"Ne t'attends qu'à toi seul" : un sujet développé de composition française, pouvant intéresser les élèves de Seconde.

 

 

Sujet

 

"Ne t'attends qu'à toi seul", dit-on souvent ; mais, selon une formule célèbre : "Nul ne peut se vanter de se passer des autres". Après avoir montré, à l'aide d'exemples, la portée de ce conseil et de ce proverbe, vous vous demanderez s'ils se contredisent.

 

 

Introduction

 

Si nous étudions les morales des Fables de La Fontaine, nous nous apercevons que plusieurs d'entre elles se contredisent. Il en est de même de certains proverbes, de conseils donnés par le bon sens populaire. C'est que la réalité n'est pas simple et peut présenter plusieurs visages différents. Ainsi, un aspect de l'éternel conflit entre l'individualisme et le collectivisme est exprimé par deux formules paraissant contradictoires : "Ne t'attends qu'à toi seul" et "Nul ne peut se vanter de se passer des hommes".

 

 

I. La loi de la solidarité humaine

 

a). Le XIXe siècle.

 

Le XIXe siècle a vu le développement de l'industrialisation, amenant l'interdépendance des individus, des classes sociales, des nations et des continents. Vers la fin de ce siècle, dans un sonnet bien connu, un poète avait imaginé qu'en songe le boulanger lui disait : "Fais ton pain toi-même". Après avoir développé ce thème, il concluait : "Nul ne peut se vanter de se passer des hommes".

 

b). La spécialisation.

 

Il est évident qu'avec le développement du commerce, de l'industrie, des moyens de transmission, des inventions utiles, tous les Français peuvent bénéficier de découvertes japonaises, de médicaments américains, etc...

Nous vivons à l'ère de la spécialisation et des centaines d'ouvriers différents ont travaillé à fabriquer les objets que nous utilisons au cours de la journée.

Il serait même impossible à l'heure actuelle de prétendre consommer des produits exclusivement français. Aucune nation ne peut se vanter de se passer des autres.

 

c). Cas-limites.

 

Est-il possible de concevoir, perdu au fond de ses montagnes, un vieux paysan solitaire comme en ont évoqués Henri Bosco, dans L'habitant de Sivergues et Jean Giono dans Ennemonde, qui vivrait exclusivement de sa terre, ferait encore son pain lui-même, coudrait lui-même ses habits, se passerait de toute médecine et même de signes monétaires ? Non, car même le troc ancestral est une forme de solidarité. Même Robinson Crusoë  a reçu des hommes les restes d'une cargaison. Même le paysan de Giono a son fusil et quelques instruments de fer soit hérités, soit forgés par le vieux maréchal-ferrant. L'autarcie n'est donc pas totale.

 

 

II - Ne t'attends qu'à toi seul

 

1. L'alouette et ses petits.

 

Dans la dernière fable du livre IV, La Fontaine raconte le cas d'un paysan qui croyait pouvoir compter sur ses amis et ses parents pour faire la moisson. Leur défection lui apprend que :


Notre erreur est extrême,
... de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.

Les autres hommes étant souvent égoïstes, vantards, prompts à promettre, lents à tenir (quand il ne s'agit pas de leur propre intérêt), il ne faut pas s'imaginer que la solidarité humaine nous assurera le repos perpétuel et nous dispensera de tout effort.

 

2. La vie scolaire.

 

En présence d'un travail difficile tel qu'une version latine, il ne faut pas compter sur l'aide de camarades, d'un aîné ou du dictionnaire, voire de la chance, mais uniquement sur soi-même, sur sa propre énergie intellectuelle. Compter sur les autres quand on peut faire le travail soi-même, c'est une démission de l'esprit, une abdication de la personnalité. "Hercule veut qu'on se remue", dit la voix céleste au chartier embourbé de la fable.

Même les prières adressées au ciel ne servent de rien si on n'essaye pas avec toutes ses forces de surmonter l'obstacle. "Ce n'est pas avec des vœux et des supplications aux dieux, mais avec le courage, la force et le fer qu'il faut s'ouvrir un chemin à travers les rangs ennemis", dit un consul romain à ses soldats encerclés. La Fortune ne favorise que ceux qui ont déjà engagé toutes leurs forces dans l'action. On voit donc combien il est absurde de se présenter à un examen en comptant uniquement sur la chance ou sur l'indulgence d'un examinateur inconnu et anonyme.

 

3. Les stoïciens.

 

"Ne t'attends qu'à toi-même" peut être la devise du héros cornélien, de l'orgueilleux stoïcien qui estime que son dieu lui a donné suffisamment de forces pour surmonter tous les obstacles par l'endurance, la volonté, l'abnégation sans qu'il ait besoin de faire appel à des richesses, à des instruments divers que la volonté d'un autre peut lui prendre. Le stoïcien porte toute sa fortune sur lui : c'est sa vertu. Il peut être libre même dans l'esclavage. Il est donc indépendant des autres, dans une certaine mesure.

 

 

III. - Conciliation des deux attitudes

 

a). L'homme naturel et l'homme social.

 

J.-J. Rousseau avait imaginé un homme primitif vivant seul, errant sans contact avec les autres hommes, dans une parfaite et idéale autarcie.

Si cet homme-là a jamais existé, il pouvait se vanter de se passer des autres. L'hypothèse de Rousseau nous montre cependant que la nature a mis l'homme en état de se passer, à la rigueur, des autres hommes, s'il vit dans une forêt qui offre naturellement des ressources suffisantes, et si le climat est très favorable. Ce premier état étant très précaire et plein de dangers, l'homme a dû se grouper en familles, en tribus, en villages, etc., renforçant chaque fois le besoin qu'un homme avait de tous les autres.

 

b). Les deux formules ne se contredisent pas.

 

Un homme qui ne peut pas compter sur lui seul est incapable de rendre service à la société. Il faut donc savoir "s'attendre à soi-seul" pour pouvoir aider les autres, et mériter d'en être aidé.

Reprenons le cas du boulanger ; il ne peut dire à personne (sauf aux oisifs) : "Fais ton pain toi-même", car il a lui-même besoin de machines, d'habits, d'outils, de grain, de farine faits par d'autres.

Il y a donc une sorte de contrat social, un échange de services entre les différents "spécialistes". Seulement, pour recevoir, il faut être apte à donner, et pour donner, il faut savoir ne compter que sur soi, réveiller ces facultés de survie dans la solitude que possédait l'homme primitif.

 

 

Conclusion

 

Pour bien éduquer les adolescents, il faut donc leur apprendre à réaliser beaucoup de choses tout seuls : travaux intellectuels ou manuels difficiles, sports individuels, responsabilités personnelles. Ensuite, une fois qu'ils sauront apporter quelque chose à la collectivité, il est bon de les intégrer dans une communauté d'action, un groupe de travail temporaire, une collectivité philanthropique où ils peuvent à la fois donner et recevoir.

 

 

© Gaston Meyer, Agrégé des Lettres (1946), in Les Humanités Hatier n° 438, septembre 1968.

 

 

 


 

 

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