INSTRUCTIONS RELATIVES AU NOUVEAU PLAN D'ÉTUDES DES ÉCOLES PRIMAIRES ÉLÉMENTAIRES

 


(20 juin 1923)

 

[Suite et Fin]

 

VII. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES

 

Les conférences pédagogiques de ces dernières années ont attiré l'attention des instituteurs sur le caractère que doit revêtir à l'école primaire l'enseignement des sciences physiques et naturelles. À l'heure où la puissance économique de notre pays, affaiblie par la guerre, doit reprendre sa plénitude, l'enseignement scientifique, même élémentaire, ne saurait servir seulement à former les esprits, il doit armer les travailleurs, augmenter le rendement de leur activité productrice. Aussi, tout en conservant partout sa méthode, méthode expérimentale propre à éveiller et à entretenir la curiosité intellectuelle, doit-il s'adapter aux besoins divers de ses élèves et varier selon leur milieu, selon leur sexe et selon leur éventuelle profession. Ces idées, admises en général au cours des conférences pédagogiques, appliquées dans les programmes locaux qui ont été rédigés à la suite de ces conférences, sont consacrées par le nouveau plan d'études. Si, destiné à toutes les écoles de la République, il est obligé de s'en tenir à des généralités, il n'en ouvre pas moins la porte à toutes les initiatives, à toutes les adaptations particulières.

Dans toutes les écoles, à tous les cours, la méthode employée doit être une méthode fondée sur l'observation et l'expérience. C'est à dessein qu'on a effacé du programme le titre : "Sciences physiques et naturelles", pour le remplacer par cette expression "Leçons de choses, en classe et en promenade". Elle signifie que le livre ne doit jouer, dans cet enseignement, qu'un rôle secondaire. Elle signifie que le maître n'a pas à faire de cours : il doit, en classe et en promenade, faire observer et faire expérimenter. Nous pourrions appliquer à l'école élémentaire ce passage des Instructions du 30 septembre 1920 concernant les écoles primaires supérieures :

"Le maître s'attachera à multiplier les expériences et à les réaliser avec des objets usuels.... Il importe que les élèves soient amenés à considérer les faits de la vie courante comme les expériences les plus instructives et qu'apparaisse toujours à leurs yeux le lien étroit qui unit le travail fait en classe avec les réalités du dehors. Aussi est-ce de produits naturels, de phénomènes familiers, d'opérations banales, que le maître partira pour aboutir par l'expérience ou l'observation aux connaissances énumérées dans les programmes".

Les élèves prendront part, autant que possible, aux expériences en physique et en chimie, aux manipulations et aux dissections en histoire naturelle. Il ne sera pas toujours possible (pour diverses raisons) de leur laisser le rôle principal, mais, au moins, on devra éviter de leur parler de choses inconnues. Ils auront devant les yeux les objets ou les phénomènes à étudier. Ainsi, ils prendront l'habitude de voir, de fixer et de diriger leur attention, d'observer avec méthode, de préciser leurs constatations, d'imaginer parfois des expériences de contrôle. Un résultat sans prix sera obtenu s'ils arrivent à la notion essentielle des précisions numériques. Qu'ils apprennent, enfin, que les adverbes de quantité "un peu", "beaucoup"... sont bien vagues et bien insuffisants si on les compare aux expressions 1, 2, 3, 4...

Il faut que l'école forme, exerce, développe l'esprit d'observation de nos élèves.

Au cours supérieur lui-même, l'enseignement doit se garder de devenir abstrait et livresque. On remarquera que la nouvelle rédaction omet les mots de "pesanteur", "pression atmosphérique", "magnétisme", "électricité". Ce n'est pas qu'ils soient proscrits ; mais inscrits sur le programme, ces mots présentaient un double danger. Ils sont trop abstraits et trop généraux. Ils risquaient d'entraîner les maîtres à des développements de pure théorie. On a préféré le texte : "Expériences simples ayant pour centre l'étude de la balance, du baromètre, du thermomètre, de la boussole...". Préciser ainsi les instruments dont on fera usage, c'est marquer le caractère expérimental, le caractère de simplicité qu'il paraît essentiel de conserver à notre enseignement. C'est rester sur un terrain solide et bien limité.*

C'est sur le même terrain que l'on doit se tenir lorsqu'on aborde l'étude des êtres vivants. Les enfants apporteront en classe ou recueilleront en promenade les plantes et les animaux qui feront l'objet des démonstrations et des leçons. On bannira les classifications compliquées et l'on s'en tiendra aux grandes divisions du règne animal et du règne végétal : pour chacune d'elles, l'étude se fera sur un être pris pour type. On bannira de même tous les termes techniques qui ne sont pas strictement indispensables; on ne retiendra que ceux qui sont, pour ainsi dire, passés dans le langage courant ; il est inutile de parler d'androcée et de gynécée lorsqu'on peut dire : étamines et pistil. Simple et concret, tel doit être l'enseignement des sciences naturelles comme l'enseignement des sciences physiques.

Est-il nécessaire d'insister ? Et n'avons-nous pas partie gagnée ? Lors des conférences pédagogiques de ces dernières années, les maîtres de nos écoles n'ont-ils pas compris ou démontré eux-mêmes l'importance de la méthode expérimentale ? À l'heure actuelle, nombreuses sont les écoles où les exercices d'observation sont en honneur et où les enfants s'y livrent même en dehors des heures de classe. En dépit des préjugés, la classe-promenade tend à devenir une institution régulière. Très rares sont les écoles qui ne possèdent pas leur musée scolaire. Et, de plus en plus, on comprend que ce musée n'est pas une salle où l'on expose aux yeux des enfants, en les priant de n'y pas toucher, des objets plus ou moins extraordinaires. Un musée scolaire, c'est un petit laboratoire, c'est l'endroit où l'on range après la classe, les matériaux que les enfants ont manipulés, les appareils qu'ils ont fait fonctionner. On comprend aussi qu'un tel musée doit être bien pourvu et qu'il doit renouveler fréquemment ses collections. Partout se forment de petites sociétés scolaires qui ont pour but de l'entretenir et de l'enrichir. Nous ne saurions trop encourager les instituteurs à multiplier ces sociétés, les inspecteurs à en favoriser le développement. Elles fournissent le moyen de rénover notre enseignement scientifique élémentaire.

Partout expérimental, l'enseignement scientifique doit partout rester pratique. Plus que des principes, dont la démonstration passerait au-dessus de leur tête, ce sont des applications de la science à la vie que nous devons faire connaître à nos écoliers.

Certaines de ces applications sont d'un intérêt général et doivent être partout enseignées : telles sont celles qui ont trait à l'hygiène. L'hygiène doit être pratiquée avant d'être étudiée. Et elle doit continuer à être pratiquée lorsqu'on étudie les principes les plus simples. Si le plan d'études ne parle plus de la visite de propreté et d'autres exercices hygiéniques, il est loin de les proscrire. Au contraire, c'est pour éviter de donner une liste trop restreinte, et qui aurait pu paraître limitative, qu'on s'est borné à indiquer le caractère pratique de l'enseignement. Non seulement l'enfant doit arriver propre à l'école et compléter sa toilette avant l'entrée en classe, si elle est jugée insuffisante par le maître, mais il doit plusieurs fois par jour passer au lavabo ; il doit aussi prendre à l'école les habitudes de propreté que la famille ne connaît pas encore. C'est avec satisfaction que nous avons enregistré, lors des conférences pédagogiques de 1920, l'extension considérable qu'avait prise dans nos écoles l'usage de la brosse à dents. Il est nécessaire que le progrès accompli à ce moment soit non seulement maintenu, mais accentué. Il est nécessaire aussi que les enfants collaborent à l'entretien hygiénique de leur classe comme à l'entretien hygiénique de leur corps.

Puis, quand ils auront ainsi contracté de solides habitudes, l'âge étant venu auquel ils peuvent comprendre de modestes explications scientifiques, on leur donnera une nouvelle raison de pratiquer l'hygiène en leur montrant sur quelles lois scientifiques elle appuie ses préceptes. Le programme de cet enseignement théorique est plus bref dans le nouveau plan d'études que dans l'ancien ; les douze lignes relatives aux diverses boissons sont condensées en ces seuls mots : "dangers de l'alcoolisme". Ce n'est pas que l'on songe à réduire l'enseignement anti-alcoolique. Mais l'alcoolisme n'est pas le seul ennemi à combattre. Les maladies microbiennes ne sont pas moins redoutables. Si simple qu'il soit à l'école primaire, l'enseignement de l'hygiène doit donner une idée de toutes les luttes à soutenir pour la défense de la race.

Si les règles de l'hygiène sont à peu près partout identiques, il n'en va pas de même des autres applications des sciences aux besoins des hommes. Par suite, l'enseignement scientifique ne sera pas identique dans les écoles de garçons et dans les écoles de filles ; il ne sera pas identique dans les écoles des cités industrielles, dans les écoles des villages agricoles, dans les écoles de la côte et dans celles de l'intérieur.

Dans les écoles de filles, l'enseignement ménager doit occuper une place importante. Peut-être a-t-on exagéré lorsqu'on a réclamé une "journée ménagère" par semaine. Mais on peut, en combinant divers exercices inscrits au programme, consacrer chaque semaine à l'enseignement ménager et aux enseignements annexes une demi-journée. Inutile d'insister sur le caractère à la fois pratique et expérimental que doit revêtir cet enseignement : la théorie n'y apparaît que pour justifier la pratique. Elle peut aussi inspirer aux jeunes filles l'amour du foyer, en leur montrant que les opérations en apparence les plus humbles de la vie domestique se relient aux principes les plus élevés des sciences de la nature et que, pour reprendre le mot antique, il y a partout du divin.

