Je tiens ce livre - dont on ne trouvera ici que la succulente introduction - comme infiniment important : plus qu'une lecture salutaire, c'est une lecture indispensable. D'où le titre de cette mise en ligne...
Car l'auteur ne se contente pas de dénoncer les mille travers du système. Il paie aussi de sa personne, si j'ose dire, puisqu'il organise, depuis près de vingt ans, un accompagnement scolaire auprès d'enfants et d'adolescents qui ne bénéficient pas d'un environnement familial favorable : lui et son équipe leur font connaître les outils grâce auxquels ils seront en mesure de trier, de compléter et d'approfondir ce qu'ils voient à l'école ; grâce auxquels un soupçon d'égalité des chances sera peut-être au rendez-vous : D'Humières est donc au service des plus démunis, et leur inculque ce goût de l'effort si décrié aujourd'hui (j'adore vraiment son "apprendre un texte par cœur, Google ne peut pas le faire à votre place" !) ; et c'est rafraîchissant, pour qui connaît tant soit peu, de l'intérieur, ce système sclérosé qui ne parle que de la baisse indubitable des moyens, antienne parfaitement mensongère, comme l'étaient les sirènes staliniennes sur la constante paupérisation ouvrière durant les Trente Glorieuses. Alors que c'est le temps scolaire qui se réduit comme peau de chagrin, tandis que la barque est de plus en plus chargée d'éléments oiseux (les soi-disant projets !) n'ayant rien à voir avec l'acquisition des connaissances et, au premier chef, la maîtrise raisonnable de la langue française - à un moment crucial où, comme l'a fait observer Antoine Compagnon dans sa Leçon inaugurale, "l’accélération numérique morcelle le temps disponible pour les livres". Et je songe à part moi à ce gros mensonge des 90 % d'élèves obtenant le bac, alors que très peu possèdent l'indispensable socle des solides connaissances, et que la plupart seraient recalés à l'ancien examen du Certificat d'Études primaires...
L'échange fictif qui suit est sans doute très cruel, mais peut-être propre à faire tomber certaines peaux de saucisson. En 2048 (!), un paisible professeur retraité reçoit la visite d'un chercheur américain qui vient d'achever une thèse sur l'effondrement du système scolaire français. L'échange entre les deux hommes tourne vite à l'aigre, et même au pugilat. Parmi les piques échangées, je retiens l'allusion au rôle néfaste des syndicats (un site suisse, parlant de tout autre chose, me fournit ce jour l'excellente expression que je modifie à peine, lorsqu'il fustige "les revendications extravagantes des représentants des enseignants") à propos desquels il faut toujours revenir à "cette médiocrité spécifique que secrète trop souvent le syndicalisme enseignant" comme l'avait écrit il y a si longtemps Jacques Julliard dans le Nouvel Observateur (n° 967 du 20 mai 1983, p. 32).
Mais je retiens également la caricature des enseignants si souvent démotivés (pourvu qu'ils trouvent, à la fin du mois, le temps d'aller retirer leur paie !) qui m'est offerte sur un plateau par la liste "Lutte ouvrière" présentée aux élections municipales qui s'annoncent, dans une grande ville de ma connaissance : j'y pointe la présence de 30 % d'enseignants ou assimilés (je rappelle que les enseignants forment 3 % de la classe dite active) alors que je sais qu'ils connaissent autant le monde ouvrier et ses luttes que je suis au courant des arcanes du Vatican… Le prétendu "militantisme" les passionne plus que leurs classes.
Il y a donc du pain, sur la planche. Et les D'Humières, qui ne sont pas très nombreux (je songe aussi à ce jeune professeur très motivé, qui vint un temps sous les feux des projecteurs tandis qu'il était devenu principal à Creil) mais qui retroussent leurs manches, sauvent l'honneur de ce beau métier, qu'ils illuminent.

 

"Les grandes écoles sont devenues des chasses gardées, dans lesquelles on entre non pas avec des connaissances, mais avec des codes. Nous avons fabriqué un système où l’importance n’est pas tant ce que l’on apprend, que la manière dont on en parle"

Augustin d’Humières

 

 

