L'approche d'un célèbre poème de Verlaine renouvelée par un commentaire particulièrement original et fouillé.

 

 

 

 

MELANCHOLIA - Poèmes saturniens, Paul Verlaine, 1866

À Ernest Boutier.

III

APRÈS TROIS ANS


Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.


Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.


Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.


Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue.
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

 

La méthode
Une lecture attentive et sensible
Lisez attentivement et plusieurs fois le poème pour vous en imprégner. Demandez-vous ce que vous ressentez. Le poète écrit un sonnet chargé d'émotions et votre commentaire sera meilleur s'il manifeste une sensibilité au texte. Attention, toutefois : le commentaire reste un exercice qui suppose la maîtrise d'une technique et d'outils d'analyse ; un devoir simplement lyrique exprimant des émotions personnelles ne saurait remplacer un devoir construit et réfléchi.
L'élaboration du plan
En prenant en compte vos impressions de lecture, notez au brouillon les observations majeures que vous pourrez développer. Proposez des définitions du texte : "Ce poème, c'est ..."Votre plan peut compter deux ou trois parties. Bien entendu, le développement est précédé d'une introduction qui présente le texte et l'analyse ; il est suivi d'une conclusion qui met en avant l'essentiel de ce qui a été dégagé avant de proposer une ouverture.
Le plan
I L'évocation d'un jardin ... (Ce poème, c'est l'évocation d'un jardin)
II ... devient le miroir de la mélancolie du poète ... (Ce poème, c'est l'expression de la mélancolie du poète)
III ... grâce au "va et vient"d'une chanson qui rassemble. (Ce poème, c'est un "va et vient"qui rassemble des éléments habituellement dissociés)
Rédiger ainsi le projet des axes en une phrase unique garantit la cohérence du commentaire.

 

COMMENTAIRE RÉDIGÉ

 

 

Introduction

 

"De la musique avant toute chose", écrit Paul Verlaine dans L'"Art Poétique" qu'il publie dans Jadis et naguère en 1884. Mais on n'attend pas ce manifeste pour entendre dans les vers de celui qui sera désigné comme le "Prince des poètes", une "chanson grise / Où l'Indécis au Précis se joint". En 1866, dans le premier recueil du poète, la romance, se souvenant du spleen baudelairien, se place sous le signe de Saturne, l'astre des mélancoliques. "Après trois ans" est le troisième poème de la première section du recueil - d'ailleurs intitulée Melancholia - qui compte également des poèmes connus comme "Nevermore" ou "Mon rêve familier". Sans doute imprégné des souvenirs d'un amour impossible pour Élisa, la cousine alors mariée du poète, le sonnet "Après trois ans" évoque une promenade mélancolique dans un "petit jardin" où "Rien n'a changé". La peinture du lieu autrefois fréquenté est prétexte à l'expression des sentiments et à une réflexion sur le temps qui passe. Nous verrons donc comment l'évocation du jardin devient le miroir de la mélancolie du poète grâce à un poème dont le "va et vient" murmure une chanson fédératrice.

 

 

I. L'évocation d'un jardin ...

 

Dans ce sonnet, Verlaine reprend le thème du jardin, espace naturel marqué par la main de l'homme. Mais la particularité de ce lieu réside sans doute davantage ici dans son humilité, dans sa fadeur.

 

1.1 - Le jardin : un espace naturel

 

Par définition, le jardin est un espace naturel domestiqué par l'homme et c'est bien ainsi que nous apparaît le lieu qui se déploie derrière "la porte étroite qui chancelle". La nature est en effet présente sous ses différentes formes. Le soleil et le vent sont au rendez-vous et l'eau est là sous la forme d'"une humide étincelle" ou du "jet d'eau". Les végétaux occupent une place essentielle. L'expression générique "chaque fleur" est par la suite précisée comme si le jardin se déployait sous le regard du promeneur ; le singulier fait place au pluriel des "roses" qui "palpitent" et des "grands lys" qui "se balancent". Le sonnet se termine avec une dernière fleur, le réséda. Les arbres sont représentés également avec le "vieux tremble", et la "vigne folle" figure les plantes grimpantes. Le règne animal est évoqué au vers 10 ; le mot "alouette" est au singulier mais le déterminant indéfini "chaque", ainsi que le "va et vient" nous donnent l'impression que les oiseaux savent occuper leur espace aérien. Cette nature semble libre : les oiseaux vont et viennent et la vigne est "folle".

