[Un texte de souvenir, mi-amusé, mi-grinçant, d’un adulte comparant ses propres années d’écolier, à la situation qu’il constate aujourd’hui, Sur le chemin de l’école]

 

 

Il m'est arrivé d'avoir sept ans. Ou même moins. Je ne me rappelle plus très bien, car cela commence à devenir lointain. Ce qui est sûr, c'est que je suis allé à l'école tout petit, dans une ville plutôt petite elle aussi, au cours des années 1930 de notre ère.

J'ose à peine dire que j'allais à l'école à pied... Les enfants d'aujourd'hui, quand j'avoue cela, me regardent avec un sourire hésitant, mi-curieux mi-incrédules. Ils doivent situer mon enfance entre l'épopée des Vikings et les films de Charlot. Car nos modernes écoliers sont amenés au collège dans la voiture de maman, avant qu'ils aient leur propre engin à moteur. Un bon contingent d'entre eux s'entassent dans des bus complaisamment affrétés par la commune ; cette même commune, par ailleurs, se sent obligée de fournir à cette jeunesse des piscines, des terrains de sport et des murs de grimpe pour lui donner l'occasion d'exercer ses muscles.

Lorsque j'allais à l'école à pied, les voitures existaient déjà. Je passais chaque jour devant un garage, donc je puis en témoigner. Elles ressemblaient assez aux nôtres ; elles marchaient à l'essence. Je voyais la femme du garagiste, à peine plus haute que moi, se déhancher en maniant le levier de la pompe. Elle devait se faire des biceps d'airain... En face du garage, il y avait un marchand de chevaux. On n'était donc pas tout à fait sorti du XIXe siècle. Les chevaux circulaient partout dans la ville. Des gamins munis de pelles ramassaient le crottin et le jetaient dans une caisse montée sur deux roues et dotée d'un timon. Les jours de marché, les paysans abandonnaient leurs chars devant l'école. Les chevaux allaient à la débridée, c'est-à-dire l'écurie collective qui dépendait de l'auberge. Cette auberge était à l'enseigne de La Charrue. De nos jours, elle s'appellerait White Horse Pub. Mais à l'époque on ne parlait pas encore anglais dans les petites villes vaudoises à moitié paysannes.

Le chemin de mon école longeait une rangée de noyers. Quand les noix tombaient, elles devenaient d'excellents projectiles ; les galopins en bombardaient les grandes filles, ce qui les faisait enrager. Comme le chemin n'était pas goudronné en cette époque reculée, la pluie y créait de vastes flaques bourbeuses. Les gosses y pataugeaient avec délice et s'éclaboussaient à plaisir. Que de drames familiaux ont été déclenchés par des giclures de boue qui se révélaient en séchant !

Il n'y a plus de chemin des écoliers. Seulement des arrêts de bus où l'on voit des grappes d'enfants attendre en suçotant des glaces. Ils échangent des albums de bandes dessinées et les cassettes de leurs chanteurs préférés. Ils sont fiers d'être habillés de blousons estampillés par le créateur branché, chaussés de baskets de la bonne marque, porteurs du sac aux couleurs à la mode. Nous allions en manteaux gris ou tabliers à carreaux, en bas de laine beige, et nos souliers étaient armés contre l'usure grâce à des pièces métalliques en forme de croissant que nos pères clouaient au bout et au talon. Nous cheminions ainsi, ignorant notre infortune, marchant, marchant toujours, sachant que le soir il faudrait marcher encore pour aller chercher le lait. C'était aux temps mythiques d'avant la publicité, d'avant la liberté. On ne pensait pas qu'un jour les enfants débarqueraient devant l'école comme des touristes. On ne se doutait pas non plus qu'ils auraient rendez-vous avec la psychologue.

Le progrès devait venir bien plus tard. 

 

Jacques Bron, in Éducateur suisse n° 9, décembre 1992, p. 57

 

 

 

SUGGESTIONS POUR UNE EXPLOITATION

 

 

I. Lecture-compréhension

 


Donner le temps suffisant pour une bonne prise de connaissance du texte. Puis expliquer avec les enfants les quelques mots difficiles : épopée, affrétés, airain, timon...
Relever rapidement, avec eux, le champ lexical de l'écolier (concernant ici l'habillement) tel qu'il apparaît dans le texte.
Échanger ensuite avec eux sur l'humour du texte, sur le sens que l'auteur donne au mot progrès (engager le travail sur l'opposition autrefois vs aujourd'hui).
Bien leur faire noter qu'il s'agit, par rapport à eux, à la fois d'un autre temps et d'un autre lieu (un seul indice, à cet égard, le qualifiant vaudoises).
Terminer, peut-être, en leur proposant une petite écriture de phrases ainsi amorcées :


- Quand les noix tombaient.... 
- Quand il pleuvait... 
- Quand arrivait le soir...