Le 21 septembre 2043, quelques jours après mon soixante-treizième anniversaire, j'avais reçu la visite d'un jeune chercheur américain. Edward O. Paxton venait d'achever une thèse à l'Université de Princeton : From Radicalism to Radicalization, French School Collapse (1995-2015). Il sortait de dix années consacrées à l'étude du système éducatif français au début du XXIe siècle, avait épluché instructions officielles, programmes scolaires, documents d'accompagnement pédagogique, circulaires ministérielles ; il avait eu accès à des copies de bacheliers, de candidats aux concours de recrutement de l'Éducation nationale, aux dossiers scolaires de milliers d'élèves. Il souhaitait compléter ce long et patient travail de recherche par la rencontre de quelques acteurs de terrain.
C'est en tout cas ce qu'il m'avait expliqué au téléphone dans un français impeccable. Le fait d'avoir passé quarante-trois années de ma vie dans le même lycée de banlieue parisienne me conférait ce privilège : j'avais donc été un acteur de terrain. Edward Paxton est arrivé par une belle matinée de fin d'été, dans le coin de verdure que je m'étais aménagé quand l'Éducation nationale m'avait autorisé à faire valoir mes droits à la retraite. J'étais alors bien décidé à mettre en pratique l'idéal des vieux Romains, ce qu'on nomme l'otium cum tranquilitate : au soir d'une carrière politique trépidante, le vieux sage se retire dans sa villa de Campanie. Au soleil couchant, d'une main un peu tremblante, il relit un bel exemplaire de Tacite, dont la brise du soir fait voleter les pages, contemple la mer azurée, et griffonne quelques pensées inspirées. Pour moi, c'était simplement la Seine-et-Marne. La N4 en guise de mer tyrrhénienne, pas de relectures, peu de méditation, beaucoup d'attente ; bref, la grande Tranquilitas…
J'étais assez impatient de rencontrer ce jeune chercheur et d'égayer ainsi une retraite solitaire, qu'une chiromancienne m'avait annoncée quarante années auparavant : "Oh vous, vous terminerez tout seul !" Ces fins d'été étaient le moment où l'éloignement des salles de classe était le plus lourd à supporter, où la mélancolie des rentrées était la plus vive. Septembre, c'était une nouvelle page qui s'ouvrait, l'heure de découvrir les nouvelles classes de grec et de latin que nous avions patiemment remplies lors des campagnes de recrutement du printemps, le temps de retrouver des élèves dont j'avais croisé la route à l'étude du soir, alors qu'ils n'étaient encore qu'à l'école primaire, les petits frères et les petites sœurs, qui venaient au grec et au latin comme le reste de la famille, et qui se fendaient parfois d'un message de bienvenue :


-"Msieur, ma mère vous a eu comme prof !
- Msieur, moi, c'est ma grand-mère !
- Très drôle, sors tes affaires !"


Il y avait même quelques collègues qui me saluaient…

En entrant dans ma villégiature seine-et-marnaise, Edward Paxton eut du mal à contenir un certain étonnement : la figure du paisible vieillard, poupin et rougeaud, qu'il avait en face de lui, collait mal avec l'idée qu'il semblait se faire de quarante années d'enseignement dans un établissement scolaire de grande banlieue parisienne. Il pouvait y avoir tromperie sur la marchandise. Je craignais qu'il ne rebroussât chemin et me sentis quasiment sommé de lui fournir quelques explications en guise de préambule à notre entretien :
- J'ai traversé toutes ces années d'enseignement avec un certain bonheur. C'est un métier dans lequel je me suis épanoui. Je pense que je collais assez bien au travail que l'on me demandait. J'avais reçu ce cadeau dans ma corbeille de naissance. On trouve de tout dans les berceaux : des cuillères d'argent, des histoires compliquées, des dons de fées… Moi, j'y ai trouvé un métier, et tous les ingrédients nécessaires à la bonne marche d'une longue carrière de professeur : une familiarité avec les auteurs grecs et latins, l'idée que "faire professeur" était l'un des métiers les plus chargés de sens, la conviction que les grands textes n'étaient vivants que si on les apprenait par cœur, une profonde méfiance à l'égard de tout ce qui ressemble à un réseau, un art de la gestion des situations de tension développé autour de la table familiale… Des bottes et un ciré pour traverser tous les grains et les tempêtes.

- C'est justement le point qui m'amène chez vous ce matin, votre côté professeur Tournesol. Tout mon travail de recherche, depuis dix ans, a consisté à mettre en lumière comment l'École publique française, l'École républicaine, s'est effondrée sous le poids de ses maux : l'ignorance des élèves, l'injustice de l'école, les inégalités entre les établissements, la désaffection vis-à-vis du métier d'enseignant, et sa dévalorisation, la panique des familles devant les aléas de la carte scolaire… Or, quand on vous interroge, il n'est question que d'épanouissement et de plaisir. Vous vous rendiez compte de ce qui était en train de se passer ?

- Nous étions au cœur d'un système qui ne s'était pas encore effondré. Nous avions le "nez dans le guidon". Vous, vous arrivez après la bataille, et un certain nombre de données vous apparaissent aujourd'hui évidentes. Elles ne l'étaient pas pour nous. Vous avez sous les yeux l'effondrement du système éducatif français. Moi, je n'en ai connu que les prémisses.

