Tèn odón étrèpsamen

 

Fragments d'un journal de voyage - Pour Xavier, Willy le Flamand et Roger de Saint-Étienne-Ste Sigolène, Jean et Monique, tant d'autres encore...

 

"Voyager à pied m'a toujours ravi. L'éloge du voyage à pied n'est plus à faire. Je ne le ferai pas. Je dirai seulement le bonheur que j'ai à marcher." (Henri BOSCO, Un rameau de la nuit, 1950).

 

 

 

PARTIR...
PARTIR, c’est avant tout sortir de soi. Briser la croûte d'égoïsme qui essaie de nous emprisonner dans notre "moi".
PARTIR, c'est cesser de tourner autour de soi-même, comme si on était le centre du monde et de la vie.
PARTIR, c’est ne pas se laisser enfermer dans le cercle du petit monde auquel nous appartenons : quelle que soit son importance, l'humanité est plus grande et c’est elle que nous devons servir.
PARTIR, ce n’est pas dévorer des kilomètres, traverser des mers, ou atteindre des vitesses supersoniques. C'est avant tout s'ouvrir aux autres, les découvrir, aller à leur rencontre.
S'ouvrir aux idées, y compris à celles qui sont contraires aux nôtres, c'est avoir le souffle d'un bon marcheur.
Heureux qui comprend et vit cette pensée : "Si tu n'es pas d'accord avec moi, tu m’enrichis". Il est possible de cheminer seul. Mais le bon voyageur sait que le grand voyage est celui de la vie et qu'il suppose des compagnons.
Le compagnon, c'est celui qui mange le même pain. Heureux qui se sent éternellement en voyage et qui voit dans tout prochain un compagnon désiré...
Le bon voyageur se préoccupe de ses compagnons découragés. Il devine le moment où ils en viennent à désespérer. Il les prend surtout avec amour, il leur fait reprendre courage et retrouver goût au voyage.
Avancer pour avancer, ce n'est pas voyager.
Voyager, c'est aller à la recherche d’un but ; c'est prévoir une arrivée, un débarquement.
Mais il y a voyage et voyage.

Pour les vrais voyageurs, PARTIR signifie se mettre en mouvement et aider beaucoup d'autres à se mettre en mouvement pour construire un monde plus .juste et plus humain.

[Affichette trouvée dans l'église abbatiale de Saint-Sever (Paroisse Notre Dame du Mont Carmel, Diocèse d'Aire et Dax)]

 

 

Vendredi 25 août 2000 Grenoble-Le Puy

 

Un énorme sac à mes pieds, je suis sagement assis sur un banc de la gare.

Un projet venu de très loin. Une rencontre inopinée, à la Poste centrale de Grenoble, d'un ancien professeur de français à l'École normale ; il me parla de sa retraite à peine entamée, qu'il avait inaugurée par une très longue randonnée pédestre. J'avais souri. Peut-être de commisération. Je n'avais pas voulu dire à cet homme, que j'estimais beaucoup, combien cette attitude me paraissait saugrenue. Ridicule, pour tout dire. Ah, jeunesse ! Quels emportements déplacés ! Et puis, durant trente années, ce projet vint progressivement, insidieusement et lentement m'habiter.

Le moment était venu. C'est pourquoi je me trouvais assis sagement sur un banc de la gare, mon énorme sac à mes côtés. J'avais parcouru à pied, un peu honteux à cause de ma tenue pèlerine, la distance qui me séparait de la gare. Et j'attendais. Certes, la clé mise sous la porte, je n'avais guère d'entraînement. Mais, deux semaines auparavant, je m'étais imposé un défi. Monter au Moucherotte, plus précisément à l'Hermitage, cet ancien hôtel d'altitude si prisé de la Jet Society, qui allait être démoli ; y monter avec plus de vingt litres d'eau dans mon sac. Et redescendre dans le même appareil. Si je réussissais cette épreuve, m'étais-je dit, alors la route de Compostelle était à moi. Je la réussis, fort difficilement, d'ailleurs. Mais je la réussis, et je n'allai pas chercher plus loin.

Midi, le train s'ébranle. Ses bercements rythment le lent éloignement de tout ce qui a été, pendant si longtemps, l'essentiel de mon être. Un métier est une colonne vertébrale, et vous façonne malgré que vous en ayez, peu à peu et inexorablement. Le moment était venu de couper le cordon, d'entrer dans une vie plus libre, pensais-je, aux épisodes davantage choisis. On se fait des illusions à tout âge.

