Avons-nous perdu notre temps, à écouter ce tissu de balivernes insanes !

 

 

 

La fameuse affaire Dominici : Europe 1 – Vendredi 27 octobre 2017 (17-18 heures) - Hondelatte raconte... ou Le récit à la mode Hondelatte

 

 

La parution, voici un an et demi, de l'ouvrage à mes yeux définitif du Divisionnaire J.-L. Vincent pouvait légitimement laisser espérer qu'on en aurait fini, dorénavant, avec les balivernes plus ou moins mâtinées de prétendues révélations, et qu'on serait tenu de s'en tenir aux faits. Las ! C'était sans compter sur les gougnafiers de tous ordres dont un bon exemple est hélas fourni par l'émission précitée – nous allons en rapporter quelques joyeusetés.

Auparavant, je me dois de rappeler que le sieur Ferrand, Franck de son prénom, donna naguère, sur la radio dite périphérique Europe1, un exemple presque parfait de connaissance du dossier Dominici alliée à une grande honnêteté intellectuelle. J'en fis même un compte-rendu élogieux – c'était il y a cinq ans, environ - que j'intitulais "Un Ferrand très ferré", texte auquel on pourra se référer. Mais hélas, en la matière dominicienne, Europe1 ne donne pas la parole seulement à des connaisseurs dont la probité intellectuelle est au-dessus de tout soupçon. En voici un témoignage.

Ainsi donc, le dénommé Hondelatte entreprend de nous conter (avec force interruptions publicitaires) la "fameuse affaire Dominici", l'exécution d'un "Lord anglais, de sa femme et de sa fille" en août 1952, sur les bords de la Durance, où ils s'étaient arrêtés avec leur Clinman [sic !] pour passer la nuit. Restons-en là sur la déformation de la voiture Hillman, ce n'est pas bien grave. Pour la suite, le sujet n'est guère à l'ordre du jour, et a été si souvent – et si mal – traité. Mais baste, écoutons en gardant tout entière notre benevolentia. Et là, presque aussitôt, la stupeur le dispute à l'indignation : selon le conférencier, il s'agit d'un brave paysan, accusé d'assassinat, "mais ça ne tient pas, l'enquête a été bâclée, personne n'y croit, au point que le général de Gaulle a gracié le condamné". Et allez donc ! Pendant qu'on y est, ne nous privons de rien : précisons qu'il s'est agi d'une "grâce complète" ! Ce qui, naturellement, est totalement faux, et l'ancien procureur général Orsatelli avait déjà mis, à cet égard, il y a fort longtemps, les points sur les "i" ! Tout aussitôt, Hondelatte nous confie que les membres de la famille Dominici "se sont déchirés au fil de l'enquête". "Au fil de l'enquête", ce qui suppose un déroulement, dans une durée certaine : pourquoi alors assener, par trois fois, que cette enquête a été "bâclée", et que le procès qui s'en est suivi l'a été tout autant ? Cela constitue une forme de malhonnêteté intellectuelle, ou je ne connais plus le sens exact des mots.

Au fait, Gaston Dominici possède la ferme de la Grand'Terre, proche des lieux de la tragédie : il y vit avec sa femme, et bien sûr [sic !] ses fils et filles, leurs conjoints et ses petits-enfants : comptez, cela fait près d'une quarantaine de personnes !!! Ce n'est plus une modeste ferme, c'est tout un phalanstère ! [En fait, deux couples vivaient dans la ferme : Gaston et son épouse, née Marie Germain ; son fils Gustave et sa jeune épouse Yvette ; et le premier bébé de ce couple]

