L'enseignement en détresse ! Jacqueline de Romilly ! Et moi qui préférerais parler de Pour l'amour du grec ! Mais baste, je subodore que le pamphlet de Jacqueline n'a pas été oublié. Alors, je donne ci-dessous une interview de cette grande dame. Je ne suis pas d'accord sur tout, il faudrait nuancer, ne pas confondre le mépris de la culture, le culte de la facilité, avec les "méthodes modernes" et autres pédagogies de l'éveil. Ça n'a même rien à voir.
L'article était complété par l'examen critique de quelques ouvrages (au vitriol) parus à la même époque. Là aussi, il faudrait beaucoup nuancer. Mais je ne sais pas si c'est bien le moment.
En tout cas, la dénommée Jacqueline Worms de Romilly, née David, en 1913, si elle est aujourd'hui quasi-aveugle, elle n'est ni sourde, ni muette : vingt ans après, ce qu'elle disait - et continue à dire, inlassablement - n'a pas vieilli. Hélas, hélas, hélas !

 

 

Après cinquante ans d'enseignement supérieur, Jacqueline de Romilly, normalienne et agrégée des lettres classiques, qui fut la première lauréate du concours général, la première femme à entrer au Collège de France et à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, au désespoir a préféré le cri d'alarme en publiant "L'Enseignement en détresse" (Julliard).

 

L'enseignement en détresse, la marée noire de l'ignorance, la montée de l'analphabétisme, on les dénonce à qui mieux-mieux. À droite comme à gauche et au centre. "On" : des hommes et des femmes de tous âges, enseignants, parents ou personnalités du monde de l'économie et des affaires. "L'Enseignement en détresse" (Julliard, 1984, 218 p.), c'est justement le titre du livre de Jacqueline de Romilly, une femme qui sait de quoi elle parle : à soixante et onze ans, voilà près d'un demi-siècle qu'elle sert l'enseignement public. "Quand on voit craquer de partout une institution à laquelle on a consacré sa vie, on n'a le choix qu'entre le désespoir et la protestation. J'ai choisi la protestation et le témoignage".

Un témoignage d'autant plus irremplaçable qu'elle n'a cessé d'être la première à ouvrir des brèches dans l'ordre ou le désordre établi. "J'ai commencé le grec en quatrième, l'année où l'étude du grec s'ouvrait aux femmes. J'ai été lauréate du concours général en grec et en latin en 1930, l'année où le concours était accessible aux femmes".


À l'époque cela avait fait grand bruit. Jacqueline de Romilly feuillette son press-book et montre un article illustré de la photo d'une jeune fille qui croule sous les prix. "Mlle Jacqueline David obtient à dix-sept ans le premier prix de version latine, le second de version grecque au concours général". Il est signé d'un jeune journaliste, Pierre Lazareff.

 

"Je n'ai pas eu grand mérite : c'était le moment où les choses s'ouvraient aux femmes, il n'y avait qu'à en profiter. C'était une question de chance et de génération. Mon père, qui était professeur, avait été tué en 14. J'ai donc été élevée par ma mère qui n'avait que moi et qui n'a eu qu'un but : la réussite de mes études.

"Quand on parle de féminisme, je sais bien, moi, que c'est cette génération-là, celle de ma mère, qui a fait des merveilles. Et pourtant, elle était veuve à vingt-sept ans, sans argent, sans métier, sans instruction et il lui a fallu se débrouiller, gagner sa vie pour m'élever.

"Elle a été secrétaire, a fait toutes sortes de métiers, s'est mise à écrire des romans, des pièces de théâtre. Jeanne Maxime David, son nom, oublié maintenant, était connu à l'époque. Elle a fait beaucoup d'adaptations pour la radio et elle faisait partie du comité de lecture. Cela, c'étaient de vraies conquêtes. Moi, ensuite, je n'avais plus qu'à ramasser".

Jacqueline de Romilly a donc continué à enfoncer les portes entrouvertes : elle a fait l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, celle des garçons, passé l'agrégation de lettres en 1936, la masculine toujours.

"J'ai continué depuis une carrière d'homme. J'ai été la première femme au Collège de France, en 1973. Aujourd'hui, il y en a une autre, une sociologue, mais je suis toujours la seule femme à l'Académie des inscriptions et belles lettres. Tout simplement, parce que j'étais la première femme à avoir fait dans ce domaine des études normales".

