Le lecteur de bonne foi, qui prendra connaissance de ce texte - publié ce 17 juillet 2015 -, pourra sursauter voire légitimement se poser des questions, eu égard à la tonalité générale du site sur lequel un extrait de "La vie triomphante", fait son apparition. D'autant qu'il s'agit d'une prédication - pour moi relativement obscure, pour ne pas dire assez absconse - du temps pascal, dont nous sommes éloignés de quelques mois, c'est le moins qu'on puisse dire...
Alors, précisons qu'il s'agit d'un geste isolé, d'une protestation solitaire mais aussi déterminée que solennelle, d'une dénonciation qu'on ne voudrait pas sans échos, enfin, devant le fait accompli qui nous est imposé par la veulerie de gouvernants de rencontre. Ce 17 juillet, en effet, voit en principe (car l'attente est humainement insupportable, in cha’a-Llah, dans cette "nuit du doute" !), la fin du "mois sacré" musulman, consacré d'ailleurs par de multiples attentats, aussi meurtriers que barbares, y compris sur notre sol. Pas d'amalgame, va-t-on nous corner aux oreilles ! Oui, mais de qui se moque-t-on ? Depuis son érection dans le désert d'Arabie, cette religion n'a cessé d'ensanglanter la planète - mais ce n'est certes pas la manière douceâtre autant que sulpicienne de la raconter à nos collégiens qui va les transformer en citoyens éclairés...
Donc, nos gouvernants y sont allés de leurs génuflexions, comme le pâle Cazeneuve "rompant" le jeûne du Ramadan à la Grande mosquée de Paris le 1er de ce mois, jusqu'à l'incroyable Hidalgo qui a célébré le 6 juillet dernier "la nuit du Ramadan", engageant après elle le ban et l'arrière-ban de la mairie de Paris - dans le cadre d'une laïcité bien comprise, sans doute -, en passant par le vociférant de service, Français de très fraîche date mais surtout, pur sous-produit de l'Al-Andalus.
Il est vrai que le point commun de ces grotesques est d'être "socialistes" à la sauce hollandaise. Ils savent pertinemment que si le vote musulman ne penche pas, à 90 % comme en 2012, en faveur des socialopes, ils vont dégager, et pour longtemps, de la place publique. Alors, ils n'ont pas honte de sacrifier la France éternelle, s'il le faut, plutôt que leurs ambitions. Et combien ils se foutent de l'opinion du pape François, qui vient de nommer génocide le sort réservé (devinez par qui) aux Chrétiens d'Orient !
Non, la maison France brûle et perd son âme, alors ils donnent dans l'anecdotique pour nous enfumer à loisir : l'une a pris le Nutella en aversion, et nous les casse avec cette pâte à tartiner, un autre file des conseils en douce aux Grecs, pour qu'ils nous entubent à nouveau, mais beaucoup mieux, une autre encore prend, avec un joli mouvement de menton, "douze mesures contre le harcèlement dans les transports" - la France, retenant son souffle, attendait avec une légitime et impatiente anxiété cet acte d'autorité ; un autre enfin, autorise le port de la barbe au sein de la Police nationale - pourvu qu'on permette bientôt aux Barbus - intégrés au nom de la "diversité" - de troquer l'uniforme contre leurs djellabas !
L'histoire jugera ces médiocres, mais en attendant, le remplacement de la population, s'il ne revêt pas le caractère sauvage, haineux et sanglant que connaissent les Chrétiens d'Orient, se produit insensiblement (en 1970, moins de 1 % de musulmans au sein de la population française, aujourd'hui 8 à 9 %), favorisé par l'atonie de nombre de nos concitoyens gavés de télévision aux ordres.
Alors, je veux aller protestant, solennellement, et je célèbre la fin de ce fichu Ramadan à ma façon indignée, en publiant le jour de l'Aïd al-Fitr un texte du pasteur Boegner - qui avait, soit dit en passant, une autre dimension intellectuelle que le dénommé Boubakeur (et qui, durant la dernière guerre, observa face aux Nazis une tout autre attitude que celle du Grand Mufti de Jérusalem - pour ne parler que de lui) - lequel doit sacrément jouir de voir arriver à lui, comme à Canossa, autant de "dignitaires" indignes.
Et maintenant, écoutons le prêche de Boegner. Il sera parfaitement inutile d'y rechercher la moindre imprécation contre l'institution République.
Mais il y a beaucoup plus à dire, à propos de ce qui revient à César et de ce qui revient à Dieu, et je tire la quintessence du paragraphe suivant d'un long article dû à la plume du professeur Patrick Cabanel (Toulouse-Le Mirail) publié dans le Bulletin de la société d'histoire du protestantisme français (n° d'octobre-novembre-décembre 2010), "Le pasteur Marc Boegner à l'Assemblée du Musée du Désert, 6 septembre 1942 : nouveaux documents sur un lieu de mémoire".
On y apprend que le 31 octobre 1940, dans une émission radiodiffusée de la Fédération protestante de France, Boegner s'était lancé dans une méditation, à partir de Actes 5:29, sur le thème "il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" : Des circonstances peuvent survenir où un conflit éclate entre ce que Dieu réclame de notre obéissance et ce qu'une autorité humaine, quelle qu'elle soit, prétend exiger [...]. Conflit qui, dressant en face l'une de l'autre deux autorités, d'un côté le Christ, de l'autre la tradition religieuse ou César, rend inévitable un choix dont les conséquences peuvent être redoutables et immenses. C'est ce choix que font sans hésiter l'apôtre Pierre et ses compagnons lorsqu'ils déclarent aux magistrats juifs par la bouche de Pierre : "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes". C'est ce même choix que fit Saint-Paul en des circonstances tragiques de sa vie, aussi bien en face des Juifs que des judéo-chrétiens ou que des autorités romaines. C'est ce même choix que firent les martyrs chrétiens, mis en demeure de choisir entre la fidélité à leur foi et l'obéissance à une autorité humaine. Jeanne d'Arc a fait ce choix, Luther a fait ce choix, les protestants préférant l'exil au reniement après la Révocation de l'Édit de Nantes ont fait ce choix, et Marie Durand, gravant le seul mot Résistez sur la margelle de la tour de Constance avait, elle aussi, choisi d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes".
Pour la "petite" histoire, bien cachée hélas, je rappelle que cette "méditation" fut prononcée alors même que, fin juin 40, les cocos, premiers collaborationnistes, s'étaient bruyamment réjouis de la défaite des démocraties (France-Angleterre), avaient demandé auprès d'Otto Abetz la reparution de l'Humanité (interdite par Daladier, à cause du pacte germano-soviétique), et s'étaient engagés à dénoncer "les agissements des agents de l'impérialisme britannique [le Général de Gaulle !] qui veulent entraîner les colonies françaises dans la guerre"...