Au cours supérieur, l'enseignement ménager comportera, deux fois par mois, une leçon de puériculture. Pour aider nos institutrices dans la préparation de ces leçons, le Comité national de l'enfance va rédiger un programme qui, sans entraver leur liberté, leur fournira d'utiles indications. En dehors des leçons, il faut prévoir, au moins deux fois par an, des visites de crèches ou de consultations de nourrissons, lorsqu'il en existera dans la localité. Les institutrices savent combien il importe au salut de la France de lui conserver ses enfants, de les entourer de soins intelligents, de les prémunir et de les défendre contre la maladie. Aussi apporteront-elles à l'éducation des futures mères de famille tout leur dévouement.

Dans les écoles rurales, on donnera un enseignement pratique et théorique de l'agriculture. Si, sur ce point encore, le nouveau programme est plus bref que l'ancien, il n'est pas moins impératif. Le jardin scolaire ne doit pas être laissé en friche. Il doit être cultivé, au moins en partie, par les enfants sous la direction du maître. Pour éviter les commentaires désobligeants dont la crainte paralyse trop souvent nos instituteurs, les produits du jardin cultivé par les enfants seront vendus au profit du musée scolaire. Mais à cet enseignement pratique doit se joindre un enseignement théorique très simple, qui portera principalement sur les questions d'ordre scientifique que l'agriculture ne saurait résoudre par le pur empirisme. Si l'on veut vaincre les préjugés qui empêchent l'enseignement agricole de se développer, il faut fournir aux habitants de la campagne des preuves indubitables des services que cet enseignement peut leur rendre, des additions qu'il peut apporter aux connaissances qu'ils tirent eux-mêmes de leur expérience et de leurs traditions.

Agricole à la campagne, l'enseignement scientifique se fera industriel à la ville. Il continuera à donner aux marins et aux pêcheurs les notions prévues par l'arrêté du 20 septembre 1898. Il s'adaptera partout au milieu. Sans renoncer nulle part aux vérités élémentaires qui sont indispensables à tous, il cessera d'être encyclopédique. À ce point de vue comme à d'autres, nous avons le devoir d'accentuer l'orientation donnée à l'enseignement scientifique par les conférences pédagogiques de 1919 à 1922.

* L'enseignement scientifique comporte, en moyenne, un quart d'heure par jour au cours préparatoire, un peu plus au cours élémentaire, une demi-heure au cours moyen et au cours supérieur. Mais il a été entendu, au Conseil supérieur, que, pour donner aux maîtres le temps de faire des expériences, on pourrait diminuer le nombre hebdomadaire des leçons, et allonger leur durée.

 

 

VIII. DESSIN

 

L'enseignement du dessin demeure régi par les principes adoptés en 1909. C'est le programme du 27 juillet 1909 qui demeure presque textuellement celui du 23 février 1923. Aussi nous bornerons-nous à résumer, en reprenant leurs expressions mêmes, les instructions qui accompagnaient le programme de 1909. Nous n'y apporterons que quelques retouches.

Les principes de cette réforme étaient au nombre de trois :

"Premier principe : la liberté. Chez l'élève, liberté du sentiment et de l'interprétation. Chez le maître, liberté d'action, encouragement à l'initiative.

"Second principe : le dessin est moins étudié en lui-même que pour les fins générales de l'éducation. Tout ce qui l'incorporera à la matière des études primaires et le mêlera à la vie intellectuelle de l'école répondra au but visé : faire du dessin non pas un art d'agrément, mais un facteur de culture et comme un stimulant pour le jeu normal de l'imagination et de la sensibilité.

"Troisième principe : la nature prise pour guide, aimée pour elle-même, traduite directement et naïvement. La nature est concrète. Le dessin ne doit pas être abstrait.... Aucune pratique géométrique ne devra s'interposer entre l'enfant et l'objet naturel qu'il dessine. Bien voir d'abord le réel, le sentir et le rendre ensuite avec sincérité, telle doit être la seule préoccupation de l'élève en face de la nature qui, sous mille aspects, reste le modèle éternel.

"D'où il suit que le maître, s'il comprend sa tâche d'éducateur, se subordonnera, lui aussi, à ces trois principes : respect de la vision et du sentiment propre à chaque élève ; combinaison et collaboration entre l'étude du dessin et les travaux des autres classes ; rejet de toute théorie pédagogique étrangère au dessin lui-même qui, sous prétexte d'aider l'œil et la main, endort l'un et l'autre, engendre la routine, et rend mort-né le plus vivant des enseignements.

"En résumé, le bon maître devra exciter plus que critiquer, suggérer plus que corriger, proposer plus qu'imposer, se régler sur l'allure de ses élèves et s'adapter à leur mesure, au lieu de les régler tous uniformément sur la sienne".

Comment ces principes s'appliquent-ils aux différents exercices de la classe de dessin ?

Dessins libres. - "La seule instruction à donner aux maîtres et aux maîtresses des sections préparatoires, c'est de favoriser par tous les moyens l'instinct qui pousse les enfants à dessiner. Laissez-les couvrir de leurs crayonnages fantaisistes leurs ardoises ou leurs cahiers : ils aiment à se raconter de petites histoires ou à se rappeler des spectacles familiers. Poussez-les à dessiner les anecdotes et les historiettes dites en classe. Pas de conseil à leur donner, pas de critique à leur faire, si ce n'est de familières remarques sur les très gros défauts d'observation. Encore ne faut-il pas en abuser".

Représentation d'objets. - À la fin de l'année de cours préparatoire, on proposera aux enfants la représentation d'objets usuels très simples. Mais "qu'ils aient l'objet lui-même sous les yeux ; l'objet ne doit jamais être dessiné d'avance au tableau comme un modèle à copier".

"Par des exercices appropriés, on habituera l'enfant à regarder l'objet attentivement pour discerner les formes réelles des formes apparentes : une table a quatre pieds et sous un certain angle elle parait n'en avoir que trois ; des remarques suscitées par le maître doivent donc précéder les exercices graphiques, car l'œil n'est qu'un instrument dont il faut diriger l'apprentissage, et la leçon de dessin aux tout jeunes enfants comprendra deux parties : l'observation d'abord, l'exécution ensuite".

Au cours élémentaire, on poursuivra ces exercices. Mais on aura soin - nous nous écartons ici des instructions de 1909 - on aura soin de choisir pour modèles des objets qui, pour être usuels, n'en présenteront pas moins, quelque valeur esthétique. Peut-être a-t-on abusé, dans ces dernières années, en dessin comme en composition française, des modèles sans beauté. Il n'est pas plus intéressant pour l'écolier de dessiner son porte-plume que de le décrire. L'art est un langage. Pour qu'un objet vaille la peine d'être dessiné, il faut qu'il ait pour le jeune dessinateur une signification, qu'il corresponde à un sentiment, qu'il soit pour lui symbolique ou poétique. Tâchons de trouver, dès le cours élémentaire, des modèles assez beaux pour inspirer à nos jeunes artistes le désir de reproduire leurs formes.

Au cours moyen, les exercices sont du même ordre qu'au cours élémentaire, mais les modèles seront un peu plus difficiles. Et surtout il convient que, petit à petit, le maître amène l'élève à serrer de plus près la représentation des objets. Quelques indications générales sur la perspective peuvent ici trouver leur place. Il est bien entendu qu'il ne s'agit aucunement de démontrer aux enfants des théorèmes de perspective, mais seulement d'appeler leur attention sur les phénomènes principaux de la perspective et leur donner les moyens de les contrôler.

Au cours supérieur, les modèles seront choisis parmi les êtres vivants : lézards, escargots, papillons, insectes, étoiles de mer, coquillages, tiges, feuilles, bourgeons, fleurs, fruits, graines etc. On pourra même proposer aux élèves de prendre comme modèles un ou plusieurs de leurs camarades dans des attitudes simples. On ajoutera à ces exercices des notions sommaires sur la perspective, au moyen de solides géométriques qu'un maître ingénieux confectionnera aisément avec du carton s'il ne possède déjà ces modèles pour le cours de géométrie. Ces solides serviront alors pour les démonstrations. Moyens pratiques d'apprécier la pente apparente des lignes vues en perspective. Carton ouvert présenté verticalement, puis horizontalement, puis obliquement. Décorer les surfaces de ce carton et faire observer les apparentes déformations perspectives de ces surfaces, etc.

Chaque année deux ou trois leçons seront consacrées à ces démonstrations. Les explications théoriques très élémentaires de perspective qui seront données n'ont pour but que de rendre plus sensible l'observation faite directement d'après nature des effets de la perspective. On invitera les élèves à choisir eux-mêmes et à dessiner des objets présentant les particularités perspectives signalées dans ces leçons. Ces travaux d'application pratique seront faits partie en classe, partie à la maison.

Dessin de mémoire. - "Il conviendrait de les multiplier dès le cours élémentaire. Il est tout à fait nécessaire de cultiver la mémoire des formes. Tantôt l'exercice portera sur des objets déjà dessinés en classe d'après nature. Tantôt les croquis de mémoire seront faits d'après des choses vues, mais non préalablement dessinées. On ne cherchera pas à obtenir, dans ces dessins de mémoire, une reproduction minutieuse et une exactitude photographique. Il suffira que l'objet reproduit, lestement exécuté, se présente avec ses traits distinctifs, sa physionomie. L'idée du caractère d'un objet se gravera ainsi dans l'esprit. Une fois exercé, l'œil s'habituera vite à le démêler. Rien n'est plus essentiel pour acquérir peu à peu la pratique du croquis".

Illustration de devoirs. - Dès le cours préparatoire, on peut engager les enfants à rendre compte par un dessin des récits qu'ils viennent d'entendre. Dès le cours élémentaire, on leur recommandera d'illustrer leurs devoirs à leur fantaisie. Il y a beaucoup de chances pour qu'un devoir illustré par l'enfant soit un devoir qui l'intéresse et lui profite.