Or donc, son fils Gustave, ce matin-là, s'est levé à 5 heures, "beaucoup plus tôt que d'habitude" : une telle remarque suffit à montrer que l'orateur ne connaît absolument rien du travail des agriculteurs, surtout en été... Le jeune agriculteur s'est levé pour aller vérifier l'état d'un "éboulis" (!). En longeant la route nationale en direction de son champ, il aperçoit sur le talus ("sur le bord de la route") une petite fille, le crâne défoncé ; en proie à un épouvantable effroi, il arrête aussitôt le premier motocycliste qui passe, Jean-Marie Olivier, lequel voit lui aussi le cadavre de la petite fille sur le bas-côté [loin de faire montre d'effroi, le sieur Gustave fit preuve d'un incroyable sang-froid, passant la nuit – et pas seulement à partir de cinq heures du matin – à "nettoyer" les lieux du forfait. Quant à ce qu'il pouvait apercevoir "en longeant la route nationale", c'est, dissimulé dans les genêts, à gauche par rapport à sa direction, le cadavre de Sir Drummond ; naturellement, le jeune motocycliste Olivier ne vit aucun cadavre !].

Dès le matin, c'est bientôt la foire, les voisins piétinent allègrement la scène de crime, et "tout le monde s'en fiche". Jusqu'à un car qui s'arrête : les passagers en descendent et vont et viennent sur la scène du crime, "font le tour des cadavres comme au zoo" [Lors du procès Dominici, le 19 novembre 1954, le capitaine de gendarmerie Henri Albert rapporta qu'il était arrivé sur les lieux à huit heures, et qu'il n'y avait alors personne].

"Les moucherons vont manger les cadavres", remarquent les gendarmes, qui commencent leurs investigations : deux balles "dans le buffet" (!!) pour le Lord (en fait, "une dans le dos, une dans la main"), trois balles pour son épouse, tous deux étaient alors couchés et dormaient à la belle étoile sur des lits de camp, lui les chaussures délacées (il dormait avec ses chaussures !), elle en chemise de nuit (vêtement qui, au fil du récit à la mode de Hondelatte, va se transformer, pudeur oblige, en robe de chambre) : elle a été transportée, car elle n'a pas de griffures aux pieds !!! [Quel méli-mélo ! Sir Jack s'était levé, pour aller satisfaire un besoin naturel : il n'avait pas pris le temps de lacer ses chaussures de tennis ; son épouse dormait habillée ; c'est à propos de leur fillette, et non de la mère, que s'est posée la question des "griffures"].

Puis, de leur propre initiative, "avant que les corps ne dégénèrent" (!!!) les gendarmes appellent le Dr Dragon en milieu d'après-midi, car la police n'est toujours pas là puis, après les constatations très judicieuses de ce modeste médecin de campagne, donnent l'ordre d'enlever les cadavres "qui commencent à cuire au soleil, avant qu'ils ne tournent façon gaspacho"... [Appelé par le Maire de Lurs, le Dr Dragon est arrivé sur les lieux à huit heures trente]. Notons au passage que le narrateur traite les suppliciés avec le même mépris que Dominici, qui parlait de "crevés" à propos de ses victimes...

Sébeille arrive enfin, il n'a donc pas vu les cadavres en place, et c'est pour assister à la découverte de la carabine par ses hommes (qui étaient donc sur les lieux bien avant lui ?). [Précédés des policiers de l'Identité judiciaire, Sébeille et ses hommes sont arrivés autour de quatorze heures, à tout le moins bien avant quinze heures. Au moment du repêchage de l'US-M1 dans un bras mort de la Durance, Sébeille se trouvait à Forcalquier : il assistait, en compagnie du juge Périès, à l'autopsie des cadavres de la famille anglaise].

A peine arrivé, le Commissaire interroge Gaston et porte immédiatement ses soupçons sur la famille Dominici ("il a les Dominici dans le nez") [Ceci est totalement faux !]. Et le voilà qui découvre un impact de balle sur le muret du pont qui enjambe la voie ferrée, "là où a été retrouvé le cadavre de la petite" [ce qui désigne donc un second emplacement pour la malheureuse Elizabeth, à l'opposé du premier, mais tout aussi erroné. Cet impact de balle a été remarqué un ou deux jours plus tard, par le capitaine de gendarmerie Albert].