- Les prémisses ! Dès le début du XXIe siècle, vous disposez de toutes les enquêtes possibles qui donnent une idée on ne peut plus claire du désastre annoncé. Si je m'en tiens à la seule période du début des années 2010 : en 2011, l'enquête Piris (programme international de recherche en lecture scolaire) établit que 25 % des élèves de sixième ne maîtrisent ni la lecture ni l'écriture ; en 2012, l'enquête Pisa (programme international pour le suivi des élèves) sacre la France championne des inégalités scolaires parmi tous les pays de l'OCDE ; en 2012 encore, l'enquête de la DEPP (direction de l'évaluation de la prospective et de la performance) sur l'apprentissage de l'anglais classe la France aux derniers rangs de l'Union européenne ; en 2013, l'enquête Cedre (cycle des évaluations des compétences disciplinaires réalisées par échantillon) menée par le ministère lui-même met en lumière les ignorances historiques abyssales d'une grande majorité d'élèves ; en 2015, l'enquête internationale Timiss (Trends in International Mathematics and Science Study) souligne le niveau alarmant des élèves français en mathématiques et en sciences. Vous aviez connaissance de ces enquêtes ?

- À l'époque dont vous me parlez, celle des années 2010, la réalité que vous évoquez n'est pas forcément perçue de la même façon dans les établissements scolaires. Vous ne pouviez vous permettre d'être trop catastrophiste, de tirer naïvement la sonnette d'alarme, sans vous retrouver aussitôt classé dans le camp des "déclinistes", des réactionnaires, de ceux qui voudraient revenir à un supposé "âge d'or de l'école". Moi, j'avais bien assez à faire avec mes classes, j'aurais été bien incapable de dire s'il y avait eu un "âge d'or de l'école", et je n'avais aucune envie d'être catalogué extrémiste ou réactionnaire.

- Mais il n'était pas question d'être extrémiste ou quoi que ce soit. Il s'agissait de regarder objectivement des données vérifiées et indiscutables sur l'état du système éducatif français !

- D'abord, il est excessif de dire que tous les élèves sortaient du système éducatif complétement illettrés. Il y avait des élèves qui tiraient de leurs années d'école un grand bénéfice…

- Oui, ils constituaient une minorité et appartenaient aux couches les plus favorisées de la population française, en termes économiques aussi bien que culturels. Cet aspect avait été remarquablement mis en lumière, dès 2005, par le chercheur Georges Felouzis(1) : il montrait comment le système éducatif français concourait avant tout à la réussite des enfants les plus favorisés culturellement et économiquement.

- Vous choisissez les indicateurs les plus inquiétants ! Vous passez tout de même un peu vite sur nos succès, et il y en avait ! Vous évoquiez à l'instant les années 2010 : à l'époque, nous réussissions à emmener 90 % d'une classe d'âge au bac. Rendez-vous compte ! Cela constituait une réelle progression par rapport à cet "âge d'or" où à peine 10 % d'une classe d'âge arrivait au lycée !

- C'est un argument que j'ai souvent retrouvé dans les journaux de l'époque, notamment dans la bouche des différents ministres de l'Éducation. Je ne vous cacherai pas que cet accès de triomphalisme m'a fait songer au directeur d'un hôpital dont la quasi-totalité des malades ressortirait les pieds devant, et qui viendrait tout guilleret à la rencontre des familles consternées : "Ne pleurez pas, rendez-vous compte, c'est fabuleux ! Nous accueillons aujourd'hui dix fois plus de malades que par le passé !"

- Votre comparaison me semble un rien excessive : comparer un bachelier à un grand malade…

- C'est non seulement un grand malade, mais un malade pour lequel aucun dispositif de soin n'est prévu, un malade qu'on laisse crever tout seul. Au début du XXIe siècle, tous les efforts se concentraient sur les fameux 150 000 élèves "décrocheurs", ceux qui sortaient de l'école sans formation ni diplôme, mais pour ceux qui s'accrochaient, rien n'était prévu ; ceux-là, ceux qui quittaient l'école avec un bac en poche, on leur avait fait croire qu'ils étaient bien portants. Ils allaient rapidement découvrir l'étendue de leur mal.

- C'est excessif…

- Mais qu'est-ce qu'il y a d'excessif ? Si vous mettez bout à bout ces enquêtes, c'est bien la conclusion à laquelle il faut arriver. Après dix années passées dans le système éducatif français, une majorité d'élèves, un bac en poche, ne connaît rien. Aujourd'hui on peut le dire ! Ce n'est pas réactionnaire ou décliniste, si ? On ne voit pas très bien d'ailleurs ce qui pourrait décliner. Vos élèves maîtrisaient-ils la langue française ? Une langue étrangère ? Avaient-ils une culture historique et scientifique minimale ? Vous ne faisiez pas ce constat dans votre établissement ?

- Ce constat ne se formulait pas à mes yeux en termes aussi définitifs.

