Soixante-sept ans passés. Et le souvenir de l'atroce tuerie demeure vivace. Et le respect inconditionnel dû aux victimes... Commémorons-le en lisant un article "moyen", publié (sans nom d'auteur) dans le grand quotidien du soir de l'époque. Je dis moyen, car il renferme plusieurs assertions qu'une étude très attentive du dossier ne révèle pas, comme le "délit de braconnage", ou encore le vagabondage, le "dimanche de café en café"... C'est donc du délayage journalistique, mais bon...

 

 

"On imagine difficilement à notre époque, l'extraordinaire ascendant que Gaston Dominici, chef d'un clan originaire de l'Italie du Sud (exactement de la Calabre) et ayant conservé les traditions familiales de ce dur pays, a pu exercer sur ceux qui l'entouraient"

 

...C'EST YVETTE DOMINICI QUI AURAIT RÉVÉLÉ LA CULPABILITÉ DE SON BEAU-PÈRE.

 

 

La "reconstitution" de ce matin permettra-t-elle d'obtenir d'importantes précisions ?

 

Digne - Un membre de la famille Dominici, dont l'identité n'a pas été révélée, aurait fait, hier soir, cette brève déclaration : "Ne laissez surtout pas sortir le vieil homme. Il ne faut pas qu'il revienne à la ferme, sinon il nous tuerait tous".

Faut-il croire que Gaston Dominici, coupable de l'assassinat de trois personnes, n'hésiterait pas à massacrer ceux des siens qui ont été amenés à le dénoncer, même si, comme il est apparu, il a été, voici quinze mois, le seul assassin de Sir Jack Drummond, de sa femme et de leur fillette ?

Le patriarche, vieux paysan presque octogénaire, n'est-il qu'une brute incapable de refréner sa violence naturelle ? Il a cependant fait preuve de beaucoup de sang-froid et de force de dissimulation, au cours de 15 longs mois...

Jusqu'à ces derniers jours, la Justice n'avait jamais eu à intervenir dans la longue existence de Gaston Dominici. Au casier judiciaire du vieil homme, une seule tache, motivée du reste par un délit commun aux hommes de la terre : le traditionnel délit de braconnage, qui n'a jamais déshonoré personne en France et encore moins dans la Calabre qui fut le berceau de sa famille...

Officiellement donc, le vieillard était considéré parmi ceux des Basses-Alpes comme un homme dur, certes, mais de moralité irréprochable, bien que certains se soient souvent demandé d'où provenaient les tatouages que porte son torse.

L'enquête poursuivie par les policiers de la IXe Brigade mobile a révélé Gaston Dominici sous un aspect que seuls connaissaient ses familiers, unanimement et silencieusement courbés sous l'implacable loi de ce despote dont la femme fut ravalée, au lendemain même de ses noces, au rang de servante, et ses enfants contraints à une obéissance excluant toute possibilité de résistance ou de contradiction.

On imagine difficilement à notre époque, l'extraordinaire ascendant que Gaston Dominici, chef d'un clan originaire de l'Italie du Sud (exactement de la Calabre) et ayant conservé les traditions familiales de ce dur pays, a pu exercer sur ceux qui l'entouraient.

Il s'est, dès sa majorité, imposé comme un chef et nul n'a, depuis cinquante ans, osé la moindre critique lorsque même ce tyran familial levait la main sur l'un ou l'autre de ses enfants parvenus pourtant à l'âge d'homme.

Gaston Dominici est sans doute l'un des derniers exemples de cet antique "pater familias" dont les décisions devaient être considérées comme parole d'évangile.

La violence du fermier de "La Grand'Terre" s'exerçait non seulement - l'enquête l'a établi - sur les siens, mais encore sur ceux de son village où il prétendait régner en maître, usant s'il le fallait de brutalités répétées.

Voici quelques années encore, Gaston Dominici s'en allait le dimanche de café en café et, après de nombreuses libations, prenait plaisir à interpeller grossièrement les consommateurs, leur cherchant querelle dans le seul but de se battre avec eux et de leur imposer sa force qui, dit-on, était redoutable.

Personne à la ferme de "La Grand'Terre" n'eût songé à élever la voix en présence du maître incontesté qui, après son crime, a, dit-on, contraint les siens au silence sous peine de mort.

L'ordre du vieillard fut scrupuleusement respecté pendant quinze mois. Sa femme, ses fils, sa belle-fille ont ainsi résisté aux assauts successifs des policiers.

