Ayez un cœur sans tache.

 

- Mademoiselle Aimée, dit le lendemain Francinet en voyant arriver la petite fille, vous avez toujours une robe blanche, et je vois le grand soin que vous prenez de ne pas la salir. Je voudrais bien savoir pourquoi vous êtes ainsi toujours vêtue de blanc, au lieu de porter, comme les autres demoiselles riches, du rose, du bleu et toute sorte de couleurs.

- Francinet, répondit Aimée sérieusement, c'est pour obéir à un désir de ma mère. Je ne l'ai jamais connue ; mais je suis heureuse de lui prouver que je l'aime en lui obéissant.

- Vous avez raison, mademoiselle Aimée, dit Francinet ; car je sais qu'on doit toujours suivre la fantaisie de ses parents.

- Oh ! fit Aimée avec un sourire, ma mère a eu autre chose qu'une fantaisie. Elle a eu une pensée d'affection pour moi. Le blanc est la couleur que ma mère préférait ; il paraît, Francinet, que dans tous les temps et dans tous les pays le blanc a été regardé comme 1'image de l'innocence ? Eh bien ! En me faisant porter cette couleur si facile à ternir, ma mère mourante a voulu me faire souvenir sans cesse, par la propreté minutieuse à laquelle elle me condamnait, des soins scrupuleux que je dois prendre pour conserver à mon âme toute sa pureté. Cette robe, que ma mère m'a imposée, me rappelle constamment son souvenir et ce qu'elle m'aurait dit si elle avait vécu.

- C'est singulier, dit Francinet, comme vous savez comprendre toutes choses, mademoiselle Aimée. Moi, je n'aurais jamais deviné cela.

- Je ne l'ai pas deviné davantage, dit Aimée. C'est mon grand-père qui m'a donné cette explication. Sans lui, je n'aurais pas compris plus que toi la pensée de ma mère, et j'aurais eu peut-être envie de murmurer contre les privations que m'imposa plus d'une fois ma robe blanche.

- C'est vrai, dit Francinet tout songeur, vous avez dit bien souvent être privée de jouer, mademoiselle Aimée.

Et en disant cela, Francinet pensa que c'était sans doute ce constant respect pour la volonté affectueuse d'une morte, imposé à cette enfant dès l'âge le plus tendre, qui avait habitué Aimée à être si raisonnable. Il comprit vaguement ce qu'il y avait de touchant dans cette pensée maternelle survivant à la tombe, pour rappeler sans cesse à une enfant le souvenir de sa mère et le respect de soi-même au moyen d'un signe extérieur, d'une robe blanche. Aussi Francinet fut-il ému sans trop savoir pourquoi. Il trouvait maintenant Aimée supérieure à lui par l'élévation des sentiments plus encore que par la fortune ; et la pensée qu'il avait eue en la voyant pour la première fois lui revint, sans qu'il sût comment, sur les lèvres.

- Les riches sont bien heureux ! s'écria-t-il.

Aimée sourit gaiement.

Francinet, dit-elle, tu as toujours l'air de considérer les riches comme une espèce d'hommes à part. Cependant mon grand-père est le fils d'un ouvrier. Veux-tu que je te dise en deux mots son histoire, qu'il m'a bien des fois racontée ?

- Je le veux bien, dit Francinet.