Ah ! Si l'on suivait de telles Instructions ! Combien d'accidents seraient évités ! Et que de récréations insipides, faites pour flemmarder, prendraient du sens !

 

 

I. Circulaire du 15 juillet 1890

 

 

Objet : Organisation des jeux pendant les récréations

 

Il serait inutile, il serait même funeste d'avoir augmenté le nombre et la durée des récréations, si l'inertie et l'oisiveté n'en étaient bannies avec la même vigueur que des études et des classes.

Les jeux et les exercices de force ou d'adresse sont, pour le jeune âge, une condition absolue de santé morale non moins que de vigueur physique. À ce double titre,nous devons les encourager par tous les moyens. J'ai lieu de croire qu'aujourd'hui tous les chefs d'établissements et tous les maîtres sont convaincus de cette nécessité. Il ne leur est pas permis de professer ni d'entretenir en eux, à l'égard des exercices physiques, cette espèce d'indifférence que nous reprochons à leurs élèves. En dédaignant les jeux de leur âge, nos élèves ne savent pas quel tort ils se font à eux-mêmes. Mais nous devons le savoir pour eux. Nous n'avons pas le droit d'oublier que des jeunes gens dont le corps, l'esprit et la volonté se forment, ne peuvent pas plus se passer de libre et heureuse activité que d'air et de soleil pour compenser l'effort précoce qu'on leur demande. Nous devons nous rendre compte que, dans tout établissement où les récréations actives ont cessé, la tristesse et l'ennui s'établissent bientôt à demeure, et qu'un pareil milieu, intolérable même pour un homme fait, est réellement accablant et pernicieux pour la jeunesse.

Il y a quelque chose de malade ou qui va l'être dans une jeunesse qui ne joue pas. Qu'on sache, à cet égard, voir par delà les apparences et se tenir en garde contre une trompeuse sécurité. Les manquements à la discipline, graves ou même véniels, ne risquent guère, par leur nature même, d'échapper à la vigilance des maîtres. Mais qu'on se défie du mal qui va son chemin d'autant plus sûrement qu'il s'opère insensiblement et sous le couvert même de la discipline et du bon ordre. Dans une cour où le temps des récréations se passe régulièrement en promenades à pas comptés et en causeries monotones, un surveillant même très attentif ne trouve peut-être rien à reprendre. Ce calme même a cependant tout sujet de nous inquiéter et il est par lui-même un grave symptôme, si l'on songe que dans un désœuvrement prolongé le corps peu à peu s'anémie et s'étiole et que, dans l'ennui qui en est la suite, les caractères finissent par s'aigrir et s'énerver. En pédagogie, non moins qu'en économie politique, "ce qu'on ne voit pas" a souvent des effets aussi graves que "ce qu'on voit".

Défions-nous aussi des préoccupations utilitaires prématurées ou trop exclusives. Dans l'Antiquité, l'éducation tout entière n'était qu'un jeu. Les temps sont plus durs aujourd'hui pour la jeunesse. De bonne heure le souci légitime de son avenir, l'inquiétude du succès doublent pour elle le poids du travail. Aidons-la à secouer de temps en temps ce lourd fardeau. Prolongeons pour elle la période heureuse et féconde du désintéressement. Prenons garde qu'en dédaignant les exercices du corps comme inutiles, elle ne s'achemine bientôt à dédaigner tout ce qui ne lui apparaît pas comme positivement utile dans les exercices de l'esprit.

Ce n'est donc pas seulement un caprice d'opinion et une mode, c'est une pédagogie mieux informée et plus attentive à tous les besoins de la jeunesse qui impose à l'Université ce souci des exercices physiques. Aussi les chefs d'établissements ne croiront pas avoir fait tout leur devoir si, après quelques essais malheureux d'entraînement, ils s'arrêtent et se découragent. Je sais la difficulté de la tâche. C'est pourquoi je suis tout disposé à faire crédit à nos Proviseurs et à nos Principaux sur le temps et sur les moyens, à tenir compte de tous leurs efforts, à leur savoir gré des moindres succès. Mais le mal à combattre et le bien à faire sont trop grands et trop bien démontrés pour que, en aucun cas, je puisse admettre l'inaction indifférente ou le découragement résigné.

Comme je demande aux chefs d'établissements d'encourager les jeux par tous les moyens, je verrais aussi avec satisfaction nos jeunes maîtres se mêler aux divertissements des élèves, les diriger même discrètement au besoin. Je veux qu'ils sachent qu'il y a autant de mérite à organiser une récréation qu'à assurer la discipline dans une étude. Qu'ils ne craignent pas, d'ailleurs, de voir ainsi leur autorité diminuée : les enfants leur sauront gré de s'intéresser à leurs plaisirs comme à leurs travaux.

