I. Les cahiers de devoirs mensuels dans les écoles primaires

 

Il n'est pas de petites questions en pédagogie. Les meilleurs programmes scolaires comme les plus sages dispositions législatives n'ont souvent d'efficacité que par les bonnes mesures d'ordre qu'on prend pour les appliquer. Au nombre de ces mesures doit figurer en première ligne l'introduction dans les écoles primaires du cahier de devoirs mensuels. Il a été prescrit par l'article 13 de l'arrêté du 27 juillet 1882, qui dit : "Chaque élève, à son entrée à l'école, recevra un cahier spécial qu'il devra conserver pendant toute la durée de la scolarité. Le premier devoir de chaque mois, dans chaque ordre d'études, sera écrit sur ce cahier par l'élève, en classe et sans secours étranger, de telle sorte que l'ensemble de ces devoirs permette de suivre la série des exercices et d'apprécier les progrès de l'élève d'année en année. Ce cahier restera déposé dans l'école".

Une circulaire ministérielle du 25 août dernier [1884] a rappelé aux inspecteurs d'académie toute l'importance que l'administration attache à la tenue de ces cahiers, dont elle fait ressortir en ces termes la haute utilité :

"- Habituer les élèves et leurs parents à mesurer les progrès de chaque enfant par comparaison non avec les autres, mais avec lui-même, de manière à proportionner le mérite non pas au succès, mais à l'effort ;

- habituer les maîtres à s'assurer périodiquement si la classe toute entière et non pas l'élite de la classe suit bien le programme et profite bien des leçons dans toutes les parties de l'enseignement ;

- habituer enfin les inspecteurs à prendre pour base des appréciations qu'ils ont à porter sur ce personnel, non pas seulement les impressions recueillies au cours d'une visite, les notes résultant de quelques interrogations, mais un ensemble de documents précis, se complétant et se corrigeant les uns les autres, auxquels on peut toujours recourir, qui permettent d'entrer dans tous les détails de la vie scolaire et d'être scrupuleusement équitable envers chaque école, chaque maître et chaque élève : tels sont les avantages qu'on peut attendre à bon droit du cahier de devoirs mensuels".

Le ministre entend d'ailleurs laisser une grande liberté aux inspecteurs primaires et aux instituteurs pour l'exécution de ses instructions, qui ne portent que sur quelques points très généraux. Il est bon en effet que chacun mette son honneur à faire tenir le mieux possible et à sa manière l'intéressant recueil où s'écriront l'histoire de l'élève et celle de l'école. Le modèle qui a été envoyé aux inspecteurs d'académie et aux principaux libraires contient à l'usage des enfants d'excellentes recommandations que nous espérons voir reproduites sur tous les cahiers que vont livrer les fournisseurs. Nous croyons intéresser nos lecteurs en mettant sous leurs yeux cette belle et généreuse page de pédagogie pratique, morale et patriotique :

 

 

Enfant ! Ce cahier vous est remis pour être le compagnon et le témoin de vos études durant tout le temps que vous passerez à l'école.

Tous les mois environ, vous y remplirez quelques pages seulement ; vous y écrirez le devoir que l'on vous aura donné à faire ; ce devoir, vous le ferez de votre mieux, en classe, sans vous faire aider de personne, de manière que ce soit bien votre propre travail, et non pas celui d'un camarade ou d'un maître. Et vous continuerez ainsi jusqu'à votre sortie de l'école, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de treize ans ou jusqu'à ce que vous ayez obtenu le certificat d'études.

A mesure que ce cahier se remplira, vous aurez le plaisir de voir vous-même en le feuilletant les progrès que vous aurez faits : on pourra les mesurer d'un coup d'œil en comparant les dernières pages aux premières ; on verra si vous avez mérité de passer du cours élémentaire au cours moyen et de celui-là au cours supérieur.

Ces devoirs mensuels ainsi réunis ne formeront ensemble qu'un bien petit volume. Cependant, ils seront en quelque sorte le résumé de toute votre enfance, l'histoire sommaire de vos six ou sept années d'étude. Vous serez heureux d'emporter ce souvenir de votre école le jour où vous en sortirez pour n'y plus revenir ; vous garderez soigneusement ce modeste recueil, qui témoignera devant vous-même et devant tous de ce que vous avez été dans votre jeune âge.

Enfant ! faites en sorte de pouvoir un jour regarder cet abrégé de votre vie scolaire sans avoir à en rougir ! Il n'est pas indispensable pour cela que vous soyez un des premiers élèves de votre classe : l'avantage de ce cahier, c'est précisément qu'il n'a pas pour but de vous comparer avec vos camarades, mais de vous comparer successivement vous-même avec vous-même. Il ne s'agit pas de montrer si vous êtes plus intelligent, plus habile, plus instruit que tel ou tel autre élève, mais bien de montrer, chaque année, chaque mois, si vous êtes plus habile et plus instruit que vous ne l'étiez quelque temps auparavant, si vous avez tâché de valoir mieux aujourd'hui qu'hier, si vous tâcherez de valoir mieux encore demain qu'aujourd'hui.