Au cours moyen, la collaboration entre le dessin et les autres études deviendra plus étroite. "Les programmes d'histoire, de français, de sciences naturelles abondent en thèmes de représentations animées et en matière à illustrations. En Gaule, et pour l'histoire de France, cent épisodes intéressent l'imagination des enfants, depuis le vase de Soissons jusqu'aux costumes et aux mœurs de la chevalerie. En français, les fables de La Fontaine et de Florian, les récits de prosateurs et de poètes classiques, les sujets traités en classe sur l'école, la famille et la maison, la ville, les métiers, la campagne, le labour, la moisson, les vendanges, etc. ; les contes populaires, Cendrillon, le Petit Poucet, l'Oiseau bleu, Malborough, etc. Et aussi des dessins rappelant le souvenir de choses vues, courses d'automobiles, de bicyclettes, la récréation, la pêche à la ligne, la baignade, une partie de bateau, etc.

"Afin de prévenir la copie servile d'images, on peut demander aux élèves de situer les scènes dans un paysage de la région.

"Il ne s'agit pas ici de prescrire ou d'espérer des tableaux d'histoire et de genre, mais d'exercer l'imagination, d'aiguiser l'esprit, de provoquer la verve. L'expérience a prouvé que ces exercices mettent souvent au jour des qualités natives d'observation, de comique ou de finesse, qui jusqu'alors ne s'étaient point révélées.

"Sans doute beaucoup de ces essais ne seront que de grossières ébauches ; plusieurs cependant offriront de l'intérêt, et tous seront distincts comme les esprits mêmes dont ils émanent. Un maître, tant soit peu observateur, tirera bon profit de ces indications ; il connaîtra mieux ses élèves après que ceux-ci auront dessiné en liberté. Le dessin d'imagination est une contribution de premier ordre apportée à ce qu'on appelle la "psychologie de l'enfant".

Modelage. - Le modelage sera abordé à la fin du cours préparatoire. "On donnera à chaque enfant un morceau de matière plastique qu'il pétrira et modèlera d'abord à sa fantaisie. On leur montrera ensuite à modeler des formes très élémentaires d'après des objets simples ou des éléments naturels.

"La pratique du modelage, du moins dans les limites où elle doit se renfermer à l'école primaire, ne présente aucune difficulté sérieuse. Le matériel se compose d'une petite planchette et d'ébauchoirs que l'élève peut confectionner lui-même ; le matériel de la classe consiste en une simple caisse contenant la matière plastique utilisée, argile, cire ou plastiline ; suivant les ressources locales et ses convenances personnelles le maître adoptera l'une ou l'autre de ces matières. La glaise est le moyen le plus pratique, malgré les inconvénients qu'il semble présenter de prime abord. Une caisse en bois rendue étanche par des plaques de zinc dont on la revêt intérieurement, permet de conserver l'argile à l'état malléable ; quelques linges humides suffisent. Dans la classe, avec quelque habitude et de la discipline, on obvie facilement aux inconvénients inhérents au maniement de la terre. Dans les débuts, pour familiariser les élèves à cette pratique, le maître exerce d'abord des groupes peu nombreux, et ce n'est que successivement que la classe entière prend part aux exercices. On peut en faire une récompense".

Aux cours préparatoire, élémentaire et moyen, "les exercices de modelage sont exécutés en une séance ; on ne demande aux élèves que des ébauches qui correspondent aux croquis traités en dessin. Il n'y a donc pas lieu de se préoccuper de la conservation des travaux ; ceux-ci sont détruits à la fin de chaque séance et la terre remise au baquet. Plus tard, s'il y a intérêt à faire pousser une étude de modelage et que ce travail nécessite plusieurs séances, les élèves intéressés recouvrent leur œuvre de chiffons mouillés pour l'entretenir à l'état malléable".

Arrangements décoratifs. - C'est seulement au cours moyen et au cours supérieur qu'apparaissent les arrangements décoratifs.

"Ces travaux seront exécutés partie en classe, partie hors la classe. Suivant les sujets, les compositions peuvent être exécutées soit en dessin, soit en modelage. Dans les écoles de filles, on choisira de préférence des sujets pouvant s'appliquer à des ouvrages féminins et, autant que possible on fera exécuter quelques-unes de ces compositions en broderie, en dentelle, au crochet, en étoffe appliquée, etc.

"Sur un croquis schématique ordinaire ayant pour base une combinaison géométrique simple (carrés, cercles, bordures, entrelacs, lettres ornées, etc.), croquis tracé au tableau par le maître, et indiquant les dispositions générales de la composition, les élèves composent un arrangement personnel en combinant les éléments qu'ils groupent suivant le choix la répétition, le contraste et la couleur qui leur conviennent. Ne pas considérer comme fautes l'inexpérience et la naïveté ; ne pas trop réprimer l'exubérance sous prétexte de sobriété ni le coloriage excessif sous prétexte d'harmonie. L'enfant naît coloriste, la couleur est une des joies de son œil, la lui accorder dans la plus large mesure. Pour corriger l'élève, se pénétrer de ce qu'il a rêvé de faire, plutôt que de marquer l'imperfection de ce qu'il a fait. La meilleure critique n'est pas celle qui démolit, mais celle qui utilise, amende et complète".

Il va sans dire, ajouterons-nous, que ces conseils ne doivent pas être interprétés comme une sorte d'encouragement aux tentatives de mauvais goût. Il faut habituer peu à peu l'enfant à trouver son plaisir non dans les couleurs les plus criardes, mais dans leurs combinaisons les plus harmonieuses. N'oublions pas que l'art français, comme l'art grec, est fait de mesure et que nous n'avons aucun intérêt à abandonner notre traditionnelle conception de la beauté.

Dessin géométrique. - Les instructions accompagnant l'arrêté du 27 juillet 1909 s'expriment sur le dessin géométrique, dans les termes suivants :

"Cours moyen. - L'exercice du dessin géométrique est plus spécialement destiné aux écoles de garçons. Au cours moyen on fera comprendre aux élèves l'usage de la règle, des compas, de l'équerre et du rapporteur. Ils pourront en faire l'emploi pour des exercices au tableau.

"Éléments du dessin géométral. - Quelques explications, avec dessins à l'appui, sur les projections des solides dont il a été question au cours de géométrie.

"Applications pratiques. - Dessins en géométral d'objets simples présentant les particularités signalées. Exercices de croquis cotés relevés par les élèves eux-mêmes sur des objets simples.

"Cours supérieur. - On développera l'étude des éléments du dessin géométral commencée au cours moyen. Les exercices de tracés géométriques, faits seulement au tableau, dans le cours moyen, sont maintenant exécutés sur le papier avec l'aide d'instruments.

"Nombreux croquis avec cotes relevées par l'élève lui-même et quelques mises au net de ces croquis. Représentation géométrale de solides géométriques et d'objets simples, tels que outils, assemblages de charpente et de menuiserie, dispositions extérieures d'appareils de pierres de taille, grosses pièces de serrurerie, meubles les plus ordinaires, etc. Tous ces exercices doivent être faits d'après nature. Toutefois, il est utile que le maître indique, par quelques croquis tracés au tableau, la façon de procéder".

Il ne semble pas que ces instructions aient suffisamment retenu l'attention du personnel. N'a-t-on pas, très souvent, reproché à la réforme de 1909 d'avoir oublié le dessin géométrique ? En tout cas, nous ne saurions l'oublier aujourd'hui. Trop important est son rôle dans l'éducation générale et dans l'éducation professionnelle ; trop étroits sont ses rapports avec l'enseignement des sciences et de leurs applications. On peut même se demander s'il ne conviendrait pas de réserver au dessin géométrique la moitié du temps assigné à l'enseignement du dessin. Toutefois, l'importance relative du dessin artistique et du dessin géométrique pouvant varier suivant les régions, le premier devant primer le second dans celles où prospèrent les industries artistiques, et le second devant primer dans celles où fleurissent les industries mécaniques, nous ne croyons pas devoir imposer aux maîtres une réglementation uniforme. L'essentiel est que, partout, on fasse au dessin géométrique, auxiliaire précieux de l'enseignement scientifique et instrument indispensable en maintes professions, toute la place qui lui est due à ce double titre.

 

 

IX. TRAVAIL MANUEL

 

Le travail manuel est admis, depuis quarante ans bientôt, parmi les disciplines de l'enseignement primaire. Mais, quel que soit l'intérêt qu'il présente, soit au point de vue de l'éducation générale, soit au point de vue de l'éducation professionnelle, on ne peut pas dire que, sauf dans les écoles maternelles et les écoles de filles, il soit très régulièrement pratiqué.

Pourquoi cette innovation de la génération qui nous a précédés n'a-t-elle pas eu plus de succès ? C'est d'abord parce que l'ancien plan d'études, trop exigeant pour cet enseignement, réclamait pour lui trop de temps : deux ou trois heures par semaine pour les garçons comme pour les filles, cela parut excessif, dès l'origine, à la plupart des maîtres. Les conférences pédagogiques de 1921, qui ont étudié la question, ont été unanimes à demander que cet horaire fût réduit. Le nouvel emploi du temps donne satisfaction à ce désir : il ne prévoit plus pour le travail manuel qu'une heure et demie au cours préparatoire ; au cours élémentaire, une heure dans les écoles de garçons, et une heure et demie dans les écoles de filles ; au cours moyen, une heure pour les garçons et deux heures pour les filles ; au cours supérieur, une heure et demie pour les garçons et deux heures pour les filles. Si l'on remarque que certains exercices pourront être exécutés dans les classes de géométrie, dans les classes de sciences physiques et naturelles, dans les classes de dessin, on ne sera pas tenté de croire que nous faisons à cet enseignement une part trop petite. Et, d'autre part, en réduisant d'un tiers ou de moitié l'horaire que lui assignait l'ancien plan d'études, nous avons la certitude de supprimer un des obstacles qui nuisaient à son succès : il sera d'autant plus en honneur qu'il portera moins ombrage aux autres disciplines.