 

 

Mais pour l'heure, je voyais défiler malgré moi des épisodes passés. Je songeais avec amusement qu'une conseillère pédagogique m'avait gentiment caricaturé avec une tête en forme d'ordinateur, l'œil rivé à la montre. Il y avait pas mal de vrai, dans cette charge qui m'avait fait plus ou moins sourire... Je souriais encore en me disant que, dorénavant, je n'aurais plus besoin de regarder ma montre... Grave erreur, là encore !

 

Saint-Étienne. Une attente interminable sur les quais. J'ai eu largement le temps d'épuiser le stock de journaux que j'avais achetés en prévision du voyage. Et quel voyage à l'ancienne, avec la micheline Saint-Étienne-Le Puy ! Magnifique édifice religieux entr'aperçu furtivement vers Retournac…Je me promets de revenir ultérieurement, pour prendre le temps de l'admirer à loisir...

 

[Sept années plus tard, je ne l'ai pas encore pris...]

 

 

 

 

 

Après avoir sacrifié à mon vice mignon, la visite attentive d'une brocante installée près de l'Office du tourisme, j'attaque une rude montée jusqu'à la cathédrale.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le gîte où j'ai réservé une place pour la nuit, est tout près de là. Je n'y trouve pour le moment qu'un seul autre pèlerin, originaire du sud de la Drôme ; je remarque qu'il est appareillé aux deux oreilles. Et qu'il est assez volubile. Il me dit avoir accompli l'an passé cinq étapes en Espagne avec sa femme. Laquelle, ayant eu les pieds en sang, a fait capoter leur projet d'aller au-delà. Il me parle de sa femme, mais je ne la vois nullement. Je ne verrai plus ce compagnon que le lendemain, accompagné de deux autres pèlerins, à la messe.

 

Pour l'heure, j'observe, assis dans un délicieux jardin intérieur, le petit monde du gîte (religieux) s'agiter autour de moi. Plusieurs jeunes primo-délinquants je présume, en tous cas en cours de réinsertion, sont accueillis et rendent de menus services. Amusement de constater que l'un d'eux essaie de peloter une des jeunes sœurs présentes, laquelle se défend… bien mollement, ma foi !

À propos de foi, ces braves soeurs m'indiquent que tout pèlerin qui se respecte, en partance pour Compostelle, se doit d'assister à la messe de sept heures... Je ne dis pas que la chose me réjouisse particulièrement. Si je fais exception des sépultures, la dernière fois que j'ai assisté à une messe, et encore étais-je en service commandé, doit se situer autour de l'année 1957. Il me semble qu'Albert Camus venait de périr dans un accident d'automobile (aucun rapport entre cette funeste disparition et ma présence à l'office). Mais je me dis que j'y rencontrerai peut-être des gens susceptibles de devenir des compagnons de route. Alors, pourquoi pas ?

 

 

1er jour - Samedi 26 août Le Puy-Montbonnet - 15 km.

 

Il est vraiment tôt lorsque je me réveille, et me prépare un peu cérémonieusement au grand départ.

 

 

 

 

 

Dans la demi-obscurité, je contemple au loin, par delà la ville encore endormie, les collines qui, dans la journée, me verront aller vers un nouveau destin. Le petit déjeuner avalé, en route pour la cathédrale !

 

 

 

La messe le matin ! À sept heures précises, je suis pratiquement seul dans l'édifice, puis arrive une troupe de jeunes gens et jeunes filles… À en juger par la tête des deux qui s'installent devant moi, je songe qu'elles n'ont pas dû faire que prier toute la nuit… Et vas-y pourtant de moult génuflexions ! Pourquoi tant en faire ? Pour obtenir je ne sais quel hypothétique pardon ?

Mais voici que l'évêque, qui célèbre en personne la messe-bénédiction, prie les pèlerins en partance de bien vouloir s'approcher de lui. Je rejoins le petit groupe avec retard, parce que j'ai quelque peu hésité, il faut le reconnaître. Nous sommes réunis certes un peu à l'écart, mais en fait devant l'église désormais pleine ! Quatre pèlerins vont donc s'élancer (si je puis dire), le monsieur sourd, un jeune couple et moi-même. Comme je suis invivable, je pense à part moi que les deux jeunes ne devraient pas être en train de lécher leur hostie, mais au turbin, car ils n'ont pas encore atteint, à vue de nez, l'âge de la retraite. Et puis, je songe qu'ils ont le genre étudiant, qu'ils ne sont peut-être même pas encore entrés dans la vie active... Il fait bon être jeune.