Appliquez-vous, enfant ! Le cahier est là sous vos yeux, encore tout blanc, prêt à recevoir tout ce que vous saurez y mettre de bon, tout ce qui peut vous faire honneur et en même temps faire plaisir à vos parents et à vos maîtres : de belles pages d'écriture, de bonnes dictées, des devoirs soignés d'histoire, de géographie, de calcul. Appliquez-vous dès les premières pages ; si celles-là sont remplies à votre satisfaction, vous voudrez que les suivantes le soient mieux encore.

Faire toujours des efforts, afin de faire toujours des progrès : c'est la loi de l'école parce que c'est la loi de la vie ; les hommes y sont soumis tout comme les enfants. Ce cahier vous aidera peut-être à vous la rappeler en vous invitant à vous examiner vous-même fréquemment.

Enfant ! songez encore à ceci : On ne travaille pas pour soi seul dans ce monde, on travaille aussi pour les autres. Les petits enfants eux-mêmes sans y penser travaillent pour leur pays. Car les bons écoliers feront les bons citoyens. Si vous employez bien vos jeunes années, si vous profitez sérieusement de tous les moyens d'instruction que la République prend soin d'offrir à tous ses enfants, vous pourrez rendre un jour à la patrie ce que la patrie fait aujourd'hui pour vous. La France a besoin de travailleurs et de gens de bien ; vous serez un de ceux-là si vous vous y préparez dès maintenant. Ne perdez donc pas votre temps, vous n'en avez pas le droit : le paresseux fait du tort à lui-même sans doute, mais il fait tort surtout à son pays.

Si vous traversez quelques moments de faiblesse et de découragement, enfant, ne vous laissez pas abattre, et, pour reprendre courage, dites-vous tout bas à vous-même : Non, je ne veux pas être un inutile sur la terre, un ingrat envers ma famille, un ingrat envers la France. Je veux travailler, je veux devenir meilleur, non pas seulement parce que c'est MON intérêt, mais parce que c'est MON DEVOIR" .

 

Revue pédagogique, 2e semestre 1884, pp. 350-352

 

 

On signalera enfin que, comme toujours lors de la tentative d'introduction de nouveautés, la résistance (ici, à l'application de l'arrêté du 27 juillet 1882, article 13) a été assez farouche, comme en témoignent les lignes suivantes :

 

"L'introduction du cahier de devoirs mensuels dans les écoles publiques ne s'est pas faite sans difficulté. Elle a rencontré, chez beaucoup d'instituteurs, et plus encore chez les institutrices, une résistance extraordinaire, une inertie, un parti-pris que les conseils, les directions, les avertissements même des Inspecteurs d'Académie et des Inspecteurs primaires ont eu du mal à vaincre. L'ont-ils vaincue ? Nous n'oserions pas l'affirmer, puisque M. le Ministre, dans sa circulaire du 31 août 1887, constate que le cahier n'a pas été adopté dans toutes les écoles et que, là où il est adopté, il a parfois été tenu d'une manière qui correspond très peu à sa véritable destination".

Rien de nouveau sous le soleil...

 

Revue pédagogique, janvier-juin 1888, p. 521

 

 

II. Préface du "Vocabulaire vert"

 

Il sera peut-être opportun de rapprocher cette harangue "patriotique" (1882) de l'adresse à l'écolier genevois, que voici :

 


"Élève de l'école primaire genevoise, ce livre t'appartient.
Il t'est offert par le département de l'instruction publique de la République et canton de Genève.
Pourquoi ?
Pour qu'il t'aide à apprendre le vocabulaire de la langue française, c'est-à-dire les mots dont est faite cette langue.
Ces mots sont nombreux. On en compte un demi-million environ et le « Petit Larousse » en contient cinquante mille.
Dans ce « Vocabulaire », tu n'en trouveras guère que cinq mille. Ils ont été choisis avec soin et nous pouvons t'assurer que ce sont les mots les plus importants du français, les mots les plus utiles. Quand on en connaît le sens et qu'on en possède l'orthographe, on peut écrire une lettre sans faute, on peut comprendre la plupart des textes imprimés ; on se tire d'affaire dans presque toutes les circonstances de la vie.
Voilà donc ce « Vocabulaire » entre tes mains. Il attend que tu étudies les mots qu'il contient ; il attend aussi que tu l'enrichisses de mots nouveaux. Il attend enfin ton beau travail d'écolier ou d'écolière
".