Bref, pour en revenir à Boegner et à ses vives protestations à propos du statut des Juifs, qui venait d'être promulgué, il est piquant de souligner que c'est à cause de lui et du "Résister" qu'il avait publiquement, et le premier en France proclamé, que Laval devait par la suite interdire les "méditations" à la radio...
Oui, que Dieu dans son infinie bonté, veuille bien me pardonner, mais il me faut l'affirmer : Boegner avait des couilles au cul. De plus, il s'agissait des siennes.

 

 

"Cette parole est certaine : Si nous mourons avec le Christ nous vivrons aussi avec lui". (II Tim. 2:11).

 

 

 

 

"Il ne faut pas croire à la mort, il faut croire à la vie". Ces paroles, je les ai recueillies, il y a de longues années déjà, sur les lèvres d'un mourant chrétien. Elles suivaient une citation de Spinoza : "Il ne faut pas avoir la religion de la mort mais la religion de la vie"(1). Et sans doute serons-nous tous d'accord pour souscrire à cette double affirmation. Mais de quelle vie est-il question ? Est-elle en nous par le seul fait que nous existons ? J'aime entendre Albert Schweitzer parler de la révérence que nous devons à la vie. Suffit-il cependant de croire à la vie, de vouloir, dans toute la mesure possible, respecter la vie partout où elle se manifeste, pour être sur le chemin de la vie triomphante, objet de nos entretiens ? Je ne le pense pas et j'avoue n'être pas sans inquiétude devant l'indétermination de cette Vie (avec une majuscule) qui, dans la foi de tant d'âmes sincères et généreuses, remplace le Dieu vivant des prophètes, le Dieu de Jésus-Christ.

