Nous sommes encore dans une école normale et encore aussi dans l'école d'application. Seulement, nous avons devant nous des élèves du cours supérieur, de grandes fillettes qui ont obtenu leur certificat d'études ou qui sont en voie de l'obtenir. La jeune élève-maîtresse dont c'est le tour de s'exercer au professorat fait une leçon de sciences physiques et naturelles, de botanique pour le moment. Elle a raison, car, malgré la froidure persistante, mai s'est couronné au moins d'un peu de verdure. Des plantes germent là-bas dans le jardin, et montrent leurs premières feuilles. Sur le bureau, un champignon né de la nuit, quelques grains d'orge gonflés de glucose et laissant déjà échapper de leur enveloppe un filet prêt à verdir ; de petites citrouilles sortant de leurs langes avec gemmule, tigelle et radicelle ; paquet de primevères, de renoncules, violettes etc., rapporté sans doute hier de la promenade. À côté, des spécimens grossis, extraits de la collection que possède l'école normale ; des géants à côté des nains, la nature déformée à côté de la nature vraie, l'image en face de la réalité.

 

Les unes et les autres sous les yeux, on récapitule ce qu'on a dit précédemment, parait-il, sur les verticilles des fleurs, et 1'on fait reconnaître toutes choses ; on les fait relire, dirions-nous volontiers : le calice et ses sépales, la corolle et ses pétales, les étamines avec leurs filets et leurs anthères, le pistil avec son ovaire, son style et son stigmate, sont retrouvés et nommés couramment ; celles de ces jeunes filles qui seront un jour fleuristes ne seront point exposées à commettre de trop grosses hérésies quand elles auront à imiter la nature et à copier ses œuvres les plus délicates. Après cette révision, on en vient aux familles végétales. Moi qui ai feuilleté tout à l'heure les cahiers de botanique à l'école normale, je tremble de voir arriver là les effrayantes nomenclatures dont ils fourmillent. Point, Dieu merci. La jeune élève-maîtresse se contente de faire remarquer que les végétaux présentent des différences et des ressemblances qui permettent de les partager en groupes plus ou moins nombreux. La langue l'a fait depuis longtemps : ainsi tout le monde sait que, parmi les plantes, il y a des arbres, des arbustes, des herbes. La science a entrepris de le faire à son tour. Mais sur quoi se baser ?... Eh bien, après avoir passablement tâtonné, les botanistes ont pris pour point de départ les premiers signes de vie que donne la plante : elle a, à sa naissance, deux cotylédons comme cette citrouille ; elle n'en a qu'un comme ces grains d'orge ; elle en manque absolument comme ce champignon et ces lichens, et voilà les plantes rangées en trois grandes classes dont vous avez déjà entendu parler ? - Les dicotylédonées, les mono-cotylédonées, les acotylédonées. - Pour ne pas rester dans une division aussi vaste, les botanistes ont passé de la graine et de la germination à la fleur. Là, ils ont trouvé de nouvelles différences et de nouvelles ressemblances qui les ont amenés à créer en quelque sorte ces familles végétales dont j'ai à vous parler aujourd'hui. Ah ! combien ils en ont trouvé ! Tenez, toute cette longue liste que vous voyez occuper deux pages de mon cahier de botanique. Il y a : les renonculacées, les papavéracées, les crucifères, les caryophyllées, les malvacées, les légumineuses, les rosacées, les primulacées, les cucurbitacées, les ombellifères, les composées, les borraginées, les solanées, les scrofulariées, les labiées, les euphorbiacées, les urticées, les amentacées, les conifères, les liliacées, les iridées, les narcissées, les orchidées, les asparaginées, les palmiers, les graminées, etc., etc. Ne vous effrayez pas de tous ces noms ; nous n'en retiendrons que quelques-uns, ceux par exemple dont le sens vous est connu à l'avance. Ainsi, les mots renonculacées, crucifères, légumineuses, rosacées, liliacées, graminées et quelques autres ne vous étonnent pas trop. Eh bien, ce sont ceux-là seulement que vous nous entendrez quelquefois prononcer dans nos promenades, au fur et à mesure que le printemps ou notre jardin nous fourniront des types des familles ainsi baptisées. Voilà déjà des renonculacées dans ces renoncules, des graminées dans ces grains d'orge, des légumineuses dans ces haricots, des … oh ! l'horrible mot ! pardonnez-le moi... des cucurbitacées dans ces citrouilles. Les églantiers de notre haie, nos poiriers, nos pommiers nous fourniront des rosacées ; nos choux, quand ils seront en fleurs, des crucifères ; nos lis, des liliacées, nos iris et nos glaïeuls, des iridées ; notre carré de cerfeuil, des ombellifères ; notre épicéa est un conifère... Vous voyez que tout cela n'est pas si féroce que c'en a l'air. Encore permettrai-je, pour ma part, bien des oublis. Maintenant que vous voilà rassurées, étudions aujourd'hui au moins 1es caractères particuliers d'une ou deux familles, et ce sera assez…

C'était assez, en effet, pour ces jeunes filles, pour ces enfants d'école primaire, qui ne peuvent prétendre qu'à de simples notions en botanique comme en bien d'autres choses. Du reste, ces notions serviront de premier fonds à celles qui auraient un jour le désir et le loisir de pousser plus loin leurs études sur les sciences physiques et naturelles.

La leçon fut sobre, pourtant sans sécheresse. Cette élève-maîtresse était restée dans la mesure : d'instinct, elle avait deviné que "Enseigner, c'est choisir".

 

E. B., in Revue pédagogique n° 16, 2ème semestre 1885