- Vous avez travaillé toute votre carrière dans un lycée sur lequel je me suis longuement penché, tant ses caractéristiques me paraissaient exemplaires : 50 % de boursiers, 75 % d'élèves issus de l'immigration. Quand vos élèves quittaient le lycée, aviez-vous le sentiment qu'ils étaient armés pour se faire une place dans la société, pour cheminer vers un métier valorisant ? Qu'est-ce qu'ils devenaient, vos élèves ? En quarante ans de carrière dans le même établissement, vous avez dû en croiser, des anciens élèves !

- Il y avait ceux avec lesquels je travaillais au sein du dispositif d'accompagnement à la scolarité que j'avais mis en place pour aider les enfants des écoles primaires. Ceux-là se destinaient le plus souvent au métier de professeur des écoles. Leur sérieux, et, il faut bien le dire aussi, les gigantesques pénuries de recrutement de professeurs dans l'académie de Créteil leur permettaient d'y accéder. Et puis il y avait les autres, la majorité, ceux que je rencontrais au hasard de mes allers-retours quotidiens dans les trains du soir ou du matin. De ceux-là se dégageait surtout l'impression d'une grande fatigue, et d'une certaine lassitude : ils changeaient presque chaque année d'orientation, vivaient de petits boulots de plus en plus éreintants au fur et à mesure qu'ils avançaient en âge. Alors quand venait s'y ajouter un début de vie familiale… Tout semblait dur dans leur existence. Je garde l'image de visages alourdis, fatigués, alors même que cela faisait cinq ans à peine qu'ils avaient quitté le lycée. Peut-être avaient-ils le même sentiment en me voyant…

- Où avez-vous fait vos études ?

- Au lycée Henri-IV, à Paris.

- Lorsque vous rencontriez vos anciens condisciples d'Henri-IV, vous renvoyaient-ils ce sentiment de lassitude ? Présentaient-ils aussi ces visages alourdis et fatigués ?

- À la vérité, je les rencontrais assez peu…

- Ne les croisiez-vous pas dans les trains du soir ?

- Ils n'avaient pas de raison majeure d'emprunter régulièrement les trains de la banlieue Est. Beaucoup ont brillamment mené leur barque : dans les banques, les grandes entreprises publiques, les cabinets ministériels, le cinéma, les hôpitaux, le journalisme, la recherche…

- Vous avez eu beaucoup d'anciens élèves qui ont emprunté ces voies ?

- En ce qui concerne la médecine, l'écrasante majorité de mes élèves se cassait les dents sur la première année. C'est bien simple : j'avais dans mes groupes de grec en terminale quelques-uns des meilleurs élèves des classes scientifiques. En moyenne, dix d'entre eux s'inscrivaient chaque année en médecine. Je crois que dans toute ma carrière j'en ai connu dix qui ont passé le cap de la première année. Ça fait à peu près 10 sur 400.

- Pas de chef de clinique ?

- Non…

- Et les banques ?

- Quelques élèves assez brillants sont devenus conseillers dans les agences bancaires de la ville.

- Des conseillers ministériels ?

- J'en ai eu un, un élève littéraire, qui avait très bien réussi. Il est devenu huissier…

- De justice ?

- Non, de ces huissiers qui ouvrent et ferment les portes dans les ministères ou apportent des notes aux conseillers techniques du ministre…

- Ce que vous décrivez là est une caractéristique essentielle des dernières années de l'École républicaine en France et que j'appellerais le "taylorisme scolaire", la division sociale des lycées. Il y avait les établissements où étaient formés les chefs : là, les meilleurs élèves devenaient les cadres dirigeants. À l'autre bout de la chaîne, les meilleurs avaient pour ambition d'être les salariés du bas de l'échelle. Chaque établissement avait ses objectifs, ses programmes, qui correspondaient à sa fonction dans la grande chaîne formatrice. Un établissement comptait ses mentions très bien, un autre regardait simplement son taux de réussite au bac. Ainsi, il pouvait arriver qu'un bon élève de première d'un établissement périphérique n'ait même pas le niveau d'un élève de cinquième d'un collège huppé de centre-ville.

- Mais les programmes étaient nationaux ! Ils s'appliquaient à tous les élèves de France !

- Vous savez très bien que non. Dans un bon lycée parisien, en décembre de l'année de seconde, le professeur de mathématiques commençait déjà le programme de première S. À quelques kilomètres de là, son collègue, dans une même classe de mathématiques de seconde, n'avait pas fini de batailler avec ce qui n'avait pas été compris au collège. Pouvez-vous me dire comment était résumé le projet d'établissement du lycée dans lequel vous avez travaillé durant toute votre carrière ?

- Je n'en ai pas la moindre idée…

- En me plongeant dans les archives de votre lycée, j'ai retrouvé le texte tel qu'il était voté en conseil d'administration : "Un lycée au service du bien-vivre pour garantir le bien-devenir, en veillant à l'ingénierie des réponses pédagogiques". Vous auriez imaginé des parents d'élèves d'Henri-IV cautionnant un tel projet pour leurs enfants, qui plus est rédigé dans un pareil galimatias ?