Les chrétiens doivent croire à la vie, mais à une vie qualifiée par sa source, son contenu et sa fin. Sa source c'est la Croix du Calvaire éclairée par la lumière de Pâques ; son contenu c'est la vie même du Christ pénétrant notre Vie d'hommes pécheurs reçus en grâce ; sa fin, c'est la gloire dans le royaume de Dieu.

 

 

I

 

Replaçons-nous donc tout d'abord 'devant la Croix que, jusqu'à présent, nous n'avons fait qu'entrevoir : la mort nous y apparaît comme la servante de la vie. À la lumière que la victoire de Pâques projette sur elle, nous la regardons, non pas comme les disciples à 1'heure où leur Maître agonisait, mais comme Dieu veut que nous la contemplions après que la résurrection a "mis en évidence" la victoire du Christ sur la mort(2).

Pour les premiers disciples, et pour l'Églises de tous les siècles, la mort du Christ est l'œuvre maudite du péché. Qui donc est attaché à cette croix ? Un homme qui n'a vécu que pour aimer et, par son amour même, révéler l'amour du Père. L'homme des béatitudes et du sermon sur la montagne ; l'homme des paraboles de la brebis perdue, de l'enfant prodigue, du bon samaritain. L'homme de la prédication du royaume de Dieu, qui délivrait les esclaves du démon et annonçait la chute de Satan. Mais aussi l'homme qui flagellait les menteurs et les hypocrites, par exemple dans les épisodes de la femme pécheresse et de la femme adultère, dénonçait les pharisaïsmes et les convoitises cachées ; l'homme dont l'amour était parfaitement saint, parce que pur de toute recherche de lui-même et de tout égoïsme.

Et c'est cela que ceux qui ont voulu sa mort n'ont pas pu supporter : sa bonté. Sans doute ils étaient prêts à l'accueillir ; mais qu'il les voie dans le secret de leur cœur, que personne, selon la parole de l'Évangile, n'ait besoin de lui dire ce qui était dans l'homme(3), cela ils l'ont refusé, et du même coup ils ont repoussé l'amour. Ils ont rejeté Celui qui n'était venu au milieu d'eux que pour les aimer.

Quelle victoire du péché qui est dans l'homme, ce refus de Dieu, ce refus de ses exigences et de ses jugements, et en même temps ce refus de ses promesses et de sa miséricorde ! Et quelle défaite de l'amour !

Voilà ce qu'ont vu les premiers disciples. L'Église tout entière le voit également. Mais, parce qu'elle ne peut pas contempler la Croix dans une autre lumière que celle de la résurrection, elle voit autre chose que ce qu'ont vu les disciples dans les ténèbres du Vendredi saint. La Croix est révélée à l'Église et à ses fidèles comme le chef-d'œuvre de l'amour qui, pour sauver le pécheur, se donne jusqu'à la mort. Il faut(4), déclarait Jésus. Oui, il faut que l'amour aille jusqu'à son achèvement. En liguant contre lui toute la puissance du péché il en fait éclater la gravité mortelle, il l'oblige à démasquer ses intentions secrètes qui sont de rejeter Dieu pour que l'homme soit son propre dieu. Et, dans le même temps, en assumant la misère mortelle des hommes pécheurs, en voulant les convaincre, à force d'amour, que le péché est vraiment la perdition et la mort, Jésus va jusqu'à s'identifier à eux, à se faire péché à leur place, selon le réalisme tragique de l'apôtre Paul(5). De tout ce qui menace de les frapper il veut être frappé lui-même, épuisant en lui, pour qu'elle leur soit épargnée, les effets de la condamnation du péché. Il va jusqu'à accepter d'être dans son agonie le rejeté des hommes, l'abandonné de Dieu, l'homme en qui le péché manifeste son achèvement total : la solitude de celui qui, n'ayant plus de Père dans le ciel ni de frère sur la terre, est définitivement muré dans son incrédulité, comme un cadavre dans son caveau.