Il leur portera d'autant moins ombrage qu'il s'associera plus étroitement à elles. Cette étroite association, le nouveau programme cherche à la réaliser. Et, sur ce point encore, il se conforme aux vœux des conférences de 1921. Si l'enseignement du travail manuel n'est plus considéré comme une partie de l'éducation physique, s'il est placé, dans le nouveau plan d'études, immédiatement après le dessin, ce n'est pas seulement parce qu'il est par nature inséparable du dessin, c'est aussi parce que, comme le dessin géométrique, il se relie intimement à l'enseignement scientifique.

Dès le cours préparatoire, jusque dans les jeux, qui constituent pour les enfants de six ans l'essentiel du travail manuel, apparaît le souci de lier cet enseignement à celui de l'arithmétique : les petits travaux de découpage serviront à la représentation des nombres. Au cours élémentaire, les exercices habitueront les enfants aux figures géométriques : on construira des figures planes, on les combinera, on les décomposera en leurs éléments, on les superposera. Et de ces différentes opérations résultera une connaissance concrète des vérités géométriques élémentaires, la première révélation de ces vérités, qu'ils apprendront ensuite à abstraire et à généraliser. Au cours moyen, le travail portera sur des figures géométriques plus compliquées, sur des solides ; mais le même profit sera tiré de cette alliance des deux disciplines : quiconque sait avec quelle difficulté les enfants et même les jeunes gens se représentent les figures géométriques "dans l'espace" comprendra de quel secours peuvent être pour l'enseignement mathématique des exercices ayant pour objet la construction matérielle de ces figures.

En même temps qu'à l'étude des mathématiques, le travail manuel s'alliera à l'enseignement des sciences expérimentales ; c'est dans les séances de travail manuel qu'on exécutera les petits instruments qui serviront aux modestes expériences de physique et de chimie inscrites au programme du cours moyen, et les élèves attacheront d'autant plus de prix et d'importance à ces expériences qu'ils y auront davantage collaboré, qu'ils auront réuni et assemblé les matériaux très simples (morceaux de bois ou de fer, flacons, boîtes, bobines, etc.) dont seront composés ces appareils. Au cours supérieur, ces travaux seront poursuivis ; ils pourront être d'une difficulté un peu plus grande qu'au cours moyen ; on donnera aux enfants, par la pratique, une idée des appareils électriques les plus simples. Ainsi, l'enseignement du travail manuel, loin d'être en marge des autres, constituera, par son alliance avec le dessin et avec l'enseignement scientifique, un instrument précieux de culture générale.

Mais ce n'est pas à dire qu'il ignorera les réalités de la vie et les besoins immédiats de nos écoliers. Au contraire. Le Conseil supérieur a tenu à marquer nettement, par des indications précises et répétées, le caractère pratique qu'il entendait donner à cette discipline : elle doit être une "préparation à la vie courante". Elle jouera d'autant mieux ce rôle qu'elle habituera davantage les enfants à accomplir des actes et à réaliser des objets dont l'utilité, dans la vie courante, sera plus manifeste. Le programme élimine, autant que faire se peut, les exercices qui n'aboutissent pas à un résultat pratique, ces exercices, dits "éducatifs", bien que leur valeur éducative soit des plus contestables, qui donnent à l'enfant l'impression que son effort, interrompu avant l'heure, est fatalement vain. II a semblé, au contraire, qu'il fallait donner aux élèves l'habitude d'aller jusqu'au bout de leur tâche, de persévérer jusqu'à la production d'un acte ou d'un objet achevé. S'il est vrai qu'on ne peut aborder du premier coup les tâches les plus compliquées et les plus difficiles, peut-être n'est-il pas nécessaire d'y préparer l'enfant par ces besognes fragmentaires ; ne peut-on procéder à cette préparation en lui faisant accomplir un travail qui, pour être plus simple, n'en sera pas moins un travail complet ? Voilà pourquoi, dès le cours préparatoire, le programme invite les maîtres à faire "confectionner des objets et des jouets variés" ; objets et jouets très simples, confectionnés avec des matériaux qu'on aura sous la main, mais qui raviront d'autant plus l'entant qu'ils seront son œuvre. Il suffit de visiter une bonne école maternelle - ou mieux, une exposition de travaux d'écoles maternelles - pour savoir quelle est l'infinie variété des jouets et des objets qui y sont fabriqués par les enfants, quelle est la richesse d'imagination des maîtresses et de combien elle dépasse, tout en s'en inspirant, les créations les plus ingénieuses des auteurs de systèmes pédagogiques à l'usage de la première enfance. À cette fécondité ne saurait succéder immédiatement la stérilité ; les maîtres du cours préparatoire doivent faire fabriquer des objets et des jouets un peu plus difficiles, mais non moins variés que ceux des écoles maternelles.

Au cours élémentaire, la difficulté augmentera d'un degré, mais le but de l'enseignement ne changera pas. C'est à dessein que le programme ne donne pas une liste des objets qui peuvent être confectionnés ; ils varieront suivant la nature des matériaux que le maître pourra se procurer, suivant les usages locaux, suivant l'habileté relative des élèves. De même, il ne faut pas prendre pour une liste limitative celle des actes dont le programme conseille de donner l'habitude aux enfants : c'est à titre d'exemples qu'ils sont fournis. Certes, le Conseil supérieur tient essentiellement à ce que nos garçons sachent "coudre un bouton, faire un paquet, couvrir leurs cahiers et leurs livres". Mais il tient surtout à ce que les maîtres s'ingénient pour multiplier, dans leurs leçons de travail manuel, les opérations de cette nature : il s'agit de délier les doigts et d'assouplir les esprits afin que, dans toutes les circonstances de la vie, nos élèves sachent par eux-mêmes se tirer d'embarras : il s'agit de leur donner cette habileté pratique sans laquelle on est si souvent mécontent de soi-même et à charge aux autres. Les instituteurs trouveront dans mainte publication récente des listes très abondantes d'exercices de "débrouillage". Au cours des conférences pédagogiques de 1921, il en a été dressé de très complètes et de très intéressantes. Nul doute qu'en choisissant les plus simples de ces exercices pour le cours élémentaire et en graduant les difficultés, on n'arrive à constituer partout des programmes de travail manuel qui seront d'une réalisation aussi utile qu'agréable, pour les maîtres comme pour les élèves. À ce moment, on s'étonnera d'avoir si longtemps négligé un enseignement aussi important et aussi attrayant. Et nous assisterons à sa résurrection.

Au cours moyen et au cours supérieur, le caractère pratique de l'enseignement du travail manuel s'accentue du fait qu'il devient une préparation directe, bien que lointaine, à la vie professionnelle. On se bornera à donner aux enfants des "notions sur les outils usuels". Entendez : "notions pratiques" ; il ne s'agit pas de faire un cours sur le marteau et sur les tenailles. Autant que possible, les "outils usuels" seront placés sous les yeux, et s'ils ne sont pas trop lourds ou trop dangereux, entre les mains des enfants. Il ne sera pas mauvais de leur faire deviner combien l'invention de ces outils, qui leur paraissent simples parce qu'ils sont usuels, a demandé d'efforts à l'humanité ; on pourra les comparer aux outils des premiers hommes ou des êtres que nous appelons les premiers hommes, bien que leurs arts révèlent déjà de longs efforts et de patients progrès. Ces vues ne pourront manquer d'inspirer aux enfants le respect de l'outil et le respect du travail.

Au cours supérieur, les enfants, devenus plus âgés et plus vigoureux, pourront "manier les outils" et s'en servir pour des travaux utiles. Dans l'école même, ils auront l'occasion fréquente d'acquérir de l'habileté par de menus travaux d'entretien ou de réparation. Si l'école possède un atelier, ils feront d'une manière plus précise leur éducation professionnelle. Bien que le programme ne vise, à ce "chapitre", que les travaux industriels, on ne doit pas oublier que la nature de ces travaux variera selon que l'école sera urbaine ou rurale. Sans doute, le futur ouvrier agricole ne sera pas exclusivement astreint au travail du jardin ou du champ d'expériences ; il sera initié à ces travaux d'atelier sans lesquels il serait incapable de réparer sa bêche ou sa charrue. Mais il n'en est pas moins vrai que le futur ouvrier d'usine devra consacrer plus de temps à l'atelier scolaire ou, s'il n'existe pas d'atelier, aux travaux manuels en relation directe avec son métier éventuel. Il ne sera pas plus exclu du jardin scolaire que son camarade de l'école rurale ne sera exclu de l'atelier. Mais, dans le dosage des exercices, l'instituteur rural fera la part plus grande à ceux du jardin, l'instituteur urbain à ceux de l'atelier. Même dans l'enseignement du travail manuel, on ne saurait créer une sorte de divorce entre l'école rurale et l'école urbaine. Mais, en cette matière peut-être plus qu'en toute autre, il est nécessaire de faire subir aux programmes des modifications suivant les milieux et suivant la profession probable des écoliers.

De plus en plus s'affirme l'opinion que l'école peut et doit contribuer à la solution du problème de l'apprentissage. Certes, l'idée ne peut venir à l'esprit d'aucun instituteur d'apprendre à un enfant de moins de treize ans un métier déterminé : ce serait, par une spécialisation prématurée, le condamner à n'en plus sortir, même si ses aptitudes et ses goûts véritables lui inspiraient plus tard d'autres désirs. Mais on peut du moins le familiariser avec les circonstances dans lesquelles il exercera vraisemblablement son métier. Tout métier exige une éducation du cerveau qui conçoit et dirige, une éducation des sens, et plus particulièrement de l'œil et de la main, qui doivent être les serviteurs exercés du cerveau. C'est cette éducation que l'école primaire doit fournir aux travailleurs. C'est elle qui leur permettra d'obtenir de leurs bras leur rendement maximum. C'est elle qui décuplera la puissance et la prospérité de la France.

