De la part de Michel Onfray, le "penseur de Caen", je goûte fort ses indignations concernant le kairos, l'air du temps - quand bien même je pense à part moi qu'il est allé beaucoup trop loin lorsqu'il a attaqué l'actuel Président dans sa Lettre à Manu sur le doigté et son fondement ; en revanche, j'apprécie médiocrement ses prétentions (assez peu) philosophiques à vouloir embrasser une sorte de savoir universel. Je songe aussi qu'il est impossible, à moins d'émarger chez les surhommes, de pondre cent ouvrages en si peu de temps, tout en courant force interviews et conférences. Et me chagrine un peu son exécution sommaire de Freud, et sa négation a priori de l'existence terrestre, il y a un peu plus de deux mille ans, d'un certain Yeshoua. Pour tout dire, je ne suis pas très loin de faire miennes ces quelques lignes dues à la plume de Jean-Louis Schlegel (directeur de la rédaction de la revue Esprit), qui raille le "verbe militant et brouillon du prédicateur Onfray à propos de l’histoire chrétienne à ses débuts : Chrétiens, catholiques en particulier, nous devrions tous être remplis d’une immense gratitude pour France Culture. Cette éminente radio ne diffuse en effet pas seulement une heure de messe le dimanche matin (de 10 heures à 11 heures). Tous les samedis-dimanches d’été que Dieu fait, elle nous permet en outre d’écouter huit heures de prêches du chanoine Michel Onfray sur l’histoire du christianisme – plus exactement sur la vérité de l’histoire du christianisme.... Impavide, la parole abondante et le débit précipité, bourré de certitudes sans faille (ce qui nous change des savants au doute méthodique et des curés incertains ou relativistes), celui qui se présente aussi comme philosophe a tout loisir pour exposer ce que fut et ce qu’est selon lui le vrai christianisme : une 'religion de femelles', une machine à haïr, à détruire, à tuer… À vrai dire, ce qu’il raconte depuis plusieurs décennies sur toutes sortes de sujets ne m’intéresse pas, ou ne m’intéresse plus. J’ai lu ses premiers livres, dans les années 1980, mais j’ai arrêté ensuite, non pas parce que tout ce qu’il dit serait sans intérêt, mais parce qu’il rend tout, même les sujets intéressants, parfaitement sans intérêt, lourds, indigestes".
Et cependant, j'ai trouvé dans Cosmos, outre des pages tendres autant qu'émouvantes dans lesquelles M. Onfray évoque avec pudeur (pour une fois) et gratitude la figure de son géniteur ("Mon père est mort dans mes bras, vingt minutes après le début de la nuit de l'Avent, debout, comme un chêne foudroyé qui, frappé par le destin, l'aurait accepté, mais tout en refusant de tomber. Je l'ai pris dans mes bras, déraciné de la terre qu'il avait soudainement quittée, porté comme Énée porta son père en quittant Troie. Ensuite, je l'ai assis le long d'un mur, puis, quand il fut clair qu'il ne reviendrait pas, je l'ai allongé de toute sa longueur sur le sol, comme pour l'aliter dans le néant qu'il semble avoir rejoint sans s'en apercevoir") - j'invite le lecteur à aller en goûter la fine reconnaissance - un travail assez passionnant sur le problème des anguilles. J'en extrais donc, ci-après, quelques bonnes feuilles...

 

 

"Contempler le monde, comprendre ses mystères et les leçons qu'il nous livre, ressaisir les intuitions fondatrices du temps, de la vie, de la nature, telle est l'ambition de Cosmos, qui renoue avec l'idéal païen d'une sagesse humaine en harmonie avec le monde" [Éditeur]
"Temps de l'adolescence... qui permet au jeune garçon que je suis, dévoreur de livres, de prendre des leçons de travail en regardant mon père à l’œuvre dans son jardin potager. Jamais cours de méthodologie ne fut mieux dispensé sans jamais avoir été professé. Les allées propres et nettes, les planches clairement dessinées, les alignements de légumes, les plantes aromatiques au bon endroit, les fleurs au leur. Le goût du travail bien fait m'a été transmis de cette façon... Regarder travailler un jardinier au jour le jour nous en apprend parfois beaucoup plus que de lire d'interminables livres de philosophie" [M. Onfray]