- Non, je pense qu'une tribune un peu caustique dans Le Monde ou Libération aurait paru assez vite…

- C'est plus facile à appliquer avec des parents qui ne connaissent personne dans les rédactions… Vous vous rendez compte de la gravité de ce qui s'est passé sous vos yeux ? Cet effondrement de l'école a eu des conséquences dramatiques, et cela vous pouviez parfaitement le mesurer dès le début de votre carrière.

- Comment cela ?

- Au début des années 2010, la France est confrontée à l'affaire des "réseaux djihadistes". Ce qui a attiré mon attention, c'est le déséquilibre très frappant entre le temps que ces jeunes français radicalisés avaient passé dans un lieu supposé de radicalisation : une mosquée, une prison, la Syrie, et celui qu'ils avaient passé dans une école publique française. Je crois que le ratio était de l'ordre d'1 à 10 : pour une journée passée "en radicalisation", ils en avaient passé 10 à l'École publique.

- Il y a eu effectivement des cas de radicalisation très rapide…

- C'est le moins qu'on puisse dire, et j'en suis venu à me demander s'il n'y avait pas une confusion sur le lieu de radicalisation. Pour que quelqu'un soit aussi réceptif à des discours aussi violents, aussi rudimentaires, aussi désespérés, pour qu'il adhère en aussi peu de temps, il fallait un travail préalable, qu'il ait peu de moyens de se défendre, peu d'arguments, peu d'esprit critique, peu de mots.

- Et ?

- Et ce travail de sape, il était effectué par l'école…

- Comment cela ?

- Cette école avait été pensée, structurée, organisée pour que l'élève en sache le moins possible. La multiplication des matières, des filières, entre lesquelles l'enfant devait choisir comme dans un supermarché, au nom de la sacro-sainte "liberté" de l'élève, l'inadaptation totale des programmes à la réalité des classes, la diminution continue des horaires, la priorité donnée au projet, à l'expérimentation hasardeuse, tout avait été fait pour transmettre un savoir volatile, éclaté, absurde. On avait cassé tout ce qui pouvait ressembler à un cadre. Certes, la famille pouvait rattraper l'affaire. Mais introduisez dans ce système des enfants qui n'avaient personne pour passer derrière l'école, pour donner les bases, en français, en histoire, en anglais. Ajoutez-y le sentiment de profonde injustice, d'être systématiquement dans le camp des perdants, de ceux qui n'ont pas accès aux "bons plans", et vous obteniez des centaines de milliers d'élèves très facilement manipulables.

- Ce n'est pas parce qu'on n'apprend rien à l'école que l'on devient un assassin.

- Non, mais quand l'école ne transmet rien de précis, ni de durable, quand vous ne savez plus très bien où sont vos racines ou de quel côté s'écrit votre histoire, quand vous avez le sentiment d'être dans le camp des laissés-pour-compte, quand on vous tient tous les jours des discours creux et moralisateurs sur l'égalité et la laïcité qui apparaissent comme autant de coquilles vides, que vous ne pouvez rattacher à rien de concret ni de précis, c'est à ce moment que vous devenez beaucoup plus réceptif à des discours d'assassins.

- Dans mon souvenir, je crois que, parmi ces jeunes djihadistes, il y en avait qui travaillaient sérieusement à l'école ?

- Qu'ils travaillent ou pas, avec les programmes qui étaient les siens, l'organisation du temps de travail qui était la sienne, les consignes qui étaient données, cette école ne pouvait rien transmettre. Vous le savez pertinemment. Un élève pouvait avoir les Félicitations à chaque trimestre et être incapable d'écrire deux lignes dans un français correct.

- Deux lignes, vous exagérez !

- Lorsque vous lisez les journaux de l'époque, il est question de radicalisation, de guerre contre des puissances occultes, mais personne ne formule que le cœur du problème était en France. Pourquoi avoir porté la guerre en Syrie ou en Irak si le problème était chez vous ? Car il était bien d'abord et avant tout en France, le problème, vous en convenez ?

- En partie…

- Et vous ne faisiez rien ?

- Mais nous luttions !

- Si je récapitule : vous saviez que cette école n'enseignait rien, qu'elle faisait sortir de son sein une proportion sans cesse croissante d'enfants sans repères, qu'elle ne transmettait plus rien de la France, de son histoire, de ses combats, de ses esprits les plus généreux, qu'elle engendrait des inégalités, qu'elle accueillait en son sein et nourrissait des criminels potentiels, et vous n'avez rien fait ?