 

1.2 - Le jardin : un espace domestiqué par l'homme

 

Cependant, cet espace naturel, apparemment libre, est délimité, dès le premier vers, par une clôture qui nécessite la présence d'une porte dont l'étroitesse même souligne l'importance. Monde fermé, le jardin est quadrillé par des allées ; l'homme impose ses clôtures, ses lignes droites ("au bout de l'avenue") à une nature presque débridée ("se balancent"), voire "folle". Et la folie de la vigne ne viendra pas à bout de la "tonnelle" et des "chaises de rotin". C'est bien l'homme qui a le dernier mot. De même, si l' "humide étincelle" est le fait de la nature (la rosée du matin), le "jet d'eau" lui, beaucoup plus grand, est une création humaine. La présence des roses et des lys révèle aussi la présence d'un jardinier et peut-être lit-on dans le verbe "palpitent" qui personnifie la fleur et dans l'adjectif "orgueilleux" cette signature de l'homme. C'était déjà le cas avec le "murmure" du jet d'eau et la "plainte sempiternelle" du tremble. En tout cas, dans les derniers vers, la statue est clairement la signature de l'homme "parmi l'odeur fade du réséda".

 

1.3 - Une esthétique de la fadeur

 

C'est probablement dans cette fadeur du réséda que réside la spécificité du jardin de Verlaine. Jean-Pierre Richard a d'ailleurs écrit dans Poésie et profondeur un article consacré à cette esthétique de la fadeur ("Fadeur de Verlaine") qui domine ici. Tout en effet est mis en place dans le poème pour atténuer, estomper la réalité.
Dans le premier quatrain, la porte est "étroite" et le jardin "petit" ; la goutte de rosée se réduit à une paillette ("pailletant"), à une "humide étincelle" et la promenade a lieu le matin afin que le soleil n'éclaire que "doucement" le paysage. Par la suite, les chaises comme la tonnelle sont modestes car le rotin est un matériau "humble". Les bruits, quant à eux, se réduisent à un "murmure" ou à une "plainte". Et, après la statue "grêle", "l'odeur fade du réséda" pose à la fin du poème le point d'orgue de cette esthétique qui sera explicitée dans l'Art poétique avec la "chanson grise" : "la nuance seule fiance / le rêve au rêve et la flûte au cor". La fadeur permet une harmonie fédératrice sur laquelle nous reviendrons.
Ainsi le "petit jardin" grêle et fade de Verlaine est un "murmure" ou "une plainte" propre à exprimer la tristesse du poète.

 

 

II ... devient le miroir de la mélancolie du poète ...

 

En effet, le jardin, sous la plume du poète, devient le miroir de sa mélancolie et la promenade dont il est le cadre se double d'un voyage dans le temps. Le sonnet exprime toute l'émotion du poète "après trois ans".

 

2.1 - Une promenade dans le jardin ...

 

Le deuxième vers donne au texte une dimension narrative : "Je me suis promené dans le petit jardin". Le thème de la promenade est déroulé de façon chronologique. D'abord, la porte que l'on pousse inaugure en même temps le sonnet composé par le "je" auteur et la promenade du "je" personnage. La vision globale du "petit jardin" reprise par le pronom relatif "qu'" ("Qu'éclairait doucement le soleil du matin"), puis par le pronom indéfini "tout" au vers 5 est ensuite détaillée : la "tonnelle", le "jet d'eau", le "vieux tremble", les "roses"... On a l'impression de percevoir le déplacement du poète qui, après avoir embrassé du regard l'ensemble du jardin, chemine pour en découvrir les différents aspects. Dans le dernier tercet, le lecteur devine la présence du poète qui se tient à l'autre "bout de l'avenue" où se dresse la statue.

 

2.2 - ... qui est aussi promenade dans le temps

 

Cette promenade dans le jardin est aussi une promenade dans le passé comme le suggère le titre qui introduit une dimension temporelle plutôt que spatiale. Le thème du souvenir apparaît dans la deuxième strophe : "Rien n'a changé. J'ai tout revu". Et le verbe "retrouvé", dans le second tercet, reprend le préfixe "re" qui marque la répétition. Sur le même mode de la reprise, l'indication de temps "comme avant" exprime deux fois ce voyage dans le passé. En se promenant dans le jardin qu'il fréquentait régulièrement autrefois ("Chaque alouette qui va et vient m'est connue"), le poète retrouve ses souvenirs. Mais ce retour au passé est source de mélancolie.