M. Samuel Roller, président de la commission chargée de composer cet ouvrage, M. Jacques Delétraz, inspecteur d'écoles, Mmes Marie-Josèphe Besson, Marguerite-Françoise Charmot, Lucienne Mermoud, institutrices, MM. Lucien Cabuzat, Édouard Excoffier, Lucien Hermenjat, Dino Massarenti, Gabriel Mützenberg, instituteurs.

 

Il s'agit là de la Préface au "Vocabulaire vert". C'est un ouvrage paru en 1961 (et réédité en 1982), synthèse réalisée à partir de listes de fréquence diverses, mais se recoupant largement :

- la liste Verlée (Hollande, 1954)

- les divers travaux effectués à Louvain, avant la seconde guerre mondiale, sous la direction du professeur R. Buyse

- le Vocabulaire de base de Dottrens et Massarenti

- le Français Fondamental Ier Degré.

Ainsi ont été recensés 4 738 mots, groupés en quarante-huit chapitres, à étudier dans les écoles entre la deuxième et la septième années

 

Il conviendra également de lire de très près la Circulaire du 14 mai 1962, ci-après :

 

 

III. Circulaire du 14 mai 1962

 

Objet : Instructions réglant l'emploi du cahier de devoirs mensuels dans les classes élémentaires (cours moyen 1e et 2e années).

(B.O.. n° 20 du 31 mai 1962 - Personnel, bureau P 7)

aux Recteurs ; aux Inspecteurs d'Académie.

Le cahier de devoirs mensuels, reflet du travail de chaque élève, n'a pas cessé depuis 1887 de rendre de précieux services. Mais il est apparu nécessaire d'abord, de rappeler aux jeunes instituteurs l'histoire de ce cahier-témoin, ensuite d'adapter aux besoins de notre temps cet indispensable instrument de contrôle.

Le cahier mensuel a été rendu obligatoire par l'arrêté organique du 18 janvier 1887 :

"Article 15. - Chaque élève, à son entrée à l'école, recevra un cahier spécial qu'il devra conserver pendant toute la durée de sa scolarité. Le premier devoir de chaque mois, dans chaque ordre d'études, sera fait sur ce cahier par l'élève, en classe et sans secours étranger, de telle sorte que l'ensemble de ces devoirs permette de suivre la série des exercices et d'apprécier les progrès de l'élève d'année en année. Ce cahier restera déposé à l'école".

Des circulaires ministérielles ont rappelé plusieurs fois l'intérêt particulier qu'offre ce cahier, "preuve irrécusable de la régularité des études". Une pratique, autorisée par la circulaire ministérielle du 13 janvier 1895 qui modifia sensiblement la mise en œuvre de l'article 15, est enfin devenue générale : le cahier dit de devoirs mensuels a été employé comme cahier de compositions.

Dans les très rares classes où l'on aurait perdu de vue le caractère obligatoire du cahier mensuel de compositions, on voudra bien revenir immédiatement à l'application des textes en vigueur.

À l'époque où s'instaurait la scolarité obligatoire, les autorités universitaires voyaient surtout dans cette série de devoirs "la meilleure réponse de l'instituteur aux familles qui peuvent demander compte à l'école de ce que les enfants y ont fait". Le "cahier mensuel" se prête assurément à bien d'autres usages ; depuis plusieurs années, deux préoccupations surtout sont apparues.

D'une part, les ordres d'études auxquels faisait référence en 1887 l'article 15 se sont multipliés et les compositions ne mettent plus assez en évidence le français et le calcul qui offrent, pour les enfants âgés de 6 à 12 ans, une importance primordiale. Il convient donc d'appliquer au cahier de devoirs mensuels les recommandations contenues dans la circulaire du 19 octobre 1960, et de faire apparaître "avec netteté que le rôle essentiel des maîtres des classes élémentaires est maintenant plus encore que par le passé d'établir les fondations solides et durables de tout l'édifice scolaire".

D'autre part, depuis la suppression de l'examen obligatoire pour l'entrée en classe de 6e, et plus encore sous l'effet de la réforme de l'enseignement du 6 janvier 1959, on avait songé, pour juger des aptitudes d'un enfant à entrer dans le cycle d'observation, à consulter le cahier mensuel : celui-ci dessine, pour chaque élève, la courbe de sa scolarité élémentaire. La circulaire ministérielle du 24 mars 1962 (B.O. n° 14 du 5-4-1962, p. 14) vient effectivement de ranger le cahier de compositions parmi les éléments constituant le dossier scolaire.