L'évêque est particulièrement jeune, lui aussi ; il ressemble étonnamment à l'un de mes bons amis instituteurs. Apprenant que je suis un fichu mécréant, il n'insiste pas. Mais après son petit discours sur les beautés intérieures du chemin - j'avoue que je ne me sentais pas particulièrement à l'aise, avec tous ces fidèles dans le dos - il me serre vigoureusement la main et me remet une médaille ! Et moi qui lui dis que je la porterai à mon cou !

J'ai tenu parole. Je l'ai portée, à côté d'une autre, venue de mon enfance. Je l'ai gardée jusqu'à mon retour de Compostelle. Puis je l'ai rangée avec la Credential. C'est bête, n'est-ce pas ?

Petit passage par la sacristie, où un laïc nous remet le "passeport" à faire tamponner à chaque étape, pompeusement nommé la créanciale de l'Église catholique, qui n'est d'ailleurs pas réservée aux seuls croyants. Et à nous la liberté !

C'est dur, la liberté, car dès le départ je me trompe, ou plus exactement suis induit en erreur par un autochtone. Rapidement, j'apprendrai à ne compter que sur moi-même.

 

 

 

 

Enfin le chemin de Compostelle, la montée Coupe-Jarret si ma mémoire est bonne. Et ce nom n'est pas usurpé, car on parvient au sommet bien essoufflé… Heureusement, le sentier est ensuite presque totalement plat...

 

 

 

Maintenant, on s'éloigne du Puy, qui diminue derrière soi, jusqu'à disparaître. Cette fois, on est vraiment parti !

Je m'attarde durant près d'une heure, à l'entrée de Liac, pour le repas de midi. Il est vrai que je n'ai pas encore mes marques, et que j'ai placé l'indispensable pitance... tout au fond du sac... Il y aura pas mal de réflexes de bon sens à acquérir...

 

Une heure plus tard, j'atteins Montbonnet. Première étape sympathique, et nouvelle erreur : j'aurais évidemment dû pousser plus loin. Ma seule excuse est que mes pieds sont très las, en dépit de quinze petits kilomètres effectués sur du plat. Ce sont les débuts, le métier rentre. En tout cas, je n'ai pas rencontré âme qui vive sur le chemin : où sont mes voisins de messe passés ? Je ne les reverrai jamais.

Je suis le premier pèlerin à accéder au gîte, ce qui n'est pas autrement étonnant, vu l'heure. Il s'agit d'un bâtiment ancien reconverti en gîte relativement spartiate. Mais le coût de l'accueil, fort léger, compense la modestie du lieu. Je serai d'ailleurs fort surpris, d'étape en étape, de constater des différences de prix sans lien aucun avec le confort obtenu en échange. Douche bienfaisante, puis je m'effondre sur mon lit.

Tandis que j'émerge d'une sieste réparatrice, survient un jeune pèlerin belge, qui me fait connaître "Cyper Pèlerin". Comme il travaille chez IBM, il a préparé ses étapes avec l'Internet - voilà encore une attitude que j'aurais pu, que j'aurais dû, observer. Puis survient un jeune homme "autonome" avec sa tente (il porte 25 kg !). Il me dit pouvoir ainsi coucher n'importe où, sans craindre les ronfleurs.

Dans cette nuit de samedi à dimanche, je les entendrai parallèlement à la pluie qui tombe, les ronfleurs, 13 "randonneurs" venus en voiture du Rhône, et un peu bruyants lors de leur coucher ! C'est la première fois, pas la dernière, hélas, que je croiserai, en fin de semaine, des gens généralement très bruyants (ils ne sont jamais très fatigués) qui s'éclatent à frais réduits dans les gîtes communaux, en principe réservés aux marcheurs !

Au réveil, je me souviens d'un rêve, que je note. Je note surtout que je ne rêvais plus depuis longtemps: Ce rêve est le premier d'une longue série. Il m'apprend qu'il ne suffit pas de s'éloigner de son lieu d'exercice pour oublier, comme par enchantement, des années de métier.

