On se souvient sans doute que, dans le cadre d'une véritable opération-commando médiatique, savamment orchestrée, le tandem Boutron-Reymond, auquel s'était joint l'un des petits-fils, avait eu l'ambition, voici trois ans, de faire rendre la justice par la télé - ce n'était pas la première fois, ce ne sera certainement pas la dernière, l'entreprise étant juteuse. Et peu importe la vérité historique !
Dans cette perspective, outre le tournage, à grands renforts de publicité, d'un téléfilm en deux parties - il a connu l'immense succès que l'on sait - il y eut la réédition de l'ouvrage-phare de Reymond. Dans l'avant-propos de ce livre, W. Reymond n'alla-t-il pas jusqu'à écrire : "Disons-le clairement : la puissance cinématographique de l’œuvre diffusée par TF1 devrait permettre une fois pour toutes d’obtenir la révision populaire de la condamnation à mort de Gaston Dominici" ? Rien que cela...
Quant au téléfilm, sa programmation fut précédée d'une interview de Michel Serrault (qui "jouait" Dominici) par Claire Chazal. Ceci se passait au journal du soir de TF1, le dimanche 12 octobre 2003. "Je savais suffisamment de choses sur l’affaire pour décider de jouer non coupable", dit Serrault à la présentatrice (qui oublia de lui demander quelles étaient précisément ces "choses"). Et pourquoi ? demanda Claire Chazal. "Parce que personne ne peut prouver qu’il est coupable, répondit l'acteur. À partir du moment où il n’y a aucune preuve contre lui, certaine et sûre, qu’on puisse admettre, eh bien, il est innocent !" Comme cela fut vite envoyé, et si bien avalé par nombre de téléspectateurs !
Malheureusement pour les "conjurés", et fort heureusement pour la vérité, l'affaire fit long feu, comme l'on sait.
Mais parallèlement à ces démarches, le petit-fils avait fait créer, en mai 2003 (très exactement le 29, à 6 heures 38 du matin), un site qu'il qualifia lui-même de "prématuré" (!) - sans se rendre bien compte, vraisemblablement, du caractère ridicule d'une telle formulation - qui, d'avance, condamnait son entreprise.
Quoi qu'il en soit, il alimenta son site, appelé par antiphrase "Dominici-Info" (par antiphrase, car c'était le temple de la désinformation, où le travestissement, voire l'intoxication, se donnaient libre cours) d'un nombre relativement important de fac-similés de procès-verbaux extraits du dossier en sa possession, toujours bien choisis dans le sens qu'on imagine, et très souvent tronqués.
Ainsi du second Rapport du commissaire G. Harzic (répertorié sous le n° 5871 S.R.P.J. GH/SL/4, et adressé à ses supérieurs parisiens - et qui d'ailleurs ne fait pas partie, stricto sensu, du "dossier"), dont le site, aujourd'hui évanoui (était-ce parce qu'il était "prématuré", qu'il est devenu mort-né ?), mit en ligne un mois plus tard un certain nombre de pages (de la page 4 à la page 6, très exactement), sans qu'on comprenne le motif de cette "censure".

On trouvera donc, ci-après, le dit Rapport, presque complet.

 

"On conçoit ... combien anormale apparaît l'attitude de cet homme de 33 ans..."

[Rapport G. Harzic,  20 août 1952].

 

Dans un premier temps, le Commissaire fait référence à son précédent rapport, envoyé une semaine auparavant, et avance divers éléments pour "faire le point" :

- le signalement fourni par M. Duc correspond à un paysan,
- la carabine n’a pas de bretelle et a donc été portée à la main, sur une courte distance,
- le bricolage du collier est probablement le fait d’un paysan,
- la carabine a été jetée dans un trou d’eau ce qui montre la connaissance du lit de la rivière, donc du coin,
- le sieur Conil est passé à 01h40 et n’a rien remarqué d’anormal,
- le sieur Blanc est passé à 04h00 [sic] et a vu un lit de camp ainsi que la toile qui couvrait la voiture. Donc l’assassin était toujours là.


C'est ainsi que le commissaire Harzic explique sa conviction de crimes commis par un "local" :

"De cet ensemble d'arguments cohérents, il résulte à l'évidence que l'assassin, vêtu comme un paysan, dont l'arme est réparée grossièrement, qui connaissait le lit de la Durance, qui n'a pu venir de loin en portant son fusil [sic] à la main et dont le séjour prolongé près de ses victimes indique qu'il se sentait à l'aise, ne peut être recherché ailleurs que parmi les habitants du pays.De cet ensemble d'arguments cohérents, il résulte à l'évidence que l'assassin, vêtu comme un paysan, dont l'arme est réparée grossièrement, qui connaissait le lit de la Durance, qui n'a pu venir de loin en portant son fusil [sic] à la main et dont le séjour prolongé près de ses victimes indique qu'il se sentait à l'aise, ne peut être recherché ailleurs que parmi les habitants du pays.