Parvenus à ce point du "récit", arrêtons-nous un instant, pour donner un autre exemple de méconnaissance totale des lieux en particulier, et de la géographie en général : Hondelatte explique le retard des policiers à rejoindre la scène de crime par le fait qu'on n'a pas pu saisir la PJ de Nice, pour cause d'effectifs squelettiques (congés du mois d'août) et qu'on a dû se rabattre sur celle de Marseille ; ce qui laisse entendre que Nice est beaucoup plus près de Lurs que ne l'est Marseille ! Prenez une carte (si vous n'avez jamais accompli vous-mêmes les deux trajets) : il y a près de cent km d'écart, mais au profit de Marseille ! Et quelle route difficile, pour "monter" de Nice sur Digne !

Bien, l'enquête se complique du fait que Sébeille "n'entrave que dalle" au provençal [lui le natif d'Avignon, aussi à l'aise en provençal qu'en français !], il ne comprend donc rien à ce que lui dit Gaston...

Le voilà en tout cas qui découvre "une cache d'armes" [rien que cela !] chez Paul Maillet ; du coup, ce dernier se met à parler : Gustave a découvert la fillette vivante - ce qui lui vaut de connaître la prison [sur dénonciation, Sébeille, ses hommes et les hommes du capitaine Albert investirent, les deux fermes dont s'occupait (en dehors de son travail sur les voies ferrées) P. Maillet. La seule découverte fut celle de deux Sten démontées – sans même les cartouches de 9 m/m qui eussent pu les rendre opérantes. Souvenirs de camarades tués au maquis, expliqua le cheminot. Ce qui était tout à fait plausible, le jeune Maillet ayant été un vrai résistant vauclusien, du côté de Pertuis (à Mirabeau, très exactement)].

Et l'enquête piétine longtemps... Elle est heureusement relancée par un petit-fils, Roger Perrin, qui explique à Sébeille que Gustave a "piqué des douilles" et déplacé le cadavre de la femme [cette affirmation est une pure galéjade. Ce qui a fortuitement mis le feu aux poudres, c'est le témoignage – longtemps négligé, ou considéré comme secondaire – d'un campeur étant passé, le matin des crimes, à proximité de la Grand'Terre, et qui avait remarqué le cadavre de Lady Drummond – qu'il avait pris pour une personne endormie – dans une certaine position, et ce avant "l'intervention" d'un tiers, qui ne pouvait être que Gustave Dominici].

Tout le petit monde Dominici est donc conduit, pour interrogatoire, à Digne : les deux fils Clovis et Gustave finissent par accuser leur père. Gaston est aussitôt mis sur la sellette : au bout d'un mois de harcèlement quasi-quotidien [C'est bien pire que la Guépéou et la Stasi réunies  : ce qui est plus qu'excessif étant nul et non avenu, il n'est même pas utile de rectifier], Gaston finit par passer à table devant Sébeille.

Le juge [enfin, il apparaît !] quant à lui "fait le minimum", ne cherche par exemple pas à savoir qui a déplacé le corps de la mère : "il y a des aveux, pourquoi voulez-vous qu'il s'escagasse ?" Ce qui aboutit à un "dossier sans queue ni tête" [dénigrer ainsi l'immense travail du juge Périès est une abomination].

C'est pourquoi Sébeille s'en va trouver à la Grand'Terre la bru de Gaston, "qui entre nous n'est pas fut-fut" [elle, remarquablement intelligente, cynique et retorse !] : interrogée chez elle, elle craque pour se rétracter aussitôt [Voilà comment Hondelatte rend compte de la visite du juge Périès – et non de Sébeille, qui n'avait plus rien à voir – le 18 décembre 1953 à la ferme Dominici].