Voilà bien l'horreur du Calvaire ! Mais la lumière de la Résurrection fait apparaître dans cette horreur même une promesse de salut et de vie. Non, non, l'amour n'est pas vaincu à Golgotha. C'est là, bien au contraire, qu'il remporte ses triomphes. Car c'est devant la Croix que l'homme commence à pressentir que cet amour est pour lui, qu'il le cherche, qu'il veut le persuader, le libérer, l'arracher à ses servitudes qui le tuent, faire jaillir en lui la source de l'amour qui porte en lui le secret d'une vie nouvelle. Écoutez saint Paul, l'homme qui, sans doute, a le plus vécu dans la contemplation de la Croix, mais de la Croix vue à la grande clarté de Pâques : "L'amour du Christ nous presse, parce que nous estimons que, si un seul est mort pour tous, tous donc sont morts; et qu'il est mort pour tous afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux"(6).

Ne vous laissez pas arrêter par je ne sais quelles formules juridiques où certains théologiens ont cru devoir enfermer l'amour qui triomphe sur la Croix. C'est le drame de l'amour éternel de Dieu que, dans la lumière de la Résurrection, nous voyons s'achever sur le Calvaire : le drame d'un amour qui avait appelé l'homme à la vie pour que cette vie fût vécue dans une réponse de joyeuse acceptation de la volonté du Créateur. Cet appel a été refusé, cet amour a été bafoué, blasphémé, cette vie, souillée, corrompue par le péché, est devenue servitude et mort. Mais l'amour éternel n'a pas pris son parti de cet échec, de cette révolte et de cette rupture. Il n'a pas accepté sa défaite. Il s'est jeté dans la redoutable aventure du salut de l'homme pécheur. Vous en savez la fin : "Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle"(7).

"Je pensais à toi dans mon agonie ; j'ai versé telles gouttes de sang pour toi", murmurait le Christ à Pascal le regardant sur la Croix du Calvaire(8). Combien de créatures humaines, depuis dix-neuf siècles, ont connu en elles-mêmes ces premiers tressaillements de l'âme qui, devant cette folie de l'amour divin que manifeste la Croix, pressent que cet amour est pour elle, pour les autres aussi, certes, mais pour elle, morte dans son péché, et qu'il porte en lui, pour la faire pénétrer en elle, une puissance de résurrection et de vie ! Et c'est là, pour beaucoup de chrétiens, la naissance à la vie de la foi.

"Tout cela vient de Dieu", s'écriait saint Paul. "Car Dieu était en Christ réconciliant le monde avec lui-même..."(9). Oui, c'est Dieu qui a tout conçu, tout préparé, tout donné, tout accompli. C'est lui qui aime en Jésus-Christ, qui souffre en Jésus-Christ, qui fait de la mort de son Fils, pour tous les hommes, la servante de la vie. "Car le Christ est mort, et c'est pour le péché qu'il est mort une fois pour toutes ; il est revenu à la vie et c'est pour Dieu qu'il vit". Et l'apôtre conclut : "Vous donc aussi, considérez-vous comme morts au péché et comme vivants pour Dieu en Jésus-Christ"(10).

 

 

II

 

Et nous voici devant une mort que nous n'avons pas encore rencontrée : la mort au péché. Mourir au péché c'est, comme le dit aussi saint Paul, ne plus vivre pour soi-même(11). C'est mourir à soi-même, à l'amour tyrannique, exclusif de soi-même, à la volonté d'être par soi-même et pour soi-même ce qui est proprement le péché essentiel.

La mort à nous-mêmes est, elle aussi, en nous la servante de la vie. Mais cette mort, qui nous est offerte comme une grâce, nous ne pouvons la vivre que dans la communion de Jésus Christ et, plus particulièrement, dans la communion de ses souffrances(12). "Que je connaisse la communion de ses souffrances", demandait l'apôtre. Il savait bien que cela ne lui était possible que si, se rendant conforme à Jésus Christ dans sa mort, il connaissait en même temps la puissance de sa résurrection.

