Quelques commentaires, à propos d'une récente parution, d'une rare qualité...

 

 

 

 

J.-Ch. Labadie, l'Affaire - Lurs, 4 août 1952.

 

L'actuel directeur des Archives départementales des Basses-Alpes (excusez-moi), cheville ouvrière de l'exposition sur notre "Affaire" - à visiter sans faute, car elle revêt un immense intérêt (certes anecdotique, diront certains) - est aussi l'auteur de la plaquette qui accompagne et prolonge la dite exposition - disons-le d'emblée avant de formuler quelques critiques, de façon particulièrement remarquable.
Visiter l'exposition, tout d'abord, c'est découvrir la salle des Assises - beaucoup lors du procès durent s'y tenir debout - la "salle étroite", ô combien (15 m x 8 m), reconstituée à l'identique (ou quasiment) dans le grand hall des Archives départementales, où s'entassèrent un nombre conséquent de personnes, à commencer par septante-deux journalistes... C'est aussi être confronté à de nombreux journaux/documents d'époque, décrivant et commentant "le crime le plus atroce du siècle" (Le Provençal, août 1953), mais aussi à des textes officiels, comme ce compte-rendu (7 août 1952) du Préfet des B.A. à son Ministre, soulignant "la sauvagerie des sévices infligés à la fillette". C'est enfin être mis en face d'une partie importante de la production "littéraire" (plus ou moins) consacrée aux événements tragiques survenus dans la nuit du 4 au 5 août 1952, au premier rang de laquelle il m'a plu de noter la présence de ce que j'ai nommé The Book (Laborde venant désormais en second lieu), l'ouvrage à mes yeux définitif du commissaire Vincent - qui, remarquons-le en passant, est également cité en note dès la première page de la publication).
Mais venons-en à cette brochure - 160 pp., tout de même - conçue par notre Directeur, indispensable à mon sens pour aiguillonner l'esprit critique du visiteur et lui permettre de s'élever au-dessus d'une "sociologie de bazar" (pour reprendre l'expression utilisée jadis par Philippe Seguin). A côté d'une faute d'orthographe ("les promoteurs affiche* l'ambition"), je n'ai guère relevé qu'un petit "cuir" (emprunt pour empreint, p. 69), d'assez nombreuses erreurs de pagination des notes (pp. 19-23), une curieuse formule : "un baronnet et sa plus jeune épouse" ; plus jeune que qui, que quoi ? Le "baronnet" avait-il plusieurs épouses, dont la plus jeune partagea malgré qu'elle en ait eu, son funeste sort ? Mais j'ai été rassuré : l'épitaphe inscrite sur la pierre tombale (2 Samuel 1:23) montre sans contredit aucun qu'il s'agissait assurément d'une famille bien ancrée dans notre système judéo-chrétien...
Et puis une grosse bourde (mais enfin, ça peut arriver à tout le monde, même aux meilleurs : la preuve) : page 27, à propos de l'Affaire Ughetto (un patronyme hélas prédestiné pour le malheur), nous est proposée une photographie sur laquelle figure, entre autres policiers, l'inspecteur Sébeille. Avec cette incroyable précision : "le futur Commissaire de l'Affaire de Lurs" ! Certes, il était précoce, notre Edmond ! Mais tout de même... L'Affaire qui nous est rapportée débute fin 1928 à la ferme des Courrelys du côté de Valensole... Le jeune Edmond n'était pas Commissaire, à l'époque, il n'était même pas policier (il commencera à émarger au Ministère de l'Intérieur fin 1929) - il lui manquait une semaine pour accéder à la majorité... Il s'agit donc, bien évidemment, de son père, Robert (qui ne se privera guère, vingt-cinq ans plus tard, de donner des conseils à son fils à propos des crimes de Lurs). Et - aro qué li sioù -, sur le même cliché, on découvre l'Inspecteur Corazzi, collègue de Sébeille (le père). Sauf erreur de ma part, c'est le grand-père de Corazzi (Jacques), commissaire en charge de l'Affaire Grégory (dont on se demande, je risque une incidente, s'il a été fort malmené devant certaine Cour d'Assises parce qu'il avait "connu" de très près un témoin, ou parce que les vérités qu'il avait découvertes avec son équipe étaient politiquement incorrectes, n'étaient en tout cas pas celles de la Gendarmerie...).
Mais continuons à parcourir cet opuscule, et arrêtons-nous sur la citation d'un journaliste du Monde, François Rousseaux, qui s'est interrogé, début février 2018, sur la "fascination de l'horreur". Horresco referens, ce brave homme ne s'est pas "interrogé" sur le peu glorieux épisode, commandé par son quotidien, de caviardage d'un article sur l'Affaire de Lurs, justement... Ah, pudique oubli, quand tu nous tiens...
Il y a aussi, ça n'a rien à voir avec l'Affaire de Lurs, une surprenante appréciation concernant mon Lubéron natal, que notre Directeur a exhumée de l'Éclaireur, de 1937 : la "fameuse forêt du Lubéron" est décrite comme "un véritable maquis redouté de tous les voyageurs. Il y neige dur (???) ; pendant l'hiver, on doit rester confiné dans ces tristes masures, sans relations avec l'extérieur, et ce durant de longs mois..." Dame, l'auteur a dû confondre avec les villages haut-perchés et reculés des Grandes Alpes ; et je m'étonne que les bobos socialos soient venus en masse coloniser la fameuse forêt, sans coup férir ; et que, pas davantage, aucun des nombreux randonneurs empruntant (cette fois, pas d'erreur, cher Directeur) le GR 92 n'ait été le malheureux sujet de quelque sanglant fait divers...