 

II. Grille sémique

 

On s’efforcera de rapprocher et séparer par leurs sèmes trois para-synonymes (on peut en ajouter d'autres) :
chemin, route, sentier.

 

III. Champ sémantique, à propos de chemin.

 

a).

Un chemin forestier ; un chemin vicinal ; un chemin de traverse ; Le plus court chemin entre deux points, c'est... ; j'ai perdu mon chemin, puis je l'ai finalement retrouvé ; nous avons repris le chemin de l'école ; passez votre chemin, je vous prie ! ; l'Airbus d'Air-France se tenait sur le chemin de roulement, et le GIGN n'y est pas allé par quatre chemins(1).

Ce Monsieur Bron semble vieux comme les chemins ; nous sommes allés à l'Agora : en chemin (à mi-chemin), nous avons rencontré... ; beaucoup de personnes étaient sorties du droit chemin : les voilà incarcérées (2) ; en classe, je ne me fatigue pas trop : je poursuis mon petit bonhomme de chemin.

b).

Quant à l'expression chemin des écoliers, on pourra l'expliciter à partir de cet extrait du Testament, de Georges Brassens (1955) :


"S'il faut aller au cimetière,
J'prendrai le chemin le plus long.
J'ferai la tombe buissonnière,
J'quitterai la vie à reculons...
Tant pis si les croqu'-morts me grondent,
Tant pis s'ils me croient fou à lier,
Je veux partir pour l'autre monde
Par le chemin des écoliers..."

c).

Enfin, il sera intéressant d’effectuer le rapprochement avec cheminée (évacuation de la fumée ; passage étroit en montagne), et de travailler sur le sens à partir de la levée d'ambiguïté sur la phrase :


L'alpiniste se trouve maintenant au pied de la cheminée.

 

Un travail similaire peut d'ailleurs être conduit à propos du verbe sortir :


- Il sort de la maison
- Je l’ai sorti de mon bureau
- Il sort de la route, etc.

 

Ou encore de marcher :


L'entreprise marche       Je ne marche pas, etc.

 

Ou enfin, de tomber(3) : curiosité sur cataracte, venu du grec, qui donne

- la chute d'eau

- la baisse d'acuité visuelle des yeux vieillissants.

 

 

IV. Grille étymologique : rang

 

Faire expliciter le sens de l'expression : une rangée de noyers. Puis dresser peu à peu le tableau suivant, à partir du lexème rang.

 

Préfixes

 

Lexème

Suffixes

     
 Ø

 

 Ø

ar

 

ée

RANG

ement

 

 

er

 

 

é

 
On procédera, ensuite, à un relevé exhaustif (concours entre les groupes d'élèves ?) de tous les mots qu'on peut ainsi produire (4).

 

 

V. A partir de manier ("maniant le levier de la pompe")

 

main ➔ manier (≠ manie !) ➔ maniable ↓ manière (comment passe-t-on du sens propre au sens figuré ?) ↓ manuel (deux sens) ➔manœuvre.

Cf. aussi : mettre la main à l’ouvrage ≠ mettre la main sur un voleur.

 

 

VI. Grilles étymologiques : jeter(5)

 

Préfixes

Lexème

Suffixes

 

 

 

  Ø

 

  Ø

dé-

 

-er

inter-

 

pro-

 

-ée

re-

JET

-on

sur-

 

(jét) -ion

su-

 

(jett) -ir

assu-

 

 

ob-

 

 

tra-

 

 

 


Préfixes

Lexème

Suffixes

 

 

 

ab-

 

 Ø

ad-

 

-er

con-

 

-ion

dé-

 

-if

é-

JECT

-ure

in-

 

-eur

inter-

 

-ile

ob-

 

-oire

pro-

 

 

sub-

 

 

tra-

 

 

On a suggéré, par des caractères gras, quelques constructions possibles. Il conviendra peut-être d’ajouter, pour la compréhension de la construction de ce verbe, l’observation des phrases suivantes(6) :

- Jean a jeté le ballon à Marie (animé/matériel/animé)

- Jean a jeté un coup d’œil à Marie (animé/abstrait/animé)

- Jean a jeté à la tête de Marie une assiette (animé/matériel/matériel)

- Jean a jeté à la tête de Marie sa conduite passée (animé/abstrait/ animé/abstrait)

- On pourrait multiplier les exemples, comme : Jean a jeté le désarroi dans le cœur de Marie, ou Cette idée a jeté Marie dans le désarroi...