 

2.3 - L'expression de la mélancolie

 

On est touché par la "plainte" du poème et l'évocation du "petit jardin", de ce monde réduit et fade contribue à créer une sensation d'intimité. Le lecteur doit prêter l'oreille à un sonnet qui "murmure" des confidences. Le jeu du passé composé et du présent, l'ellipse du mot statue quand il est question de la Velléda donnent un ton familier au poème. La répétition de "comme avant" relève de la plainte et les enjambements (vers 5 et 6, 9 et 10) atténuent la rigidité de l'alexandrin. Le lecteur croirait entendre Verlaine lui dire familièrement : "Même j'ai retrouvé debout la Velléda". Et il devine que cette confidence triste est liée à un amour déçu ; le jardin romantique suggère la conversation amoureuse, et sans doute les jeunes gens, Verlaine et sa cousine Élisa, se sont-ils assis sur "les chaises de rotin" sous l' "humble tonnelle". Verlaine reprend la rose, symbole courtois de la femme et l'associe au cœur qui palpite ; il évoque aussi les "grands lys orgueilleux" qui symbolisent la pureté, voire l'interdit. Le sonnet se clôt sur l'évocation d'une statue romantique qui suggère la déception amoureuse ; en effet, Velléda, dans Les Martyrs (1809) de Chateaubriand est une prêtresse germanique qui se suicide après avoir été repoussée par l'homme qu'elle aimait.
La statue, comme le "petit jardin" lui-même, est propice à un épanchement mélancolique qui empreinte sa force à la chanson.

 

 

III ... Grâce au "va et vient"d'une chanson qui rassemble.

 

"Après trois ans" est, en effet, une chanson qui, tout en exprimant la plainte du poète, tente de redonner une unité au monde grâce à une esthétique du "va et vient".

 

3.1 - La chanson

 

En 1866, Verlaine n'a pas encore défini la poésie comme apparentée à la musique ; il n'en demeure pas moins que des poèmes comme "Mon rêve familier" ou "Après trois ans" sont de véritables chansons. Sans introduire encore le vers impair "plus vague et plus soluble dans l'air" (Art poétique), Verlaine renouvelle le rythme traditionnel en étouffant les contours nets de l'alexandrin. Les enjambements donnent toute sa souplesse au poème et la césure, si elle est respectée dans certains vers, comme les vers 3 à 5, est étouffée dans d'autres. Le premier vers donne le ton en demandant une liaison entre "porte" et "étroite". "Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle": le rythme, ici, devient ternaire. Aux vers 9 et 14, la ponctuation détache des éléments qui ne correspondent pas à un hémistiche. La cadence souple est délicatement marquée par les allitérations en p- ("poussé", "porte", "promené") dans le premier quatrain, en t- ("tout", "tonnelle", "rotin") dans la seconde strophe et en v- ("avant", "vent", "va et vient", "Velléda") dans les deux tercets unis par la rime.

 

3.2 - L'unité

 

De même que le jardin est le lieu privilégié d'une réconciliation entre l'homme et la nature, la chanson souple du sonnet permet de rapprocher les différentes sensations. Dans le premier quatrain, c'est la vue qui est sollicitée : "éclairait", "pailletant", "étincelle" ; elle domine dans le texte comme l'indique le verbe "revu". Mais les fleurs, roses, lys ou réséda, séduisent autant l'odorat que la vue. L'ouïe n'est pas absente : on entend le "murmure argentin" du jet d'eau et la "plainte sempiternelle" du tremble dans le vent. Au-delà de cette cohabitation somme toute ordinaire lorsqu'il est question de jardin, se dessine un lien plus étroit encore. En effet l' "humide étincelle" semble destinée à émouvoir le toucher comme la vue, et le "murmure argentin" suggère aussi une couleur. Quant à la fadeur du réséda, ne s'agit-il pas plutôt du goût ?
On observe le même curieux rassemblement du côté du temps, à la fois temps qui fuit et temps arrêté. En effet, on relève tout un champ lexical de la permanence : "toujours", "sempiternelle", "comme avant" répété, "m'est connue", "retrouvé". Sans que cela nous semble contradictoire, ce réseau côtoie des termes qui, eux, expriment le passage du temps : "le soleil du matin", "le vieux tremble". Le temps fuit et détruit : le poète se retrouve seul "après trois ans", la porte "chancelle" et "le plâtre s'écaille".

 

3.3 - L'esthétique du "va et vient"

 

Si les sens s'associent et si le temps peut se montrer à la fois fuyant et arrêté, c'est grâce au rythme particulier d'un sonnet qui ne cesse de tisser des liens, d'aller et venir, comme les alouettes du vers 11, d'un point à un autre. Ce mouvement de "va et vient" domine en effet dans le texte : les roses palpitent, les "lys orgueilleux" se balancent et peut-être faut-il évoquer également la paillette et l'étincelle, le mouvement hésitant de la porte qui "chancelle", voire la polysémie du mot "tremble". Ajoutons à cela les sonorités qui se répètent et palpitent "comme avant", "comme avant". Le double mouvement de "va et vient" du jardin et de la chanson lance un pont entre les sensations, entre le présent et le passé, entre la nature et l'homme, entre Verlaine et son lecteur...