"Si quelqu'un parle de l'affaire - avait, paraît-il, déclaré le patriarche - je lui casse la tête..."

Il apparaît pourtant que la ténacité des enquêteurs a finalement dominé la crainte inspirée aux siens par le tyran. Ses deux fils ont peu à peu soupçonné qu'il leur faudrait un jour révéler l'horrible vérité. Ils ne se sont, du reste, résolus à parler qu'à la toute dernière extrémité et aussi pour dégager leur propre responsabilité, semble-t-il.

Mais en sa conception périmée de ses droits imprescriptibles, le vieillard oubliait que son toit abritait une personne qui n'était une Dominici que par alliance :

Yvette, la femme de Gustave Dominici qui, on le sait, fut longtemps soupçonné d'être le seul et véritable meurtrier des Drummond.

"Les bons paient pour les mauvais", avait déclaré la jeune femme après le verdict des juges correctionnels de Digne qui, voici un an, ont infligé deux mois de prison à celui dont le comportement était alors inexplicable.

On croit savoir maintenant que si l'assassin aux cheveux blancs est finalement entré dans la voie des aveux, c'est parce qu'Yvette Dominici, lassée de voir celui qu'elle aime, soupçonné du triple crime et soumis à d'inlassables auditions, a fourni aux enquêteurs, sur le rôle de son beau-père, de telles précisions que celui-ci n'a pu faire autrement que de reconnaître sa culpabilité.

S'estimant maintenant trahi par ceux qui, pour la première fois, ont désobéi à ses ordres, le vieillard a tenté par désir de vengeance de charger ses enfants sans qu'il puisse, jusqu'ici, apporter la moindre précision à l'appui de ses accusations.

Il n'a, semble-t-il, dans sa prison, d'autres préoccupations que celles d'avoir sans restriction le tabac et le vin qui lui sont indispensables. Il désire également obtenir des nouvelles de son chien.

L'intraitable paysan sait que l'animal, quoique habitué aux coups de bâton, lui demeurera servilement attaché.

"Il est meilleur que mes enfants" a déclaré froidement le vieillard qui, après ses aveux, n'a pas manifesté le moindre remords des crimes commis, pas même en ce qui concerne celui de l'innocente Elizabeth Drummond, dont les hurlements d'effroi ont, voici un an et demi, retenti dans la nuit, - comme l'avait indiqué un témoin dont on reparlera sans doute... - et à proximité du berceau où reposait un autre enfant, son propre petit-fils.

 

 

Dernière minute : Gaston Dominici a tenté de se suicider ce matin au cours de la reconstitution en se jetant du pont qui surplombe la voie ferrée (l'information en page 5)

LURS - CE MATIN A 9 HEURES A COMMENCÉ SUR LES LIEUX DU CRIME DE LURS LA "RECONSTITUTION" DU DRAME.
GASTON DOMINICI A ÉTÉ INVITÉ À RENOUVELER TOUS LES GESTES QU'IL FIT AU COURS DE LA NUIT SANGLANTE.
SOUDAIN, AU COURS DE CETTE OPÉRATION JUDICIAIRE, GASTON DOMINICI A TENTÉ DE SE DONNER LA MORT.
LE VIEILLARD, PROFITANT D'UN MOMENT D'INATTENTION, A BRUSQUEMENT ENJAMBÉ LE PARAPET DU PONT AU-DESSUS DE LA VOIE FERRÉE, PROCHE DU LIEU DU CRIME.
MAIS IL FUT RATTRAPÉ À TEMPS PAR M. PEYRIES, JUGE D'INSTRUCTION..

 

 

© X., in Le Soir, organe républicain quotidien, du lundi 16 novembre 1953

 

 Harzic parle aux journalistes

Légende originelle : "Le commissaire divisionnaire Hartzig [sic], chef de la 9e brigade mobile, s'entretient avec les journalistes, après leur avoir annoncé que le monstre de Grand'Terre venait enfin d'entrer dans la voie des aveux - Photo "Le Soir".

Légende off : Le Divisionnaire G. Harzic, ouvrier de la onzième heure, supérieur hiérarchique de Sébeille, vient tirer les marrons du feu auprès des journalistes après avoir, pendant plus d'un an, tiré à boulets rouges (avec l'aide du Commissaire principal Noël Mevel, qui "faisait fonction" en son absence) sur son subordonné, et l'avoir abondamment calomnié.

 

 


 

 

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