Plus sérieusement, l'auteur met page 34 sous nos yeux un document - il m'avait totalement échappé -, en réalité l'extrait d'une revue ("Défendre la vérité"), qui n'a pas dû faire long feu. Il est d'autant plus réjouissant d'y lire les sottises (et bien davantage) soigneusement tirées en un florilège de l'Humanité ("cette citadelle du mensonge", comme le faisait remarquer avec quelque raison le regretté Jean-François Revel), illustrant sa défense inconditionnelle des braves fermiers de la Grand'Terre.
Un peu plus loin, page 37, nous est brièvement rappelée l'affaire Stigny, ce Commissaire niçois assassiné (le 19 octobre 1944) par des êtres que je ne qualifierai pas. Un sieur Lamontre (Inspecteur de police ! Subordonné de Stigny !) fut condamné - avec une rare bienveillance - pour cet acte lâche ; et là, j'ai été fort étonné de ne pas avoir lu le nom du tenace et obstiné policier qui le confondit : un certain Constant (Fernand), qui a pu par la suite - sait-on jamais - donner un sacré coup de pouce au commissaire Sébeille (le fils)...
Enfin, au sujet d'un problème controversé - depuis la surprenante affirmation de Giono sur les trente-cinq mots - celui de l'étendue réelle du vocabulaire du "monstre de Lurs", il m'apparaît, contrairement à ce qu'affirme notre Directeur, qu'il ne reste pas à étudier mais bon, je peux toujours me tromper !

Cet ouvrage s'achève en beauté (après de très solides autant qu'éclairantes Annexes), par de copieuses pages consacrées aux "Sources archivistiques" (et à l'indispensable Bibliographie) avec ici ou là de nombreux commentaires fort bien venus de l'auteur, concernant la véracité ou la fausseté de telle ou telle affirmation : de l'authentique "débourrage de crâne" !
Abondamment illustré, ce travail s'élève "du fait divers, au fait de société" et nous offre une véritable géographie physique et humaine des Basses-Alpes, terre de crimes longtemps frappée par l'exode rural, les hommes ayant "fui la terre ingrate" (au passage, on ne comprend pas, avec le recul, le pourquoi de tous les efforts des officiels - et autres - pour mettre des bâtons dans les roues d'Orson Welles ; il est permis de s'interroger : en quoi son film sur L'Affaire Dominici constituait-il une "publicité peu avantageuse" pour les Basses-Alpes ?).

C'est donc un travail de fond, qui fait honneur à l'Affaire de Lurs, et doit se trouver en possession de tout "dominicien" qui se respecte. Hâtez-vous, il n'en a été tiré que 800 exemplaires : il n'y en aura pas pour tout le monde !