Pour célébrer l'arrivée du printemps, quelques textes d'Émile Verhaeren [1855-1916]...

 

"Oh ces larges beaux jours dont les matins flamboient !
La terre ardente et fière est plus superbe encor
Et la vie éveillée est d'un parfum si fort
Que tout l'être s'en grise et bondit vers la joie"

E. Verhaeren, in La multiple splendeur (1906)

 

 

 

 

Vent d'Avril

 


Le vent chante, le vent babille,
Avec pinsons, tarins, moineaux,
Le vent siffle, brille et scintille
À la pointe des longs roseaux,
Le vent se noue et s'entrelace et se dénoue
Et puis, soudain, s'enfuit jusqu'aux vergers luisants,
Là-bas, où les pommiers pareils à des paons blancs,
— Mare et soleil — lui font la roue.

 

 

© Emprunté à Georges Bouquet, Pierre Menanteau, Trésor de la poésie française, Tome 1, Sudel, 1950

 

 

Et pour terminer ce bref hommage, un poème aux accents particulièrement sensuels

 

Cuisson du pain

 


Les servantes faisaient le pain pour les dimanches,
Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain,
Le front courbé, le coude en pointe hors des manches,
La sueur les mouillant et coulant au pétrin.


Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte,
Leur gorge remuait dans les corsages pleins.
Leurs deux poings monstrueux pataugeaient dans la pâte
Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.


Le bois brûlé se fendillait en braises rouges
Et deux par deux, du bout d'une planche, les gouges
Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous.


Et les flammes, par les gueules s'ouvrant passage,
Comme une meute énorme et chaude de chiens roux
Sautaient en rugissant leur mordre le visage.

 

© Extrait de Les Flamandes (1883). Tiré de Émile Verhaeren, Choix de poèmes, avec une préface d'Albert Heumann, Paris, Mercure de France, 1948.

 

 


 

 


 

 

 

Amélie
Dogot
"Dans notre mémoire d’ancienne élève, option littéraire-langues, pas le moindre souvenir d’un poème d’Émile Verhaeren lu en classe. C’est un fait, Verhaeren n’est pas au programme scolaire. Pire encore, le poète belge qui connut de son vivant une renommée nationale et internationale, traduit en de nombreuses langues, ami d’écrivains et d’artistes tels que Stefan Zweig, Auguste Rodin, André Gide, Maurice Maeterlinck et Paul Signac, est aujourd’hui quasiment inconnu des jeunes générations. Face à cette injustice, les multiples hommages qui lui sont rendus à l’occasion du centenaire de sa mort nous apparaissent comme une bien moindre réparation.".