Les promenades ne sont pas moins importantes que les récréations. Après une demi-semaine de réclusion au lycée, les élèves ont besoin d'espace et de grand air. Les Proviseurs veilleront à ce que le temps de la promenade soit employé en grande partie à des marches assez longues pour élargir les poitrines, fortifier les muscles et former à l'avance le futur soldat. L'armée victorieuse est presque toujours celle qui marche le mieux. Cette seule pensée devrait assurer le succès des longues promenades. Pour que ces marches soient une fatigue sans être une corvée, on y intéressera les élèves en variant l'itinéraire, en les appelant parfois à le tracer eux-mêmes, en leur signalant un but à atteindre, en excitant leur amour-propre, en ranimant par d'adroites innovations l'ardeur qui menacerait de s'éteindre. De loin en loin il sera bon de permettre une excursion en chemin de fer, la visite d'une usine, d'un monument, d'uns ville voisine ; on se rappellera que tout ce qui renouvelle l'imagination, tout ce qui entretient la confiance et la bonne humeur, profite à la santé morale autant qu'à celle du corps. Le profit serait plus grand encore si les professeurs consentaient parfois à accompagner leurs élèves : ce qu'ils auraient dépensé de temps et de peine leur serait rendu en affection et en reconnaissance. Je sais que bon nombre ont devancé cette invitation. Je les en remercie et les propose comme exemples à leurs collègues.

 

II. Les récréations - Organisation et surveillance (rappel de textes - mai 1959)

 

 

La vie scolaire réclame de l'enfant des efforts soutenus, prolongés, répétés et ne lui offre en revanche que peu d'occasions d'exercice physique ; aussi, les récréations, moments consacrés aux jeux et activités de détente, paraissent indispensables aux médecins et aux pédagogues qui, pour des motifs différents, s'accordent à en souligner la nécessité.

Le médecin s'effraye, en général, pour l'enfant, des exigences de cette vie studieuse dont les récréations sont les seuls moments "d'activité naturelle".

Le pédagogue sait que "sans attention, point de progrès" ; or, avec la fatigue due à l'immobilité relative imposée durant les cours, l'attention se relâche. Il est bon d'assurer à intervalles calculés la relance nécessaire de l'organisme déficient (sur le problème de l'attention on lira avec fruit le n° 1 de 1955 des Cahiers Pédagogiques pour L'Enseignement du Second Degré - S.E.V.P.E.N. 13, rue du Four, Paris VIe).

La circulaire du 14 novembre 1935 reflète cette double préoccupation : "Le respect des récréations est à la fois une condition de bonne pédagogie et un facteur de santé". La législation scolaire comporte des textes de grande importance relatifs à l'organisation, à la durée des récréations, enfin à leur nécessaire surveillance.

 

ORGANISATION DES RÉCRÉATIONS

 

Le principe posé, les récréations doivent être aménagées dans le respect de vastes programmes et d'horaires chargés.

 

A. Premier degré : les textes sont précis.

 

1°) Toutes classes primaires, maternelles et enfantine.

2 h ½ de récréation sont prévues pour toutes les classes (fin d'études comprise) par le règlement modèle scolaire du 18 janvier 1887 modifié par l'arrêté du 12 juillet 1918 et l'arrêté du 9 février 1925.

"Les classes dureront 3 h le matin, 3 h le soir, et seront coupées par les récréations règlementaires. La classe du matin commence à 8 heures et celle de l'après-midi à 1 heure".

"D'autre part les 2 h ½ de plein air sont à placer immédiatement avant ou après une récréation. Les récréations ne seront pas prises sur le temps consacré à l'éducation physique proprement dite".

2°) Dans les classes maternelles et enfantines des dispositions particulières sont en vigueur.

Les horaires comptent 30 heures au maximum par semaine (le détail de la répartition des heures par semaine est arrêté chaque année par la Directrice, sous le contrôle de l'Inspectrice départementale ou de l'Inspecteur primaire (Arrêté du 18 janvier 1887).

Remarques :

"Les exercices manuels doivent alterner avec les exercices plus spécialement intellectuels (au maximum et 2 par jour et plutôt le matin). La durée n'en dépasse pas 20 mn. Ils seront toujours séparés par des chants, des mouvements, des marches ou des évolutions".

"Le conseil des maîtres répartit les élèves entre les classes et dresse l'emploi du temps. L'agencement des récréations est une mesure d'ordre intérieur".

Les textes précisent d'autre part certains points :

"Les récréations ne seront pas prises sur le temps consacré à l'éducation physique proprement dite".

"Je rappelle la recommandation faite maintes fois de ne pas imposer aux élèves un long travail sans interruption (Circulaire du 14 novembre 1935). Pour que les récréations soient activement employées mieux vaut assigner à chacune une certaine durée que de les multiplier ; pour toutes les récréations qui n'ont pas simplement pour objet de couper par un moment de détente une classe ou une étude trop longue, une demi-heure me paraît être un minimum" (Circulaire du 7 juillet 1890).

3°) Cours complémentaires.

L'organisation des récréations est calquée sur celle des établissements du second degré.