[Mais ces derniers exemples devraient n'être abordés qu'avec des adolescents...] 

 

 

VII. Le verbe dire

 

a). grille étymologique

(au moins vingt mots pourront être composés. On se limitera éventuellement aux suggestions portées en caractères gras).

 

Préfixes

Lexèmes

Suffixes

 

 

 

 Ø

 

 Ø

mau

DIRE

eur

 

ance

contre (contra)

 

ée

DICT

ateur (ation)

re

 

ionnaire

béné (malé)

DIS

ion

pré

 

e

juri

DIT

ace

con

 

on

é

DIC

ible

in

 

er

b). Utilisons le verbe précis (à partir de dire) :

Dites-moi quelque chose !

Dis-moi ton secret

Dites-nous la raison de votre geste

Il va nous dire son avis

Dis-nous donc un poème

Je n’ai rien à dire à cela

Dans sa lettre, il me dit qu’il va se marier

Les traits de son visage disent sa fatigue

Que veut dire ce mot ?

Consigne : essaie de remplacer le verbe dire par un autre, plus précis, appartenant à la liste ci-dessous (attention aux intrus !)

[réciter - révéler - répondre - ajouter - annoncer - exprimer - prendre - indiquer - signifier - donner - trahir - exprimer - annoncer - parler]

 

 

VIII. Jeu : les homonymes(7)

 

Le vœu le plus cher de M. Dupond-Durand fut exhaussé le jour où ayant ajouté un étage et une tour à sa maison, les gens du pays se mirent à parler du « château ». M. Dupond-Durand se sentit obligé d’acheter une cane à tête de flamand rose marquée à son chiffre, ainsi qu’une voiture au tableau de bord équipé de multiples quadrants. Quant à Mme Dupond-Durand, tout le monde savait que ses bracelets en or feint n’étaient que du toque.

Tous deux se mirent à jouer au golfe et, à dessin, ils traversaient le bourg munis de leurs sacs de crosses à l’heure où les joueurs de boules occupaient le maille et où les vieux se do-raient sur les bans de la place.

- Comme ils ont l’air digne et serein dit, en regardant passer les Dupond-Durand, le no-taire honoraire à son voisin l’instituteur à la retraite. Et celui-ci de reprendre :

- Ah ! Oui, l’air serein. De quelque manière que vous l’écriviez, ça leur ira toujours bien.

Consigne : dix mots de ce texte ont été confondus avec leurs homonymes. Trouve-les, et effectue les rectifications nécessaires.

 

Notes

(1) Allusion totalement dépourvue de référent, en 2020 !
Il s'agit de la prise d'otages du vol 8969 Air France reliant Alger à Paris, par quatre membres du Groupe islamique armé (GIA), du 24 au 26 décembre 1994. L'assaut du GIGN se conclut par la mort des 4 terroristes. Sur les 220 passagers du vol, 16 furent blessés (mais au cours des négociations, les membres du GIA en avaient exécuté trois autres).
(2) On peut toujours rêver (et, si nous osions, nous ressusciterions le point d’ironie - y - inventé naguère par Hervé Bazin)...
(3) Emprunté à J. Picoche, Structures sémantiques du lexique français, p. 93. Du grec katarraktês : qui tombe.
(4) Rang, rangé, rangée, rangement, ranger, arranger, ..., déranger, ...
(5) Emprunté à J. Picoche, Précis de lexicologie française, p. 113.
Préfixes les plus productifs : dé, inter, pro, re et sur. Suffixes les plus productifs : er, (Ø).
(6) Empruntées à J. Picoche, Précis de lexicologie française, p. 60.
(7) Extrait de Ouest-France, n° des 26-27 septembre 1992.
Solutions : exhaussé/exaucé, cane/canne, flamand/flamant, quadrants/cadrans, feint/fin, toque/toc, golfe/golf, maille/mail, bans/bancs, serein/serin

 

(© Extrait de SH,  L'enrichissement du vocabulaire, CRDP de Grenoble, 1997, pp. 220-230)