- Qu'est-ce qu'il aurait fallu faire ? Égorger un inspecteur général sur un quai de métro ? Libérer sa ceinture d'explosifs au siège des centrales syndicales, du SNES ou du SGEN ? C'est commode d'écrire l'histoire trente ans plus tard ! Il y a comme ça des époques où la France entière est résistante. Mais après, une fois que la guerre est passée…

- Ce qui est fascinant, c'est que dans ce tableau qui se dégage d'une école où une proportion chaque jour plus grande d'élèves n'apprenait rien de précis, une école minée par des injustices dignes de l'Angleterre victorienne, aucun contre-pouvoir, aucun mécanisme régulateur ne semble avoir joué. On a le sentiment que le système a marché à sa perte en toute quiétude.

- Mais puisque je vous dis que nous étions en lutte !

- Qui ça nous ?

- La communauté éducative !

- Qu'est-ce que c'est ?

- Elle regroupait l'ensemble des acteurs qui participaient au fonctionnement des établissements scolaires : les professeurs, le personnel d'entretien, les chefs d'établissement, les parents d'élèves…

- Les parents ? De ce que j'ai pu recueillir comme témoignages de parents d'élèves de cette époque, j'ai surtout l'impression qu'ils étaient en lutte pour la survie de leur enfant. Le choix d'un établissement scolaire pouvait prendre des allures d'affaire d'État, allant jusqu'à justifier la dépense de sommes folles, l'achat d'un appartement pour être plus proche de tel supposé "bon établissement". Beaucoup semblent avoir eu le sentiment d'être en face d'un système aveugle et dangereux, et ont assez vite compris que si on laissait agir la machine, elle favoriserait le plus fort. Alors leur premier objectif est devenu de protéger leur enfant. Beaucoup se sont orientés vers les établissements privés, non par conviction personnelle ou croyance religieuse, mais parce qu'ils avaient le sentiment de n'avoir tout simplement pas le choix. Parlez-moi plutôt de la lutte des professeurs !

- Il faut bien comprendre qu'à l'époque nous ne constituions pas une entité unie, cohérente. Les professeurs formaient une galaxie très hétérogène. Au sein d'un même établissement scolaire, vous pouviez avoir des professeurs d'une même matière qui exerçaient des métiers totalement différents : entre celui qui avait les yeux rivés sur les instructions officielles, celui qui pensait qu'au contraire rien n'était plus urgent que de prendre le contre-pied des programmes, celui qui était obsédé par le projet et passait son temps en sortie scolaire sur les heures de cours, il n'y avait pas grand-chose de commun.

- C'est ce qui ressort assez clairement de mon étude : tant qu'il y a eu des inspecteurs, des proviseurs, des professeurs qui avaient une formation générale suffisamment solide, et assez de foi en leur métier pour prendre leurs distances avec les programmes et le cadre qu'on prétendait leur imposer, l'École publique a survécu tant bien que mal. Mais quand le système a été porté par des fonctionnaires recrutés ou promus pour leur servilité et leur ignorance, il n'a fallu que quelques années pour qu'il s'effondre. Et pourtant vous aviez des représentants, vous étiez rassemblés derrière eux ?

- Oui, des syndicats.

- Comment étaient-ils perçus au sein des établissements ?

- Ils étaient tout simplement indispensables, et heureusement qu'ils étaient là ! C'était une mine d'informations pour tout ce qui concernait les mutations, les promotions, les réformes en préparation…

- Le professeur n'avait-il pas les mêmes informations sur ses mutations ou ses promotions selon qu'il était syndiqué ou pas ?

- Absolument pas ! Ne serait-ce que le simple calcul des points nécessaires aux mutations, avec son cortège de bonifications, était inenvisageable sans l'aide de représentants syndicaux. Comme ils siégeaient dans chaque commission paritaire, ils pouvaient se faire le relais de tout ce qui s'y passait en termes de promotions, de mutations, et je ne vous parle pas de la défense des personnels : un chef d'établissement ne vous recevait pas de la même façon, selon que vous veniez seul ou accompagné d'un représentant syndical. Durant toute ma carrière, j'ai systématiquement appris par la voie syndicale les nouvelles importantes, à commencer par mes laborieuses promotions. Sans eux, j'aurais pu attendre longtemps.

- Mais que défendaient-ils ?

- Ils nous défendaient, nous.

- Mais en termes d'idée de l'école ?

- Ils étaient tous très attachés à la défense de nos statuts, de notre pouvoir d'achat, aux principes fondamentaux de l'école publique et laïque.

- La période sur laquelle ont porté mes recherches a vu la disparition du statut des enseignants, l'effondrement de leur pouvoir d'achat, la désaffection profonde vis-à-vis du métier de professeur, la dégradation continue de son image dans l'opinion, la montée en flèche des effectifs de l'école privée, l'émergence des communautarismes au sein de l'école…

- Et ?

- Et pourtant vous aviez des syndicats riches, puissants, craints par les gouvernements successifs…

- Je ne vois pas le rapport !