 

 

 

L'été, la rivière apparaissait sous la voûte faite par le feuillage comme ruisselant d'or et d'argent, car la surface réfléchissait ce qui parvenait du soleil. La clarté tamisée fabriquait des mosaïques de lumières changeantes. La lumière trouait les arbres vert vif. Leçons d'impermanence dans la permanence même, le feu de l'astre nourrissait tout ce qui vivait et tout ce qui vivait mourait. Les cadavres de petits poissons, gonflés, le ventre à l'air, les truites épuisées versant doucement du côté du néant, les rats crevés, les souris et les mulots dévorés par les fourmis, l'essaim de mouches noires et bleues qui transformait les petits cadavres gonflés des rongeurs en squelettes auxquels la peau couleur taupe restait parfois attachée, les serpents éventrés par la putréfaction et colonisés par les insectes qui les mangeaient - la nature m'enseigna les Vanités bien mieux que l'Église.

La vie grouillait dans cette rivière qui s'appelle la Dives - un nom qui exprime la divinité de l'eau courante depuis probablement bien des siècles. Les poissons-chats surpris sous la pierre levée doucement, quand la vase se libère et crée un petit nuage de particules en suspension vite absorbé par le frêle courant, les vairons pêchés, plongés dans des seaux, puis mangés en fritures, les petits coquillages d'eau douce, comme des bigorneaux, les sangsues dont on dit qu'elles suçaient le sang si on touchait leur chair douce et flasque, fantasmes vite abolis par l'expérience, les truites faro tachées d'ocelles orange et grises, brunes et bleues, tout cela vivait dans un rythme auquel je me soumettais : le temps de la vie naturelle ne se résume pas à sa mesure, mais à son expérience. L'heure du clocher n'a rien à voir avec l'horloge interne de ces animaux qui obéissent à ce que Bergson nomme l'évolution créatrice.

Parmi ces bêtes d'eau, je me souviens de petites anguilles, moins d'une vingtaine de centimètres. Je les trouvais sous les pierres que je soulevais délicatement, elles apparaissaient dans les poussières de la vase, des grains de terre, des petits courants de particules turbides. Leur bouche en ventouse se collait à la peau; elles ondulaient tels de petits serpents quand on les plaçait sur un avant-bras auquel elles se collaient avec leur bouche suceuse. Elles pendaient alors dans le vide, brunes avec des reflets verts, luisantes, un genre de crête de dentelle frissonnant sur le dos. Replacées dans l'eau, elles restaient parfois, indolentes, à doucement lutter contre le courant en créant de jolies sinuosités. Puis elles partaient, lentes, vers le cœur de l'eau.

Parfois, la tête d'un véritable serpent émergeait de la surface de la rivière. Elle ouvrait l'eau pour y dessiner un V dont la pointe faisait naître de petits remous qui se perdaient dans les dessins élégants effectués par les ondulations de la longue queue. J'avais appris à reconnaître la vipère et la couleuvre : la tête rectangulaire de l'une, celle en olive de l'autre, la longueur effilée de la seconde et la brièveté de la queue épaisse coupée court de la première, le danger de l'animal au venin et l'innocuité de la bête dont on disait qu'elle grimpait sur les jambes des vaches pour y atteindre le pis afin d'y sucer le lait. Mon père m'avait mis en garde : à défaut d'être sûr et certain de distinguer les deux animaux, se méfier du serpent qui pouvait toujours être venimeux et mortel. Leçon qui vaut aussi pour les hommes.

Dans l'ordre pratique, une fois mis en leur présence, je distinguais l'orvet, la couleuvre et la vipère, l'anguille. L'orvet, presque sans queue ni tête, luisant comme un tube d'acier ; la couleuvre, élégante et craintive ; la vipère aux crochets venimeux ; l'anguille, animal préhistorique, fouissant la vse, gigotant des heures après qu'on lui eut coupé la tête, parcouru par l'électricité vitale une fois dépecée, après que la cuisinière, ma mère en l'occurrence, l'eut saisie avec un journal transformé en gant, seul stratagème pour bloquer la bête qui, sinon, s'enfuit. Malgré leurs morphologies parentes, ni l'orvet, ni la couleuvre, ni la vipère ne se retrouvent dans les assiettes ; l'anguille, si.