Les pistes suivies


a) Aucun effort n'est épargné pour découvrir le meurtrier. Les enquêteurs ont présenté l'arme du crime à tous les cultivateurs de la région, maison par maison. Ils espéraient que l'un d'entre eux reconnaisse cette carabine pour l'avoir aperçue dans les mains d'un voisin ou d'un partenaire de chasse au sanglier. Leurs efforts ont été vains à cause du mutisme volontaire des habitants de ce pays.
Trois carabines du même modèle ont été apportées spontanément au Commissaire Sébeille, ce qui prouve :

1° qu’il existe des armes semblables à celle du meurtre dans la région (argument supplémentaire pour le « crime local ») ;
2° que ceux qui en connaissent les détenteurs ne donnent aucun renseignement aux enquêteurs.
Tous les suspects signalés ont été soumis à un interrogatoire, entre autres les membres de la famille Maillet de Lurs, un sieur Estève de Peyruis, les nommés Borgamini, ouvrier de l’usine de Saint-Auban et Francesco, ouvrier portugais à Ganagobie. Ils ont été mis hors de cause.

Le Commissaire Sébeille a essayé de savoir si le manchon en aluminium ne provenait pas de l’usine de produits chimiques de Saint-Auban, distante de 15 kilomètres. Aucune réponse précise n’a pu lui être faite. Il s’est livré à de multiples perquisitions pour tenter de découvrir des morceaux d’aluminium du même type ou des balles de carabine
[sic] identiques à celles du meurtre. Il n’a pas obtenu de résultats positifs.

De cet ensemble d'arguments cohérents, il résulte à l'évidence que l'assassin, vêtu comme un paysan, dont l'arme est réparée grossièrement, qui connaissait le lit de la Durance, qui n'a pu venir de loin en portant son fusil [sic] à la main et dont le séjour prolongé près de ses victimes indique qu'il se sentait à l'aise, ne peut être recherché ailleurs que parmi les habitants du pays".


Puis il en vient à s'intéresser au jeune fermier de la Grand'Terre :


"Les charges contre Gustave Dominici



b) Les enquêteurs, chaque jour davantage, sont amenés à examiner avec insistance les charges qui pèsent contre Gustave Dominici, dont le comportement anormal a, dès le premier jour, attiré l'attention de la Police.

Pour la parfaite compréhension de mon exposé, il est nécessaire tout d'abord de donner un résumé de sa déclaration.

Il a connu le 4 août dans la soirée la présence des campeurs anglais sur son terrain
[sic] à 150 mètres de sa ferme. Il s'est couché vers 22 heures. À une heure du matin, il était réveillé parce que son enfant avait pleuré et que sa femme lui donnait le biberon. Il a alors entendu sept coups de feu. Étant chasseur, il a reconnu qu'ils provenaient d'une arme de guerre. Il a pensé : "on attaque les campeurs". Il l'a dit à sa femme. Il est resté couché, sans même regarder par la fenêtre. Il n'est pas sorti de chez lui par peur de se faire abattre. C'est à 5 heures seulement qu'il s'est levé, et vers 5 h 30, il s'est dirigé vers un de ses champs, où un éboulement s'était produit. En cours de route, bien qu'il soit passé par le sentier, c'est-à-dire à dix mètres environ du corps de Mme Drummond, il n'a rien remarqué d'anormal, avant d'apercevoir le cadavre de la jeune Élisabeth. Rebroussant chemin, et toujours sans remarquer les autres cadavres, il a regagné la route nationale. Au moment où il débouchait du sentier, il a vu arriver un motocycliste, M. Olivier, d'Oraison (Basses-Alpes), à qui il a demandé de prévenir la Gendarmerie.