Pour publier "L'Enseignement en détresse", elle a renoncé à toutes sortes de présidences. Celle de la prestigieuse association Guillaume Budé qui, entre autres, édite tous les grands classiques grecs et latins, aussi bien que l'Association des anciens lauréats du concours général. Pour ne pas les engager dans ses prises de position. "Je n'y étais pas obligée, mais j'ai un certain âge et cela me permettra, quand le bruit fait autour de mon livre sera tombé, d'avoir un peu plus de loisirs. Car je prends également, volontairement, ma retraite du Collège de France cette année".

Elle qui proteste contre la politisation de l'enseignement ne veut pas qu'on politise son livre. "Il ne faut pas l'oublier : la crise de l'enseignement, l'insuffisance des crédits, les tendances égalitaires et la politisation, le mépris des disciplines littéraires, la chute du niveau, ne datent pas d'aujourd'hui ou de mai 81. La nouvelle majorité n'a fait que continuer le travail de la précédente. Simplement elle a aggravé les choses en accélérant délibérément l'évolution".

Si elle parle plus volontiers de l'enseignement supérieur, c'est parce que, pour l'avoir pratiqué, c'est celui qu'elle connaît le mieux. Plus encore, parce qu'il est à son tour atteint par les réformes. Et surtout parce qu'il forme les professeurs de demain et que si son niveau baisse après celui de l'enseignement primaire et secondaire, il formera des professeurs au rabais et que la chute en sera encore accélérée.

Si, pareillement, elle parle plus des études littéraires que des études scientifiques, c'est toujours pour parler de ce qu'elle connaît le mieux et parce que les lettres sont plus menacées que les sciences. Mais cette traductrice de Thucydide ne fait pas une fixation sur le grec et le latin.

"Toute ma vie, je me suis battue pour défendre le grec et le latin. Je sais maintenant qu'ils ne constituent qu'un élément d'un problème plus vaste : aujourd'hui, ce sont les notions mêmes de culture et de formation de l'esprit qui sont menacées. Et la langue française elle-même et nos auteurs. En ce qui concerne le grec et le latin, il y a beau temps que je ne demande plus que la permission que l'étincelle subsiste !"

Jacqueline de Romilly parlait tout à l'heure de désespoir. Le mot n'est pas trop fort. Même s'il y a encore des professeurs et des élèves heureux - elle en a rencontré - elle en connaît davantage qui quittent ou songent à quitter l'enseignement. "Ils fuient le niveau trop faible de leurs classes, l'indiscipline ou même la violence des élèves incapables désormais d'attention et d'efforts soutenus, les épreuves de force inutiles auxquelles mène la perte d'autorité des professeurs due aux nouvelles méthodes pédagogiques, du genre :
"Asseyez-vous", dit le professeur. "Je vous emmerde", répond l'élève.
"Tout concourt à décourager le dévouement, la bonne volonté, l'effort des enseignants. À commencer par l'instabilité des règlements, l'incertitude sur leur avenir et leur situation, alors ils fuient et on les retrouve dans la banque, l'édition, la politique, l'administration, car on les aime partout, sauf dans l'enseignement, les agrégés ! Je connais même une agrégée de lettres qui a préféré être simple secrétaire !"

Ce que dénonce "L'enseignement en détresse" : la manie égalitaire qui ne mène pas à l'égalité mais simplement au nivellement par le bas qu'on constate à tous les niveaux dans l'enseignement.

"Dans les concours de l'enseignement supérieur, tout le monde reconnaît que la tête reste au moins aussi bonne que par le passé. Simplement elle est beaucoup plus réduite en nombre ! Après, la chute s'accélère et tout en bas de l'échelle, une masse de plus en plus grande tombe si bas que les correcteurs regrettent de ne pouvoir noter au-dessous de zéro.

"Quand, à la suite de la poussée démographique, l'entrée massive d'enfants dans l'enseignement a provoqué une pénurie de professeurs, on a pris les instituteurs pour enseigner dans le secondaire où les non-agrégés sont maintenant en majorité. Parmi les professeurs d'histoire et de géographie, par exemple, aujourd'hui 25 % ont reçu une formation spécifique convenable, 40 % se sont formés sur le tas et 35 % n'ont reçu aucune formation ! Ce sont des chiffres officiels qui donnent à penser et qui justifient ce qu'on a dit d'une réforme : qu'elle faisait "d'instituteurs heureux des professeurs malheureux".

"Et maintenant, chez les enseignants, ce sont ceux qui n'ont pas eu la faveur, la chance de connaître des études poussées qui disent que cela ne sert à rien. Les difficultés du grec et du latin proviennent d'ailleurs de circonstances comparables. Et ils sont les plus forts parce que les plus nombreux. Quand il y a un vote pour un poste à l'université, par exemple, ceux qui n'ont pas fait de grec et qui n'en connaissent pas les bienfaits pour la formation, voteront tout naturellement plutôt pour l'ouverture d'une chaire de sociologie ou de sciences économiques plutôt que pour une chaire de grec dont ils ne sont pas à même de comprendre l'utilité.

