DISSERTATION FRANÇAISE (Pour une classe de Seconde ou de Première) à partir de la célèbre maxime de Rabelais : on n'en trouvera ici qu'un Plan, certes relativement détaillé...

 

SUJET. Rabelais a écrit : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Quel est le sens de cette formule et que faut-il, selon vous, en penser ?

 

 

RÉFLEXION PRÉLIMINAIRE

 

L'énoncé même du sujet invite à distinguer deux parties essentielles. Dans la première partie, on précisera le sens des deux mots science et conscience, qui peuvent donner lieu à des erreurs d'interprétation, et on situera la formule par rapport à son auteur.

Dans une seconde partie, on cherchera, en se plaçant à des points de vue de plus en plus généraux, des applications de cette proposition, dont il serait dangereusement paradoxal de contester la vérité. Le développement consistera donc dans une confirmation de l'opinion de Rabelais.

PLAN DÉTAILLÉ

 

 

Introduction

 

L'œuvre de Rabelais, sous son apparente bouffonnerie, offre un témoignage vivant sur l'époque de la Renaissance et aborde certains problèmes qui demeurent essentiels de notre temps. Le Gargantua et le Pantagruel contiennent notamment de nombreuses pages consacrées au problème de l'éducation. Ainsi, lorsque Pantagruel est étudiant à Paris, son père Gargantua lui écrit une longue lettre, où il lui prodigue toutes sortes de conseils. Après avoir invité son fils à devenir "un abîme de science", il ajoute : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Précisons le sens et la portée exacte de cette formule, avant de rechercher les applications que nous pouvons en tirer.

 

 

I. Rabelais veut dire que la culture est inutile, si elle n'est pas employée au service du bien

 

A. — Rabelais est un apôtre de la "science", c'est-à-dire du savoir en général, de la culture.

 Il fut lui-même un homme universel : au couvent de Fontenay-le-Comte, où il forma avec quelques érudits un petit cénacle d' "humanistes", il lut avec ardeur les textes anciens, apprit le grec, le latin classique, s'initia à la littérature italienne, à la philosophie antique et au vieux droit romain ; plus tard, il étudia la médecine et se livra aux activités les plus diverses : soins donnés à des malades, recherches scientifiques, missions à l'étranger, charges ecclésiastiques, création littéraire. On comprend dès lors que Rabelais ait assigné aux deux principaux héros de ses romans un programme encyclopédique ; ainsi, sous la direction de Ponocratès, Gargantua complète la connaissance des textes anciens par la connaissance directe de la nature : il visite les artisans, étudie les plantes, contemple le ciel, enrichit sa mémoire par des lectures commentées ; Pantagruel, à son tour, devra tout connaître. N'oublions pas enfin que la réponse de l'Oracle de la Dive Bouteille à l'adresse de Pantagruel et de ses compagnons, "Trink" peut être entendue symboliquement : bois des connaissances, enivre-toi de science.

B. — Mais Rabelais pense que la culture doit s'accompagner de santé morale.

La "science" est d'essence divine, mais elle n'a sa pleine valeur que si elle est utilisée dans le sens du bien moral. Aussi Gargantua donne-t-il à son fils des préceptes élevés qui, d'ailleurs, sont dans le plus pur esprit évangélique et qui peuvent suffire à régler une existence : "Aie suspects les abus du monde. Ne mets ton cœur à vanité : car cette vie est transitoire, mais la parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable à tous tes prochains, et les aime comme toi-même. Révère tes précepteurs, fuis la compagnie des gens esquels tu ne veux point ressembler et, les grâces que Dieu t'a données, icelles ne reçois en vain".

 

 

II. la formule de Rabelais est d'une incontestable vérité

 

A. — Appliquons-la d'abord à la vie individuelle : le problème posé est celui de l'harmonie de la personne.

Sans doute la culture a-t-elle en soi son prix : elle développe l'esprit de libre-examen, permet de lutter contre les préjugés et la routine ; mais sans direction morale, un homme instruit risque de se laisser aller aux pires excès. L'histoire de notre littérature révèle que, de tout temps, on a estimé que la sagesse consiste à ne pas séparer "science" et "conscience" : ainsi, l' "honnête homme" du  XVIIe siècle unit à une culture large et aimable les qualités de cœur, d'honneur et de courage qui définissent le gentilhomme ; le "philosophe" du XVIIIe siècle, respectueux de la personne humaine, pratique la tolérance, la fraternité, toutes les formes de la bienfaisance. Seul Rousseau a soutenu, dans un paradoxe célèbre, que le progrès des Lumières a pour conséquence fatale une décadence des mœurs et que la vertu ne peut subsister que chez des êtres restés proches de l'ignorance primitive.

B. — Élargissons la portée de cette formule sur le plan social : le problème posé est celui de la conscience professionnelle.

Nous ne devons pas développer nos connaissances pour nous seuls et d'une manière purement spéculative, car nous sommes comptables de ces connaissances à la société ; or, il n'y a pas de société possible si chacun n'accomplit, à son échelon, la tâche que l'on attend de lui et ne met sa compétence technique au service de l'intérêt collectif (citer quelques exemples).

C. — Plaçons-nous enfin, d'une manière encore plus générale, au point de vue du progrès humain : le problème posé est celui de la civilisation.

S'il est hors de doute qu'il existe un progrès scientifique, on peut se demander s'il existe un progrès moral. Or y a-t-il vraiment progrès, si le développement des connaissances s'accomplit au mépris des principes moraux éternels ? Une découverte scientifique n'est en soi ni bonne, ni mauvaise : c'est aux hommes qui l'utiliseront de lui choisir son signe, faste ou néfaste, et ils se doivent d'y prendre garde (citer quelques exemples d'applications bienfaisantes, puis criminelles, de science).

 

 

Conclusion

 

La formule de Rabelais ne définit pas seulement l'idéal d'un homme de la Renaissance ; elle a une valeur universelle. L'intérêt de l'individu, celui du groupe social, celui de l'humanité tout entière se rejoignent : à l'idéal de connaissance exigé par l'esprit, il convient en tout temps d'associer étroitement l'idée de vertu exigé par la conscience morale.

 

© Paul Surer, in L'Information littéraire, VIe année, 1er trimestre 1954

 


 

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"Paul SURER, Agrégé des lettres (1934). Il a été Maître-assistant à la Sorbonne. Il est, avec Pierre-George Castex, l'auteur du fameux "Manuel des études littéraires françaises" [Castex & Surer !], paru en 6 volumes (un par siècle)