 

 

2e jour - Dimanche 27 août Montbonnet-Saugues 8 h 15 - 16 h 30 env. 25, 5 km

 

J'avais commandé le petit déjeuner au bistrot voisin, et pour sept heures. Mais à l'heure dite, tout est fermé, et deux piliers de bistrot, qui attendent et se gèlent, ironisent sur mon "extincteur" (la gourde) et mes chaussettes qui sèchent sur le sac. Excusez-moi, c'est dimanche (c'est vrai, je l'avais oublié), me dit le patron.

Il fait très froid, ce matin, après la pluie de la nuit : je suis obligé de passer un pull. Un peu avant le Chier, vers 9 h, je me régale de mûres. Frz m'appelle, mais malheureusement nous sommes très vite coupés : ça passe mal, dans les campagnes.

 

 

 

 

 

 

 

Une heure et demie plus tard, me voici en vue de la tour de Rochegude, sentinelle au-dessus des gorges de l'Allier. Agréable rencontre, autant qu'inattendue, et qui ne se renouvellera pas avant longtemps : des jeunes gens, des collégiens de 3e, dirais-je, offrent des boissons fraîches aux pèlerins qui passent. Bien agréable accueil, bienfaisante halte !

Mais il ne faut pas se déconcentrer : déjà, il convient de poursuivre.

 

 

 

 

 

 

Et c'est pour négocier une satanée descente, au milieu de racines apparentes et enchevêtrées, dans lesquelles le pied risque, à tout moment, de se prendre. Enfin, tout en bas, l'arrivée à Monistrol d'Allier. Tiens, je me dis que c'est ici, en réalité, que j'aurais dû venir coucher, si j'avais préparé sérieusement mon voyage...

 

 

 

 

 

 

 

De plus, je perds plus d'une demi-heure à tourner, avant de rencontrer le balisage du GR 65…

Montée bien fatigante, après la forte descente sur Monistrol : 400 mètres de dénivelé à avaler en un rien de temps, il y a de quoi s'en souvenir, quand l'entraînement préalable n'a pas été au rendez-vous !

 

 

 

 

Courte halte dans la montée après Monistrol, vers Montaure. Enfin, me voici sur le plateau Gévaudan.

 

 

Je croise plusieurs chiens menaçants dont un particulièrement hargneux à Rosiers : c'est d'ailleurs une automobiliste qui, en lui fonçant dessus, m'aide à éloigner de ma route ce compagnon aussi intempestif que malveillant. Je n'ai pas encore acquis le réflexe du bâton et, du reste, le mien n'est pas suffisamment imposant pour faire reculer les audacieux.

 

Maintenant, voici la descente très abrupte sur Saugues, où je me casse à nouveau les pattes. Je traverse enfin ce gros village, d'où toute vie semble s'être retirée. J'avise enfin un bistrot opportunément ouvert : comme je suis gelé, je prends deux bières et un gros sandwich, pour me remonter.

 

Le gîte se trouve dans l'enceinte du camping, je dors dans une petite pièce avec des "Marseillais" que je reverrai une fois à Le Sauvage (ils roulent en voitures, ce sont des pèlerins de type espagnol, comme je l'apprendrai bien plus tard). À côté, dorment trois pèlerines allemandes.

 

 

3e jour - Lundi 28 août Saugues-Le Sauvage env. 25 km, 9 h 30 - 14 h 30

 

Déjeuner avec les trois Allemandes, avec qui je m'entretiens brièvement : elles ne parlent pas un mot de français, et moi, en allemand, ce n'est plus ce que ça a pu éventuellement être… Elles doivent être chrétiennes, car avant de manger, elles entonnent un chant dans lequel revient à plusieurs reprises le nom de Jésus.

 

Avant de démarrer vraiment, j'achète Le Monde et quelques cartes postales, que je vais écrire et poster, avec mon premier envoi-retour de documents à la maison (j'aime, ici ou là, à glaner des documents que je reverrai plus tard, à la veillée, pour me souvenir).

 

Du coup, lorsque je suis réellement prêt au départ, il est 09:30 !!! Pour quelqu'un qui se targue d'être matinal... Je rencontre Xavier, le jeune Belge d'IBM. Il est dans un état absolument lamentable, après deux jours de marche, seulement. Il traîne la patte comme un chien perclus de rhumatismes. Il fait peine à voir, avec ses deux genoux bandés : je comprends que la descente de Monistrol n'a pas été éprouvante que pour moi ; je lui conseille de s'arrêter le plus vite possible pour se retaper, et je poursuis.