- Peut-être que vos syndicats défendaient d'autres intérêts que ceux de l'École publique et de ses professeurs ?

- Ah ! Ce seraient donc les syndicats les responsables de tout ? "Les salopards en casquette", comme on disait des ouvriers pendant l'entre-deux-guerres ! C'est un peu nauséabond comme discours… Franchement, il n'était guère besoin de faire une thèse pour tirer des conclusions aussi tordues et lapidaires : la lecture de la presse d'extrême droite des années 1930 aurait pu vous suffire. Au moins, je vous rends grâce de nous avoir épargné les juifs et les francs-maçons…

- Mais qu'est-ce que vous racontez ? Quel rapport avec l'antisémitisme et le syndicalisme ouvrier ? Je vous parle uniquement de la place prise par les syndicats enseignants dans le système éducatif français !

- C'est nauséabond !

- Mais arrêtez de répéter comme un crétin : "C'est nauséabond !"

- Vous êtes bien nerveux pour un chercheur !

- Excusez-moi, et écoutez calmement ce que j'ai à vous dire : pensez-vous que dans une entreprise, un dirigeant puisse avoir la haute main sur la gestion des ressources humaines, sur les recrutements, les promotions, les mutations, la défense des personnels, être associé aux décisions prises, et s'exonérer de toute responsabilité dans le bilan ?

- Donc tout ça c'est de la faute des profs ?

- Ce n'est pas du tout ce que je démontre : le professeur était pieds et poings liés, il n'avait d'autre choix que de faire appel à son syndicat s'il voulait être correctement informé, défendu, promu, muté, vous venez de le dire ! Le professeur composait avec le cadre, les programmes, les réformes qu'on lui imposait, et il avait du mérite !

- Vous jetez le discrédit sur des collègues remarquables, des serviteurs de la République !

- Ces serviteurs dévoués de la République, comme vous dites, ont d'abord débuté leur carrière sous les ors du stalinisme. Les syndicats enseignants étaient organisés à la façon d'un parti totalitaire : chaque échelon syndical doublait une direction du ministère ou du rectorat. Le fonctionnement collectif était assez particulier : ce qui primait, c'était l'intérêt du syndicat. Cette logique reposait sur un postulat discutable : en défendant le syndicat, on défendait l'École publique. La fin de l'histoire fut des plus éclairantes : l'École républicaine a terminé sa carrière en état de mort clinique, les syndicats enseignants ont conservé "leur teint frais et leur bouche vermeille". Dans l'histoire de la contestation syndicale enseignante, je me suis aperçu que la mobilisation n'a rien de commun selon qu'elle s'oppose à une réforme simplement nuisible pour les élèves (réforme des rythmes scolaires de 2012, réforme des collèges de 2015) ou à une réforme qui porte atteinte au pouvoir syndical (réforme Allègre de 1998). Cette discipline de parti est d'ailleurs une curieuse façon de faire pour des fonctionnaires censés éveiller les élèves à l'esprit critique, et les amener à un jugement libre et indépendant. Il faut dire qu'ils ont fait mieux depuis…

- C'est-à-dire ?

- En cautionnant, derrière une façade engagée et progressiste, un système scandaleusement inégalitaire, qui ne véhiculait qu'ignorance et ressentiment, au sein duquel régnait une idéologie poujadiste, conservatrice, et corporatiste, les syndicats enseignants ont largement concouru à l'effondrement de l'École républicaine, et contribué à la montée en puissance d'un parti d'extrême droite en France.

- Alors, si je résume votre thèse, les attentats terroristes qu'a connus la France des années 2010 trouvaient leur source dans les insuffisances de l'école, insuffisances qui étaient savamment organisées et cautionnées par des hauts fonctionnaires et des syndicats complices, qui ont en outre aidé à l'accession d'un parti d'extrême droite au pouvoir en défendant un système injuste et un discours poujadiste. C'est bien ça ? Et le réchauffement climatique ? C'est les syndicats enseignants, aussi ! La main invisible ! Le complot !

- Je ne comprends pas très bien ce qui vous permet d'être aussi goguenard. Parlons clairement : mettre 12 à une copie de bac français qui contenait plus de 50 fautes, vous l'avez fait ?

- Oui, parfois j'ai même mis plus !

- Laisser passer en classe de première un élève dont vous saviez qu'il n'avait aucune des bases pour s'en sortir et qu'il n'aurait plus aucun endroit pour les récupérer, vous l'avez fait ? Appliquer des programmes qui ne laissaient aucune chance à des élèves qui n'avaient que l'école, et aucun relais dans leur famille, vous l'avez fait ? Laisser croire à des élèves qu'ils étaient dans une école de l'égalité des chances, vous l'avez fait ? Pourquoi ? Vous saviez que ces enfants étaient quasiment condamnés, qu'ils n'avaient que très peu de chances de cheminer vers un métier stable et gratifiant, de trouver une formation de remplacement, et ainsi leur place dans la société. Pourquoi avoir menti à ces familles ?