Je sais bien que ces paroles, et d'autres semblables, dispersées dans les écrits apostoliques, nous heurtent et, parfois, nous paraissent insupportables, au sens premier du mot. Et pourtant, je n'hésite pas à le dire, elles nous placent au cœur de la réalité chrétienne, de la vie de la foi. Il n'y a pas de christianisme sans communion avec Jésus-Christ. Pas de communion avec Jésus-Christ sans communion avec sa vie triomphante et ses souffrances rédemptrices. C'est au Christ tout entier, au Christ du sermon sur la montagne comme à celui de la Passion, au Christ de Golgotha comme à celui d'Emmaüs et de l'élévation à la gloire, que nous unit notre foi. Et parce qu'elle nous unit à sa vie elle nous unit à sa croix. "Si nous mourons avec lui nous vivons aussi avec lui".

Mourir avec Jésus-Christ ? C'est peut-être une longue existence de souffrances que comporte cette mort. Et d'abord la souffrance que, devant la Croix, nous connaissons par notre péché.

C'est un mot irritant à toujours lire dans la Bible ou entendre dans un sermon que celui de péché. Un mot d'ailleurs qui ne dit pas grand chose ou même qui semble vide de sens aux hommes qui vivent dans le scepticisme, l'agnosticisme ou l'incrédulité. Mais lorsque nous entrevoyons de quel amour la Croix est le signe et que cet amour est pour nous, alors le péché cesse d'être une abstraction, il prend pour nous une signification terriblement réelle, parce qu'il devient notre péché. "C'est une chose certaine, a écrit saint Paul, et digne d'être reçue avec une entière confiance, que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs dont je suis le premier"(13). Voilà la conviction qui s'implante peu à peu au cœur de l'homme en qui la révélation de l'amour de Jésus-Christ donnant sa vie sur le Calvaire suscite la foi. Il est le premier, le plus misérable, le plus coupable des pécheurs que le Christ est venu sauver. Mais que de souffrances précèdent, accompagnent ou suivent cette conviction !

Nous commençons à nous voir tels que Dieu nous voit, à nous juger tels qu'Il nous juge, à nous condamner comme Il nous condamne. Souffrance de découvrir que notre prétendue liberté recouvre de douloureuses servitudes, que notre honnêteté pharisaïque masque un immense orgueil, que de nos œuvres et de nos "générosités" nous nourrissons notre vanité, que les démons de l'impureté, du mensonge, de la haine trouvent en nous la complaisance de notre accueil et que chaque jour, "en plusieurs manières", comme le dit notre confession des péchés, nous avons blessé, nous blessons le cœur de Dieu. Souffrance, même dans la vie du chrétien que nous voulons être, de devoir reconnaître que nous ne sommes pas ce que nous paraissons être et que l'hypocrisie se mêle aux démarches les plus sincères de notre piété. Souffrance encore, en nous offrant à la lumière du Christ, de découvrir dans notre vie passée, tant de péchés que nous ignorions ou que nous avions oubliés et qui s'ajoutent à toute cette fange des bas-fonds que nous prenons en horreur, mais au prix de quelle souffrance ! Quelle grâce de vivre cette souffrance mortelle dans la communion du Crucifié, quelle grâce de savoir qu'il est monté sur cette croix précisément pour qu'à travers cette souffrance, acceptée comme un châtiment, nous acquérions la force de consentir à mourir à nous-mêmes !

Et puis il y a les souffrances du grand combat où nous jette la foi dès qu'elle nous attache à Celui qui nous appelle à mourir avec lui pour revivre avec lui. C'est alors que la souffrance, fruit et châtiment du péché, se révèle à nous comme devenant, par la grâce de Dieu, un remède au péché. Elle est en nous un signal d'alarme, elle nous empêche de nous endormir, elle nous commande la vigilance, elle nous met en garde contre les surprises possibles, elle nous appelle à la persévérance dans le combat de la foi.

Ce combat, lui aussi, ne va pas sans souffrances. Nous aurons à nous y engager bientôt. Mais dès maintenant il convient de dire que c'est avant tout en nous-mêmes.et contre nous-mêmes que nous avons à le livrer. Et ne nous donnons pas l'illusion de croire qu'il s'agisse de petites escarmouches sans gravité. C'est d'une lutte à mort qu'il s'agit, d'une lutte où notre vieil homme doit mourir si nous voulons, en vivant par le Christ et pour Lui, répondre à notre vocation à la vie triomphante.