 

 

Conclusion

 

Dans "Trois ans après", ce qui caractérise le jardin évoqué, c'est moins cette harmonie de l'homme et de la nature qui est le fait de tout jardin, que la modestie, la fadeur, comme nous le suggère le dernier vers. Mais le sonnet est avant tout le récit d'une promenade mélancolique dans des lieux sans doute attachés à un amour désormais perdu. La palpitation du jardin où "Rien n'a changé" est aussi celle du poète, celle d'un sonnet devenu chanson pour mieux suggérer l'émotion, celle d'un lecteur sensible à qui le poète se confie. N'est-ce pas d'ailleurs là l'essentiel de la poésie ? "Et tout le reste est littérature..." (fin de l'Art poétique).

 

© Extrait de I. de Lisle & É. Le Grandic, in Annales Bac 2011, Français 1es L/ES/S, Hachette Éducation, 2010.

 

 

Complément

 

Le travail qui suit est d’un "niveau" évidemment bien inférieur à ce qui a précédé : il s’agit en effet d’une émission de l’ancienne Radio scolaire destinée à aider (il y a plus de trente ans !) les instituteurs des classes de CM2 et de fin d’études. Il n’en est pas moins fort estimable…

 

Situation de ce texte

 

"Après trois ans" figure dans le premier recueil de vers publié par Verlaine, les Poèmes saturniens (1866), qui groupe des œuvres de jeunesse. Verlaine y manifeste déjà la mélancolie et le sentiment de la fatalité qui seront deux des traits dominants de son caractère.

Un peu par jeu, un peu aussi parce qu'il le croit, Verlaine attribue ces sentiments à l'action néfaste de "Saturne", cette planète "chère aux nécromanciens" qui lui réserverait "bonne part de malheur et bonne part de bile". Ainsi éclaire-t-il, dans un prologue, le sens du titre donné à son recueil. Peut-être est-ce pour compenser l'angoisse d'un destin qu'il pressent douloureux que Verlaine se réfugie dans la douceur du passé... Ainsi s'expliquerait la place accordée aux souvenirs dans les Poèmes saturniens et, particulièrement, dans "Mélancholia", premier chapitre du livre, d'où est extrait "Après trois ans".

De tous ces souvenirs, celui de la cousine du poète, Élisa, est le plus cher. Selon certains critiques, la plupart des poèmes du recueil, et surtout de "Mélancholia", lui seraient implicitement dédiés.

 

Sens

 

Dans ce petit jardin paisible, Verlaine se promenait souvent avec celle qu'il aimait. Trois ans plus tard, il revoit avec émotion ces lieux où il vécut des heures très douces. Ce temps n'est plus ; mais la nature, elle, n'a pas changé, si ce n'est la légère marque des ans sur le plâtre d'une statuette.

 

Mots et expressions

 

- "Pailletant... étincelle" : chaque goutte de rosée est transformée par le soleil en une paillette étincelante.

- "vigne folle" : vigne vierge.

- "Velléda" : prêtresse gauloise.

- "Parmi l'odeur fade du réséda" : le mot "odeur" tient ici, après "parmi", la place ordinairement réservée à un nom au pluriel ou de sens collectif. Sans doute Verlaine a-t-il voulu traduire ainsi le caractère envahissant de l'odeur du réséda qui submerge toutes choses dans le jardin, hormis la "Velléda".

 

Construction

 

Ce poème est un sonnet. Mais Verlaine a pris quelques libertés avec les règles classiques : césures déplacées, ordre des rimes un peu modifié dans la dernière strophe, par exemple.

 

Composition

 

Il n'y a pas de plan proprement dit. La composition du poème correspond à la succession des impressions de l'auteur.

- 1er quatrain : impression générale.

- 2e quatrain : les objets familiers, éléments du décor.

- 1 er tercet : les détails gracieux (fleurs, oiseaux).

- 2e tercet : le souvenir se cristallise sur une statuette.

 

Intérêt du poème

 

- Il faut, tout d'abord, apprécier l'extrême discrétion avec laquelle Verlaine évoque ses souvenirs. Il nous les laisse deviner plutôt qu'il ne nous les exprime. Aucun nom, aucun visage. Mais seulement l'émotion subtile et pénétrante qu'éveillent, chez le poète, ces témoins inchangés des heures délicieuses passées en compagnie de celle qu'il aimait. À ce propos, on pourra utilement comparer "Après trois ans" avec la "Tristesse d'Olympia", de V. Hugo. "Le Lac", de Lamartine, et "Souvenir", d'A. de Musset, traitent un thème analogue, mais avec un lyrisme tout romantique.