Mais les cahiers de devoirs mensuels ne mettront en relief les "connaissances fondamentales en français et en calcul" (circulaire du 19 octobre 1960) et n'apporteront aux commissions chargées d'étudier les dossiers de chaque élève, des éléments facilement utilisables (circulaire du 24 mars 1962) que si l'emploi et le bon usage de ces cahiers se trouvent précisés.

Les présentes instructions, qui prendront effet à compter du 18 septembre 1962, apportent de telles précisions. À partir de cette date, la circulaire ministérielle du 13 janvier 1895 est ainsi complétée :

1° Chaque élève disposera d'un premier cahier de compositions mensuelles. Ce cahier restera unique du C.P. jusqu'à la fin du C.E.2. Au-delà, il sera réservé aux disciplines telles que sciences, histoire et géographie, rédaction, à l'exclusion des matières d'enseignement dont il est traité ci-dessous.

2° Chaque élève devra être en possession, à son entrée au C.M., d'un cahier de compositions mensuelles nouveau, qu'il conservera durant les deux années de ce cours. Ce second cahier sera réservé aux dictées, aux questions de dictée et au calcul. Il sera exigé par la nouvelle école lorsqu'il y a changement d'établissement.

3° Les compositions données dans la classe de C.M.2 s'inspireront des directives pédagogiques suivantes :

a) dictée de 80 mots au plus, appartenant au vocabulaire des enfants de cet âge ; on n'appliquera pas le barème sommaire d'une faute par erreur de graphie, les oublis ou l'ignorance des règles élémentaires, la déformation des mots usuels seront sanctionnés sans faiblesse, mais on fera preuve de bienveillance dans le domaine de l'orthographe d'usage. On notera sur 10 et l'on retirera deux points par faute entière.

b) questions : elles seront données immédiatement après la dictée, et avant toute correction. L'une d'elles sera choisie de façon à révéler l'aptitude à comprendre le texte et à s'exprimer correctement : on n'exigera pas, dans les explications de mots, des définitions en forme et l'approximation fournie par les synonymes pourra être considérée comme suffisante. En grammaire, on respectera scrupuleusement la nomenclature et la progression officielle. Les questions seront notées sur 10.

c) calcul : cette composition comprendra deux parties :

- 3 ou 4 opérations portant sur des nombres entiers et sur des nombres décimaux ;

- un problème comportant de 3 à 4 questions de difficulté croissante, chaque élément de solution étant, dans toute la mesure du possible, noté indépendamment des autres éléments qui peuvent le précéder.

On tiendra naturellement compte de la progression suivie dans la classe. L'emploi du système métrique et des conversions, le calcul sexagésimal (mesure du temps), le raisonnement dit règle de trois, mais présenté en deux temps et appliqué à des données judicieusement choisies, interviendront nécessairement au cours de l'année de C.M.2.

Une notation ne tenant compte que du résultat est à proscrire ; la bonne disposition, la rédaction, le soin et l'écriture qui expriment les habitudes d'ordre prises par l'enfant ne seront pas oubliés. L'ensemble de la composition de calcul sera noté sur 10.

Le cahier mensuel ainsi conduit rend inutiles les sujets départementaux auxquels, sous le nom de composition, et dans un souci de normaliser les épreuves, on avait parfois eu recours ; ces sujets réintroduisaient des examens, et en cours d'année, ne pouvant tenir compte de la progression réellement nécessaire dans chaque classe, ils limitaient la liberté pédagogique des maîtres. La série des devoirs du cahier de français et de calcul, reflet du travail des deux années du cours moyen, offrira une valeur probatoire bien supérieure.

Ce cahier mensuel de français et de calcul des cours moyens sera transmis, dans le cadre de chaque circonscription d'inspection primaire, à la commission ayant charge d'assurer l'entrée dans le cycle d'observation. Afin de disposer d'un matériel aisément maniable et identifiable, on adoptera un modèle de 48 pages à couverture cartonnée légère, mais d'une bonne tenue, et qui portera clairement le nom, les prénoms et la date de naissance de l'enfant, ainsi que la désignation de l'école (nom ou adresse, commune ou ville). On veillera à ce qu'un seul cahier suffise à chaque élève pour les deux années du cours moyen.

Des instructions ultérieures fixeront les modalités suivant lesquelles ces cahiers seront transmis en 1963 aux commissions d'entrée en classe de 6e.

Je vous demande de veiller à ce que, dès à présent, toutes dispositions soient prises pour que ces nouvelles instructions soient effectivement appliquées dès la rentrée de septembre 1962. Le second cahier de devoirs mensuels, cahier probatoire réservé à la dictée, aux questions de dictée et au calcul, sera introduit dans les C.M.1 et les C.M.2 à cette même date.

 

Pour le ministre et par autorisation :
Le directeur du Personnel,

M. LEBETTRE