C'est pour rapidement doubler les trois Allemandes de ce matin, puis deux jeunes gens que je n'avais pas encore aperçus. Si nous étions à vélo, je me qualifierais de rouleur - la grimpe n'étant pas ma partie forte ; mais sur le plat, je sais tenir une allure qui en a découragé plus d'un(e).

 

 

 

Or, c'est pour l'instant sur des étendues plates, que nous avançons.

 

À La Clauze, je dépasse une école fermée il y a plus de vingt ans : inexorablement, la Margeride se dépeuple. À midi, vers Le Falzet, c'est la halte réparatrice..

 

 

À Poudrac, on quitte la RN. Moins d'un quart d'heure après, se dessine dans le lointain l'imposante silhouette de le Sauvage, qui porte bien son nom.

 

 

 

 

Isolé sur le plateau, cet ancien hôpital des Templiers tout en pierre de taille, devenu ferme louée au département, et accessoirement gîte, possède une allure d'une extraordinaire majesté.

 

 

C'est le terme de cette troisième journée de marche. J'arrive encore le premier, choisis donc ma place dans un immense dortoir - et je me prends à imaginer les lieux, l'hiver, lorsque la burle souffle. Je ne sais pourquoi, il règne dans ce grenier l'atmosphère que ressentait Meaulnes, me semble-t-il, lorsque, cherchant le sommeil avec François, ils entendaient siffler et gémir les naufrages.

Je prends donc tout mon temps pour la toilette et le lavage du linge, puis je sors inspecter les lieux. Tiens, mes plantes de pied sont assez douloureuses, et je sautille plus que je ne marche,

 

 

 

 

 

tandis que, faisant le tour du propriétaire, je mitraille la façade de mon refuge d'un soir, avec le contraste évident de la partie élevage, opposée à celle, pimpante et fleurie, qui accueille le pèlerin, voire le touriste...

 

Et puis, je me procure d'indispensables cartes postales.

 

Quelques photos plus tard, et voici deux heures que j'ai pris possession des lieux, je vois, à ma grande surprise, arriver Xavier, qui est donc bon second. Il ne paraît pas en si mauvais état que ça, en définitive. La Margeride lui réussirait-elle ?

Repas assez animé, mais je ne prends guère part à la discussion. Combien de convives ont-ils réellement accompli à pied le trajet, Xavier et moi exceptés ? Je ne parierais pas sur un nombre, peu élevé de toute manière.

Nuit bien moyenne, agitée de plusieurs cauchemars : le métier continue à me poursuivre, tandis que, je le ressens dans toutes les fibres de mon corps, la rentrée scolaire approche...

 

 

4e jour - Mardi 29 août Le Sauvage-Aumont-Aubrac, 27 km, sept heures trente de marche

 

Deux Cannoises, que je n'avais pas remarquées la veille, ou qui sont peut-être arrivées tard le soir, descendent déjeuner en même temps que Xavier et moi.

 

 

 

Dernier cliché du Sauvage, énorme masse pour un temps encore enfoncée dans la nuit, puis en route !

 

 

 

 

Me voilà à nouveau seul, sans doute est-ce pourquoi, du côté de la Chapelle Saint-Roch, je perds par manque de vigilance le fil du trajet, et en suis quitte pour quelques allers-retours ! Non, je n'ai pas encore la cadence du pèlerin, qui avance avec sûreté, et devine bien à l'avance les discrètes marques rouge-blanc ! Il est vrai, à ma décharge, et j'ai souvent constaté le fait, que lorsqu'il n'y a pas d'équivoque, les aides au guidage sont nombreuses. Quand surgit quelque difficulté, alors le rouge-blanc se fait d'une discrétion incroyable.

 

 

 

 

Et me voici traversant quelques-unes de ces forêts désolées par les tempêtes de fin décembre dernier. Il faut voir cela pour comprendre comment tout peut être dévasté dans un corridor rectiligne, tandis qu'à quelques mètres du passage de l'ouragan, du cyclone devrais-je dire, rien ne manifeste une quelconque catastrophe.

 

Vers 10 heures, à Le Rouget, j'ai lu un charmant petit mot accroché à un panneau, et bien en vue : "Pour X, Y et Z, de la part de Papa : Mâche ou rêve" ! Je ne sais si les jeunes gens ainsi interpellés étaient loin ou tout près de lire le message qui leur était ainsi paternellement adressé. Je profite de cette lecture pour m'arrêter un moment à cause d'un banc qui me tend opportunément les bras, en tous cas ses lattes, pour me désaltérer et pour appeler au téléphone AL, sur le point de perdre deux de ses dents de sagesse.