Grâce à Dieu, nous ne sommes pas abandonnés à nous-mêmes dans cette lutte et dans la souffrance et la détresse que nous pouvons y rencontrer ! Celui qui a donné sa vie pour nous se tient à nos côtés, non pas pour nous dispenser de souffrir, mais pour soutenir de sa force notre faiblesse, nous empêcher de quitter le combat après une défaite, nous replacer sans cesse devant le but qu'il propose à notre fidélité.

Notre orgueil, notre recherche de nous-mêmes, notre idolâtrie de nous-mêmes, et toutes ses funestes répercussions dans tous les domaines de notre vie : voilà ce dont nous devons vouloir la mort, voilà ce qui doit mourir pour que la vie du Christ croisse en nous, voilà ce qui mourra si, acceptant les souffrances inévitables des dépouillements, des renoncements, des mortifications nécessaires, nous demandons la grâce de ne rechercher qu'une chose : la réalité de la vie dans la communion de Jésus-Christ. "Faites mourir, écrivait Paul aux chrétiens de Colosses, ce qui, dans vos membres, est terrestre"(14). C'est en vivant cette mort que, nous dépouillant du vieil homme avec ses œuvres, nous sommes revêtus du nouvel homme qui se renouvelle sans cesse à l'image de Celui qui l'a créé.

Ici encore la mort est la servante de la vie.

 

 

III

 

Elle l'est encore lorsque, par une épreuve physique, morale, ou spirituelle, elle brise la force de notre corps ou de notre esprit, ou mutile profondément notre cœur. "La mort a touché les racines de mon âme, notait Fallot, déchiré par un deuil poignant,... afin que la vie, une vie plus ample soit manifestée"(15)

Gardons-nous de croire que l'épreuve soit toujours accueillie de cette manière, même par ceux qui se réclament de Jésus-Christ. La souffrance fait souvent œuvre maudite. Elle entraîne sa victime, qui devient vite son esclave, à se replier sur elle-même, à s'isoler dans sa détresse ou sa douleur, à se fermer, non pas aux consolations fâcheuses qui irritent, mais aux sympathies les plus vraies. Alors la souffrance sépare, elle sépare de Dieu à qui l'on jette, sinon des blasphèmes, tout au moins d'incessants "pourquoi" ? Elle sépare des hommes auxquels l'on reproche de ne pas comprendre, de minimiser la souffrance dont on est meurtri. Elle rend amer, elle ronge la vie morale, la vie chrétienne elle-même - ou ce qu'on croit tel - par le dedans. Qu'il s'agisse de maladie, de solitude, de pauvreté, de deuil, la souffrance peut faire et fait hélas ! souvent œuvre de mort. La mort du corps aussi bien que la mort de l'âme peuvent être au terme de son chemin.

Et pourtant qui n'a rencontré, sur les routes de l'existence, des hommes ou des femmes frappés par la souffrance, écrasés par la douleur, en qui ce qui amène tant d'autres à se replier, à s'enfermer en eux-mêmes, les conduit au contraire à s'ouvrir aux souffrances et aux détresses des autres, à les assumer en quelque sorte en même temps que les leurs propres, à être de plus en plus humains, et par cela même à vivre une vie que la souffrance élève au lieu de l'abaisser, purifie au lieu de la flétrir, pénètre d'une lumière qui rayonne paisible et purifiante au lieu d'en faire une puissance de ténèbres. Louis Lavelle a écrit dans ce sens quelques paroles émouvantes :

On ne peut considérer sans effroi la masse de douleurs qui remplit l'histoire ... Le plus beau courage pour chaque être est, au lieu de s'en détourner, d'y consentir et de les assumer à la fois parce qu'il a été formé par elles, parce qu'il ne peut pas les penser sans les faire siennes ... parce que nul n'est solitaire dans ce monde et que tout le mal et le bien qui s'y produisent ont un retentissement sur tous ceux qui y vivent(16).

Et comme il est dans la ligne de nos réflexions d'aujourd'hui lorsqu'il s'écrie :

Chacun de nous ne songe sans doute qu'à rejeter la douleur au moment où elle l'assaille, mais quand il fait un retour sur sa vie passée, alors il s'aperçoit que ce sont les douleurs qu'il a éprouvées qui ont exercé sur lui l'action la plus grande ; elles l'ont marqué ; elles ont donné à sa vie son sérieux et sa profondeur(17).