De la même manière que mon père m'avait enseigné les étoiles, leurs lumières parties depuis des millions d'années et nous parvenant seulement maintenant, alors qu'elles étaient mortes depuis bien longtemps, il m'avait aussi raconté que les anguilles, mystérieuses, partaient se reproduire dans la mer des Sargasses, qu'on n'en était pas même certain, car on ne les avait jamais vues parce qu'elles s'y cachaient, et qu'elles effectuaient un nombre incroyable de kilomètres pour pondre au bout du monde dans la mer salée, y mourir, pendant que leurs petits revenaient dans l'eau douce de la Dives pour y croître, y vivre, avant de partir à leur tour en direction des Antilles pour contribuer à l'éternel retour des choses.

Avec les étoiles, mon père m'enseignait le temps et la durée ; avec les anguilles, l'espace et les migrations. La clarté de l'étoile polaire inscrivait ma vie d'enfant dans les durées de l'infini ; les ondulations de l'anguille dans celles d'une planète où tout est en relation de bonne intelligence naturelle. La voûte étoilée au-dessus de mon village et le clapotis de l'eau de la rivière qui grouillait d'une vie préhistorique, voilà qui me permettait d'entrer dans un monde vivant - et de m'y installer durablement. L'enfant que je fus est le père de l'adulte que je suis ; et mon père, le père de cet enfant. La Grande Ourse et la petite anguille conduisent plus sûrement une âme en train de se faire vers les ontologies utiles que les livres qui, bien plus tard, les en détournent. Je ne savais pas à quel point ces leçons de choses imprégneraient ma matière grise.

Un demi siècle plus tard, le mystère des anguilles a un peu reculé, certes, mais guère plus au regard des moyens techniques dont nous disposons aujourd'hui si l'on veut savoir ce qu'elles sont,, ce quelles font, comment elles le font, pourquoi, ce qui les motive, dans quels endroits elles vont, comment elles y vont, de quelle manière elles se comportent. Personne n'a jamais vu d'anguilles se reproduire, copuler, pondre. On ne sait si elles migrent seules ou de façon grégaire. On ignore ce qui leur permet de se déplacer comme elles le font vers les lieux qu'elles retrouvent indéfectiblement. Nonobstant le travail de spécialistes sur la planète entière, ce que l'on sait d'elles se constate mais ne s'explique toujours pas. En savons-nous vraiment beau coup plus qu'à l'époque où Aristote écrivait son Histoire des animaux ? Probablement non.

Les anguilles que je voyais dans la Dives, à Chambois, les mêmes que celles de la tapisserie de Bayeux qui raconte la geste de Guillaume le Conquérant, venaient donc de la mer des Sargasses, à six mille kilomètres de mon village d'enfance. Et elles se préparaient à y retourner pour s'y accoupler, pondre et mourir. Cette mer qui n'est entourée d'aucun continent se trouve dans l'Atlantique Nord ; elle dispose d'une abondante végétation en surface qui empêche les bateaux d'avancer et raréfie la chlorophylle, ce qui en fait un lieu idéal pour cette espèce lucifuge qu'est l'anguille ; elle se trouve non loin du mythique triangle des Bermudes dont une légende veut que nombre de bateaux y aient disparu sans laisser de trace. Dans Vingt Mille Lieues sous les mers, Jules Verne rapporte que cette étrange verdure qui abrite les amours sombres des anguilles proviendrait de la végétation arrachée aux prairies de la défunte Atlantide - le lieu dans lequel Blaise Cendrars voulait qu'on jette son corps mort.

