Armée du Levant - Samedi 24 août 1940
Chers vous tous,
Il y a deux heures environ j'ai reçu votre lettre du 12 courant et en même temps le mandat de 700 Fr. que je toucherai demain. Marthe me dit aussi avoir reçu ma lettre du 25 juillet dans laquelle j'avais dit que j'étais en possession du premier mandat. Mais j'ai touché aussi le 2e en même temps que la lettre qui me l'annonçait. D'ailleurs je vous l'ai déjà écrit.
Ça me fait grand plaisir que vous ayez de mes nouvelles et qu'enfin toutes les lettres vous arrivent. En ce moment je n'avais pas besoin d'argent, il vaut mieux comme cela, ça ne m'oblige pas à les dépenser. Ces jours-ci j'ai acheté une valise, je ne savais pas où caser toutes mes affaires. Beaucoup de copains en ont fait pareil, et presque tous ont leur valise. C'est formidable ce qui se vend voici quelque temps, ainsi que des souvenirs. Aussi, les marchands nous voient venir pour les prix... Moi, j'ai à peu près tout ce que je voulais.
Nous attendons toujours cette "quille" avec impatience. Chez nous, aucun n'est encore parti, sauf un suisse qui ayant le droit, avait demandé à être rapatrié par ses propres moyens. Maintenant, dans d'autres régiments, il y en a de partis, même des jeunes, des classes 36 paraît-il ! Nous c'est plus embêtant par rapport à nos mulets, sûrement que nous partirons presque tous ensemble.
Hier, nous avons passé une revue et défilé devant le Colonel et le Général. J'espère que ce soit la toute dernière fois. De source sûre, deux bateaux sont partis. Il y a celui qui m'a emmené qui fait le voyage.
Je sais que P. avait envoyé des photos. J'en ai les mêmes. Je ne pense pas à t'en mettre dans mes lettres, ou plutôt j'ai peur qu'elles n'arrivent pas. En ce moment,j'en ai un gros paquet. Nous en avons même en agrandissement, ici ce n'est pas cher. Je t'en joins une, prise dans le nombre..
Nous venons de dîner,je me suis mis dans un coin à l'ombre sur des pipes d'essence vides, pour t'écrire. Ce matin, j'ai été à l'infirmerie chercher des cachets pour m'enlever la diarrhée, ça fait cinq jours qu'elle me tient, mais sans coliques. C'est étonnant que je ne l'ai pas eu davantage, tout le monde y passe. Surtout la nuit, le froid nous réveille.
Peut-être cette semaine il y aura du nouveau pour nous. Je ne peux rien t'affirmer, ce jour-là il faudra bien qu'il vienne, tu peux croire qu'il est attendu. J'aimerais savoir un peu ce qui se passe au dépôt, S. pourrait bien m'envoyer un mot ? Il ne se casse rien pour écrire dit-le lui un peu en lui donnant mon bonjour. Je vous dis à bientôt, recevez mes meilleures caresses, ainsi que la famille B.
Bonnes bises de ton