Quand vous êtes malheureux, ne soyez pas jaloux du bonheur des autres. Si les autres étaient malheureux comme vous, en seriez-vous plus heureux ? Se guérit-on d'une maladie en souhaitant la même maladie à son voisin ?

 

Il y avait cinq minutes à peine que Francinet était là, lorsqu'une grosse voix rude lui cria :

- Eh bien ! paresseux, est-ce ainsi que tu gagnes la journée qu'on te paiera demain ?

Le jeune garçon honteux retourna à son moulin, osant à peine regarder le visage sévère du contremaître, qui venait de le gronder.

Il se remit à travailler, mais à contrecœur, et dès lors sa tâche lui devint lourde. La cave lui parut plus noire, les minutes lui semblèrent des siècles, et, dans l'ennui qu'il éprouvait, les aboiements de Phanor l'irritèrent, la gaieté de la petite fille lui sembla insupportable à voir.

En même temps son esprit mal disposé lui retraça les murmures contre les riches qu'il avait entendu faire bien des fois, en flânant dans la rue. La rue n'est pas une bonne école, et c'était merveille encore que Francinet fût resté aussi raisonnable qu'il l'était ordinairement. Mais en ce moment-là, il ne le fut guère, et il se laissa aller à un vilain sentiment de jalousie.

- Que je suis malheureux ! disait-il. Pourquoi cette petite fille a-t-elle de si beaux habits, des journées entières pour jouer, des domestiques pour la servir ; tandis que moi j'ai des haillons, je dois travailler sans relâche et déjeuner avec un morceau de pain sec ? Cela est bien injuste.

Puis il se rappelait qu'une fois le grand épagneul, étourdiment, était entré dans leur maison au moment où sa mère trempait la soupe ; et la veuve Boullin lui avait jeté un bâton à la tête, en criant :

- Veux-tu te sauver, paresseux de chien ! Tu es nourri mieux que nous, et tu voudrais nous dévaliser !

Une autre fois, la jeune maîtresse de Phanor, accompagnée d'une bonne, passait dans la rue sous la fenêtre de la veuve Roullin, et une voisine s'était méchamment écriée :

- Voyez ces riches, s'ils aiment à jeter l'argent ! Ils habillent de blanc cette petite fille, été comme hiver. Cela habitue mademoiselle à faire la dame, et pendant ce temps les pauvres n'ont pas de quoi se vêtir.

Tous ces souvenirs de paroles envieuses se pressaient dans la petite tête de Francinet. Comme il était à la fois mécontent de son sort, mécontent de lui-même, et fort blessé d'avoir été appelé paresseux par le contremaître, la colère fit naître en lui les plus méchantes pensées.