateur socialiste des Basses-Alpes (1946-1948), Croix de guerre et titulaire de la médaille de la Résistance.

 



Il était fils de Louis-Samuel Jouve (né à St-Agrève le 27 décembre 1865 – y décédé le 6 février 1945). D’abord boulanger à Lyon, Louis-Samuel revient s'installer à Saint-Agrève où il ouvre, dans les années 1910, un hôtel-restaurant très réputé - le plus grand des quatre établissements de Saint-Agrève. Cet hôtel-restaurant de trois étages (offrant 35 chambres), visible sur de nombreuses cartes postales anciennes, était situé sur la place de la République (aujourd'hui, après rénovation, il a été transformé en appartements locatifs). L’hôtel Jouve, ouvert seulement de la Pentecôte au mois d'octobre, était surtout connu pour son fameux restaurant (180 couverts), distingué par trois étoiles lors de la parution du premier guide Michelin, en 1933 (pour un an seulement. Puis deux étoiles jusqu'en 1939) ! On venait de très loin y déguster quantité de mets aussi appétissants que riches en cholestérol tels que charcutailles, pâtés de grives, soupe aux choux, gratins, salmis de langouste à la crème, pâtés de venaison et autres gibiers, morilles à la crème, grives confites, quenelles Nantua, truites meunière…..

La légende rapporte que Marcel Pagnol, fidèle client de l'hôtel Jouve, y prit pension dans les années trente pour écrire le scénario du film La Femme du boulanger, trouvant en Samuel Jouve (ancien boulanger) un modèle pour son personnage.

 

Voilà, j'arrête ici : la double appartenance du Dr Jouve au protestantisme et au socialisme (qu'on se souvienne de la véritable haine nourrie par les Naegelen et autres Defferre, à cette époque, envers les communistes - haine largement entretenue par les deux quotidiens rivaux, Le Provençal et la Marseillaise, et relayée sur place, en Mairie de Peyruis,  par les affrontements entre Eugène Jullien, socialiste SFIO, et L. Jourdan, communiste) interdit de penser une seule seconde qu'il ait pu prêter la main à des tripatouillages staliniens.

 

 

Enfin, on a déjà rapporté que toutes "les affaires de pillage, de meurtres et d'exactions" ne s'étaient pas terminées par des non-lieux - l'affaire Lamontre en est la preuve.

 

Le texte écrit par Vox est donc intéressant, à titre de document, très marqué par son époque, relatant un vécu personnel. En tirer la conclusion qu'il s'agit d'un témoignage éclairant d'un jour nouveau l'histoire de notre affaire relèverait de la plus imprudente conjecture.