L'article "monacologique" dont il est question ci-après était consacré à Saint Antoine et fut publié dans Le Temps du 12 août 1888. Quant à l'article signé Gérôme, il fut publié dans l'Univers illustré du 11 août 1888, et concernait la candidature d'Émile Zola à l'Académie.

 

 

 

Samedi, 1 heure.

 

Je t'aime, ma chérie ; si mes lettres ne te persuadent pas, reviens et tu verras bien que je t'aime plus que jamais. La lenteur avec laquelle nous correspondons me tue. J'ai reçu ce matin tes lettres et ton émouvant télégramme que je ne puis lire ni toucher sans frissonner. Mais je t'aime, ma chérie, j'ai soif, j'ai faim de toi. Je ne conçois pas que tu n'aies pas reçu mon second télégramme, celui que je t'ai envoyé jeudi à onze heures du matin. J'espère bien qu'au moment où je t'écris tu as reçu le troisième qui doit te rassurer tout à fait. Ma chérie, ma bien-aimée, ne te tourmente pas, tu me fais sécher d'épouvante en m'écrivant ce que tu m'écris. J'ai passé des heures affreuses. Si j'étais en colère, c'était par amour. Comment n'as-tu pas vu cela ? Je vivais de ton image et de tes lettres, je n'avais de parole que pour t'écrire. Je souffrais, mais je m'étais arrangé dans la séparation une espèce de bonheur mystique ; tu sais bien que j'ai une sorte de sentiment religieux et que tu es mon culte. Tes soupçons ont offensé ma religion, affligé la fête spirituelle de mon cœur. Je suis devenu furieux… folle ! C'était encore d'amour. Oh ! oui, je t'aime, ne te tourmente pas. Tu serais moins jolie. Ne te tourmente pas. Je t'aime, je te veux. La journée que j'ai passée hier était affreuse ; je te craignais malade. Écris-moi, rassure-moi. Tu sais que je ne t'ai jamais menti, crois-moi quand je te dis que je n'ai pas cessé une minute de penser à toi, tout en faisant l'article "monacologique" que tu liras en même temps que cette lettre. Comment cela se fait-il, je ne sais, mais je sais que cela est. Si tu te reposes sur moi, repose-toi en paix, je t'envoie le Gérôme que j'ai fait. Il est d'une gaieté facile et commune, mais je veux bien que tu voies même mes sottises. Rassure-moi à ton tour ; je suis malheureux de tes souffrances, je vis de ta vie et n'aurai de repos que dans tes bras. Je t'embrasse ma chérie sur tout toi, sens donc mes tendresses, comprends donc mon amour. Je suis brisé, je n'ai pas la force de tenir la plume. Je n'ai de force que pour te désirer, pour te vouloir. Merci des fleurs ; elles m'aident à vivre

 

Anatole

 

[Lettre écrite le 11 août 1888 à Mme de Caillavet (qui se trouvait à Saint-Gervais)]