 

 

B. Établissements du second degré et de l'enseignement technique

 

Les horaires et programmes sont fixés sans mention des interclasses ou des récréations. Cependant trois textes (Circulaires des 28 août 1903, 12 février et 1er août 1906) donnent les directives très générales dont s'inspirent les chefs d'établissement lorsqu'ils élaborent les tableaux d'emploi du temps et fixent la durée des récréations et l'organisation de leur surveillance.

"Les petites récréations qui séparent les classes d'une heure ont une durée de cinq minutes prises sur la durée de la classe. Si la récréation a une durée de 10 minutes, elle sera prélevée par moitié sur chacune des deux classes consécutives" (Circulaire du 18 août 1903).

Un texte du 7 juillet 1903 prévoit une durée d'une demi-heure pour toutes les récréations qui n'ont pas pour objet de couper par un moment de détente une classe ou une étude trop longue. Enfin une récréation d'heure et demie placée après le repas principal sépare par un temps assez long les exercices scolaires de la journée.

 

SURVEILLANCE DES RÉCRÉATIONS

 

La vigilance la plus attentive est requise, lors des récréations, du personnel chargé de la surveillance.

Dans les établissements du premier degré chacun des maîtres attachés à l'école est tenu à tour de rôle de surveiller les récréations et de garder les élèves qui ne sont pas rendus à leur famille dans l'intervalle des classes du matin et du soir. Le tableau de service est établi en conseil des maîtres.

Dans les lycées et collèges les membres de l'enseignement participent également à la fonction de surveillance, d'une part pendant leur cours, et d'autre part pendant les mouvements et les récréations interclasses.

"II est tout à fait désirable que les professeurs soient chargés de la surveillance de ces interclasses" (Circulaire du 28 août 1903). Ce texte n'étant pas rigoureusement impératif, l'administration précise à nouveau les attributions de chacun en matière de surveillance.

"On ne demande pas des professeurs, désignés arbitrairement, d'exercer une surveillance effective sur toute une cour, où une centaine d'élèves appartenant à 7 ou 8 divisions différentes, et dont la plupart leur sont inconnus, viennent prendre 1/4 d'heure ou 20 minutes de récréation… mais d'accompagner les élèves auxquels ils viennent de faire classe jusqu'à la porte non pas d'une étude mais d'une classe voisine et de les remettre aux mains d'un de leurs collègues" ou encore "on leur demande de surveiller quelques instants dans le voisinage de leur classe en empêchant les bousculades ou de trop bruyants ébats, le groupe d'élèves qui vient de recevoir et qui va après ce court intermède continuer de recevoir leur enseignement" (Circulaire du 12 février 1906).

Des difficultés se sont élevées à plusieurs reprises, du fait que certains considèreraient ces obligations comme un accroissement injustifié de leur responsabilité. La circulaire du 9 août 1906 règle définitivement cette question en reproduisant les considérations du comité consultatif de l'enseignement public (section enseignement secondaire) et l'avis délibéré et adopté à l'unanimité par cet organisme.

"Dans ces conditions et sous ces réserves, le service de surveillance des récréations d'interclasse incombe aux professeurs et... les chefs d'établissement sont invités à arrêter en conséquence la distribution des services soumis à l'approbation du recteur".

Enfin, dans les établissements d'enseignement technique, la surveillance des récréations pendant les interclasses et le moment précédant l'entrée en classe est exercée par le personnel enseignant (Circulaire du 12 juillet 1923).

 

EMPLOI DES RÉCRÉATIONS

 

"Il serait inutile d'avoir augmenté le nombre et la durée des récréations, si l'inertie et l'oisiveté n étaient bannies avec la même vigueur que des études et des classes. Les jeux et les exercices de force ou d'adresse sont pour le jeune âge une condition absolue de santé morale non moins que de vigueur physique".

"Les élèves de l'enseignement secondaire, dispensés de l'éducation physique par certificat médical, ne seront pas dispensés pour autant de prendre part aux jeux de récréation. Si leur état de santé réclame de grands ménagements il appartiendra aux parents d'en avertir le chef d'établissement et de s'entendre avec lui à cet égard" (Lettre ministérielle du 25 février 1931).

L'intérêt moral de la récréation est souligné en ces termes par un éducateur :

"Les récréations enfin ont une valeur propre. Ce que nous voyons en récréation est bien la vie en miniature et ... nulle part mieux qu'en récréation ne peut se faire ce travail préalable de la connaissance des âmes". Le maître peut y observer bien des traits susceptibles de le guider dans sa connaissance des élèves.

Ajoutons que la durée, la fréquence des récréations ont fait l'objet d'études approfondies de la part des divers enseignants; certains professeurs ont proposé comme durée optima 45 mn de cours. D'autres estiment en revanche qu'une demi-heure pour des élèves de la classe de 6e par exemple serait suffisante.

 

Org : lnstitut pédagogique national - 29 rue d'Ulm - Paris - Ve - 2e Bureau - Service de documentation et d'information - mai 1959