Odeur des pluies de mon enfance,
Derniers soleils de la saison !
À sept ans, comme il faisait bon,
Après d'ennuyeuses vacances
Se retrouver dans sa maison !


La vieille classe de mon père,
Pleine de guêpes écrasées
Sentait l'encre, le bois, la craie
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été !


Ô temps charmants des brumes douces,
Des gibiers, des longs vols d'oiseaux,
Le vent souffle sous le préau,
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau !

[© René-Guy Cadou, in Les amis d'enfance, 1965]

 

 

Complément : portrait de René-Guy Cadou par Jean Follain

 

Un écho paru dans Le Figaro du 12 décembre 1966, à l'occasion d'une réception au Palais de Justice, annonce : "Le poète-magistrat, Jean Follain, nous fait part de son projet de publier en prose une série de portraits suggérés par le seul comportement des modèles, sans interprétation personnelle de l'auteur"…

 

Je le vois à Nantes au temps que la vraie guerre n'a pas encore débuté ; une menace diffuse pèse sur la ville des armateurs que va bientôt ensanglanter la mise à mort de nombreux otages. Nous nous asseyons sur des tabourets à la table de bois d'un de ces vieux estaminets du port où l'on se place l'un en face de l'autre, les yeux dans les yeux ; après, nous marchons longtemps portés par l'air marin. Son visage irradie, il y garde les modelés de l'enfance, mais ne s'en laisse jamais accroire. Poète instituteur, en velours de chasse, il ressent son appartenance à un terroir sans grâces de convention, mais dont il hausse les secrètes merveilles jour après jour découvertes à la mesure de l'universel. Il y a en lui quelque chose de direct, de profond, de joyeux ; il donne à une rencontre valeur d'événement ; s'il boit, c'est en tenant son verre bien en main. Il garde la certitude d'être pleinement au monde, l'âme bien chevillée au corps, pourtant il est condamné à une mort prématurée.

On imagine le maître d'école de la bourgade de Louisfert devant une fenêtre qui s'ouvre sur une étendue de jardins et labours s'élargissant jusqu'à l'horizon calme dans l'écoulement du temps ; il tient entre paume et pouce une rouge pomme à couteau. Alors, sa poésie arrête la haine, épuise toute parcelle de lumière, va et vient le long d'une route qui recueille l'empreinte de chaque pas comme un bienfait.

Il goûte la compagnie d'un ancien garde-chasse, d'un compagnon du Tour de France, il vit intensément sa solitude peuplée près d'Hélène aux gestes d'offrande. S'il n'aime guère venir à Paris, il demeure fervent de l'amitié et convie ses amis à de merveilleuses rencontres. Sur le tableau noir de la classe, il fait écrire à la craie par un enfant pieds dressés : "Follain est attendu pour Noël à Louisfert".

Sa dernière missive est une carte postale où il est photographié à côté de Max Jacob ; la pipe à la bouche, il sourit de toute la fraîcheur de l'adolescence. Max, retrouvant l'aspect d'un paysan breton, porte une de ces petites cravates dites "anguilles" : se manifeste la fraternité en poésie de deux générations.

 

[© Jean Follain, in Les uns et les autres, Rougerie, Ouvrage publié (septembre 1981) avec le concours du Centre National des Lettres]