- Mais vous êtes plaisant, vous, j'étais fonctionnaire, moi ! J'étais astreint à un devoir de réserve, je ne faisais pas ce que je voulais !

- Donc, encore une fois, je reprends ce que vous dites, pardon d'être un peu répétitif, mais c'est important pour que je comprenne : vous aviez conscience que ce système accélérait les inégalités, qu'il ne transmettait rien à ses enfants de la France, de sa langue, de ses combats passés, de ses auteurs, autant de choses auxquelles vous disiez être attaché depuis votre plus tendre enfance ; vous aviez conscience que le système était piloté par des personnes qui tournaient le dos aux idéaux républicains, qu'il jetait dans les bras de terroristes des enfants complétement démunis et égarés, qu'au lieu de s'occuper de ces enfants on allait déclencher des guerres, et vous n'avez rien dit parce que, je reprends vos propres termes, vous étiez astreint à un devoir de réserve, c'est bien cela ?

- Oui, c'est ça…

- En 1940…

- Ah, je sens que le collabo n'est plus très loin…

- Vous avez servi un système qui était complice : dans ce système, il y avait des dirigeants et des petites mains, des exécutants, un petit fonctionnaire…

- Attendez, vous parlez de quoi, là ?

- Je suis en train de vous dire que ce système a englouti des générations d'enfants, trompé des familles, laissé des centaines de milliers d'élèves complétement démunis, fait éclater un modèle social, un modèle d'école qui aurait pu tout à fait s'adapter et continuer à fonctionner de manière satisfaisante… C'est une société, un modèle culturel qui s'est fissuré et a implosé, alors que vous en aviez hérité, et vous l'avez laissé disparaître peu à peu…

- Attendez, vous venez me faire la leçon à moi qui n'ai connu que ma salle de classe et mon train de banlieue. Allez en parler à ceux qui étaient inspecteurs généraux ou ministres ! Je peux vous dire qu'ils avaient autrement plus de poids que moi sur les destinées de l'École. Vous venez culpabiliser un malheureux professeur-godillot ! J'ai fait mon travail, je me suis occupé de mes classes du mieux que j'ai pu, aucun proviseur n'a noté de manquement à mes obligations de professeur…

- Un bon petit soldat !

- Ce n'est déjà pas si mal, un bon petit soldat !

- Donc vous avez obéi aux ordres ?

- C'est ce qu'on attend d'un fonctionnaire, non ?

- En 1940, les Français avaient peur. Les chars allemands, le bruit des bottes nazies faisaient peur. Vous, en 2015, vous aviez peur ?

- L'époque n'était pas pleinement rassurante, mais il n'y avait pas de panzers dans les rues, c'est sûr…

- Ce qui paralysait les Français en 1940, c'était aussi l'horreur de la guerre. La plupart des familles avaient connu l'horreur de la Première Guerre mondiale, ses tranchées, ses mutilés, ses massacres. Elles ne voulaient plus entendre parler d'un conflit. C'était inscrit dans leurs gènes. Vous diriez que c'était aussi un facteur explicatif de votre inaction ? Il y avait des traumatismes dans les familles ?

- Je suis né en 1970, assez loin des guerres. Comme traumatisme explicatif, je ne vois pas… Peut-être le choc pétrolier…

- Le choc pétrolier ?

- Oui, au début des années 1970, les pays de l'OPEP décident d'une augmentation du prix du baril, ce qui engendre une spirale inflationniste dans la plupart des…

- Ta gueule !

- Hein ?

- Ferme ta gueule ! Tu ne comprends pas que c'est grave ce qui s'est passé, que ce sont des millions d'enfants qui se sont cassé les dents sur leurs rêves, des auteurs, des combats qui ont été passés par profits et pertes, tout ce pour quoi des gens s'étaient battus, c'est toute l'identité d'un pays qui s'en est allée, et toi t'es là à plaisanter comme un couillon sur le choc pétrolier ?

- Écoutez, là ça suffit, qu'est-ce que c'est que cette affaire ? C'est invraisemblable qu'un chercheur s'exprime de la sorte !

- Je vais te taper !

- Qu'est-ce que vous faites ?

- Je vais t'égorger, comme au bon vieux temps des combi orange, espèce de petite racaille…

- Arrêtez, arrêtez !

- Ah, t'as cru que j'allais te gracier en raison de ton grand âge !

- Arrêtez, arrêtez, c'est un malentendu… J'aime beaucoup les chercheurs…

 

Note

 

(1) Georges Felouzis, Françoise Liot, Joëlle Perroton, L'Apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Seuil, octobre 2005, 236 pages.

 

 

© Augustin d'Humières, in Un petit fonctionnaire, Préambule, Éditions Grasset, 2017.

 

 


 

 

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