N'est-ce pas une autre façon de dire que la souffrance et la douleur qui sont, en nous, des avancées de la mort, sont mises, par la grâce de Dieu, au service de la vie.

Par la grâce de Dieu ! Vous me direz sans doute qu'en dehors du christianisme et même de toute foi religieuse nous pouvons rencontrer et, en fait, nous rencontrons des frères et des sœurs en humanité en qui il apparaît que la maladie la plus cruelle, le deuil le plus poignant, la solitude la plus écrasante, deviennent les sources d'une vie toujours plus sereine, apaisée, aimante. Et cela est vrai. Et c'est une grande richesse de recevoir de si hautes inspirations qui, à première vue tout au moins, semblent n'avoir leur origine qu'en ceux à qui nous les devons. Me sera-t-il permis cependant d'exprimer la pensée que, dans la transfiguration de la souffrance dans la vie du chrétien, dans cette transmutation de la mort en puissance de vie, il y a quelque chose de plus qui ne saurait exister ailleurs. Il y a précisément la communion aux souffrances du Christ et même à la souffrance de Dieu. Il y a cette offrande que le chrétien fait de ses souffrances à Celui qui les transfigure par sa présence dans le cœur le plus cruellement meurtri. Il y a, dans l'union étroite au Christ crucifié, l'acceptation des croix les plus lourdes. Il y a ce mystère de solidarité dans la douleur que l'apôtre Paul nous fait entrevoir lorsqu'il écrit : "Ce qui manque aux souffrances du Christ je l'achève dans ma chair, pour son corps qui est l'Église"(18). Il y a enfin cette foi ferme et persévérante que la souffrance, vécue avec Jésus-Christ, prépare en nous la victoire de ce qui est incorruptible, nous enracine dans l'Invisible et hâte en nous l'éclosion de l'homme d'éternité.

Ce qui fait alors de la douleur ou de la souffrance une puissance de vie, c'est qu'elle est offerte à Dieu en sacrifice. "Par les compassions de Dieu, écrivait saint Paul aux Romains, je vous exhorte à offrir vos corps en sacrifice vivant et saint"(19). Pauvres corps usés par la maladie, s'en allant parfois en lambeaux comme un vieux vêtement que l'on rapièce encore ; pauvres cœurs étouffant dans leur solitude, assoiffés d'une tendresse qui ne s'est jamais, ou ne pourra plus jamais s'exprimer dans l'ordre des choses visibles, l'offrande que nous faisons de vous à Dieu au nom de ses compassions, c'est-à-dire au nom de sa communion à nos souffrances dans la souffrance même de Jésus-Christ, reçoit une merveilleuse réponse : la patience, la sérénité, la paix, l'espérance, plus encore la victoire - et tout cela c'est la vie - nous sont données et redonnées chaque jour par Celui qui veut que, dans toutes nos morts de la terre, nous connaissions la puissance de sa résurrection.

 

 

IV

 

"Ne nous entraînez-vous pas au mysticisme" ? ne manquera-t-on pas de me demander. Qu'est-ce donc que le mysticisme, sinon, au sens étymologique du mot, cette aptitude à regarder, au delà des apparences visibles à quoi se limite le plus souvent notre vision, les réalités morales et spirituelles qui ne se laissent reconnaître et saisir que par ceux qui les cherchent, et les cherchent, s'il le faut, avec obstination et avec larmes. Et ce regard au delà des apparences, au delà du visible, ne s'applique pas seulement aux choses et aux gens qui nous entourent ; il s'applique tout d'abord à nous-mêmes, il va au plus profond de l'être intérieur, il apprend à y démêler l'étrange écheveau de nos instincts, de nos désirs, de nos élans, de nos inquiétudes ou de nos ardeurs. Si nous sommes chrétiens, à travers les faits, les doctrines et les institutions, le mysticisme va droit à ce qui est l'essentiel, le dessein éternel de Dieu à l'égard de l'homme s'affirmant sur toutes les voies où s'engage son amour, s'incarnant dans la Parole faite chair, en Jésus-Christ, le Fils unique, donné par amour pour le salut des hommes.