Écoles de filles. - Comme dans les écoles de garçons, le travail manuel, dans les écoles de filles, comporte deux catégories d'exercices : ceux qui servent à faciliter ou à corroborer l'enseignement scientifique, ceux qui constituent une préparation à la vie. Nous n'avons pas à revenir sur les premiers : les instructions qui les concernent visent naturellement toutes les écoles, quel que soit le sexe de leurs élèves. Mais les exercices qui préparent à la vie et à la profession ne sont pas les mêmes pour les filles que pour les garçons. C'est sur ces exercices que nous allons attirer l'attention des institutrices.

Elles remarqueront certainement que le nouveau programme est plus simple que l'ancien. Le Conseil supérieur a tenu à éliminer des exercices qui - l'expérience l'a démontré - sont trop difficiles pour des fillettes d'âge scolaire. Pour que l'enseignement soit efficace, il faut qu'il se tienne à la portée des élèves. On aurait donc tort de croire que, si le nouveau programme est plus court, c'est que l'enseignement est jugé moins important. Bien au contraire. Nous savons que le travail manuel, en dehors des résultats précieux qui lui sont propres, contribue à l'éducation intellectuelle et à l'éducation morale : malavisée, serait, à notre estime, l'institutrice qui le sacrifierait à des exercices soi-disant plus éducatifs.

Le travail manuel a naturellement pour but principal de développer l'habileté de la main. Mais la main ne devient habile que si elle est conduite par un esprit attentif, et l'attention de l'enfant ne se fixe que sur un travail qui lui plaît. Il est donc nécessaire de lui proposer un travail agréable. Nous n'entendons pas par là un travail qui ne soit qu'un jeu et qui ne sollicite aucun effort. Ce serait une erreur de croire que l'enfant normal répugne à l'effort quand celui-ci est en rapport avec ses moyens et qu'il entrevoit la joie de la réussite et de la difficulté vaincue. À l'école maternelle, les enfants confiés à des institutrices qui s'inspirent de méthodes actives, apportent à leur occupation une application extraordinaire, acharnée chez certains, prolongée bien au-delà des dix à quinze minutes pendant lesquelles, quand il s'agit d'exercices moins concrets, on a tant de peine à fixer leur esprit. La méthode qui donne des résultats remarquables à l'école maternelle doit, autant que possible, être adaptée aux petites classes : aussi serait-il bon de n'y pas faire des séances de travail manuel trop brèves, et de laisser aux enfants une certaine liberté de choix. Il ne peut être de bonne pédagogie d'interrompre des enfants en pleine activité d'esprit pour les faire changer d'exercice ; on brise leur effort d'attention et on leur donne l'habitude de ne rien poursuivre jusqu'au bout.

Pour la même raison, dès que les fillettes abordent, avec un crochet d'os ou de bois, les travaux qui leur sont propres, il convient de leur faire exécuter des objets dont elles aperçoivent l'utilité et qui pourront être rapidement menés à bonne fin : on appellera cachez-nez pour la poupée la bande au crochet avec laquelle l'enfant apprend à faire la demi-barrette et la barrette et à "tourner" son ouvrage. En quelques séances, le travail sera terminé ; l'enfant n'aura pas le temps de s'en lasser ; elle le conduira jusqu'au bout avec intérêt. On doit toujours exiger qu'un travail commencé soit achevé : on fait ainsi l'éducation de la persévérance.

Les mêmes principes trouvent leur application quand la fillette au cours élémentaire aborde le tricot et la couture. Le maniement des aiguilles (en bois et avec une boule à une extrémité) est plus délicat que celui du crochet : mais les enfants ont déjà une certaine habileté, et quand elles auront jusqu'à huit ans conduit de petits travaux aux aiguilles analogues à ceux qu'elles ont faits précédemment au crochet, elles pourront entreprendre un vrai travail : cache-col, petite écharpe, petit jupon de dessous. Ce travail leur sera confié pour être continué à la maison, et par conséquent les heures qu'on y consacrera à l'école seront diminuées d'autant. On profitera de ces travaux pour donner aux petites filles une leçon de goût dans le choix des couleurs et, s'il y a lieu, dans leur assemblage.

Mais si intéressante que soit pour une femme la connaissance du crochet et du tricot en vue de la confection du vêtement de laine, cette connaissance a bien perdu de son importance par suite de l'abondance des produits manufacturés. La couture, au contraire, garde tout son intérêt pour la future ménagère, et c'est elle qui doit prendre la première place dans le travail manuel des filles. Dans cet enseignement, comme dans les précédents, il faut viser très vite au travail utile. Dans les campagnes comme dans les villes, beaucoup de femmes ne sauront jamais, en fait de couture, que ce qu'elles auront appris à l'école. Aussi le raccommodage économique doit-il être abordé aussitôt que possible, ainsi que la confection d'objets simples.

Après une série d'exercices sur canevas et grosse toile destinés à apprendre les points divers, on demandera aux enfants d'apporter une pièce à ourler : mouchoir, torchon, etc. (il n'est pas nécessaire que ce soit neuf). On apprend aussi bien à faire un ourlet sur un linge utile que sur un morceau sans utilité. On apprendra à poser une attache à un essuie-mains ; on recoudra les boutons et les agrafes ; la maîtresse ne tolérera pas de tabliers ni de robes tenus avec des épingles. La classe peut avoir sa boîte de boutons, alimentée par les trouvailles des enfants : elle fournira, pour ces menues réparations, tous les genres courants.

En même temps, les enfants apprendront à marquer sur canevas les lettres de leur nom et de leurs prénoms. On perdrait beaucoup de temps si l'on faisait exécuter par les enfants un alphabet complet au point de croix. Quand on a fait une lettre aux jambages droits, une aux jambages obliques, une aux formes arrondies, on sait les faire toutes, et avec elles tous les chiffres. On trouve d'ailleurs dans le commerce de petits albums d'alphabets qu'il est très facile de copier.

Au cours moyen, les exercices divers sont continués et, à condition que la couture ne soit pas négligée, les fillettes pourront avoir une certaine liberté dans le choix de leur travail. On n'éternisera pas une enfant habile sur des exercices qu'elle exécute bien, sous prétexte que des maladroites n'y réussissent pas. Elle pourra donc, si elle a un petit frère, confectionner, en collaboration avec sa mère, qui se réserverait les parties les plus délicates ou avec une plus grande élève déjà experte, des pièces de lingerie enfantine. C'est à l'institutrice de suggérer aux enfants le travail utile et intéressant auquel elles pourraient collaborer.

Au cours moyen, on aborde la reprise sur tricot, autrement dit le raccommodage de bas. Je voudrais que, lorsqu'une fillette a des bas neufs, elle apprît, avant tout usage, à les "garnir ", comme faisaient nos mères, c'est-à-dire à renforcer les talons. Cet exercice lui apprendrait à faire régulièrement le point de reprise qu'elle appliquerait ensuite aux trous, bien plus difficiles à réparer. D'ailleurs, on pourrait enseigner aux enfants à éviter les trous : il suffit pour cela, quand une paire de bas a été lavée, de la visiter soigneusement et d'en renforcer tous les "clairs". Les enfants doivent être amenés à sentir que porter des vêtements déchirés ou troués, même "si cela ne se voit pas", c'est se manquer de respect à soi-même.

Au cours supérieur, l'étude de la fronce et du pli permettra aux enfants d'entreprendre de petits vêtements ou pièces de trousseaux, robes et tabliers d'enfants très simples, petites blouses, objets de lingerie. L'institutrice aura à cœur de faire pénétrer dans l'esprit de ses élèves cette idée qu'une lingerie bien cousue, de bonne étoffe, d'une coupe pratique, ornée de festons ou de petite dentelle solide, et, contrairement aux modes actuelles contribuant à vêtir, est plus hygiénique, de bien meilleur goût, plus vraiment élégante, et beaucoup plus économique qu'une lingerie ornée de broderies grossières et de dentelles médiocres qui sont en loques après quelques lavages. Il y a énormément à faire pour lutter contre le faux luxe, et l'institutrice, par ses conseils et son exemple, peut à cet égard exercer une influence salutaire.

Ainsi dans tous les travaux manuels, la maîtresse doit se proposer un but élevé d'éducation. Elle habitue les enfants à soigner leur travail, à le bien "finir", à le poursuivre jusqu'à la fin. Elle enseigne l'ordre, l'économie, l'orgueil de l'ouvrage bien fait ; en même temps que le goût se développeront ces forces précieuses, l'attention et la persévérance. Nous sommes persuadés que penser à tout cela dans les leçons de travaux manuels, ce n'est pas viser trop haut.

Enseignement collectif et enseignement individuel. - Dans les "cours" composés d'enfants du même âge, qui commencent ensemble le même exercice, l'enseignement du travail manuel doit être collectif : la maîtresse doit faire la démonstration devant toute la classe, en se servant pour la couture d'un cadre d'étamine posé bien en face des élèves. Pour le crochet ou le tricot, elle indique tous les mouvements à mesure qu'elle les fait, mais elle doit prendre garde que, si elle fait face aux élèves, celles-ci verront "droite" quand elle dira "gauche", et inversement, et elles en seront troublées ; il convient donc que la maîtresse exécute les mouvements dans une position telle que les enfants voient les mouvements comme elles doivent les reproduire. C'est l'affaire de quelques instants. Ensuite, circulant dans la classe, l'institutrice vérifie si les enfants ont saisi la manière d'opérer. Dans les écoles à une seule maîtresse, les fillettes débutantes sont peu nombreuses, et l'enseignement collectif n'a pas de véritable raison d'être. Ne pourrait-on le remplacer, sous la surveillance de l'institutrice, par l'enseignement mutuel ? Une grande élève prendrait une petite près d'elle pendant la leçon de travail manuel et surveillerait le travail du crochet ou des aiguilles.