"Les sciences humaines, par parenthèse, ont beaucoup nui aux études littéraires. Jusque dans les méthodes ; aujourd'hui, quand on étudie un texte littéraire, c'est comme témoin d'une mentalité, jamais comme une œuvre...

"À cela s'ajoute enfin que, même sans le collège unique qui aurait mêlé tous les enseignants des universités, ceux des plus hautes catégories voient leur influence diminuée. L'expérience, la compétence, la science si chèrement acquises ne feront pas le poids dans l'organisation des enseignements et de la vie des universités ! Cela ne concourra pas à inverser la tendance à la baisse de qualité de l'enseignement supérieur !"

Résultat, le flot montant de l'ignorance dont témoigne le flot envahissant des témoignages et des rapports souvent tristement cocasses.

"À l'arrivée en sixième, un enfant sur quatre ne sait ni lire ni écrire. Dans les copies des candidats bacheliers, on trouve trente fautes par page et telles qu'elles rendent parfois la compréhension difficile. Comment m'étonner après cela qu'à une soutenance de thèse sur Euripide, je découvre que le futur docteur ignore complètement l'"Andromaque" de Racine !

"Qu'à l'oral de la licence, un candidat à qui j'ai demandé quand avait vécu Homère réponde: "Oh Madame, cela fait très, très longtemps", sans pouvoir préciser davantage. Et comment ne pas remettre en cause des principes pédagogiques qui amènent de si beaux résultats ?

"Sous prétexte de pédagogie d'éveil, on veut laisser les enfants s'épanouir, choisir, se distraire. Mais on oublie que la fonction même de l'enseignement c'est de développer, de fortifier, d'entraîner, grâce à l'effort, les moyens encore virtuels chez ceux que l'on veut former, que l'on prétend former. Et j'en ai fait l'expérience : les choses les plus austères peuvent amuser les enfants si l'on sait les leur présenter.

"Pour enseigner le thème grec qui n'est pas en soi un exercice très gai, j'apprenais à mes élèves à copier une phrase de grec en y introduisant des fautes subtiles, puis à la passer au voisin pour qu'il les détecte. Ils étaient passionnés. C'était à qui trouverait l'erreur le plus vite. Cela devenait un jeu excitant.

"Donner aux élèves le goût de ce que l'on veut leur enseigner, c'est cela la pédagogie. Mais ce n'est sûrement pas ce que les enseignants apprennent quand, dans un cours de recyclage d'une semaine, comme celui dont on m'a parlé, on leur apprend à construire un aquarium !"

Quand on rétorque à Jacqueline de Romilly que les enfants d'aujourd'hui ont peut-être une autre culture que celle de leurs parents - celle du temps présent - elle a vite fait de répondre :

"Mais bien sûr, ils ont un vocabulaire technique plus étendu, une expérience du monde concret plus riche. Mais s'ils ne savent ni raisonner ni s'exprimer ni critiquer les informations si riches qu'ils reçoivent, où sera le bénéfice ? Je sais bien que la culture évolue avec le temps. Même pour moi, elle a changé au cours de ma vie. À commencer par l'hellénisme : nous posons au même texte des questions différentes. Nous utilisons des méthodes nouvelles. Accessoirement, on découvre des textes nouveaux.

"La TV, aux jeunes d'aujourd'hui, apporte certainement énormément de choses, mais elle ne développe sûrement pas leur activité personnelle de raisonner, leur possibilité de comparer. Elle leur donne aussi l'habitude d'une attention non obligatoire, non active, non continue, qui ne favorise pas l'étude.

"Il paraît que la TV ouvre sur le monde, mais dans un interrogatoire écrit sur le tiers-monde, la grande majorité des adolescent interrogés ignoraient complètement ce que veut dire l'expression que certains écrivaient même "thiers-monde" ! Et tel gamin qui ignore que Voltaire est mort, l'a peut-être vu à la télé, entre Mauroy et Chirac.

"Je ne plaisante pas puisque le service d'information du ministère révèle qu'en seconde 43,5 % des élèves placent Voltaire sous Louis XIV, 43,1 % Mozart sous le Second Empire comme 13,9 % également Picasso !