On conçoit aussitôt combien anormale apparaît l'attitude de cet homme de 33 ans, bien constitué, qui, entendant des coups de feu à une heure du matin, sachant qu'une agression est commise près de sa ferme contre de paisibles campeurs, manifeste une absence totale non seulement de courage, mais même de la plus élémentaire curiosité. S'il était monté à l'étage supérieur, il aurait pu très facilement, en raison de la pleine lune, apercevoir la voiture anglaise et le comportement des personnes qui se tenaient près d'elle. Il avait d'autant plus de raisons de le faire que sa ferme est la plus proche du lieu du drame et qu'il était non seulement de son devoir, mais de son intérêt de savoir ce qui s'était passé. Il était, en effet, la première personne à qui on viendrait demander des explications.
Je veux immédiatement signaler que Gustave est en contradiction avec sa femme sur deux points. Elle a déclaré qu'au moment des coups de feu, la chambre n'était pas éclairée, et qu'elle n'avait donné le biberon à son enfant qu'une demi-heure plus tard. Elle a précisé aussi que son mari ne lui avait pas confié "
qu'on agressait les campeurs". Pour minimes qu'elles soient, ces contradictions ont tout de même leur intérêt, car elles ne devraient pas exister.
Avec une belle désinvolture, Gustave Dominici ne se lève qu'à cinq heures du matin, alors que le jour est levé. Il se dirige vers le camping, mais le motif qu'il donne de son déplacement est choquant, si l'on réfléchit au fait que Gustave a pensé qu'une attaque contre les campeurs avait été effectuée. On aurait admis qu'il s'inquiète du sort de ces touristes et aille se rendre compte de leur état. Bien au contraire, il sort pour aller examiner quelques pierres qui se sont éboulées dans son champ. Pour ce faire, il passe à quelques mètres de la voiture et des cadavres, mais il ne tourne même pas la tête et il continue son chemin jusqu'au corps de la fillette. Or, il ne s'agit pas d'un simple d'esprit, mais d'un homme d'une intelligence normale.
D'ailleurs, le prétexte invoqué est loin d'être justifié. Gustave a prétendu que c'était le brigadier SNCF, Roure, de Peyruis, qui lui avait demandé la veille de s'inquiéter des progrès de l'éboulement. Il est en contradiction formelle avec ce cheminot, qui a démenti lui avoir fait cette recommandation.
Il y a plus. Lorsque Dominici a donné l'alarme en gesticulant pour attirer l'attention du motocycliste Olivier, il ne se trouvait pas au débouché du sentier comme il l'a dit (c'est-à-dire à 14 mètres de la voiture), mais à hauteur du capot de ce véhicule. Comment le suivre, dans ces conditions, lorsqu'il affirme avec véhémence n'avoir pas vu jusqu'alors le cadavre de Mme Drummond ? À la place qu'il occupait, il se trouvait à trois mètres de ce cadavre, et il ne pouvait pas ne pas l'avoir vu.
Le récit de Dominici n'a pas pu être contrôlé jusqu'à l'arrivée d'Olivier. Il dit ce qu'il veut. Quand on considère tout ce qu'il y a d'illogique dans ses faits et gestes, quand la preuve est faite qu'il a menti, comment ne pas penser que Dominici a présenté une version imaginée par lui-même pour éviter que les soupçons ne l'atteignent ? Sa présence tout près de la camionnette doit être rapprochée du témoignage Blanc. Qui a changé de place le lit de camp, qui a enlevé les couvertures recouvrant les glaces après quatre heures du matin, comme pour mettre un peu d'ordre ? Ne serait-ce pas Gustave Dominici, peu avant que le motocycliste ne survienne ?
On voit combien les enquêteurs ont raison d'étudier avec minutie les charges qui pèsent sur Dominici. D'autant plus que le criminel est resté un temps considérable sur les lieux avant et surtout après les meurtres. Si ce n'est pas Gustave Dominici ou quelqu'un des siens, peut-on concevoir que ce meurtrier ait osé rester sur place, alors qu'à tout instant (après le tir) il pouvait être surpris par les habitants de la ferme voisine (par surcroît propriétaires du terrain [sic]) alertés à coup sûr par les détonations ?

Enfin, je note pour mémoire deux faits qui, à cause sans doute de leur nature essentiellement psychologique, ont, dès les premiers instants, frappé l'esprit de tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, s'intéressent aux recherches :