Le procès débute le 17 novembre 1954, sous la pression venue d'Angleterre ; c'est l'occasion de tester une  nouvelle invention, celle du bélinographe [rappelons à Hondelatte que le bélinographe fut inventé un demi-siècle auparavant, en 1907, par l'ingénieur français Édouard Belin] ; des haut-parleurs sont installés à l'extérieur pour que tous les curieux puissent profiter de ce qui se passe dans la petite salle du tribunal [voilà comment il est rendu compte d'une erreur, commise le dernier jour du procès, autour de l'extinction de voix de Calixte Rozan]

Et c'est la lecture de l'acte d'accusation ce que notre conférencier nomme le "pedigree" de Gaston... il s'y serait trouvé, à propos de Marie Germain, son épouse, l'énoncé suivant : "alors enceinte d'un autre homme" !!! [on pourra aller vérifier si une telle bourde figure dans le texte original de l'acte d'accusation]

Le Président interroge un médecin expert : GD est-il un obsédé sexuel ? Car il s'agit, selon Hondelatte, d'un "point sensible du dossier"... Et on "apprend" à ce propos que c'est Sébeille qui a suggéré le mobile égrillard dont Gaston ne se départira plus [merci Prudhomme !]...

Et voici Yvette – celle qui n'est pas très "fut-fut", à la barre : vent de panique sur le banc des avocats de l'inculpé, elle révèle à la Cour, médusée, que le funeste matin du 5 août, elle a vu le pantalon du pépé en train de sécher sur le fil ; sans doute avait-il été lavé pour en extirper les taches de sang !!! Le plus fort est que cette révélation, absolument sensationnelle si elle avait été avérée, ce scoop incroyable donc, laisse de marbre l'ensemble des auditeurs !!! [cet épisode est, bien entendu, totalement inventé].

J'en passe, et des meilleures, et j'en viens à Chenevier, commissaire qui a fait chou-blanc, lui aussi. Son rapport indique que le vol est le mobile du crime... [Faut-il rire ou pleurer d'une pareille affirmation ?]

Encore n'ai-je fait, effaré, que pointer quelques unes des énormités proférées par ce chroniqueur ; j'aurais pu-t-ajouter (pour parler comme lui) tant et tant de sottises, d'âneries et de conneries. Par trois fois, le sieur Hondelatte dénonce un dossier "bâclé" : que dire, alors, de sa lamentable prestation ?

Je ne pensais pas qu'on pût atteindre un tel degré de malhonnêteté et d'incompétence, mépriser les suppliciés (dont les cadavres "commencent à cuire au soleil" et ne vont pas tarder à "tourner façon gaspacho"), proférer autant d'insanités et battre à plates coutures, sur ce terrain nauséabond, les sieurs Mossé et Reymond, le tout exprimé avec un incroyable culot – tout en singeant lamentablement l'accent provençal - sur une radio ayant pignon sur rue, et des habitudes d'information autrement respectables.

Le "récit à la mode Hondelatte", c'est infiniment pire que les cousins à la mode de Bretagne : ce n'est pas seulement fort éloigné des faits : c'est une volonté délibérée de les falsifier d'un bout à l'autre de la chaîne. Comme me le suggère un ami cher, Hondelatte a osé. Les cons, ça ose tout, et c'est à cela qu'on les reconnaît. Mais voici qu'un autre ami cher (que l'amitié véritable est une douce chose) me communique l'adresse d'une séquence "Youtube", sur laquelle le dénommé Hondelatte apparaît en conteur de "Sauve qui proute, ou les Aventures de Mac Huloth, le Fantôme qui pète". Il est donc possible que ce faussaire scatologique, se spécialise désormais dans les émissions de "merde"...

Doit-on ajouter, à mettre au faible crédit du sieur Hondelatte, le fait qu'il ne trouve pas de lien entre la tuerie et les activités scientifiques passées de Sir Drummond, et qu'il n'est pas partisan des théories complotistes foireuses, qu'il énumère (mais alors, qui est le coupable). Peut-être. Reste une heureuse surprise, très inattendue, c'est, in fine, 30 secondes de la voix d'un Gaston Dominici, diminué et proclamant son innocence (!), interrogé au moment où il quitte la prison des Baumettes.

 

 

Pour sourire : le vieil assassin et son piteux mémorialiste, croqués par mon ami Aldo...

 

 honde gast