"Sans doute, est-on en train de passer d'une civilisation de l'écrit à une civilisation de l'oral mais force est de constater justement que dans le même temps, l'expression orale, le vocabulaire, notamment, ne cesse de s'appauvrir. Je donne dans mon livre le cas limite du professeur demandant à ses élèves ce qu'est un crucifix et qui s'entend répondre : " C'est une sorte de tournevis"(1).

"Ou de cet admirateur d'un chanteur à la mode qui exprime sa béatitude en disant qu'il n'est pas "con" et un autre, qui un moment plus tard, de plus en plus sous le charme, s'exclame : "Ah le con !"

Alors Jacqueline de Romilly met allègrement en question les nouveaux conformismes, brise les nouveaux tabous, prône tout ce que la philosophie de la pédagogie nouvelle de l'enseignement actuel ont tenté de faire disparaître : "L'émulation et la sélection sont les ressorts de l'enseignement, elles sont indispensables, excusez-moi de soutenir un évidence qui n'en est plus une aujourd'hui j'ai pu en mesurer le prix tout au long de ma vie.

"D'abord l'émulation fait travailler, c'est son premier bienfait. La sélection, on la présente comme un barrage. C'est le contraire. Il faut se la représenter comme un appel vers le haut, stimulant, prometteur de progrès pour tous. Viendrait-il à quelqu'un l'idée de reprocher à un entraîneur d'inciter ses sportifs à se surpasser eux-mêmes, à surpasser les autres pour obtenir l'une de ces victoires sur le stade qui enflamment les foules ?

"On prétend qu'on n'est pas contre la qualité, seulement contre l'élitisme, en fait la haine de l'élitisme est si violente qu'elle entraîne la ruine de la qualité de tout et de tous. On confond l'égalité devant l'enseignement et dans l'enseignement. Les concours si attaqués aujourd'hui, en stimulant l'émulation, encouragent la qualité et ils ont un avantage irremplaçable: ils sont une sauvegarde contre tout recrutement politisé. C'est peut-être pour cela qu'on les attaque si fort..."

Voilà le grand mot lâché : la politisation, aux yeux de Jacqueline de Romilly, est une des grandes causes de la décadence de l'enseignement. Cette politisation est surtout sensible dans l'enseignement supérieur et dans la recherche.

"Les propositions ouvertement suggérées par les syndicats politiques tendent à remplacer de haut en bas les critères du savoir par ceux de l'appartenance politique. Laurent Schwartz disait joliment : "Le pilote d'un avion n'est pas élu par le personnel de bord et les passagers". Sans le savoir, d'ailleurs à vingt-cinq siècles de distance, il retrouvait exactement Platon ! On finira par voter un de ces jours au scrutin de liste pour savoir le sens exact d'un mot ou l'interprétation d'un travail archéologique.

"Bien sûr, tout est politique, mais jusqu'à ces dernières années, on aurait considéré comme une faute professionnelle grave de laisser percer ses opinions politiques dans l'enseignement. Aujourd'hui, on le fait délibérément. Quand on donne comme premier livre de lecture "La Longue marche de Mao", ce n'est tout de même pas qu'on n'a entendu parler d'aucun autre choix possible ! Ajoutez à cela que pour éviter les abus, il y avait dans le temps un contrôle".

Là où Jacqueline de Romilly risque de scandaliser le plus, c'est lorsqu'elle avoue sans hésitation mais non sans douleur qu'elle est partisane de la liberté de l'enseignement. "J'ai passé toute ma vie dans l'école publique et laïque, celle de l'État, mon père y enseignait. J'y étais élève, j'y ai enseigné pendant presque cinquante ans.

"J'appartiens par toutes les fibres de mon être et par mes souvenirs à cette tradition que j'aimais et que j'admirais. À voir l'évolution de cet enseignement, je comprends que des parents s'attachent avec l'obstination du désespoir à l'école libre, qu'ils mettent en doute la qualité de l'enseignement et de la culture dispensée par l'État.

"Je connais peu l'enseignement dit libre ou privé. Je ne crois pas qu'il soit supérieur à l'enseignement laïque. Je crois qu'il est atteint par la même dégradation, mais il est possible qu'il protège mieux certaines valeurs menacées. À l'heure actuelle, je suis pour tout ce qui peut être un asile.

Après tout, il y a eu des périodes d'obscurantisme et de barbarie où la culture s'est réfugiée où elle a pu".

Ces nouveaux barbares, on le devine à lire "L'Enseignement en détresse", ce sont les ennemis de la culture : "Ceux qui l'ont côtoyée sans l'avoir et qui contestent non seulement l'enseignement mais son utilité. Les désabusés qui ne comprennent pas qu'à tous les niveaux, elle forme les esprits, les caractères, les intelligences, les volontés".