1° - Dans sa fuite, la jeune Élisabeth n'a pas pris la direction de la ferme qui, d'instinct, aurait dû lui offrir le salut ;
2° - la nécessité de faire disparaître une enfant, ce qui, dans la pensée générale, explique l'acharnement de l'assassin à supprimer un témoin qui le connaît et est susceptible de le désigner par la suite.
Quant au père Dominici, âgé de 76 ans, mais très robuste et très violent, il affirme que jamais les troupes américaines ne se sont arrêtées chez lui. Or, un témoignage formel d'un ouvrier de Peyruis prouve qu'en 1944 un camion de soldats américains a stationné pendant plusieurs heures à la ferme "La Grande Terre". Pendant leur séjour, ces militaires ont même tiré plusieurs coups de carabine en guise d'amusement. Pourquoi Dominici père insiste-t-il autant pour nier la présence chez lui de militaires porteurs d'armes semblables à celle du crime ?
Je veux indiquer enfin que la corpulence, la chevelure, l'âge et l'apparence générale de Gustave Dominici ne sont pas du tout incompatibles avec le signalement du criminel fourni par le témoin Duc. Malheureusement, ce témoignage n'est pas assez formel sur les traits du malfaiteur (il est passé à 60 km à l'heure), pour qu'on puisse par une confrontation faire la preuve que Gustave est l'auteur des meurtres.

Compte tenu de toutes ces observations, qui sont connues des magistrats de Digne, n'est-il pas normal de penser que le coupable n'est autre que Gustave Dominici ou quelqu'un de ses proches, qu'il cherche à protéger ?
Un nouvel interrogatoire de Dominici est donc nécessaire, mais avant d'y procéder il convient de recueillir le plus de renseignements possibles [sic] sur tous les membres de la famille (quatre frères et six sœurs mariées
[sic]) et sur les armes qu'ils sont susceptibles d'avoir possédées.


Les autres pistes ne sont pas pour autant négligées, et font l'objet, chaque fois qu'elles sont signalées, d'un examen très attentif ;"


Et le Commissaire énumère :

"- l'hypothèse d'un crime de rôdeur
- l'hypothèse du crime d'un Irlandais
[!!!]
- la résultante d'une lutte entre trusts pharmaceutiques".

Enfin, il signale le rôle de la presse communiste :

"Les journaux communistes.

Le journal communiste "
La Marseillaise", qui a récemment trouvé un écho chez un de ses confrères anglais de même tendance, "Reynold’s News", a posé en postulat que la famille Dominici devait être à l’abri de tout soupçon. Le correspondant de ce quotidien prend d’ailleurs souvent ses repas à la ferme de la Grande Terre, chez les Dominici, qui sont réputés [sic] membres du parti communiste.
Sans préciser encore le motif du meurtre, "
La Marseillaise" s’efforce, sur la base de déclarations non contrôlées, recueillies par son représentant, de faire admettre l’hypothèse d’un assassinat commis par d’autres Anglais, montés [sic] également dans une voiture de marque Hillman, qui auraient suivi (et même précédé) la famille Drummond.
Cette auto aurait été vue en effet à proximité de Lurs vers 18 h 15 (occupée par un homme, une femme et une fillette), alors qu’il est démontré que les Drummond ont quitté Digne seulement à 19 heures.
Or, Sir Jack Drummond n’a averti personne de son intention de camper à proximité du village de Lurs !

Il y a toutes probabilités pour que les trois meurtres aient été commis à l’occasion d’une tentative de vol et – sauf preuve contraire – je pense qu’il s’agit d’un crime crapuleux.
Je vous tiendrai informé du développement de l’enquête au fur et à mesure que les opérations en cours produiront des résultats, que j’espère favorables".

 

 

Une "lecture" du précédent Rapport

 

[L'extrait suivant de France-Soir, en date du 2 octobre 1952 - il s'agit d'une des réponses à des questions posées "à l'ex-Commissaire Charpentier", montre à l'évidence que le dit Commissaire avait eu en main copie du Rapport Harzic - quand bien même il commet quelques erreurs grossières, que je ne prends pas la peine de relever, enfin si, je les souligne...]

 

D'où vient la conviction absolue des policiers que le meurtrier est un homme du pays ?

"La découverte de la carabine, de type américain, faite dans la Durance le lendemain du crime a apporté le seul élément matériel indiscutable à l'actif de l'enquête. Des armes de même nature ont été parachutées dans la région, et le maquis local en a reçu.
La carabine du crime ne comporte pas de bretelle et il ne semble pas qu'elle puisse être transportée à la main, sur une grande distance.
Enfin, le trou dans lequel elle a été jetée, un des plus profonds de l'endroit, ne peut être connu que par des familiers du lieu.
D'autre part, l'examen minutieux de la carabine a révélé certaines réparations de fortune qui semblent l'œuvre d'un bricoleur sans connaissance spéciale. La bride du collier en aluminium utilisée pour fixer le canon est employée généralement pour maintenir les plaques d'identité des bicyclettes ; elle est semblable à celles vendues dans la région".