Ajoutons qu'on verrait avec joie dans une école de ce genre, l'institutrice emmener toutes ses élèves dehors pour cette leçon ou les faire asseoir sous le préau autour d'elle ; elle aurait là au grand air tout son petit monde sous les yeux. Surveillance plus facile et fatigue moindre, ce sont avantages qui ne sont pas à dédaigner dans la journée d'une institutrice.

 

 

X. CHANT ET MUSIQUE

 

Trop souvent la musique est négligée dans nos écoles. Beaucoup de maîtres, qui se croient incompétents, ne donnent cet enseignement qu'à regret ou ne le donnent pas du tout. D'autres prennent pour un enseignement musical un enseignement théorique et abstrait qui ne tarde pas à enlever aux élèves la joie qu'ils éprouvaient à chanter. Il importe de réagir : une méthode plus concrète et plus vivante, en même temps qu'elle sera aisément appliquée par tous les maîtres, développera chez les élèves le goût du chant et l'amour de la musique.

Cette méthode, déjà mise en vigueur par l'arrêté du 21 juillet 1922, consiste à renverser l'ordre trop souvent adopté dans les classes et à faire l'éducation de la voix et de l'oreille avant de commencer l'étude théorique de la musique. Ce n'est qu'une application de la méthode générale que nous recommandons en toute discipline et qui, depuis longtemps, a fait ses preuves. Pour enseigner la langue française, par exemple, nous recommandons de faire parler et lire avant d'entrer dans l'étude théorique des règles grammaticales ; ces règles doivent sortir des exemples au lieu de se présenter comme des abstractions sans rapport avec les réalités linguistiques. De même, c'est de la réalité musicale que doit sortir la règle musicale : on ne donnera pas aux enfants de définitions abstraites des termes musicaux avant de les avoir fait abondamment chanter, avant d'avoir multiplié pour eux les expériences musicales. Bien plus, on ne leur fera connaître les symboles graphiques de la langue musicale qu'au moment où ils auront acquis une pratique suffisante de cette langue. C'est seulement lorsque l'enfant a appris à parler en entendant parler ses proches qu'on songe à lui donner connaissance, par l'apprentissage de la lecture, des signes graphiques qui représentent pour les yeux ses paroles. De même, l'enfant doit avoir appris à chanter par audition, il doit se délecter dans ses chants avant d'être appelé à connaître les signes visuels des réalités sonores. Il faut qu'il soit assez mûr pour comprendre que cette représentation visuelle sera pour lui un nouvel instrument de satisfaction musicale et qu'elle l'aidera à faire des progrès dans son chant. La musique est comme une seconde langue naturelle, celle de l'intonation, qui ne saurait être apprise en suivant une autre marche que la première, celle de l'articulation.

Ces principes, qui ont dicté notre réforme de l'enseignement du chant, sont adoptés par les autorités les plus compétentes. Ce sont ceux auxquels s'est arrêtée la commission réunie au ministère de l'instruction publique pour examiner la situation de l'enseignement musical.

Nous trouvons, en effet, dans le rapport de cette commission, rédigé par M. André Gedalge, avec la condamnation des méthodes actuelles, des prescriptions identiques à celles que nous venons de formuler. Condamnation des méthodes actuelles : "Ce que pas un maître, si novice fût-il, n'aurait l'idée de faire, c'est-à-dire, enseigner la lecture à un enfant qui ne saurait pas parler, on le fait journellement dans l'enseignement de la musique. Et c'est de là que proviennent toutes les difficultés, tous les déboires, tous les insuccès. Parler de musique à un enfant dont l'oreille n'est pas musicalement éduquée, dont la mémoire musicale élémentaire n'est pas suffisamment développée, c'est lui parler une langue mystérieuse et incompréhensible comme les expériences journalières nous le démontrent trop".

Prescriptions identiques à celles que nous venons de formuler  : "L'instruction musicale doit être fondée sur la culture musicale de l'oreille et de la voix... La connaissance des sons musicaux, qui est à la base de l'instruction musicale, est elle-même en fonction de la mémoire musicale élémentaire, c'est-à-dire de l'aptitude à reconnaître, à différencier et à retenir les rapports de hauteur créés par la succession de deux sons musicaux ou, à un degré plus grand d'entraînement, par leur simultanéité, puis à les reproduire avec la voix et à les associer vocalement et plus tard mentalement aux symboles graphiques qui les représentent".

De même, dans une remarquable conférence faite à la société française de pédagogie*, M. Maurice Chevais, inspecteur de l'enseignement du chant dans les écoles de la Ville de Paris, s'appuyant sur l'autorité de M. Auguste Chapuis, critique la méthode actuelle et préconise la méthode inverse. Critique de la méthode actuelle : "La plupart des leçons portent, dès le début, et bien à tort, sur des exercices de lecture des notes. On apprend trop tôt où se placent les notes sur la portée. On lit trop tôt. On oublie l'oreille et la voix... C'est l'éducation visuelle qui précède l'éducation de l'oreille. Ceci tourne le dos au bon sens, à la logique, à la musique... Ces mêmes éducateurs, pour compléter ces premières leçons de chant, où l'on ne chante pas, donnent à l'enfant quelques notions de grammaire musicale. L'enfant ânonne une définition de l'art de la musique ; il affronte dès les premiers jours cette réfrigérante "théorie musicale qui le fera si souvent bâiller. Quand il sortira de l'école, il aura une tête bien pleine de connaissances qui s'envoleront très vite. Mais il n'aura pas l'oreille bien faite, et il emportera de l'école cette idée que la musique est quelque chose de difficile, de compliqué, de sombre... C'est l'inconvénient, et il est grave, de l'éducation visuelle et théorique".

À l'inverse, l'auteur préconise une éducation auditive et concrète qu'il résume en ces termes : "C'est par le chant que commencera cette éducation, par le chant, base et aboutissant de l'enseignement musical. Les petits apprendront des chants à l'unisson et à deux voix, de belles mélodies. Et quand ils auront beaucoup chanté, ils apprendront à vocaliser et à chanter les sons de l'accord parfait, de la gamme et de quelques formules d'intervalles.

Ils connaîtront et reconnaîtront les sons avant de connaître les signes conventionnels qui permettent de les représenter.

Puis ils connaîtront ces signes. Lentement, par étapes, en allant du simple au composé, ils apprendront à lire les notes, à solfier, et ils apprendront enfin quelques lois très élémentaires de la grammaire musicale.

Ils quitteront l'école avec un petit bagage de connaissances, mais un bagage si doux à porter, si plein de richesses, qu'ils ne s'en sépareront plus".

Voyons, dans le détail, comment cette méthode s'appliquera aux différents cours de l'école primaire.

La pratique du chant par audition date du début de l'école maternelle. Elle y tient une place importante, car elle y est une source de joie et de santé morale pour les tout petits. Elle doit conserver ce rôle au cours préparatoire. Aussi choisira-t-on de préférence des morceaux empreints de gaieté et d'entrain. Mais on se montrera de plus en plus rigoureux quant à la justesse, au rythme, à l'ensemble. On évitera de forcer les voix et l'on assouplira les organes, on développera leur sensibilité. On leur fera acquérir de la sûreté sans paraître les soumettre à un véritable travail. L'enseignement du chant, pour des enfants de six à sept ans, doit demeurer un jeu.

Au cours élémentaire, le chant toujours appris par audition continue à occuper la place prépondérante. Les morceaux doivent être simples sans que cette simplicité dégénère en puérilité et exclue la beauté. On aura fréquemment recours à la chanson populaire, autant que possible, dans la tradition locale.

La formation de la voix sera poursuivie non seulement à l'aide du chant scolaire, mais à l'aide d'exercices d'intonation. On apprendra aux enfants à passer de la voix de poitrine à la voix de tête. On leur fera émettre des sons prolongés et des sons courts, des sons droits et des sons filés.

L'éducation de l'oreille se composera d'exercices d'intonation et de dictées musicales orales. On prendra comme point de départ l'accord parfait, dont les notes "forment une jolie succession mélodique, espacée, très aisément perceptible sans confusion", et "chantées simultanément avec douceur, par trois groupes d'élèves, forment un accord très simple, très pur, susceptible de charmer l'oreille des enfants". Sans renoncer à la méthode auditive, le maître peut "faire exécuter ces trois sons en plaçant la main à trois hauteurs différentes. Lorsqu'il les chantera seul, les élèves placeront la main à la hauteur convenable et ce sera déjà de la dictée musicale"**. Quand ces trois sons seront bien connus, on ajoutera le et le fa, et l'on arrivera progressivement à la connaissance de la gamme, puis à celle des douze ou treize sons (du si grave au sol aigu), qui correspondent à la voix de l'enfant.

Parallèlement, on apprendra aux élèves les intervalles simples. On les habituera à chanter simultanément en deux groupes les sons d'un intervalle et, de cette manière, on leur fera sentir ce qu'on entend par consonance et par dissonance.

Tous ces exercices devront être multipliés sans répit, avec des révisions incessantes et improvisées, si bien que la classe entière finisse par ne plus hésiter à reconnaître à l'oreille ou à entonner à volonté, avec le secours du diapason, soit des sons isolés, soit des sons simultanés, soit des intervalles simples, soit des combinaisons unissant entre eux plusieurs de ces éléments.

En même temps, on développera d'une façon pratique chez les élèves le sens du rythme ; on leur inculquera empiriquement la notion de temps et on les entraînera à battre des mesures à 2/4, 4/4 et 3/4.

Au cours moyen, le chant occupe toujours la place d'honneur. Mais il comporte une matière musicale plus riche et il est pratiqué avec des nuances d'exécution et d'expression plus délicates. L'éducation de la voix reste l'objet de l'attention la plus vigilante. L'éducation de l'oreille, qui comporte l'étude des tonalités voisines de do majeur et celle de la gamme mineure, se confond de plus en plus avec la lecture musicale, c'est-à-dire avec le solfège.