Le remède : le retour aux valeurs sûres que dispensent, entre autres, la philosophie et les études littéraires, aujourd'hui si peu considérées, ces évidences qui ont fait leur preuve et qui prennent dans le contexte actuel l'allure de paradoxes. L'ennemi c'est aussi la primauté donnée au concret, au pratique, à l'immédiatement utile, sur l'abstrait :

"Le concret, les données de faits multiples, les connaissances éparpillées, les miroitements des sensations subies, voilà précisément ce qui désoriente. Le détour par l'abstrait sert tout simplement à penser avec prudence, fermeté, cohérence. En distinguant les notions de façon rigoureuse. Selon la logique. Il apprend à poser des questions, à distinguer la faiblesse des réponses, à reconnaître une démonstration, le chaînon manquant etc. Tout ce qui est nécessaire justement, tous les domaines de la recherche et plus simplement dans toutes les activités, même plus simples de la vie quotidienne !

"Les textes officiels eux-mêmes se plaignent que les élèves des lycées ont perdu la faculté de raisonner de façon cohérente. L'analyse grammaticale des phrases, l'analyse intellectuelle des textes, la traduction méthodique, les raisonnements mathématiques, la philosophie sont justement ce qui forme à celle de raisonner sans lequel aucune connaissance n'a plus d'utilité.

"J'ai passé beaucoup de temps à tenter de prévenir le mal, à avertir, à faire des rapports, à envoyer des témoignages, en vain. C'est quand on est fatigué de n'être pas entendu qu'on fait appel à l'opinion publique.

"De qui faut-il être entendu ? Du ministre, des syndicats ? Qui faut-il convaincre ? Je n'en sais plus trop rien. Ou plutôt si : avant tout, les utilisateurs, les parents, tous les Français. En essayant, en attendant d'entretenir la conviction des enseignants qui sont prêts à renoncer à l'enseignement et qui ont déjà renoncé à juger par eux-mêmes et contentent de faire ce que veulent les directives, sans y croire. Bref, les enseignants en détresse... "

 

Note

 

(1) À cause des tournevis cruciformes, pour ceux qui sauraient ce qu'est un crucifix mais qui ignoreraient ce qu'est un tournevis.

 

© J. de Romilly interviewée par Pierre Démeron in Marie-Claire, 1984].

 

D'autres cris de détresse :

L'enseignement en détresse, de J. de Romilly (Julliard) pourrait servir de titre à la collection de livres-réquisitoires, parus simultanément sur le même sujet, dont voici les plus récents :

 

Michel Jumilhac, "Le massacre des innocents, France, que fais-tu de ta jeunesse ?" (Plon). L'auteur, d'origine modeste et donc condamné à un CAP (de tourneur-ajusteur), devenu industriel et homme de chantier, mais fasciné par les lettres, passe l'agrégation de lettres et devient professeur. Ce sont les lendemains qui déchantent de cette expérience, qu'il raconte avec une férocité dont la définition qu'il donne de la pédagogie donne le ton. "Autrefois, art et manière d'enseigner. Aujourd'hui, ensemble des techniques de pointe les plus sophistiquées permettant à n'importe quel taré, à n'importe quel illettré d'inculquer à des cobayes - appelés apprenants - ce qu'ils ignorent totalement".
Maurice T. Maschino : "Voulez-vous vraiment des enfants idiots ? (Hachette). En fait, la reprise, les suites et l'exploitation de son best-seller, "Vos enfants ne m'intéressent plus", qui mit le feu aux poudres. Cet agrégé de philo sait occuper l'estrade et la battre. Avec beaucoup de souffle, il fustige un système qui ne fabrique plus que des cancres et des paumés, les parents dépassés, les syndicats qui ronronnent, les ministres qui planent...
J-P. Despin et M-C- Bartholy : "Le Poisson rouge dans le Perrier" (éd. Critérion, diffusion Tardy). Un agrégé de lettres classiques et une agrégée de philosophie, anciens du PC et du SNES (Syndicat national de l'enseignement supérieur) brûlent gaiement ce qu'ils ont adoré avec l'ardeur et parfois l'excès des convertis : la nouvelle histoire, les nouvelles mathématiques, la nouvelle pédagogie, etc. Toutes les nouveautés y passent et trépassent qui mènent tout droit à "la crétinisation des masses". L'ennemi : le SNI (Syndicat national des instituteurs), le SNES, les psychopédagogues de l'INRP (Institut national de recherche pédagogique) et les zélateurs des pédagogies de l'éveil, y compris Jean Piaget, leur initiateur...

 

 


 

 

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