Nommé en octobre 1981 par Alain Savary à la tête de la Direction des Lycées, Claude Pair (né en juin 1934, agrégé de mathématiques et Docteur ès Sciences) démissionna à l'arrivée de Jean-Pierre Chevènement. Il fut remplacé le 6 mars 1985 par M. Pierre Antonmattéi. Dans une lettre aux personnels de sa Direction, il expliqua les raisons de sa démission. On peut prendre connaissance de ce texte ci-dessous : quel coup de pied dans la fourmilière !

 

 

Je viens prendre aujourd'hui congé de vous.

Depuis plus de trois ans pour les plus anciens d'entre vous, nous avons travaillé ensemble et dans le même sens. Nous voulions le changement pour améliorer la qualité d'un système éducatif dont nous avons pu mesurer la pesanteur, mais aussi constater les richesses, les capacités d'innovation, les générosités et l'imagination qu'il contient. Il s'agissait pour nous de découvrir et d'utiliser celles-ci pour combattre celle-là. La consultation nationale des lycées, le rapport Prost, la marche vers une plus grande autonomie des établissements n'avaient pas d'autre but.

Il s'agissait en particulier de faire réussir les plus démunis, les plus en difficulté qui, sans succès à l'école, sont aujourd'hui condamnés au chômage et à la marginalisation : la mission de l'école, c'est la formation de tous. Les diverses actions pédagogiques dans les lycées professionnels et, demain, le cycle d'insertion professionnelle par alternance, veulent aller dans ce sens.

Nous avons cru qu'on pouvait enfin concilier les besoins de la nation et de l'économie avec l'épanouissement des capacités de chacun. La réponse à la crise, n'est-ce pas d'éviter le gaspillage de l'intelligence ? Le développement économique reposera, dans les années qui viennent, sur la créativité et la responsabilité de tous, des ouvriers comme des ingénieurs. Il s'agit de construire une école qui y prépare, en donnant à chacun, élève comme enseignant, une responsabilité et un droit à l'initiative dans un dialogue entre personnes égales. L'insistance sur un travail en équipes des enseignants et l'idée d'une pédagogie du contrat voulaient y contribuer.

Nous avons rencontré la peur du mouvement, la soif d'autorité, le corporatisme des disciplines, l'élitisme aveugle, la défense des privilèges donnés par le savoir. Nous avons parfois balancé trop longtemps, nous n'avons pas toujours su agir quand il était temps. Mais je crois que vous continuerez l'action. Pour accueillir efficacement la plus grande partie des jeunes, il est, en effet, indispensable que le lycée se rénove profondément.

Pour ce qui me concerne, je me sens aujourd'hui dans l'incapacité de poursuivre le chemin à la place qui est la mienne. J'ai donc demandé à M. le Ministre de me décharger de mes fonctions, et il a bien voulu l'accepter.

En vous quittant, j'ai le souvenir heureux des réalisations que nous avons menées à bien ensemble, j'ai la satisfaction d'avoir pu vous être utile en telle ou telle occasion, j'ai le regret de n'avoir pu ou su le faire toujours, de tel refus, de tel manque d'attention, de telle ironie déplacée.

Je garderai de vous l'image de collaborateurs attachés à leur travail, soucieux de servir l’État et l’Éducation nationale, y mettant toute leur intelligence et leur capacité d'initiative, en toute circonstance loyaux à l'égard de leur Directeur.

Chacun de notre côté, nous allons poursuivre notre tâche pour les jeunes et je souhaite pouvoir vous rencontrer à nouveau à leur service.

C'est dans cet espoir que je vous prie d'agréer, chers amis, mes remerciements et l'assurance de mes sentiments les plus cordiaux.

 

 


 

 

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