L'initiation au solfège se fait à l'aide du tableau noir. On ne se contentera pas de faire nommer les notes sur la portée : chaque leçon de lecture sera en même temps un exercice d'intonation. Quand les élèves seront un peu familiarisés avec ces notions nouvelles, on les initiera à la dictée musicale écrite, c'est-à-dire qu'on leur demandera d'indiquer eux-mêmes sur la portée la place de sons isolés, d'intervalles, d'accords de deux sons, puis de très brèves phrases musicales, le tout exécuté vocalement.

Dès qu'ils arriveront à lire couramment, on mettra entre leurs mains un livre pour qu'ils en déchiffrent les leçons de solfège et surtout pour qu'ils y apprennent quelques chants. Ils auront alors le sentiment d'avoir réalisé une conquête décisive et seront certainement animés du désir d'accomplir de nouveaux progrès.

Au cours supérieur, on abordera quelques tonalités nouvelles ; on étudiera la mesure à 6/8, la double croche, le triolet. On fera connaître l'emploi de la clef de fa. Mais plus encore que ces notions, ce qui importe, à ce cours, c'est le chant. Il prend nettement le caractère polyphonique ; les enfants chanteront, en chœur, à plusieurs voix, et ils en éprouveront une vive joie : ils naîtront vraiment à la musique. Les maîtres devront veiller sans cesse à la justesse, donner la chasse aux intonations fausses et faire corriger immédiatement tout flottement. Ainsi sera atteint l'objectif principal de l'enseignement musical à l'école : former des jeunes gens qui aient le goût du chant et qui chantent avec goût. Ils ne perdront pas, après l'école, ces bonnes habitudes, et le chant choral, trop peu pratiqué dans notre pays s'y développera, apportant aux populations des villes et des campagnes les joies saines de l'art musical.

Le programme et la méthode que nous venons de décrire sont de nature à rassurer les instituteurs sur les difficultés de l'enseignement du chant. Avec M. Maurice Chevais, nous leur dirons :  "l'écriture musicale n'est compliquée que pour les artistes. Pour vous, elle demeure simple.

"Toute la musique peut s'écrire à 2/4 ou 3/4, car il n'y a vraiment que deux rythmes et deux mesures, trois au plus, si l'on veut doubler la mesure à 2/4.

"Dans ces trois mesures, la noire vaut toujours un temps, la blanche deux temps, etc. Les silences ont, eux aussi, une valeur fixe. Plus tard seulement, vous connaîtrez une exception, concernant la mesure à 6/8. Pour vous, peu de valeurs relatives ; rien que des valeurs fixes.

"Pour vous et pour l'école, il n'y a qu'une seule clef, la clef de sol usuelle, qu'on ne déplacera jamais. Les notes conserveront donc toujours les mêmes sons aux mêmes places" (sauf au cours supérieur où l'emploi de la clef de fa est prévu).

"Pendant longtemps (entendons : au cours préparatoire et au cours élémentaire) il n'y aura pour vous qu'une seule tonalité, celle de do majeur, avec son autre aspect de la mineur.

"Plus tard vous verrez quelques autres tonalités que vous aborderez avec grand plaisir, curieusement, et sans difficulté".

Ajoutons que l'instituteur peut s'aider, s'il croit "n'avoir pas d'oreille", non seulement du diapason (qui est indispensable), mais d'un instrument de musique. Beaucoup d'élèves-maîtres et d'élèves-maîtresses jouent à l'école normale du violon ou du piano. Cette pratique doit devenir de plus en plus générale. Et il existe un petit instrument, le "guide-chant", sorte d'harmonium portatif à deux octaves, qui devrait faire partie du matériel de toute école. Instrument à notes fixes, il rendra plus de services que le violon pour assurer la justesse des chants. Nos instituteurs et institutrices devraient demander soit aux municipalités soit aux amis de nos écoles, de leur faire don d'un guide-chant. Grâce à l'aide des instruments, les instituteurs ne rencontreront plus de difficultés sérieuses dans l'enseignement, rendu plus simple et plus concret, du chant et de la musique. Ils y prendront eux-mêmes un vif plaisir et sauront inculquer à leurs élèves l'enthousiasme que mérite l'art délicat et noble qui embellit, tout en les disciplinant, notre vie individuelle et notre vie sociale.

* Publiée dans le Bulletin de cette société, n° 5, décembre 1920.

** Ces citations sont empruntées à la conférence de M. Maurice Chevais.

 

 

XI. ÉDUCATION PHYSIQUE

 

Abstraction faite de l'influence qu'elle exerce sur l'éducation intellectuelle en rafraîchissant l'attention et sur l’éducation morale en disciplinant la volonté, l'éducation physique se propose, à l'école primaire, un double but : corriger les attitudes défectueuses qu'impose trop souvent au corps de l'enfant le travail scolaire, développer ses qualités physiques, sa force, son adresse, son agilité.

Il ne faut pas oublier que l'âge de nos écoliers est l'âge de la croissance et qu'à cet âge tout leur avenir physique est en jeu. L'éducation physique ne doit leur imposer que des exercices appropriés avec exactitude aux besoins comme aux moyens de leur âge. Elle est avant tout hygiénique, c'est-à-dire qu'elle tend à faciliter le jeu normal et progressif des grandes fonctions (respiratoires, circulatoire, articulaire) et à perfectionner la coordination nerveuse. Mais elle n'a pas pour but exclusif l'acquisition de la vigueur musculaire. Elle écarte, au contraire, tout travail qui, exigeant une dépense excessive de force, produit un durcissement des muscles et contrarie la croissance régulière. D'une façon générale, elle se garde de ne s'appliquer qu'à tel ou tel organe au détriment des autres. Elle se porte également sur toutes les parties de l'organisme, de façon qu'il se développe, dans son ensemble, avec équilibre et harmonie.

Tel étant l'idéal qui doit guider le maître d'éducation physique, comment pourra-t-il le réaliser ? Nous allons le voir en suivant l'enfant depuis le début jusqu'à la fin de la leçon d'éducation physique, et depuis l'entrée à l'école jusqu'à la sortie.

Tout enfant doit participer aux exercices d'éducation physique. Aucun n'en peut être dispensé, sauf le cas d'incapacité, permanente ou temporaire, constatée par un certificat médical. Trop souvent, on dispense de ces exercices les enfants qui, précisément, en auraient le plus besoin puisqu'ils sont les moins vigoureux et les plus maladifs.

Tout enfant reçoit tous les jours une leçon d'éducation physique. Cette leçon a lieu, en principe, l'après-midi. Toutefois, elle pourra être placée le matin pendant la saison chaude, et toutes les fois que les besoins du service l'exigeront. L'essentiel est que l'heure choisie soit éloignée de l'heure des repas.

Pour les tout petits, la leçon sera courte : de dix minutes environ, si l'on prévoit deux séances quotidiennes, de vingt minutes environ si l'on n'en prévoit qu'une. Pour les autres cours les deux heures accordées par l'emploi du temps se décomposeront en trois séances de vingt minutes (les lundis, mardis et vendredis), et deux leçons complètes d'une demi heure (les mercredis et samedis)*. En dehors de ces séances, des mouvements respiratoires seront exécutés, entre deux exercices scolaires, toutes les fois que l'on verra l'attention fléchir. Ces mouvements seront exécutés debout et fenêtres ouvertes. Enfin, les récréations qui coupent les exercices de chaque classe dureront environ dix minutes le matin et dix minutes le soir. Elles pourront parfois se décomposer en deux parties dont l'une précédera et l'autre suivra la leçon d'éducation physique.

Toute leçon d'éducation physique doit être donnée en plein air, ou, si le temps est mauvais, dans un préau largement ouvert. Il est urgent de poursuivre partout l'établissement de terrains de jeux avec douches ou piscines. En attendant cette importante amélioration de nos installations scolaires, il faut saisir toutes les occasions pour utiliser les espaces libres qui peuvent être mis à la disposition de l'école.

L'enfant qui se présente à la leçon d'éducation physique doit avoir la pleine liberté de ses mouvements ; il doit donc se débarrasser de sa coiffure, de son faux-col, de sa cravate ; au cours de la leçon, il se dévêtira progressivement, si la température le permet. Il doit avoir des chaussures qui ne l'empêchent ni de courir ni de sauter.

Toute leçon complète d'éducation physique doit être préparée, comme les autres, par écrit. Elle doit être conduite avec méthode et se diviser en trois périodes : d'abord, une mise en train, puis, la leçon proprement dite, enfin le retour au calme. Pas de brusque départ, qui violente le système nerveux. Un entraînement progressif, puis après les exercices les plus fatigants, une diminution progressive des efforts afin d'éviter une brusque cessation d'activité qui pourrait provoquer un refroidissement dangereux.

Il sera bon, après la leçon, de faire procéder à une friction du torse. S'il paraît difficile d'obtenir partout des ablutions à l’eau froide ou tiède, il sera toujours possible de demander aux élèves de se pourvoir d'une serviette sèche réservée à cet usage.

Pour le détail des exercices, les maîtres feront bien de se reporter au "Projet de règlement général d'éducation physique, première partie - enfance", qui a été publié par le ministère de la guerre et approuvé par le ministre de l'instruction publique. Ils y trouveront une liste et un commentaire des mouvements que notre programme recommande pour chaque cours. Bornons-nous à quelques indications.