Le Gulf Stream explique cette concentration de végétation mystérieuse ; le courant centrifuge ce qui se trouve dans cette vaste zone et le concentre dans un vortex central qui abrite en ses profondeurs les copulations des anguilles européennes. On peut imaginer que cette zone qui entrava plusieurs semaines le bateau de Colomb parti découvrir un Nouveau Mondc et permit au mythique Nautilus d'accomplir son périple métaphysique concentrait des morceaux de bois en provenance de toutes les épaves de cette immense zone qu'est la mer des Sargasses - trois mille kilomètres dans sa longueur, d'ouest en est, mille cinq cents pour sa largeur, du nord vers le sud.

Œil invisible et magique du vortex, le lieu de reproduction des anguilles reste celé. Aristote pensait qu'elles n'engendraient pas, parce qu'on n'avait jamais vu leurs œufs - nous en sommes encore là. Le philosophe auteur de De la génération et de la corruption croyait qu'elles venaient des entrailles de la terre, qu'elles naissaient par génération spontanée dans les lieux de putréfaction abondants, dans la mer ou dans les rivières. L'animal de la vase ne pouvait donc venir que de la vase qui le faisait naître de façon inexpliquée. Qui se ressemble s'assemble - pensée magique de laquelle nous ne sommes guère sortis. L'Antiquité en faisait le résultat d'une copulation entre la murène et la vipère ; on a fait justice de cette légende. L'anguille naît de l'anguille qui naît du mystère tout de même.

Jules Verne voit dans cette mer des Sargasses, du nom de ces fameuses algues, des alcyons stellés aux couleurs roses, des actinies aux longs tentacules, des méduses vertes, rouges et bleues, des rhizostomes de Cuvier à ombelle bleuâtre bordée d'un feston violet. Mais pas d'anguilles. Elles s'y trouvent tout de même dans les fonds marins à de grandes profondeurs. Ennemies de la lumière, aveuglées par la clarté, elles n'aiment que l'obscurité des noires abysses glacées, là où les pressions barométriques terribles produisent les formes adaptées aux vies primitives - celle du serpent d'eau, long et effilé, qui permet de se faufiler. Plus tard, dans l'imagination courte des hommes, l'anguille devient un symbole de la dissimulation.

Aristote n'avait jamais vu par lui-même, bien sûr, mais il n'avait pas lu non plus, lui l'encyclopédiste, de récits rapportant une copulation entre des anguilles - mais, vingt-trois siècles plus tard, personne n'a pu encore voir ce qu'Aristote n'avait pas vu ! Pas même le Français Éric Feunteun, l'un des cent spécialistes mondiaux de cet animal, qui a plongé dans toutes les mers elu monde, vu des nœuds d'anguilles comme il y a des nœuds de vipères, une cinquantaine ou une centaine d'animaux, mais jamais d'acte sexuel entre ces bêtes qui apparaissent avant l'extinction des dinosaures, il y a cent millions d'années.

Donc, naissance dans la mer des Sargasses où sont venues les anguilles de toute l'Europe. De façon identique depuis le début de leur existence, elles reviennent toutes là après avoir effectué déjà une fois le voyage dans le sens inverse : genèse dans le vortex de l'océan lointain, migration vers les rivières d'Europe, traversée de l'Atlantique, métamorphoses de tout le corps afin de pouvoir entrer dans l'eau douce, remontée des fleuves puis des rivières, arrivée dans l'onde du lavoir d'un vil lage de Basse-Normandie, y vivre, se développer, se faire des forces pour repartir, effectuer le trajet de retour, retrouver les Sargasses, s'y accoupler, mourir épuisé après avoir pondu des millions d'oeufs dont quelques-uns seulement donneront des anguilles, qui, elles-mêmes, reproduiront le cycle. La vie, le sexe, la mort. Rien d'autre.

Enfant, j'avais donc dans la main un concentré de cette histoire-là. De la préhistoire à l'état pur qui devenait pour un petit garçon n'ayant pas encore dix ans une histoire contemporaine susceptible de se répéter indéfiniment - si les hommes ne mettaient en péril l'existence de cet animal qui est la mémoire de l'humanité la plus primitive. Mémoire de la planète, l'anguille porte en sa chair primitive ce que nous portons encore, nous aussi, dans notre cerveau reptilien. Dans l'encéphale du citadin des mégapoles post-industrielles, on trouve toujours le microcerveau de l'anguille que nous fûmes un jour. Ce serpent fut notre parent. La lumière des étoiles mortes coïncide avec les ondulations de la petite anguille vivante. [...]