Je me souviens trop de la difficulté qu'avait connue mon dentiste, arc-bouté avec son épouse (!) au-dessus de ma pauvre mâchoire qui n'en pouvait mais, mais laissait échapper de bien sinistres craquements - et c'était, pourquoi le souvenir m'en revient-il, le sur-lendemain de la catastrophe de Saint-Laurent-du-Pont - pour ne pas m'inquiéter de cette intervention. Au passage, moi qui n'arrête pas de maugréer contre cette invention du diable - j'en ai parfois perçu d'intempestifs échos jusque lors de sépultures - je me félicite d'avoir glissé dans ma poche ce petit engin de fait fort commode.

 

 

 

 

Et puis voilà qu'apparaît au loin Saint-Alban sur Limagnole, avec cet immense hôpital, créé par Napoléon ; Éluard vint s'y réfugier durant la seconde guerre mondiale, comme l'atteste une inscription.

 

 

À 11:40, j'ai rempli ma gourde à la source "La Bienfaisante", à Grazières-Magès. Je me suis arrêté peu après, pour me restaurer. Ce que j'ai fait debout, soi-disant pour que mes jambes ne perdent pas le rythme... Que d'erreurs !

J'ai alors pu passer un long coup de fil à A-L, dont l'opération s'est parfaitement déroulée, sans séquelles inflammatoires. Me voilà rassuré, et prêt à avaler les kilomètres.

À l'entrée d'un champ, dans le hameau de Bigose, tout juste après les Estrets, je tombe en arrêt devant un grand panneau : Défense de pique-niquer ! Avis, donc, aux pèlerins !

 

 

 

Plus que cinq kilomètres à parcourir, en ligne plus ou moins droite, sur du faux-plat : c'est l'Aubrac, et cette fin de trajet, aux formes douces mais monotones, piquetées de ruminants couchés, est d'un pénible ! En plus, le ciel semble menacer, comme on dit.

 

Une fois encore, j'ai souffert, ou plus exactement, j'en ai bavé.

 

Enfin, à quinze heures vingt très exactement, je puis choisir mon lit dans un dortoir particulièrement rustique, mais dont ma fatigue accepte avec reconnaissance l'hospitalité. Surprise : c'est la première fois que mon petit linge sèche totalement dans l'après-midi.

Lorsque Xavier arrive, je suis déjà installé depuis au moins deux heures et, sur la Place du Portail, dans un bistrot nommé au Rendez-vous des Chasseurs, je déguste une bonne bière, dont la fraîcheur amère me fait un peu oublier mes genoux endoloris ! En fait, moi qui devrais ne plus me soucier de l'heure, je note que j'ai marché durant sept heures trente (petits arrêts non déduits, mais ils sont négligeables), alors que le bouquin de Laborde, toujours emmitouflé au fond de mon sac, annonce six heures trente pour le même trajet. Quelque chose ne va pas en moi, et les genoux ne doivent pas être seuls en cause. Je m'évade quelque peu en échangeant des impressions avec Xavier. Lui a décidé d'aller manger en ville, j'ai préféré prendre la demi-pension, sur la foi, ou plutôt le minois, d'une hôtesse fort accorte.

Bien m'en a pris, car le repas copieux a pu calmer une faim incroyable ; non seulement, entraîné par des commensaux tout aussi affamés que moi, je prends trois parts de tarte aux poireaux, mais encore je reviens une seconde fois sur une délicieuse daube, que je qualifierais de mitonnée à l'ancienne ; il est vrai que l'hôtesse semble prendre plaisir à voir ses préparations disparaître jusqu'à l'ultime miette.

En face de moi, une randonneuse entre deux âges, qui me dit être amoureuse de l'Aubrac, et les deux jeunes gens, fort sympathiques, arrivés je ne sais d'où, je ne sais quand. Nuit réparatrice, et j'en avais besoin. Dès neuf heures, je m'en vais, encadré par Hypnos et Nyx. Si je n'entends pas les retardataires, vers 10 heures, et à peine le violent orage, qui s'est abattu sur nous sur le coup des deux heures du matin, dont m'entretient Xavier, au petit déjeuner, en revanche Morphéus m'invite à quelques rêves, où se bousculent allègrement amis d'enfance, rencontres professionnelles et marcheurs de la veille. J'essaie de donner du sens à tout cela, ravivant de vieux souvenirs de mes lectures freudiennes :