Au cours préparatoire, et même au cours élémentaire, les jeux prédominent. Ils ne sont exclus ni du cours moyen, ni du cours supérieur, et l'on ne sera pas surpris si l'on se rappelle que notre but n'est pas de faire des athlètes, mais de favoriser le fonctionnement libre et régulier des principaux organes. Aux jeux viennent s'adjoindre, pour les enfants du cours moyen, des mouvements éducatifs et correctifs : des marches, des exercices d'escalade, des sauts, des courses, des luttes, des mouvements destinés à développer successivement les diverses parties de l'organisme ; enfin, des mouvements destinés à augmenter le pouvoir du système nerveux en rompant les associations motrices habituelles pour permettre au cerveau d’en réaliser d'autres : tels sont les mouvements dissymétriques (circumduction des poignets en sens opposé ; faire du bras gauche le geste de tirer un cordon de sonnette, tandis que du bras droit on tourne une manivelle, etc.) ; ils assouplissent les organes et les mettent à la disposition de la volonté.

Comme l'ancien programme, le nouveau fait figurer au cours moyen des exercices de natation. Si l'eau manque, on fera exécuter à sec les mouvements du nageur. Si l'eau ne manque pas, on les fera exécuter dans des endroits de la rivière où l'enfant ne perdra pas pied et l'on ne cessera de le soutenir. Mais malgré la responsabilité grave que l'apprentissage de la natation fait peser sur les maîtres, il n'a pas paru possible d'éliminer du programme des exercices dont l'utilité et la valeur éducative sont également incontestées.

Le programme du cours supérieur présente, par rapport à celui du cours moyen, deux nouveautés : "éducation des sens au cours des promenades scolaires" et "application des exercices à la vie courante". Il s'agit de faire de l'éducation de la vue, de l'ouïe, des autres sens par les procédés que déjà recommandait Jean-Jacques, et que, de nos jours, le scoutisme a très heureusement renouvelés et perfectionnés. Il s'agit d'amener les enfants à apprécier les distances, à se mettre en garde contre un danger, à se tirer d'une difficulté imprévue, à s'aider eux-mêmes et à aider les autres, à développer à la fois le sens de l'initiative individuelle et le sens de la solidarité. Ces qualités que, à l'intérieur de l'école, la leçon de travail manuel doit faire acquérir à l'enfant, la leçon d'éducation physique les lui fera également acquérir, en dehors de l'école, au cours des promenades. Et comme la leçon de travail manuel, la leçon d'éducation physique s'adaptera à la vie de l'écolier, elle doit proscrire les exercices abstraits ; toutes les fois qu'on le pourra, il conviendra de montrer que les exercices n'ont rien d'artificiel mais peuvent s'appliquer à la vie courante. On ne grimpe pas pour grimper ; on grimpe pour pouvoir franchir un obstacle, un mur par exemple, ou pour pouvoir découvrir du haut d'un arbre, le but qu'on veut atteindre ou le spectacle qu'on veut admirer. De même, les exercices du saut doivent permettre de franchir un fossé ou un ruisseau. Toute gymnastique doit être utile en même temps qu'elle doit être éducative.

Tout ce qui vient d'être dit convient aux filles comme aux garçons. Il appartient aux institutrices de choisir les jeux et les mouvements les mieux adaptés au sexe féminin, ceux qui donnent de l'agilité et de la grâce plutôt que ceux qui donnent de la force. Toutes les fois que ce sera possible, on aura soin, dans les écoles de filles, d'associer la musique à la gymnastique. Mais abstraction faite de ces différences d'ailleurs importantes, le programme et la méthode d'éducation physique sont identiques dans les écoles de filles et dans les écoles de garçons.

Ce programme et cette méthode sont tels qu'ils peuvent être appliqués par tout instituteur et toute institutrice. Il n'est pas nécessaire, pour les suivre, d'être un gymnaste de profession. Aucun des mouvements prescrits n'est irréalisable pour un homme ou une femme de santé normale, et beaucoup, loin d'être irréalisables par des malades, serviraient au rétablissement de leur santé. Au surplus, pour certains mouvements, le maître peut recourir à la collaboration d'un moniteur choisi parmi les élèves. Un moniteur intelligent comprend un mouvement sur le vu d'une image, d'un schéma, ou à l'aide d'explications simples. Lorsqu'il sait le faire, il le montre à ses camarades, suivant les indications du maître qui dirige et rectifie. Mais il vaut mieux que le maître paye d'exemple. Il le pourra presque toujours. Pour les plus jeunes, l'épreuve de gymnastique du brevet élémentaire les aura obligés à acquérir en cette matière des connaissances suffisantes. Et elles ne sont pas inaccessibles aux plus âgés.

Nul instituteur, nulle institutrice ne peut donc arguer de son incompétence pour négliger l'éducation physique. Et celle-ci doit faire, dès la rentrée prochaine, de sérieux progrès dans nos écoles. Si cette discipline est la dernière sur le nouvel emploi du temps, ce n'est pas à dire qu'elle doive être au dernier rang dans les préoccupations des éducateurs. Aucun rang de préséance n'a été établi entre les diverses matières d'enseignement. Et la preuve que nous désirons voir grandir le rôle de l'éducation physique, c'est que, au moment même où nous réduisons le temps assigné à la plupart des disciplines, nous augmentons celui qui lui était réservé. Nous sommes bien certains que l'éducation intellectuelle ne souffrira pas de ce léger sacrifice qu'elle consent à l'éducation physique. Et l'on peut espérer que cette modeste réforme résultera pour la race française un regain de vigueur et d'énergie.

* Dans les écoles à une seule classe, les leçons d'éducation physique et les récréations pourront avoir même durée dans tous les cours.

 

 

CONCLUSION

 

Lorsque le nouveau plan d’études entrera en vigueur, lorsque les instructions qui le commentent seront appliquées selon leur esprit, qu’y aura-t-il de changé dans notre école nationale ? Certes, les anciennes pratiques n'auront pas été du jour au lendemain remplacées par des pratiques contraires ; aucune révolution brutale n’aura bouleversé nos institutions scolaires. Nombreux sont les maîtres qui, dès maintenant, s'inspirent de principes analogues à ceux qui ont dicté les nouveaux programmes. Mais, en devenant plus générale, l’application de ces principes permettra de réaliser de sérieux progrès.

L’école, telle que nous la rêvons, sera, du dehors, avenante et accueillante, entre un jardin fleuri et des cours ensoleillées. À l’intérieur, elle sera inondée d'air et de lumière. Et cette gaieté que lui donneront les dispositions matérielles prises par l’architecte, nous voudrions qu'elle fût entretenue grâce aux dispositions pédagogiques prises par l'instituteur. On ne travaille bien que dans la joie. Bien démodées sont les bâtisses scolaires - encore trop fréquentes cependant - qui ressemblent à de sombres prisons. Mais un magister au ton rude ne serait pas moins archaïque. Ce n'est pas à dire que tout règlement disciplinaire doive être aboli : la volonté et la raison de l'enfant sont trop peu formées pour qu'on puisse tout espérer de la persuasion. Mais on peut faire en sorte que l'emploi de la punition devienne exceptionnel et que l’atmosphère de la classe soit à peu près constamment d'une parfaite sérénité. Ce n’est pas par la crainte, c'est par l'affection que le maître obtient le travail le plus régulier et le plus productif

Le travail sera d'autant plus régulier, d'autant plus productif que l’enseignement sera plus vivant. À chaque page de ces instructions, qu’il s'agisse de l’enseignement de la morale ou de celui de la grammaire ou de celui de la musique, de celui de l'histoire ou de celui des sciences, nous avons préconisé les méthodes susceptibles d’intéresser l’enfant, bien plus, de lui inspirer pour son travail une sorte d'enthousiasme. On aurait tort de confondre la théorie contenue dans ces pages avec la théorie de l’éducation attrayante. Notre but n’est pas d’amuser les écoliers. Mais nous voulons que les écoliers travaillent avec plaisir, parce que le plaisir est un moyen efficace de stimuler leur activité. Le plaisir dont il s'agit n'est pas une jouissance passive, c'est la joie qui accompagne toute activité libre, consciente de travailler à la réalisation d'un bel idéal. C'est la joie qu’éprouve le touriste au cours d'une ascension qui exige pourtant de lui beaucoup d'efforts et beaucoup de fatigue, mais où il sait que chaque pas le rapproche d'un spectacle magnifique. Ce que nous souhaitons, ce n'est pas qu'on réduise au minimum les efforts intellectuels de l’écolier : c'est, au contraire, qu'on l'amène à les multiplier en les lui faisant accomplir dans la joie. Tous les procédés qui rendent l’enseignement concret, qui font appel à l'activité de l’enfant, qui permettent de passer par d'habiles transitions du jeu à la leçon, sont de nature à créer dans la classe les dispositions intellectuelles et morales sans lesquelles il n’est pas de bon travail : la curiosité est éveillée, l’intérêt excité, et chacun fait avec entrain une tâche dont il tirera bon profit. Nous ne demandons pas qu’on laisse chacun agir au gré de son caprice : l’école n'est pas plus une salle de jeu qu'elle n'est une prison. L’école est l’école : une réunion d'enfants qui travaillent de bon cœur à leur éducation commune, sous la direction de leur maître.

Plus d'air, plus d'aisance, plus de liberté, plus de joie et, partant, plus de travail. Des efforts plus nombreux parce qu’ils seront plus volontairement consentis ; des efforts mieux équilibrés et mieux coordonnés parce que chaque discipline occupera sa juste place ; des efforts plus fructueux parce qu'ils seront mieux adaptés aux besoins présents de notre patrie ; des enfants mieux instruits par un dosage plus exact des connaissances qu’ils doivent progressivement acquérir, par une culture plus méthodique de leurs facultés ; des caractères mieux formés par une éducation morale moins abstraite mais non moins haute : voilà ce que nous attendons de cette réforme de l'enseignement primaire. Puisse-t-elle donner au pays des travailleurs, des citoyens, des hommes qui, imbus de son idéal, contribuent à accroître sa prospérité et sa grandeur.

 

Paris le 20 juin 1923.

 

Le ministre de l’instruction publique et des beaux arts,

Léon Bérard