- On admirera la belle simplicité de ces vers : Verlaine emploie les mots de tous les jours, ceux qui viennent spontanément sur les lèvres lorsqu'on se confie librement à un ami. Là encore, par ce refus de l'éloquence, Verlaine s'oppose nettement aux poètes romantiques.

- Cette simplicité se retrouve également dans le décor : un petit jardin, une porte branlante, une "humble tonnelle", un "vieux tremble", une statuette écaillée ... Décor banal, mais émouvant parce que tout y parle du bonheur paisible auquel il a servi de cadre.

- Verlaine nous décrit ce décor par une juxtaposition de notations, d'impressions surtout : la lumière (vers 3-4), les sons (vers 7-8), les mouvements (9-10-11), les odeurs (14), etc. Toutes ces sensations délicates recomposent avec art le "climat" du petit jardin. Noter l'originalité de l'épithète "fade" : l'interpénétration des sensations ("fade" est un adjectif de saveur). Cette notation : "l'odeur fade du réséda", révèle peut-être l'évolution des sentiments du poète : ce qui le charmait jadis lui semble "fade" aujourd'hui et ne le contenterait plus...

- Enfin, comme tous les poèmes de Verlaine, "Après trois ans" est remarquable par sa musicalité : rythme souple et varié, combinaison harmonieuse des sonorités fluides et claires (ai-elle) et des sonorités plus sourdes, voilées (an, in, ou). Le résultat est une musique subtile et exquise.

 

 

POÈME SUR LE MÊME THÈME : LA VIGNE ET LA MAISON

 

Viens, reconnais la place où ta vie était neuve !

N'as-tu point de douceur, dis-moi, pauvre âme veuve,

À remuer ici la cendre des jours morts ?

À revoir ton arbuste et ta demeure vide,

Comme l'insecte ailé revoit sa chrysalide,

Balayure qui fut son corps ?

 

Moi, le triste instinct m'y ramène.

Rien n'a changé là que le temps ;

Des lieux où notre œil se promène,

Rien n'a fui que les habitants.

 

Suis-moi du cœur pour voir encore,

Sur la pente douce au midi,

La vigne qui nous fit éclore

Ramper sur le roc attiédi.

 

Contemple la maison de pierre,

Dont nos pas usèrent le seuil :

Vois-la se vêtir de son lierre

Comme d'un vêtement de deuil.

 

Écoute le cri des vendanges

Qui monte du pressoir voisin,

Vois les sentiers rocheux des granges

Rougis par le sang du raisin.

 

Regarde au pied du toit qui croule :

Voilà, près du figuier séché,

Le cep vivace qui s'enroule

À l'angle du mur ébréché !

 

L'hiver noircit sa rude écorce ;

Autour du banc rongé du ver

Il contourne sa branche torse

Comme un serpent frappé du fer.

 

Autrefois, ses pampres sans nombre

S'entrelaçaient autour du puits ;

Père et mère goûtaient son ombre,

Enfants, oiseaux rongeaient ses fruits.

 

Il grimpait jusqu'à la fenêtre,

Il s'arrondissait en arceau ;

Il semble encor nous reconnaître,

Comme un chien gardien d'un berceau.

 

Sur cette mousse des allées

Où rougit son pampre vermeil,

Un bouquet de feuilles gelées

Nous abrite encor du soleil.

 

Vives glaneuses de novembre,

Les grives, sur la grappe en deuil,

Ont oublié ces beaux grains d'ambre

Qu'enfant nous convoitions de l'œil.

 

Le rayon du soir la transperce

Comme un albâtre oriental,

Et le sucre d'or qu'elle verse

Y pend en larmes de cristal.

 

Sous ce cep de vigne qui t'aime,

Ô mon âme ! ne crois-tu pas

Te retrouver enfin toi-même,

Malgré l'absence et le trépas ?

 

Lamartine, Psalmodies de l’Âme. Dialogue entre mon âme et moi [Extraits]

 

 

ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

 

- J. RICHER : Paul Verlaine (Paris, Seghers, 1957).

- O. NADAL : Verlaine (Paris, Mer­cure de France, 1961).

- Y. G. LE DANTEC : Introduction à l'édition des œuvres complètes de Paul Verlaine (Paris, Pléiade, 1938).

 

 

© Fiche pédagogique établie par Mlle Clerc - C.M.2 - F.E.P., mardi 23 avril 1968
 

 

 

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