L'enfant que j'étais en savait peu sur ce petit animal gigotant. Mais je connaissais l'essentiel que je voyais: la formidable énergie du vivant qui sait qu'il va mourir. Je voyais parfois, sur le pont du village, une anguille attrapée par un pêcheur : elle se tord, s'enroule, se torsade dans une étrange danse qui dit la vie contrariée et la lutte contre le danger, le combat contre la mort, donc pour la vie. Elle s'entortille alors autour d'un axe imaginaire, celui du monde. Elle noue, dénoue et renoue d'étranges nœuds, ceux de toute vie. Au bout du fil de la ligne, la gueule ouverte, elle aspire goulûment un air qui va manquer, elle lance un cri silencieux, elle gémit et hurle sans bruit, elle se débat contre un ennemi invisible qui rôde sans cesse - la mort. Elle tresse un péan vitaliste pour faire face à ce qui la menace et dont elle ignore le détail, bien qu'elle en comprenne viscéralement la nature potentiellement mortelle.

Un jour, au pied de l'arche de ce vieux pont, des travaux de curage avaient été effectués. Au siècle d'avant, j'en ai la photo, les anciens avaient creusé eux aussi la vase de la rivière : pour y effectuer des réparations sur l'ouvrage, Mon grand-père maréchal-ferrant, un gaillard au visage barré par une belle moustache, faisait partie des ouvriers. Les pieds dans la boue brune de la Dives, arc-bouté, il tire sur une corde avec des compagnons. Enfant, je me souviens que la pelle mécanique avait fouillé la vase noire et puante au même endroit. Dans la clarté de la lumière du jour, un nid d'anguilles était apparu : elles grouillaient comme un nœud de vipères. Ce paquet de vie noire et sombre aux senteurs de boue putride qui résiste à la mort, il habite chacun de nos corps. Venu des Sargasses, ce principe lucifuge est notre premier moteur, notre causalité ontologique - notre vérité.

 

 

© Michel Onfray, in Cosmos, 2015, extraits du Chapitre II, 2.

 

 

"Je me souviens d'une soirée où [mon père] me fit sortir sur le pas de la porte pour me raconter le ciel : grande ourse, petite ourse, grand chariot, petit chariot, ici une casserole, là un renard qui emporte une oie dans sa gueule, à tel endroit, un poisson volant, à tel autre, une colombe. Et puis il m'a appris le temps et la durée, l'éternité et l'infini, en m'expliquant que certaines étoiles, très lointaines, avaient envoyé leur lumière il y a des milliards d'années et qu'elle nous parvenait seulement maintenant alors qu'elles étaient probablement mortes depuis des millions d'années.

Découvrir ainsi l'immensité du temps et la petitesse de nos vies, c'est apprendre le sublime, le découvrir, y tendre et vouloir y prendre place. Simplement, mon père m'offrait ainsi un exercice spirituel de première qualité pour trouver ma juste place dans le cosmos, le monde, la nature, et donc aussi parmi les hommes. Monter au ciel, selon l'expression consacrée par le catéchisme, pouvait donc aussi s'entendre de façon païenne, immanente, pour le dire dans un mot qui convient parfaitement : philosophique. Le ciel étoilé offre une leçon de sagesse à qui sait le regarder : s'y perdre, c'est se trouver.

L'étoile polaire jouait un rôle important dans cette leçon de sagesse. Mon père, qui ne faisait jamais d'autre leçon de morale qu'en vivant moralement, m'apprit que cette étoile est la première levée, la dernière couchée, qu'elle indique infailli blement le nord, quelles que soient les circonstances et que, quand on est perdu, il suffit de la regarder, car elle nous sauve en nous montrant le cap à tenir. Leçon d'astronomie, certes, mais aussi leçon de philosophie, mieux même : leçon de sagesse. Savoir qu'il nous faut un point de repère existentiel pour pouvoir mener une vie digne de ce nom, voilà qui donnait à l'enfant que j'étais une colonne vertébrale pour enrouler son être".

 

 


 

 

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