Et c'est là proprement la foi. La foi chrétienne, parce qu'elle est retour de l'âme à son principe, élan de confiance dans le Dieu inconnaissable et incompréhensible qui se révèle dans sa Parole et dans le Christ, enracinement croissant dans la communion du Christ mort et ressuscité, la foi chrétienne, dis-je, revêt nécessairement le caractère d'un mysticisme donnant naissance, sous des formes diverses, à une mystique. Les deux grands hérauts de la foi à l'âge apostolique, saint Paul et saint Jean, sont les deux fondateurs et restent les deux grands inspirateurs du mysticisme chrétien. Précisément parce qu'ils ont reçu la grâce de voir, dans leur profondeur la plus voilée aux regards de la plupart des hommes, les réalités essentielles de la foi, la vie cachée du chrétien avec le Christ en Dieu, l'achèvement de l'œuvre entreprise par le Christ dans le secret des âmes et le merveilleux accomplissement de notre vocation éternelle au jour où nous serons rendus semblables à Jésus-Christ parce que nous le verrons tel qu'il est(20).

Vous voulez ôter la mystique et le mysticisme de la pensée et de la vie chrétiennes ? Supprimez alors du Nouveau Testament les lettres de Paul et de Jean. Sinon acceptez qu'ils vous conduisent, qu'ils nous conduisent les uns et les autres sur le chemin qu'ils ont suivi eux-mêmes et où la mort se révèle la servante de la vie.

Je le répète, ce chemin est celui de la foi, de la foi, non pas dans une Église ou dans une doctrine, mais en une personne : Jésus-Christ. La foi, à son début, peut n'être qu'un tressaillement d'espérance, un désir, un premier élan vers celui dont la rencontre l'a suscitée en nous. En s'affermissant par la grâce de Dieu elle devient un attachement à la personne qui est tout à la fois son sujet et son objet, une confiance croissante, une obéissance qui ne trouve sa fidélité qu'en celui qui "donne ce qu'il ordonne". Elle grandit encore, et le Christ devient sa nourriture, la nourriture, par sa parole et par le sacrement de sa vie la plus intime. Alors se découvrent, au dedans et au dehors, les adversaires auxquels il faut livrer combat. Et des chemins de mort s'ouvrent devant le chrétien qui veut être fidèle. C'est le temps où, à l'école de l'apôtre Paul, nous atteignons à la réalité suprême de la foi et de la vie chrétienne, à cette vie dans le Christ qui ne devient nôtre que si nous acceptons de mourir avec lui, à ce conflit, dans les retraites les plus secrètes de notre être intérieur, entre le disciple du Christ, 1'homme nouveau, qui veut vivre et le vieil homme, le pécheur, l'esclave qui ne consent pas à mourir.

"Misérable que je suis, s'écriait l'Apôtre, par qui serai-je délivré de ce corps qui m'entraîne à la mort" ? Et dans l'expérience renouvelée de la victoire sur toutes les forces de mort il ajoutait : "Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur" !(21)

 

 

© Pasteur Marc Boegner, La vie triomphante (six prédications de Carême 1953, prononcées en l’Église réformée de Passy), Paris, Éditions Berger-Levrault, 1954, 142 pages [le texte supra constitue la troisième prédication]

 

 

Notes

 

(1) Marc Boegner, Jésus-Christ, II, p. 450.
(2) II Timothée 1 : 10.
(3) Jean 2 : 25.
(4) Matthieu 16 : 21.
(5) II Corinthiens 5 : 21.
(6) II Corinthiens 5 : 14.
(7) Jean 3 : 16. .
(8) Le Mystère de Jésus.
(9) II Corinthiens 5:19.
(10) Romains 6 : 10:11.
(11) II Corinthiens 5:15 ; cf. Romains 6 : 14.
(12) Philippiens 3 : 10.
(13) 1 Timothée 1 : 15.
(14) Colossiens 3 : 5.
(15) Marc Boegner, ouvr. cit., t. II, p. 426.
(16) Louis Lavelle, Le mal et la souffrance (Plon, 1940), p. 129.
(17) Ibid., p. 108.
(18) Colossiens 1 : 24.
(19) Romains 12 : 1.
(20) I Jean 3 : 2.
(21) Romains 7 : 24-25.